Questions pour Manu Roudier, l’auteur de Würm 2

La très attendue 2ème édition de Würm est actuellement en souscription sur Game On Tabletop. Sans surprise, le palier de base est atteint et de nombreuses améliorations ont déjà été débloquées. Avant que la campagne de financement participative n’arrive à son terme (ce mardi 11 Février – 23h59), nous vous proposons une interview de l’auteur-illustrateur du jeu Emmanuel Roudier qui nous explique que Würm est avant tout un jeu, plutôt qu’un essai sur la préhistoire.

Le Fix : Bon, nous y voilà, la souscription pour Würm 2 est lancée, avec une partie filmée, en guise de lancement de produit. Jeu d’ambiance préhistorique + mobilisation multimédia = Würm 2.0, en fait ?

Emmanuel Roudier (ER) : Exactement ! C’est un peu comme pour la recherche en préhistoire, on utilise les méthodes dernier cri pour redonner vie à cette période lointaine. En parlant de période lointaine et de Préhistoire, il fut aussi un temps jadis où je faisais mes feuilles de perso de Würm (Aube, à cette époque) à la main parce que je n’avais pas d’ordi. Pas mal content que ça ait évolué, quand même !

Le Fix : Tu avais posé les premières pierres d’un jeu préhistorique dans les années 1990, puis publié la première version (gratuite !) de Würm dans la Cour d’Obéron en 2007, avant qu’une édition professionnelle ne sorte chez Icare en 2011. Et maintenant, une nouvelle édition pro, enrichie et embellie. Franchement, tu t’attendais à un tel succès – toutes proportions gardées – pour un jeu de niche ?

ER : Pas du tout. Mais d’ailleurs je ne me posais pas la question, puisque l’idée c’était simplement que le jeu existe pour que je puisse y jouer avec les amis et, plus tard, que les amateurs puissent le trouver sans trop de difficulté. Mais les choses se sont plutôt bien passées (tu étais là pour l’inauguration de la V1 à Tarascon-sur-Ariège, amigo !), et à présent cette 2e édition dépasse mes espérances en termes de « production value ». Elle a dépassé aussi mes prévisions en termes de quantité de boulot à y consacrer, mais c’était pour la bonne cause.

Le Fix : Le sous-titre de Würm est « jeu de rôle dans la préhistoire ». Ce n’est donc ni « le JdR des préhistoriens », ni « le JdR de la préhistoire ». Tu as choisi un sous-titre mercantile ou pédagogique ?

ER : Beh… j’ai choisi le titre qui dit exactement ce qu’est ce jeu. Ce n’est pas le jeu de rôle des préhistoriens, parce que tout le monde peut y jouer, même ceux qui n’y connaissent rien en Préhistoire, et parce que je prends quand même certaines libertés avec la rigueur archéologique. Et ce n’est pas non plus le jeu de rôle de la Préhistoire parce que la proposition ludique ne s’arrête pas à la simulation de la vie à la Préhistoire, loin de là. Dans Würm en fait on est dans un univers de fantasy, mais qui se situe dans la préhistoire.

Le Fix : Pour préparer cette deuxième édition pro de Würm, tu as organisé des « camps würmiens », avec des parties de tests et des repas autour du feu. C’est ta manière de mettre la tribu au cœur de la création et du jeu ?

ER : Et c’était vraiment chouette. Avec les années, une communauté de passionnés s’est intéressée au développement du jeu, notamment sur le forum de La Cour d‘Obéron, et donc quand j’ai commencé à travailler sur la 2e édition, je me suis dit que ce serait excellent de pouvoir réunir une partie de ces gens pleins d’expérience et d’idées pour tester la nouvelle version des règles et les nouveaux scénarios. On l’a fait trois années consécutives, vers la Toussaint, pour une semaine complète de tests et de débriefings. Non seulement c’était hyper utile pour le développement du jeu, mais en plus c’était un bonheur de retrouver tous ces amis à chaque fois.

Le Fix : La nouvelle édition du jeu compte environ deux fois plus de pages que la précédente. Et pourtant, la partie sur les règles a subi un régime minceur. Tu nous avais donc caché des choses, dans la première édition ?

ER : J’ai bien développé la présentation du cadre préhistorique de l’ère glaciaire, pour donner à la fois du fluff et du crunch aux MJ dans leur mise en scène de l’univers, et j’ai rajouté beaucoup de possibilités pour l’évolution des personnages. Ce qui fait qu’à l’arrivée le système de jeu est à la fois équilibré et épuré, mais aussi enrichi de plein de trucs. Autre chose : j’ai pris beaucoup de place pour les illustrations. Par exemple le bestiaire passe de 13 à 44 pages, avec des illus couleur pour chaque créature.

Le Fix : J’ai déjà tout Würm, depuis l’édition « Cour d’Obéron », et j’y ai beaucoup joué. Qu’est ce qui me ferait craquer pour cette nouvelle édition ?

ER : Elle est mieux, à tous les niveaux. Le jeu est encore plus fluide, les personnages et les créatures sont mieux équilibrés de manière à ce que tu puisses jouer des dizaines de scénarios sans que tu te retrouves à un moment avec des PJ ingérables parce que trop puissants ou trop semblables. Et puis le livre est beaucoup plus beau, tout en couleurs et mieux illustré. Et tous les scénarios du livre de base sont inédits. Et là je ne parle que du livre de base, mais il y a d’autres ouvrages qui l’accompagnent. « Terres Ancestrales » est un univers de jeu en partie inspiré de mes bandes dessinées qui présente tout un monde : un cadre géographique et des dizaines de clans et de tribus. 100% inédit. Et il est accompagné d’une saga complète signée de l’ami Yodram (une mini-campagne, en gros).

Le Fix : Pour les illustrations, tu ne pouvais être mieux servi que par toi-même. Les p’tits gars chez BBE t’ont laissé carte blanche sur le style et le nombre des illustrations ?

ER : Bien sûr. D’ailleurs on peut dire qu’ils m’ont laissé carte blanche sur à peu près tout. Évidemment, ils étaient là pour regarder ce que je leur envoyais et ils me donnaient leur avis et leurs préférences sur tel ou tel visuel, par exemple. Mais on a travaillé avec une vraie relation de confiance de part et d’autre et c’était très appréciable. Cela étant, je n’ai pas réalisé absolument toutes les illustrations du jeu : il y en a deux qui sont de Florent Rivère, et plusieurs scénarios sont illustrés par Stéphane Marsaudon, qui a fait un travail remarquable. Ce sont tous les deux des amis que j’ai sollicités parce qu’ils sont une sensibilité graphique qui me plaît beaucoup.

Le Fix : L’univers de Würm est peuplé de créatures animales « réalistes », d’êtres surnaturels nés des tréfonds des espoirs et des craintes des Hommes longs et des Hommes-ours, et de quelques grosses bestioles sauriennes sensiblement anachroniques. Ces dinosaures résultent de tes visions lors d’expériences chamaniques, ou d’une demande de la communauté würmienne d’affronter du plus costaud que du mammouth ?

ER : C’est moi qui voulais des gros sauriens. J’aime les dinosaures. Et j’aime les dragons. Si tu me dépiautes de toutes mes couches de fourrure et de peaux de bêtes, en dessous tu trouves un vieux grognard de Donjons & Dragons. Alors dans la première version du jeu ces créatures étaient des dinosaures mais s’appelaient juste des dragons. Ça m’a plutôt été reproché par certains joueurs qui trouvaient que c’était dommage d’introduire cet élément de pure fantasy dans un jeu semi-historique. Donc pour cette 2e édition, ils sont toujours là mais ils s‘appellent Spinosaure, Mosasaure et Hatzegopteryx ! Ils font partie de la seconde section du bestiaire consacrée aux créatures fantastiques, et je trouve ça important que les MJ sachent qu’ils peuvent jouer à Würm sans s’obliger à respecter scrupuleusement les données de la paléontologie. Et oui, effectivement, ça peut faire des adversaires à la mesure de personnages ultra boostés.

Le Fix : Notre regard sur la préhistoire a souvent balancé entre des extrêmes : la version péjorative et pompière, principalement née au dix-neuvième siècle, de l’homme préhistorique traînant sa femme par les cheveux en poussant des grognements, et l’image idéalisée, post-1968, de communautés pacifistes et mystiques d’artistes pas encore sédentarisés. Tu t’es nourri, pour peindre et dépeindre ton monde de Würm, des connaissances actuelles, bien moins caricaturales. Alors, dis-nous : ces Hommes longs et ces Hommes-ours, c’est quasiment nous ?

ER : Quasiment, oui. En tous cas ce n’étaient ni des enfants de chœur ni des brutes sans cervelle. Ce qui est certain c’est que les premiers humains anatomiquement modernes qui sont arrivés en Europe il y a environ 40 000 ans étaient physiologiquement nos semblables, et dotés des mêmes capacités cognitives que nous. Pour les Néandertaliens, des différences physiques existaient mais les témoignages de leur pensée et de leur mode de vie me convainquent que, bien plus que de lointains cousins, ils étaient vraiment nos frères et sœurs. Mais si c’est intéressant de jouer à Würm en essayant de respecter l’idée que ces populations préhistoriques étaient très proches de nous, c’est aussi intéressant de voir tout ce qui nous sépare de ces humains nomades. Leur vision du monde, leurs rapports sociaux et leurs rapports avec la nature n’avaient pas grand-chose à voir avec les nôtres, et pour moi c’est passionnant d’essayer de donner vie à leur univers.

Le Fix : Tu as redonné vie à l’époque préhistorique à travers Würm, ainsi qu’à travers des bandes dessinées (Néandertal, Vo’hounâ, La guerre du feu). Est-ce que tu as une actualité de ce coté-là aussi?

ER : Une actualité brûlante, en effet. L’intégrale de Vo’hounâ sortie en 2013 chez Errance/Actes Sud étant épuisée, nous nous sommes mis d’accord avec BBE pour proposer, dans la gamme Würm, une nouvelle édition de ce roman graphique. Elle sera disponible en option pendant la précommande Würm et plus tard comme un supplément « de background » pour le jeu, au même format et avec la même qualité d’impression. Concrètement, on propose toujours la version en noir, blanc et ocre rouge (la plus belle à mon avis), mais avec des pages plus grandes et avec des textes légèrement retouchés, pour corriger les dernières coquilles (arh…) et surtout pour achever de nouer les liens entre la légende de Vo’hounâ et le monde des Terres Ancestrales.

Le Fix : Pour les lecteurs du Fix, qui ne le répéteront à personne, confie-nous ton autoportrait würmien, en peuple, clan, esprit tutélaire, et peut-être forces et faiblesses.

ER : Rholala la question à cent pointes de silex… Bon ben je suis un Homo sapiens, donc je suis plus proche des Hommes longs du jeu, quoique ces derniers aient disparu comme les Néandertaliens. Je viens de la tribu des Banlieusards mais j’ai été adopté par la tribu des Occitans il y a une douzaine d’années, et vu que j’habite dans un village qui s’appelle Félines, on va dire que je suis du clan du Chat. Ce qui est à la fois bien et pas bien vu que je suis doté de la Faiblesse Allergie aux chats. Je te dirais bien que ma Force ce serait l’Inspiration des roches, mais ça me qualifierait d’emblée comme Présomptueux alors je m’abstiens. J’aimerais bien que mon esprit tutélaire soit un très vieil ancêtre qui vivait il y a quarante mille ans, et qu’il me souffle à l’oreille de bonnes idées.

Le Fix : Quand tu es avec ton clan autour du feu, que résonne le tambour du chamane, que dansent des ombres autour de vous, et que tu lis l’avenir de Würm sur une omoplate de renne passée à la flamme, que vois-tu ?

ER : Mmmh, je vois les silhouettes animales gravées sur l’os prendre vie ; je vois la fumée et les flammes modeler les contours de paysages et de personnages, et j’entends les Voix des ancêtres raconter de nouvelles légendes. Le livre de base de Würm et celui des Terres Ancestrales ne sont que les premiers volumes d’une gamme que nous espérons florissante, et, sans trop en dévoiler, j’ai envie de te dire que les sagas pourraient s’enchaîner et les scénarios se multiplier.