Le credo de Doxa

Eh, n’est-ce pas le moment rêvé pour s’évader en jouant dans un univers d’anticipation dans lequel une humanité décadente s’entredéchire pour s’approprier les vaccins indispensables à… oh wait ! Bon, allez, disons qu’un jour, les choses redeviendront normales et que là, oui, vous apprécierez d’explorer un univers post-cyber haut en couleurs. Cela tombe bien : on parle d’un foulancement. Et vous savez combien de temps prennent ces choses-là, pas vrai ? Du coup, rencontre avec les auteurs du jeu Doxa.

1. Pourquoi s’intéresser à un loisir de vieux comme le JdR papier/crayon quand on est à la tête d’une chaîne Youtube comptant 24 000 abonnés ?

(Gabriel) Nous nous intéressons aux jeux de rôle depuis bien plus longtemps que Youtube, Doxa est en construction depuis 6 ans et nous avons commencé à le créer depuis encore plus longtemps encore. On m’avait dit un jour que concevoir un jeu de rôle pouvait prendre entre 5 et 10 ans. Au début ça m’avait paru beaucoup, mais j’ai pas vu le temps passer.

Sinon, le jeu de rôle n’est pas qu’un “loisir de vieux”, c’est encore un média assez jeune et qui gagne de plus en plus de popularité. C’est une bonne chose que les nouvelles générations attrapent leur papier et leurs crayons pour construire ce qui fera l’avenir du genre. C’est vrai que nous sommes jeunes comparé à la moyenne des auteurs de jeu de rôle, mais pour nous ce n’est ni une qualité ni un défaut, on se consacre avant tout à la production d’un jeu qui pourra amuser le plus de monde possible.

2. Du coup, cela devrait ne pas faire un pli ce futur foulancement : on compte un jeu par abonné à la chaîne Youtube et zou, on pète tous les records, non ?

(Gabriel) Pas vraiment, ce serait illusoire de penser que Doxa intéressera tout le monde. De plus, le public de Youtube n’est pas toujours familier avec ce qu’est un jeu de rôle. On doit souvent répondre à des questions comme “puis-je lire Doxa comme un roman ?”, “qu’est ce qu’un jeu de rôle ?”, “peut-on y jouer à 2 ?”. C’est super que l’on puisse faire découvrir le jeu de rôle grâce à Doxa, mais c’est pour cette raison que je ne peux pas dire que c’est “dans la poche”. Et puis, au-delà de ça le plus dur pour nous c’est de nous imposer dans un médium bien établi alors que nous n’avons ni maison d’édition, ni sorti de livre auparavant (à part la démo de Doxa en 2016). De plus, notre public n’est pas bête, si nous lui présentons un produit bâclé, il le verra et nous n’aurons pas son support. Heureusement, aujourd’hui ça se passe bien, on a dépassé 60% du financement en 4 jours, mais ça n’a au final que peu de chose à voir avec notre nombre d’abonnés.

3. Ah bon ? Et alors, vous avez prévu quoi exactement dans ce CF pour valoriser votre jeu ? Il y a des goodies et tout ?

(Gabriel) Les joueurs pourront mettre la main sur le livre ainsi que les cartes. Nous avons aussi prévu quelques bonus pour faire plaisir aux collectionneurs ou à ceux qui veulent nous aider, avec une nappe de jeu, des dés personnalisés (réalisés par Lunart et ils sont magnifiques !), un écran de MJ, et pas mal d’autres choses. Mais ce qu’on aimerait mettre en avant, c’est que le livre est disponible gratuitement, et nous tenions à ce qu’il le soit puisque trop de personnes ont été déçus par des financements qui ne vont pas au bout de leurs promesses. Nous, nous avons déjà fini. Il ne manque plus que des illustrations et une version physique. Voilà pourquoi toutes les personnes qui souhaitent s’intéresser à Doxa auront accès à l’univers gratuitement, à un extrait de livre audio, aux feuilles de personnages et à la démo si jamais elles veulent d’ores et déjà jouer.

Parlons de l’éléphant dans la pièce : oui, on vend des préservatifs Doxa sur lesquels on peut lire “ça goûte bon dans la bouche” et “votre mère ne sera plus jamais fière de vous”. N’est-ce pas formidable ? On n’est pas vraiment dans le côté “high tech”, mais on reste bien dans le cyberpunk où le corps est représenté en temps qu’objet social et véhiculeur de sensations qui prennent parfois le dessus sur la raison (peur, dégoût, et dans notre cas : orgasme). Pourquoi avoir créé ces préservatifs ? Parce que sur Doxa, le sexe n’est pas aussi tabou qu’il peut l’être sur Terre, et un chapitre dans les conseils pour les MJ concerne d’ailleurs la difficulté de parler de sexe à une table. On savait aussi que ça allait faire rire, et si un jour une partie de Doxa se termine en partouze, au moins on aura aidé en partie à stopper la surpopulation. Évidemment, ces préservatifs servent d’avertissement.

4. Vous passez direct de « on fait des vidéos » à « on édite un JdR ». Pourquoi ne pas être passé par l’intermédiaire d’un éditeur spécialisé ?

(Gabriel) Comme expliqué auparavant, c’est l’inverse, nous travaillons dans le monde du jeu de rôle depuis plus longtemps que Youtube. C’est d’ailleurs pour ça que notre chaîne s’appelle “NovaCorp”, c’est le nom d’une des mégacorporations de notre univers. La chaîne devait à la base servir à partager les œuvres qui nous avaient influencé pour créer Doxa et partager nos conseils d’écriture.

Nous avons par le passé eu plusieurs offres d’édition. Par exemple avec les éditeurs d’Insectopia (Odonata), ou avec une édition poitevine appelé Imagivienne, mais cela ne nous correspondait pas. Doxa est un projet particulier, ce n’est pas un jeu de rôle typique. C’est un livre à mi chemin entre le jeu et le roman, qui fait en plus partie du post-cyberpunk, donc quelque chose d’assez subversif et violent. Nous ne voulons pas que le processus d’édition nous freine dans nos idées. On ne dit pas “non” aux maisons d’édition de façon catégorique, mais nous voulons que le travail d’édition serve à modifier Doxa pour l’améliorer, et non l’édulcorer pour en faire un livre classique comme le monde du jeu de rôle en connait déjà. Nous voulons proposer quelque chose de nouveau, mais ça veut dire prendre des risques, et ça, les maisons d’édition, ça les refroidit.

5. Vous êtes des pros de la technologie et votre jeu est labellisé « post-cyber ». Du coup, vous avez prévu des petits gadgets rigolos genre appli, BO, vidéos, QR code ou que sais-je pour Doxa ou bien vous êtes des intégristes du papier/crayon ?

(Ephraïm) Doxa est bien un jeu de rôle papier/crayon, mais ça ne nous a pas empêchés d’y ajouter quelques objets ludiques. Tout d’abord nous avons les cartes de puces qui pourront être utilisées en jeu pour donner aux joueurs des capacités spéciales ou parfois des malus ; et une lettre secrète dont je ne veux pas trop parler pour ne pas dévoiler la surprise, mais tout ce que je peux dire c’est qu’elle aura une influence sur le jeu à un certain moment… Je pense que ces éléments permettront de nous distinguer des “intégristes” car même si nous n’avons pas des gadgets numériques, nous essayons tout de même d’apporter des éléments extérieurs à ceux du JdR classique pour apporter de l’originalité à Doxa.

6. Anarchy, Interface Zero 2.0, Cyberpunk Red, Shadowrun 6… y a pas mal de concurrence dans le secteur cyber et apparentés en ce moment. Vous croyez qu’il reste de la place pour un jeu comme Doxa ?

(Ephraïm) Justement, c’est le moment parfait. Avec des jeux comme Cyperpunk 2077 et Final Fantasy VII Remake qui vont sortir en avril, un zeitgeist semble se créer autour du cyberpunk. Nous aimerions justement que Doxa soit associé dans l’esprit des gens comme faisant partie de cette nouvelle vague. Nous ne voulons donc pas être placés dans la même catégorie que des jeux comme Shadowrun ou Interface Zero qui proposent une expérience réaliste et classique. Si nous avions fait un jeu comme ceux-là, nous n’aurions pas sorti Doxa. Ça ne sert à rien de proposer quelque chose qui est déjà là.

Avec Doxa, nous nous démarquons par le fait que nos joueurs pourront effectuer des missions très différentes des jeu de rôle cyberpunk habituels. Il est d’ailleurs précisé que sur Doxa, faire une mission à la botte d’une corpo n’est pas forcément une bonne idée, sachant que nos joueurs incarnent des Etherheads. Un Etherhead est une personne ayant volé la technologie du savoir immédiat illégalement, et qui en conséquence se voit obligé de fuir des chasseurs d’Ether et le gouvernement. C’est donc pour ça que s’il fait des missions en boucle comme pourrait le faire un runner, il peut mettre gravement sa vie en danger. Nous poussons les joueurs à utiliser leur curiosité pour les mener dans les endroits les plus mystérieux de Doxa. Finalement, nous sommes plus proches d’un jeu comme Numenera et d’une ambiance à la Takeshi Kitano, que de Shadowrun ou Blade Runner.

7. Doxa m’a l’air de posséder un côté fantastique assez marqué. On y parle d’ « Ether » notamment. Tu confirmes ?

(Ephraïm) Tout à fait. A la base, l’univers de Doxa était entièrement ancré dans la fantasy. Mais quand Gabriel et moi avons commencé à créer notre univers propre, on s’en est éloigné de plus en plus pour arriver à un mélange entre cyberpunk et fantasy. Pendant longtemps, on a donc décrit Doxa comme faisant partie de ces deux genres. Cependant, il y a deux ans, Gabriel a entrepris la réécriture complète du livre et y a ajouté des thèmes plus adapté aux problématiques et au cyberpunk moderne. Après ce remaniement, Doxa était maintenant plus cyber que fantasy et ce même cyber avait évolué pour devenir plus actuel : du post-cyberpunk.

Par exemple, l’Ether est la ressource qui permet l’utilisation de la magie, mais on explique que “magie” est un terme vulgaire puisque ce phénomène a une explication scientifique. Des nanorobots sont présents dans l’air et se réunissent et se détachent entre eux comme des atomes pour créer les différents éléments et ainsi donner une illusion de “magie”. Encore une fois, on est dans un mix entre fantasy et cyber.

Le monde extérieur de Doxa est aussi marqué par cette dualité puisque les mégacités contrôlent la technologie, mais le monde extérieur non, et ne la comprend d’ailleurs pas toujours. Des situations de dissonance se créent alors et la technologie devient une sorte de fascination et de “fantaisie” pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler.

8. Le système de jeu utilise des cartes pour simuler les puces et implants des PJ. J’ai trouvé que c’était une super idée… avant que je découvre que cela engendre en fait de l’aléatoire. C’est bizarre que les PJ se greffent des trucs au hasard, non ?

(Ephraïm) Il y a bien une part de hasard dans le système de puce, cependant les joueurs ne se retrouvent pas coincés avec ce qu’ils ont équipé. Lorsqu’un joueur obtient une puce il pioche dans le deck de puces. Il doit ensuite effectuer un test pour savoir s’il peut retourner la carte et savoir ce que fait la puce. S’il n’y arrive pas, le joueur n’est pas obligé de l’équiper. S’il le fait, il retourne la carte. Si la puce a des effets positifs, il n’est pas obligé de la garder sur lui. Si elle est négative, il devra trouver un moyen de l’enlever.

Dans ce système, il n’y a que deux moments avec de l’aléatoire : Quand le joueur pioche la carte dans le deck, mais déjà ce n’est pas forcément au hasard, puisque le MJ peut avoir choisi certaines puces à donner au préalable. Et quand le joueur s’en équipe s’il a échoué son test d’analyse. Cependant, pour que cela désavantage les joueurs, il faut d’abord qu’ils n’arrivent pas à analyser la puce, mais en plus qu’ils tombent sur une puce de malus ce qui est plutôt rare (Sur 100 cartes, on a : 85 cartes de classe, 15 cartes malus).

9. J’ai lu que vous considériez de votre côté le système de Doxa comme plutôt light voire, je cite, « semi-narratif ». Moi, quand je jette un œil à la fiche de PJ, j’ai l’impression d’un croisement entre Shadowrun et Rolemaster. Alors, où est la vérité ?

(Ephraïm) En effet, la fiche de perso contient beaucoup d’information. Mais ce qu’on a voulu faire c’est y placer différents rappels de règles pour éviter aux joueurs d’avoir à aller chercher dans le livre ou à demander au MJ des explications. Toutes les règles nécessaires sont donc inscrites sur la fiche ce qui la rend un peu moins lisible, mais le système reste simple puisque tout ce qu’il y a à savoir est devant tes yeux.

D’ailleurs, si tu veux voir à quel point on peut jouer à Doxa de façon narrative, on a filmé une partie sans jet de dé, elle est sur notre crowdfunding.

10. Au niveau look, Doxa semble très influencé par les anime et les jeux genre Final Fantasy. C’est juste cosmétique ou ça va plus loin que ça ?

Final Fantasy définitivement, puisque Doxa était à la base une adaptation des jeux de cette franchise. Mais nous avons tout supprimé de cette vieille version d’adolescents pour construire quelque chose de nos propres mains. Seulement, quelques éléments sont restés, comme les mégacités qui ressemblent à Midgar d’FFVII. Mais pour le coup ici ce n’est que visuel, car la construction interne est très différente de celle du jeu de Square Enix.

En fait, Doxa est un livre ultra référencé. Il puise ses influences dans plein d’œuvres, et nous avons placé des easter eggs un peu partout. Comme le sampling dans le Hip-Hop, nous avons pris plein de chose déjà existantes pour construire quelque chose de nouveau et d’unique. Pour cette raison, oui il y a des clins d’œil à Final Fantasy, mais les thématiques abordées sont tellement différentes qu’il serait difficile de faire une comparaison. Par exemple, nos propos sont beaucoup influencés par la linguistique de Saussure et les écrits de Jean Baudrillard et Michel Foucault. Je doute que ce soit le cas pour Final Fantasy. Egalement, les oeuvres majeures qui ont le plus inspiré Doxa sont le livre Snow Crash de Neal Stephenson et le film Hana-bi de Takeshi Kitano. Il y a plein d’autres choses, mais je suis sûr que vous arriverez à les apercevoir en lisant le livre.

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