Arnaud et Denis nous content Fleurus

On vous a déjà dit tout le bien que l’on pense de l’initiative de Fleurus d’éditer des petits livrets très bon marché permettant aux enfants de s’initier entre eux au JdR. On voulait en savoir plus et on a donc posé quelques questions aux deux auteurs, Arnaud Boutle aux pinceaux et Denis Hamon au clavier.

1 Un jeu de rôle pour enfants sans boîte, sans figurines en plastique et sans gadget électronique qui fait bip-bip (…) Mais vous êtes des malades, en fait !

Arnaud Boutle : J’en sais rien. Moi j’ai quand même fait des jolis dessins.

Denis Hamon : Des malades oui, mais écolo ! Personnellement, j’étais assez attaché au fait qu’il n’y ait pas de gadgets. Après tout, s’il y a bien un passe-temps minimaliste et peu onéreux dans ce monde, c’est bien le jeu de rôle. Il m’est arrivé de monter des parties avec rien d’autre que quelques copains, du papier de brouillon, trois dés et un stylo. Pourtant, pour rendre l’expérience facilement accessible, on a quand même voulu intégrer au livret un assortiment de pions pour fluidifier le jeu. Quant aux dés, notre système en utilise peu, et uniquement des dés à 6 faces ; tout le monde en a trois ou quatre chez soi, c’est suffisant. L’important, c’était de laisser au premier plan l’expérience de jeu, car c’est là la véritable force du jeu de rôle.

2 Mouais, OK. Mais quand même : qu’est-ce qui pourrait faire que vos petits livrets tout maigrelets là pourraient donner envie aux mômes de se mettre au JdR papier/crayon ?

DH : Le jeu de rôle n’a pas tellement besoin de poudre aux yeux pour se vendre. C’est comme les mules en reptile : l’essayer, c’est l’adopter ! Le but des livrets, c’est de donner au jeune public les moyens d’essayer de jouer sans avoir à se farcir 300 pages de système, d’univers et de scénarios à embranchements multiples, pour enfin pouvoir se lancer. Notre parti-pris, avec Juliette, l’éditrice, était de fournir une expérience clé en main, du player-friendly, afin qu’être joueur ou maître de jeu soit accessible, dès neuf ou dix ans. Le but est de laisser les jeunes jouer entre eux, sans que les adultes ne prennent toute la place. C’est pour cette raison que nous avons inclus des textes d’ambiance à lire à haute voix et des scènes d’interaction aisées à prendre en main.

3 A la rigueur, s’il y a des gadgets dans vos livrets, ce sont les QR Codes, non ? Est-ce qu’ils étaient indispensables ?

DH : Innocent, votre honneur ! C’est l’éditrice la coupable ! Plus sérieusement, ils n’étaient pas indispensables, en effet, mais ils s’ancrent dans cette même volonté de rendre l’expérience interactive et de simplifier l’accès au contenu. Nous n’avons pas tous la même faculté à se représenter les scènes dans notre esprit. C’est même là le frein qui bloque certaines personnes et les rend complètement réfractaires au jeu de rôle. Les effets sonores sont un petit coup de pouce pour que tout le monde rentre dans le jeu et y prenne du plaisir.

4 Pour en finir avec la question des gadgets et autres supports matériels, nous avons vu que l’éditeur envisage la sortie d’une compilation en boîte pour les fêtes de fin d’année. C’est un peu contradictoire, non ?

AB : Non parce qu’à Noël on offre des paquets, et plus c’est gros, plus c’est bien.

DH : Comme il a dit Arnaud. Noël = boîte, c’est assez ancré dans notre culture. Et si ça permet que plus de jeunes se retrouvent avec un kit de découverte jeu de rôle entre leurs petites mains couvertes de chocolat, alors allons-y ! (c’est pas du tout du capitalisme, non môssieur !)

5 Le 1er livret s’inscrit dans un univers medfan avec des dragons. J’ai envie de dire : « ah bah, ça, par exemple !? »

AB : ça semble rabâché hein. Hyper poncé même. Sauf qu’on s’adresse à un public dont la connaissance d’univers de fiction s’arrête parfois (souvent ?) à Fortnite. Et c’est pas très med-fan Fortnite, Lol à la rigueur un peu plus, mais FORTNITE ? C’est bien d’apporter un bloc d’initiation jdr avec un univers cohérent avec de la profondeur et des règles de fonctionnement simples et carrées. Ici pas de barbare avec une veste en poils de Père Noël, la casquette de Mario sur la tête et un uzi dans chaque main, portant sur son dos un sac invisible contenant 40000 planches de bois, trois tonnes de ciment et 90 000 briques…) Revenir à la base du jdr, ça a du bon.

DH : Moi je ne vois pas de quoi vous voulez parler : du medfan avec des dragons, c’est du jamais vu ! Pour tout vous dire, j’ai longuement hésité avec des elfes, des nains et des orcs, et un seigneur des ténèbres avec un anneau qui contrôle les autres anneaux… Puis je me suis dit « le monde est-il prêt ? ». Du coup, j’ai fait machine arrière. Le petit piège, tout de même, c’est que c’est en réalité un univers medfan SANS dragon, puisque les dragons ne sont que des légendes et des quasi-divinités (et si vous voulez en savoir plus, il faudra jouer les scénarios du livret jusqu’au bout ! et na !)

6 Il y a un deuxième livret qui sort en même temps. Vous pensez qu’il y aura des suites ou bien deux livrets, ça suffit pour faire le tour de la hype actuelle autour du JdR papier/crayon ?

AB : Bon en fait les gens aiment se retrouver tous ensemble à faire des trucs ensemble, et c’est pareil pour les enfants les enfant n’aiment pas le confinement. Si tu dis à un gosse « bouge pas de là », tu crois qu’il va faire quoi dans les 20 secondes ? Du coup le jdr c’est bien non ? ça fait sortir sans sortir. Il y en a d’autres de prévu. Juliette m’a parlé d’un planning de sortie jusqu’en 2035.

DH : 2035, au bas mot ! On ne fait jamais assez de jeu de rôle. Un groupe de copains un peu assidus peut venir à bout d’un des livrets en quelques semaines, quelques jours s’ils sont en vacances (sauf si on les confine pendant 45 jours au moment de la sortie, mais ce serait vraiment pas de bol). Pour ce public-là, il va falloir fournir. Comme ça, ils auront du rêve plein les mirettes, et nous on s’en mettra plein les… Pardon ? Comment ? Ah, on me dit dans l’oreillette de me taire. En réalité, je serais ravi de décliner la collection dans d’autres univers. J’ai déjà quelques idées, mais je les garde pour moi, la concurrence veille !

7 Pour le système de jeu, vous vous êtes inspirés d’autres jeux d’initiation existants ?

DH : Non, pas du tout. J’adore créer des systèmes, j’en conçois en général un nouveau pour chaque jeu que je mets en route. Mon mot d’ordre, c’est de toujours avoir un système qui reflète l’univers pour lequel il est utilisé. Là, l’exercice était intéressant, car il me fallait un système simple, fluide, mais déclinable dans de nombreux univers avec juste des modifications mineures. Je me suis beaucoup amusé à bricoler mes règles. J’ai par contre été obligé de me passer d’une section « création de personnage » pour permettre aux joueurs de se lancer plus rapidement. C’est pourtant un de mes aspects préférés en jeu de rôle mais, dans ce cadre-là, ce n’était pas envisageable. Je pense par contre développer un kit de création à télécharger en bonus dans les mois qui viennent. Stay tuned.

8 Je connais des gamins qui claquent chaque mois le PIB de la Somalie en cartes Pokémon et en toupies Beyblade. Du coup, on est d’accord : le prix, on s’en fout, hein ?

AB : Vous parlez des gamins de 45 ans là nan ? Non parce qu’un gamin en vrai, ça n’a pas de sous.

DH : En plus, le prix, c’est la responsabilité de la maison d’édition. Arnaud et moi, on n’a pas tellement eu notre mot à dire (sinon, moi, j’aurais voulu qu’il soit imprimé en France, quitte à doubler le prix…). Le point positif que je vois au prix, c’est qu’un jeune adolescent pourra s’offrir un livret tout seul avec son argent de poche, ou se le faire offrir sans ruiner ses parents, ce qui permettra à tous les publics d’y avoir accès.

9 Fleurus est un éditeur qui s’inscrit dans un courant de valeurs catholiques (il a longtemps été propriété de La Vie). Il a parfois été au cœur de polémiques concernant la diffusion de clichés sexistes dans leurs publications (en particulier Le Dico des filles). Cette question de la représentation du genre dans le JdR a-t-il été dans vos réflexions, que ce soit dans les textes ou dans les illustrations ?

AB : Ha ! Ici je peux répondre ! Pour moi « le Dico des filles » est l’exemple même de ce que je ne veux pas faire ; trop d’ambiguïté, quasi zéro recul et une posture éditoriale très discutable. ça n’a absolument pas été le cas avec Juliette. Les choses ont été claires dès le départ sur le caractère le plus possible inclusif que les illustrations devaient proposer. Merci Juliette ! Pour ma part, j’ai trois filles auxquelles j’ai dédié mon dernier album de bande dessinée intitulé « Nefer ». C’est de la fantaisie où je me suis appliqué à dé-érotiser la représentation de l’héroïne tout en questionnant la signification de la violence dans le genre (en fantaisie c’est un challenge tans les tropes armures-bikini / tue-pille-viole sont ancrés). Chez Gameflow, lorsque j’ai entamé les illustrations de « Ma première aventure – À la recherche du dragon » on a eu une petite réflexion intelligente pour les trois rôle jouables, on a développé : un garçon astucieux, une fille forte, et un « ni-l’un ni l’autre » chat discret. Et on a réitéré avec « l’odyssée du Phobos » avec un scientifique imaginatif, une pilote impétueuse et un extra-terrestre mécano. Ici, pour les deux premiers tomes de cette collection de jdr on voulait faire de même et s’adresser aux enfants. Pas aux filles et aux garçons mais à tous les enfants. Du coup ça m’allait parfaitement. Pas d’hypersexualisation donc, ni de discrimination de genre : femme sorcière/homme paladin. De fait, j’ai vraiment réfléchis chaque illustration, en prenant le plus de recul possible tout en me disant que je devais quand même composer avec les clichés de la Fantaisie. ça donne une variété de rôles plutôt cool à mon sens et un rafraîchissement des clichés.

DH : J’avais toute confiance en Arnaud pour ce challenge-là. On avait déjà bossé ensemble par le passé, et on avait eu l’occasion de sympathiser justement parce qu’on partage ces valeurs. Mes convictions féministes ont guidé la création des univers et, avec Juliette, on était complètement d’accord, notamment sur l’importance de la parité et de casser les clichés genrés. On a voulu varier les rôles en proposant des pré-tirés fun et pas cloitrés dans une représentation arriérée. A aucun moment Juliette, ou quiconque d’autre chez Fleurus, n’a mis son nez dans le contenu créatif pour des raisons idéologiques ou religieuses. D’ailleurs, ça aurait été intolérable pour moi, et j’aurais dû me retirer du projet. Mais notre collaboration s’est tellement bien passée que je n’ai même pas eu à envisager cette éventualité.

10 Les éditions 404 sortent ce mois de mars 2020 un JdR junior. Il y a même des QR Code dedans. Marrant, non ? Bon, allez, on passe aux aveux : qui c’est qui qui a copié sur le voisin ?

AB : Si ça se trouve j’ai bêtement parlé du projet sur lequel je bossais en juillet avec Fleurus lors d’une soirée mondaine chez 404… Non je rigole bien sûr. Est-ce que Fleurus est l’œuf et 404 la poule ?

DH : J’ai eu vent de ce projet parallèle pendant qu’on bossait sur les livrets. Je me suis tout de suite dit : « c’est sans doute une de mes nombreuses conquêtes qui m’a drogué au GHB pour me voler toutes mes idées ». A moins que ça ne montre un engouement nouveau pour la culture geek, grâce à des séries comme Stranger things, qui sont très populaires chez les adolescents. Les éditeurs généralistes tentent d’aller où va le vent, et c’est satisfaisant de voir qu’il souffle dans les voiles du jeu de rôle. Et si notre passion va de l’avant, nous pourrons tous nous réjouir ! #jdrpower #lejdrrendheureux #lejdrsoignelecancer

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