Pas la moitié d’un jeu

L'(hyper ?)activité de Posidonia, mi-éditeur, mi-foulanceur et re-mi-éditeur derrière, permet à pléthore de projets indépendants de voir le jour en ce moment. C’est notamment le tour de Emysfer, un exotique projet de jeu de type planet opera dont nous vous avions déjà présenté le kit de découverte (c’était un lundi).  Il est temps d’en apprendre un peu plus avec son principal auteur, Olivier Ranisio.

 

1. Hin, hin, hin, « Emysfer », quoi. T’as séché les cours d’orthographe au collège ou bien ?

Exactement, je n’ai pas voulu chercher dans un dictionnaire car je suis sûr de moi ! Comment ? Je n’aurais peut-être pas dû ? Ah….
Plus sérieusement, le « nom de code » original était « Hémisphère » pour la simple et bonne raison qu’on joue sur l’hémisphère nord car le monde est coupé en deux à l’équateur. Pas coupé physiquement hein ! Mais des sales bestioles (des tas ! ) occupent la bande équatoriale et empêchent le passage. Du coup, toutes les cartes sont en projection polaire par exemple.

Cela dit, Hémisphère ne me plaisait que moyennement esthétiquement, était trop générique et certains jeux ou autres médias l’utilisaient déjà. J’ai donc conservé la sonorité mais modifié l’orthographe. La référence est donc toujours présente mais c’est devenu le nom du monde du jeu.

2. Bon, soit. Alors, Emysfer se veut un univers particulièrement exotique. Je cite : « Vous ne trouverez rien de connu dans ce monde ». (…) Genre : des humains ?

Hihihi, en fait les humains sont la seule et unique exception. Disons que c’est un accroc au contrat de base pour des questions d’accessibilité. Dans l’univers à son origine, il n’y avait même pas d’humanoïdes, seulement des symbioïdes. Cependant, un certain nombre de personnes ont du mal à se projeter dans des choses si différentes de nous. J’ai donc pris le parti d’inclure des humanoïdes pour permettre à ceux-là de pouvoir s’immerger dans le monde plus facilement. Cela a cependant permis d’inclure le mystère de leurs origines dans les grandes intrigues de l’univers, car ils sont originaires d’une autre planète. Ce qui pouvait être un « arrangement » est finalement devenu un axe fort de l’univers.

3. L’idée me rappelle un peu le mythique Skyrealms of Jorune qui reposait aussi sur cet argumentaire. Pas vraiment un gage de succès, du coup, si ?

À défaut d’un succès commercial, Skyrealms of Jorune a néanmoins connu un succès d’estime (d’où le qualificatif de « mythique »). Mon niveau d’anglais étant ce qu’il est et, de plus, n’ayant jamais eu les ouvrages entre les mains, ce que je connais de cet ancêtre viens de ce que j’ai pu entendre ou de ce que j’ai pu lire sur le GROG.

Plusieurs points différent a priori grandement. Tout d’abord, l’esthétique est différente, indépendamment des qualités ou non, le style n’est clairement pas le même. Ensuite, le système de jeu de Skyrealms of Jorune est plutôt typé années 80, old school. Ce n’est pas du tout le cas d’Emysfer qui, s’il est assez complet, a résolument des saveurs modernes . De plus, les espèces jouables dans Emysfer n’ont pas ce coté old school non plus (point d’hommes-loups, hommes-ours et hommes-cougars… dans Emysfer). Emysfer n’a pas ce coté « space opéra » un peu patchwork. Il y a quatre espèces civilisées, point, et ce nombre déjà « élevé » dans une optique « réaliste » a une explication. Deux d’entre elles seulement sont endémiques. Ceci permet d’explorer de manière assez détaillée les différentes cultures (oui car une même espèce peut avoir différentes cultures… comme des humains quoi). Emysfer possède un ensemble d’outils qui permettent de créer du contenu, de vraies procédures de création avec notamment les arbres de classification des animaux et végétaux. L’ergonomie est vraiment une priorité (et ce n’était pas le fort de Skyrealms of Jorune si je ne m’abuse). Skyrealms of Jorune est plutôt pulp et ne s’embarrasse pas trop de cohérence scientifique alors que c’est un point très important dans la construction du monde d’Emysfer. Enfin, Emysfer n’est pas un monde post-technologique, on y trouve aucun sabre-laser ou choses du genre.

Je m’arrête là pour les comparaisons, étant donné mes connaissances limitées, mais pour conclure, s’il peut sembler y avoir des ressemblances, les jeux sont a priori très différents.

4. En tout cas, on est d’accord : ce qui peut être vu comme exotique à la lecture peut être pas mal déstabilisant autour de la table. Je suppose que vous avez prévu quelque chose pour contrer ce problème, non ?

En effet !

  • D’une part, pour le MN (équivalent MJ), et comme je l’ai évoqué plus haut, nous fournissons une grande quantité de procédures de création de contenu. Dans un univers sans classique ou existant (on ne peut pas dire, « voilà, vous rencontrez un loup »), la capacité du MN à créer des entités diverses est nécessairement sollicitée. Nous avons donc pris le parti de l’aider au maximum.
  • D’autre part, nous fournissons déjà beaucoup de matériel pour jouer, dont les fiches mémoires (avec environ 200 illustrations) qui facilitent l’immersion des joueurs et les descriptions du MN.
  • Ensuite, la création de personnage ne propose pas de créer de background afin d’accélérer et faciliter la création. En effet, comment un joueur pourrait créer un historique à son personnage sans connaître les tenants et aboutissants du monde ? La création de cette historique se fait a postériori avec un système d’anecdotes qui vont étoffer le passé du personnage au fur et à mesure que l’on va le jouer. Ainsi, l’attachement au personnage, faible au départ car rapide à créer et sans passé précis, augmente progressivement, en même temps que son passé se dévoile.
  • Enfin, le système de mémoire permet aux joueurs de découvrir le monde petit à petit sans avoir à ingurgiter des tonnes de textes. Lorsque les joueurs commencent à jouer, ils ne connaissent presque rien du monde et ils vont le découvrir au fur et à mesure des scénarios et de leur achat de souvenirs.

5. Niveau règles, je vois que vous vous appuyez sur le principe des Narrations et que le système cherche à attribuer la primauté de la narration entre MJ et PJ… mais… mais… vous êtes des narrativistes, en fait !?

Ahaha, l’épouvantail ! Non ne fuyez pas !

Alors il se trouve que j’apprécie certains jeux dits « narrativistes » qu’on pourrait appeler « story games » mais dans Emysfer, le dosage de narration partagée est vraiment particulier. Un joueur ne peut pas créer de contenu comme c’est classiquement le cas dans ce genre de proposition ludique. Disons, qu’il y a eu une influence de ce type de jeu. Dans Emysfer, le principe du système de résolution est de prendre le contrôle de la narration, MAIS, pour le joueur, c’est uniquement du point de vue de ce que son personnage fait. Il ne peut pas dire que des renforts arrivent, qu’une fenêtre était en fait sur le mur de gauche ou qu’une chaise était posée en plein milieu de la caverne. Il décrit simplement ce que son personnage réussit à faire en fonction de sa marge de réussite. Il y a un système d’achat de Narrations en fait.

Le fonctionnement peut faire penser au jeu Feng Shui mais avec un pouvoir narratif plus cadré.

6. Le CF est forcément assez ambitieux puisqu’il s’agit de financer pas moins de trois bouquins de base pour plus de 500 pages A4 au total (plus les futurs paliers débloqués). Il y avait vraiment besoin de tout ça ?

En fait il y a deux « vrais » livres de base (un pour tout le monde et un pour le meneur). Les autres ouvrages sont un recueil de scénarios et un carnet de fiches-mémoires (ces dernières sont des aides de jeu extrêmement utiles).

Comme évoqué plus haut, la contrainte principale des jeux à univers originaux est l’éventuelle difficulté d’immersion car on ne peut pas se baser (ou très peu) sur des choses qui existent déjà. Il est donc nécessaire de fournir un maximum de contenu et d’outils pour faciliter les choses. De même, il est important que cela soit richement illustré.

Enfin, c’est un jeu à grosse durée de vie, qui permet d’avoir des expériences de jeu variées, notamment grâce aux quatre types de groupe qui permettent des propositions de jeu différentes.

7. De plus, si on lit entre les lignes la page du CF, vous annoncez du suivi, pas vrai ?

En effet, mais ça dépendra du succès du CF puis des ventes dans les boutiques ensuite. Dans l’idéal, même si l’essentiel est déjà dans l’offre de base, il reste 7 continents à décrire qui pourront, le cas échéant, faire l’objet de suppléments futurs (assez probablement par groupe de deux ou trois continents).

Par contre, soyons clair : s’il y a de grands secrets dans Emysfer, ils sont TOUS dévoilés dans le Livre II, destiné au MN. Il n’y a aucun risque d’arlésienne sur les secrets.

8. Le jeu est passé sous la bannière Posidonia qui organise tellement de foulancements en ce moment qu’il y a en a même deux en cours (avec celui de Ynn Pryddein). Un record ! C’est quoi l’apport de Posidonia exactement dans le projet ?

Posidonia finance pas mal de projets, c’est vrai, mais si on regarde bien, pas tant que ça par rapport à d’autres éditeurs. Simplement, comme les financements chez Posidonia sont plutôt longs (la durée a néanmoins diminué avec Ynn Pryddein et Emysfer), ils se chevauchent souvent. Si, par exemple, on regarde les XII singes ou encore Black Book Edition, ils financent au moins autant de jeux. Leur planning est simplement organisé différemment.

Jusqu’au FIJ de Cannes (en février) et la sortie effective de leurs trois premiers projets, des doutes légitimes se faisaient entendre sur la capacité de l’éditeur à fournir les jeux financés. Force est de constater que cette capacité a été démontrée puisque les jeux sont effectivement là et que leur qualité (couverture cartonnée, couleur, écran rigide …) est avérée.

En ce qui concerne l’apport de Posidonia dans le projet, il est multiple.

D’une part, le pouvoir d’investissement : cela permet d’être très présent en convention (puisque les auteurs sont défrayés) et d’imprimer, par exemple, un grand nombre de kits de découverte à distribuer gratuitement. D’autre part, la capacité de production avec un imprimeur de qualité et l’avantage des économies d’échelle.

Enfin, la solidité : Posidonia est à mi-chemin entre un éditeur traditionnel et un éditeur basé sur le financement participatif. Il investit dans les projets, en plus des sommes débloquées par le financement. Cela rend possible des projets originaux qui auraient du mal à se financer seuls avec le même degré de qualité tout en rétribuant les auteurs, illustrateurs et autres contributeurs au projet de manière satisfaisante.

Pour finir, je me permets de présenter l’équipe du jeu :

Pour ce projet, je (Olivier RANISIO, alias Alnomcys) suis l’auteur principal, le créateur du système de jeu, l’illustrateur principal et le metteur en page. Mathieu DUGAS est mon co-auteur et relecteur critique (très critique !). Yoann BLAZEJEWSKI alias Bigyo’ est le scénariste principal. C’est lui qui se charge des quatre scénarios (un pour chaque type de groupe) que contiendra, de base, le recueil de scénarios. Lunart est l’illustrateur en renfort. En plus de cela, Michel POUPART nous rejoindra si les paliers « Scénarios supplémentaires » sont atteints et Michael GHELFI aussi si le palier « Musiques d’ambiance » est atteint.

https://www.emysfer.fr/

https://www.gameontabletop.com/cf225/emysfer.html