Galions & Bokors [Il était une fois Capitaine Vaudou]

Depuis au moins ma première lecture d’une traduction de Treasure Island de Stevenson et du recueil des Récits et de la flibuste et des mers caraïbes, dans la collection des Contes et légendes aux éditions Nathan, mon imaginaire a souvent pris la mer sous le pavillon noir. En romans, films, jouets Lego, bandes dessinées, modèles réduits de navires et figurines, et, bien sûr, jeu de rôles.

Or, voici que près de 20 ans après sa première – et unique – publication aux éditions Casus Belli, le vent se remet à souffler dans les voiles de Capitaine Vaudou, mon « JdR de pirates » préféré, et l’un de mes chouchous tous genres confondus. En attendant de pouvoir découvrir la nouvelle édition, qui fera l’objet d’une campagne de financement participatif lancée par Black Book Editions et Monolith Edition début mai prochain, permettez-moi de pointer ma lorgnette sur la version originale.

Je vous parle d’un temps

Jusqu’au début des années 1990, le paysage des jeux de rôles d’ambiance piratesque était plutôt étroit, au moins dans la production facilement accessible : le pionnier Skulls & Crossbones (1980, FGU) était indigent sur le fond et la forme ; quant au supplément Pirates (1990, ICE), il ouvrait, pour les systèmes Rolemaster et Fantasy Hero, des horizons autres que le sempiternel médiéval fantastique ; et même ceux qui avaient de l’aversion pour ces deux systèmes pouvaient y piocher de la matière à jouer, tant du contexte sur les Caraïbes ou l’Afrique du XVIIe siècle, que des scénarios qui, à défaut d’être très prenants, étaient au moins variés.

L’horizon dans ce genre de JdR était donc bien dégagé quand Capitaine Vaudou (1991) a pris la mer. Dans la quinzaine d’années suivantes viendront l’espagnol Piratas (1994, Ludotecnia), Furry Pirates (1999, Atlas Games) et ses animaux anthropomorphique, Run out the guns (1998, ICE) de facture classique, le poids lourd Pavillon Noir (2000, autoédition ; 2004, Black Book Éditions) ou encore Bloode Island (2002, Deep7 / Politically Incorrect Games) qui renouait avec un jeu court et simple.

Mais, pour paraphraser une (fausse) blonde platine : « My heart belongs to Capitaine Vaudou ».

Piraterie et vaudou, en 64 pages

Le jeu se présentait sous la forme d’un livret de 64 pages, au format A4, et d’une couverture de 4 pages supplémentaires, en papier plus épais, servant d’écran pour le MJ. Pour 32 francs, soit le prix d’un numéro du magazine bimestriel Casus Belli (30 francs) à la même époque, voilà un jeu complet : 4 pages de règles générales du système Simulacres (nous y reviendrons plus bas) ; 8 pages de règles et ingrédients spécifiques à Capitaine Vaudou ; 8 pages de contexte et de règles sur le vaudou ; 15 pages d’« encyclopédie », c’est-à-dire de contexte géographique, historique et culturel ; 14 pages d’un scénario grand format ; et le reste en aides de jeu (cartes, fiches de personnages, fiches de navires, résumé de règles, etc.).

Sans oublier les illustrations du maître Rolland Barthélémy, tout en sobriété et pourtant pleinement évocatrices – dans mon esprit au moins – de cet univers.

Et avec ça, avais-je assez pour jouer, et pour faire jouer ? Ma réponse est « oui ». Mais elle serait certainement différente pour d’autres.

Entendons-nous bien : je suis passionné d’histoire maritime, d’histoire du XVIIIe siècle, je pratique des wargames de la guerre en dentelles et de la marine à voile, je connais l’escrime de l’époque, et j’aime les JdR dans des univers historiques. Mais pas au point d’avoir envie de mobiliser, autour d’une table de JdR, des masses d’informations exactes sur tous ces aspects, ni de les imposer aux joueurs s’ils ne s’en sentent pas l’envie. Je peux saluer le travail de bénédictin conduit pour Pavillon Noir, mais j’aime aussi disposer d’un peu de liberté d’improvisation et d’adaptation. Par exemple, le livre de base du JdR Capitan Alatriste en donne assez, à mon sens, pour se jeter dans les rues de Madrid, sans qu’il soit besoin d’emporter avec soi une encyclopédie de l’Espagne du Siècle d’Or.

Avec ce livret, je disposais d’un système de simulation léger mais pas simpliste, d’une création de personnage rapide (en sus des PJ prétirés), de règles de magie portées par l’esprit du vaudou, de suffisamment d’éléments de contexte pour ne pas être démuni, et même d’un système de combat naval qui permet aux béotiens d’y prendre plaisir sans s’arracher les cheveux.

Alors, la matière à jouer offerte par Capitaine Vaudou m’avait suffi à me lancer dans cet univers mêlant piraterie et magie vaudou, dans l’esprit du roman On Stranger Tides (1987) / Sur des mers plus ignorées (1988) de Tim Powers, inspiration revendiquée du jeu.

Bokor, loas, eau salée et fer

Jean-Pierre Pécau, l’auteur de Capitaine Vaudou, avait fait le choix de livrer aux joueurs un univers où la magie a pleinement sa place. Tout particulièrement, comme le titre l’indique, le vaudou, considéré ici comme un élément central de la vie caraïbe, comme pratique sociale, culturelle, spirituelle. Pour les besoins du jeu, le vaudou a été divisé en deux voies : la magie blanche, celle des hougans (magiciens) et mambos (magiciennes), et des esprits (loas) qu’ils invoquent ; et la magie noire, celle des bokors (sorciers) et de leurs familiers (bakas), des zombis des garous et des poupées de cire. Mais la frontière entre les deux voies n’est pas hermétique, loin s’en faut. Quant au fer et à l’eau salée, ils perturbent lourdement les effets du vaudou ; autant dire que pour un pirate armé d’un coutelas et à bord d’un navire, la magie n’est pas un art auquel on recourt en claquant des doigts.

Acceptant par avance les éventuelles remarques sur mes positions paradoxales, je reconnais sans détour que, tandis que j’aurais beaucoup de mal à jouer à Capitan Alatriste en y incluant du surnaturel, le fort dosage en magie de ce rhum arrangé qu’est Capitaine Vaudou me convient parfaitement. Probablement parce que je le trouve cohérent avec l’idée que je me fais de cet environnement culturel caraïbe si particulier.

« Le baron Mort Lente », scénario grand format inclus dans le jeu, joue pleinement sur ce registre de la magie. C’est un scénario d’excellente tenue, riche en péripéties, auquel je n’aurais qu’un défaut à reprocher : il fait tellement bien le tour de nombreux aspects de l’univers de Capitaine Vaudou, qu’il est difficile de trouver à se relancer dans d’autres aventures, après avoir gravi un tel sommet.

SimulacreS. Oui, et alors ?

Capitaine Vaudou utilise le système de simulation SimulacreS, dans sa version de l’époque (je précise, car il y en en a d’autres avant, et après). Comme à peu près tous les systèmes de JdR, SimulacreS a ses adeptes et ses détracteurs. Et probablement des tas de rôlistes qui s’en fichent, également.

Créé par Pierre Rosenthal, et publié dans diverses versions successives depuis le milieu des années 1980, principalement dans des numéros de série et des hors-série du magazine Casus Belli, ce système a servi de moteur à quelques jeux courts et complets, dont un univers de futur-proche, Cyber Age (1990 ; 1995), un univers steampunk et julesvernesque, Aventures Extraordinaires & Machinations Infernales (1990), et un autre, médiévale fantastique cette fois, SangDragon (1994). Des déclinaisons de format plus réduit montraient la plasticité du système à s’adapter des styles variés : espionnage contemporain, Révolution française, épouvante, space opera, etc.

Au fil de ses versions (la version 8 est en cours de finalisation), SimulacreS a légèrement muté, développant aussi bien des règles de base que des règles avancées ou des règles optionnelles, le tout formant son corpus générique. Et des règles spécifiques étant développées pour coller au mieux aux différentes déclinaisons : la magie vaudou ou le combat pour Capitaine Vaudou, la progression et l’action dans la Matrice pour CyberAge, etc.

La mécanique de base, elle, reste centré sur un principe simple : un personnage est défini par des « composantes » (ce qui compose l’individu : Cœur, Action, etc.), des « moyens » par lesquelles elles s’expriment (Perception, Action, etc.), des « règnes » qui sont les affinités du personnage avec le monde qui l’entoure (Animal, Végétal, etc.), des « énergies » dans lesquels il puise pour se tirer des situations exceptionnelles (Puissance, Précision), un « métier » et des « talents ». Le nombre des uns et des autres varie selon les éditions : le système a longtemps reposé sur une architecture à [4 composantes x 4 moyens], mais il se murmure que la prochaine édition de Capitaine Vaudou serait plutôt montée en [4 composantes x 4 moyens].

Quoi qu’il en soit, la détermination du résultat des actions incertaines repose sur une formule unique : pour réussir, le résultat de la somme de 2D6 doit être inférieur ou égal à la somme [composante + moyen + règne + difficulté].

Un des reproches souvent fait à SimulacreS – il suffit de lire quelques discussions de forum en prévision de la prochaine édition de Capitaine Vaudou pour se rendre compte que c’est un reproche encore bien vivant – est le recours fréquent à la combinaison [Corps + Action], typique de beaucoup d’actions physiques. Je réponds à ce reproche : eh bien !, veillez à ce que votre personnage ait moins souvent recours aux actions physiques.

Quant au reproche sur la facilité avec laquelle un personnage réussit les actions correspondant à sa meilleure combinaison [composante + moyen], pourquoi y voir un souci ? C’est uniquement le signe que le personnage est très spécialisé et donc très « compétent » dans ce type de situation. C’est donc rassurant que, hors de situations de difficulté exceptionnelle, il s’en sorte très bien, au point que lancer les dés n’est pas vraiment utile.

Je ne doute pas que le moteur de la nouvelle édition de Capitaine Vaudou sera le sujet de guerres de clochers, de discussions byzantines sur les mérites comparés des matrices 3×3 ou 4×4, des préférences pour le Basic RPS, ou pour un système spécifique, ou pour un système maison.

Pour ma part, j’attends de voir ce que Pierre Rosenthal aura concocté pour sa nouvelle version de SimulacreS. Et si vous m’accusez d’avoir un préjugé positif… je ne vous détromperai pas.

La longue-vue fixée sur l’horizon

Me voilà donc la lorgnette pointée sur l’horizon, attendant de deviner les voiles du lancement de la campagne de financement participatif, guettant les détails que l’équipe voudra bien livrer au fil de la poursuite. Jusqu’à pouvoir lancer mon grappin, monter à l’abordage, coutelas dans une main, pistolet dans l’autre, des mèches tissés dans ma barbe. Les loas me feront peut-être défaut, dans ce maelstrom d’eau salée et d’acier, mais ce Capitaine Vaudou, lui, m’a déjà ensorcelé. Prenez mes coups de sabre ou mes poignées de mes doublons ! Il me le faut !

2 pensées sur “Galions & Bokors [Il était une fois Capitaine Vaudou]

  • 5 mai 2020 à 10:56
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    Bonjour.

    Juste deux remarques :
    – le jeu original ne coûtait pas 32 fr, mais 59 fr ;
    – « il se murmure que la prochaine édition de Capitaine Vaudou serait plutôt montée en [4 composantes x 4 moyens] », ce ne serait plutôt « [3 composantes x 3 moyens] » ?

    Et moi aussi, j’attends déjà le jeu avec impatience…

  • 6 mai 2020 à 15:41
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    P***, ce n’est plus un article, c’est une déclaration d’amour ! Avec toute ma mauvaise foi possible, je suis heureux de découvrir le seul rôliste qui devait pratiquer Capitaine Vaudou, en dehors de la rédaction de Casus Belli 🙂

    Car pour remettre un peu de contexte dans ce retour d’un autre Grand Ancien qui remue la nostalgie et déclenche les passions sur un jeu qui était tout de même marginal (et là c’est dit sans mauvaise foi), je rajouterai tout de même les infos suivantes :
    – Capitaine Vaudou, comme Simulacres d’ailleurs, avancent beaucoup le nombre d’exemplaires vendus pour parler de leur gloire passée, mais ils bénéficiaient des réseaux de Casus Belli (impression, distribution et publicité). Comme beaucoup, j’ai acheté Capitaine Vaudou en son temps car c’était une excellente affaire (même à 59 francs). Cela ne m’a pas y fait jouer pour autant.
    – L’article oublie de citer dans les jeux de pirates disponibles GURPS (forcément !) et Boucanier en VF (où j’ai un doute s’il s’agissait ce qui allait aboutir à Pavillon Noir, mais quelques années avant 2000)

    Je termine sur une remarque / question à l’auteur : je suis le seul à avoir trouvé que Capitaine Vaudou était bien supérieur à sa source d’inspiration Sur des Mers Plus Ignorées de Tim Powers. Je dois avouer que ce livre complètement barré (ha ha) m’était tombé des mains.

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