Voilà l’été, voilà l’été (air connu)

Après Sur les Frontières, Manu Bedouet nous revient avec un nouveau jeu. Dans son Summer Camp, on incarne des enfants de 8 à 12 ans en camp de vacances (d’été, suivez un peu, quoi) dans le cadre d’une organisation qui s’appelle le Corps des Explorateurs. Les aventures se déroulent donc dans un cadre propice au dépaysement, puisque pour ces jeunes personnages, les parents sont loin, les soucis aussi, et l’école encore plus. Ils sont avec leurs copains, leurs copines et leur cheftaine ou chef de camp, et ils expérimentent la vie dans un environnement sauvage, loin du confort de la maison. Le truc, c’est qu’il se passe plein de choses bizarres dans la forêt au sein de laquelle ils ont posé le camp, et que les histoires qu’ils se racontent le soir au coin du feu trouvent un étrange écho dans les bois qui les entourent… Bref, c’est un joyeux mélange de Lost, des Goonies, et de Moonrise Kingdom. En tout cas, c’est suffisammment inhabituel pour nous donne renvie d’aller lui poser quelques questions. Interview.

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1. Bon, Manu, je cite un extrait de l’argumentaire de Summer Camp : on y incarne « de [jeunes] aventuriers qui partent au-devant d’un territoire inconnu et mystérieux ». Ouais, donc, c’est Sur les frontières mais en culottes courtes qui grattent, c’est ça ?

Et zut, dès ma première interview sur Summer Camp, me voilà grillé ! C’est vrai qu’il y a des ressemblances entre les deux pitchs de jeux de ce point de vue. Mais en réalité, je pense que c’est une idée assez large que l’on pourrait appliquer à de nombreux jeux d’aventure. Dans une certaine mesure, même le dungeon crawling fonctionne sur ce principe. Et si on y regarde de plus près, c’est ce que font les rôlistes eux-mêmes quand ils jouent : ils vont explorer des univers étranges et mystérieux. L’avantage de mettre aussi les personnages des joueurs dans cette situation, c’est qu’ils ne se retrouvent pas à en savoir plus que les joueurs. Tout le monde découvre en même temps les secrets d’un univers fantastique.

Cela dit, il y a quand même de grandes différences avec Sur les Frontières, puisque Summer Camp met en avant la bande de copains et des aventures où l’on joue à se faire peur, mais dans une ambiance globalement franchement positive. La teinte n’est pas la même, et si Sur les Frontières s’inspirait de la tragédie, Summer Camp est beaucoup plus proche du Club des Cinq.

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2. Avec Vivien Féasson (Perdus sous la pluie, Libreté), vous avez décidé de fonder un nouveau sous-courant rôliste dans lequel on incarne plus que des enfants, c’est bien ça ?

En fait, ça existait bien avant nos jeux. Little Fears, Les Terres Perdues dans la collection Aventure Party, le supplément « la Guerre des boulons » pour Exil, Bliss Stage, Monsterheart… Il existe déjà de nombreux jeux où l’on incarne des enfants ou des ados. Ce sont des âges où l’on peut explorer plein de choses en matière d’émotion et de rapport au monde, des âges où les personnages évoluent énormément en peu de temps. Je trouve que c’est vraiment intéressant à incarner.

D’ailleurs on ne doit pas être les seuls avec Vivien, parce qu’il y a aussi Héros Comme 3 pommes qui se prépare en français, que les campagnes de financement pour The Magical Land of Yeld et Tales from the Loop sont de jolis succès… J’ai vraiment l’impression qu’il y a une dynamique sur le sujet et que de nombreux concepteurs et joueurs se « décoincent » sur le sujet, découvrent ce qu’il y a d’intéressant à jouer un enfant ou un ado et se jettent dans le bain.

À noter quand même qu’il y a à mon sens une grande différence entre le fait de jouer un enfant ou un adolescent. Dans le premier cas, on est vraiment dans la pure exultation de la découverte, et dans une relative fragilité du personnage, quand on joue un adolescent en revanche, les enjeux peuvent être plus complexes, notamment par rapport à l’intériorité du personnage. C’est pour moi une des grandes différences entre les expériences que proposent Summer Camp et Sur les Frontières.

3. Dans les inspis de Summer Camp, tu cites le jeu Il était une fois. (…) A d’accord, on ne parle pas d’un vrai jdr, en fait ?

C’est surtout que je fais feu de tout bois ! En fait, pour être précis, je voulais un jeu où on explore la frontière entre les histoires que l’on raconte et celles que l’on vit. Il y a donc un moment assez important du jeu que l’on appelle l’heure des histoires, au cours duquel un des personnages-joueurs (les Louveteaux et les Jeannettes du Corps des Explorateurs) raconte une histoire terrifiante à ses copains et copines. Et pour le guider, il dispose de quelques contraintes, des éléments à placer dans son histoire. De ce point de vue, j’ai effectivement été chercher des bouts de mécaniques de « Il était une fois », sans pour autant copier le jeu entier.

De façon générale, je trouve que c’est intéressant de regarder les mécaniques de jeu ailleurs que dans le jeu de rôle pour en tirer des idées. Ça permet de proposer des choses différentes et parfois mieux adaptées à certaines propositions d’univers, et puis ça permet aussi de renouveler les pratiques. Cela dit, pour « Il était une fois », le saut n’est pas non plus énorme jusqu’au jeu de rôle, puisque James Wallis, son créateur, est aussi responsable des Aventures du Baron Munchaüsen et du dernier Paranoïa notamment.

4. Bon, j’ai déjà Premier Bivouac, le kit d’initiation du jeu. J’ai vraiment besoin de raquer encore quelques euros pour avoir la version complète ?

Oui. Parce que ça me fera très plaisir.

Plus sérieusement, je crois que Summer Camp a une vraie plus-value par rapport à Premier Bivouac. Il y a des règles pour créer les Louveteaux et personnaliser le camp, un univers beaucoup plus étendu (108 Personnages, Lieux et Objets en plus qui sont autant de pistes d’aventures), et surtout de très nombreux conseils pour aider les Louveteaux à raconter des histoires terrifiantes et les Chefs de Camp (les meneurs) à proposer des aventures pleines de surprises, de rebondissements, de frousse, de fun et de découvertes. Si on ajoute qu’en plus, il y a 42 nouveaux Badges d’Explorateurs à collectionner pour devenir un véritable aventurier des temps modernes, on voit bien que ce livre est immanquable !

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5. Hum, le livre de base qui sort un an après le supplément. (…) OK, je crois qu’on tient un champion du marketing, hein ?

Qu’est-ce que tu veux, c’est ça de travailler sans éditeur : on fait n’importe quoi ! En fait j’ai écrit Summer Camp avant premier Bivouac, mais je savais que le bouquin serait assez volumineux. Il m’est rapidement apparu nécessaire de proposer un kit de découverte, et comme je ne voulais pas que les gens soient lésés, j’y ai inclus des éléments exclusifs, complémentaires de Summer Camp. L’idée, c’est que le joueur qui a pris Premier Bivouac puisse continuer à l’utiliser même une fois qu’il a acheté Summer Camp. Bref, c’est à la fois un kit de découverte, un supplément, et il y a même une mini campagne dedans. On est comme ça chez les Explorateurs, on ne gâche rien !

6. Ton premier jdr était illustré par Le Grümph : top classe. Là, tu as été chercher Dieu-sait-où une certaine Camille Mérand. T’es dans la dèche, en fait, c’est ça ?

En fait je crois que l’iconographie d’un jeu participe à sa personnalité. De fait, c’est plus pertinent, je crois, de ne pas toujours travailler avec les mêmes personnes et dans le même style graphique. Le côté épuré des dessins de Grümph fonctionne très bien pour Sur les Frontières, mais celui de Camille, parce qu’elle est illustratrice jeunesse, me paraissait vraiment parfaitement correspondre à l’état d’esprit dans lequel je voudrais plonger les joueurs. Ses Louveteaux et ses Jeannettes ont des bouilles instantanément sympathiques, et c’est exactement ce que je recherchais. On a aussi inséré les 48 badges du jeu dans le livre, comme une sorte de chasse au trésor pour les lecteurs.

En plus, Camille s’est vraiment prêtée au jeu, notamment dans la partie univers de Summer Camp – les Carnets Égarés – en expérimentant plein de techniques et de matériaux pour donner un véritable aspect « carnet de notes » à cette partie du livre. Cela dit si tu veux lui dire qu’elle est une « illustratrice au rabais », je te recommande d’avoir gagné ton badge de sprinteur avant …

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7. D’ailleurs, en parlant de ça, tu auto-édites Summer Camp en passant par Lulu. Le crowdfunding, t’en as déjà entendu parler ou bien ?

C’est marrant que ton premier réflexe ce soit de parler du crowdfunding et pas de passer par un éditeur. C’est vrai que la frontière est parfois mince. Mais non, ni éditeur ni crowdfunding pour moi. Et tant que je peux faire sans, je compte bien continuer. Pour le moment, rassembler l’argent en amont de la production n’a aucun intérêt, et je préfère me faire payer pour un jeu qui est déjà sorti que pour la promesse d’une publication à venir. J’ai bien conscience que c’est un peu à contre-courant ces temps-ci, mais j’ai ainsi l’avantage de pouvoir travailler sur un calendrier dont je suis entièrement maître, et de prendre le temps de ne sortir les jeux que je conçois que quand j’en suis parfaitement satisfait. Je préfère dépenser mon temps et mon énergie sur la conception des jeux à venir que sur de la communication à leur sujet.

8. Après les jeunes adultes puis les teenagers, tu nous prépares quoi : un jeu sur des maternelles qui s’aventurent sur le territoire inconnu et mystérieux de la cour des grands de CP ?

Hey, tu sais que c’est pas une mauvaise idée ça ? Je me la garde sous le coude si ça te dérange pas. Mais non, ce sera un peu différent, même s’il s’agit aussi de cour des grands. Mon prochain jeu s’appelle Aux Marches du Pouvoir, et c’est le deuxième volet d’un triptyque entamé avec Sur les Frontières. Là, on va jouer des gens très ambitieux à la capitale de l’empire. Certains l’ont déjà rebaptisé « Littlefinger RPG », et c’est vrai que c’est le genre d’individu que l’on peut être amené à interpréter. C’est un jeu un peu particulier, parce qu’il n’y a pas de meneur, que le jeu se pratique avec des dominos, et qu’il se présentera sous la forme d’une carte A1 recto verso. Si je me permets d’en parler, c’est parce que mon boulot sur le jeu est globalement bouclé depuis quelques mois, et qu’il est en cours d’illustrations. Si tout se passe bien, il sortira début 2017, mais cette fois-ci je ne pourrais pas pour des raisons techniques passer par Lulu. Bref, une nouvelle aventure qui commence. Pour après, j’ai plein d’idées, mais comme je te l’ai dit, je préfère les concrétiser un peu avant d’en causer plus.

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