Passez-moi tout ça au lance-feu !

Ouep, parfois, quand on est un amoureux de la création francophone originale, c’est ce qu’on se dit quand on voit à quel point il semble suffire de proposer le reboot d’un titre des années 1980-90 pour accumuler les brouzoufs. Là, par exemple, le nouveau Hawkmoon signé du Département des Sombres Projets est bien loin du terme de son actuel foulancement, ce que qui n’empêche pas d’avoir déjà atteint… 750 %  de son objectif initial ! Bon, après, on redevient plus pacifique quand on songe que le DSP n’est pas non plus avare en création pure (on pense aux Héritiers) et, surtout, que, comme pour Mournblade, il s’agit clairement plus de recréation façon tabula rasa que de réédition en mode feignasse. Du coup, on a quand même voulu en savoir plus sur tout ça en posant quelques questions à la (nombreuse) équipe derrière le projet.

 

1.     Hawkmoon, c’est une saga de fantasy pas toute jeune et cela a déjà été adapté en JdR dans les années 1980 (traduit à l’époque par Oriflam). Pas très original comme sujet, si ?

Ismaël – Pas original du tout, c’est vrai. Des nazis du XVe siècle qui déferlent sur l’Europe depuis la Perfide Albion, y a ça dans à peu près tous les jeux de rôle ! Et puis une science sous acide, des Résistants qui s’organisent dans l’ombre, les mythes que transportent avec eux des noms comme « l’Amarekh » ou « l’Asiacommunista »… Peut-être qu’en fait, si, c’est un peu singulier, quand même ?

Vincent – Alors déjà, ce qui est cool dans notre petit milieu, c’est que depuis quelques années on peut vraiment s’éclater à faire ce que l’on aime. Et si on aime un setting aussi stimulant que celui d’Hawkmoon, alors pourquoi ne pas s’y remettre et proposer une nouvelle version, une nouvelle lecture, un nouveau ton… bref : du tout nouveau, quoi !

Les anciens devraient retrouver un univers qu’ils ont adoré dans leur jeunesse, mais avec une toute nouvelle approche. Plus… « rugueuse » disons… Et les petits nouveaux vont avoir un tout nouvel univers bien dépotant pour s’amuser. Franchement, si on y va sans retenue, les Granbretons sont quand même les bad guys ultimes !

Et puis, entre nous, friter des dragons dans des souterrains depuis 1974 pour la 5e fois, c’est quoi, pour toi ? De la nouvelle nouveauté ?

2.     Mouais, soit. Mais moi qui suis vieux, j’ai déjà tout le Hawkmoon époque Oriflam. Je n’ai pas besoin d’acheter votre version à vous, pas vrai ?

Ismaël – Non, c’est vrai. On part de ce principe, d’ailleurs : aucun jeu n’est un besoin. Mais on est de vils tentateurs, par contre. Avec nos illustrations, nos auteurs talentueux et notre ratio faute d’orthographe/page qui doit être l’un des plus bas d’Europe, on va quand même te faire craquer.

Vincent – Évidemment, on va rien t’imposer ! Et on va pas non plus se mettre à critiquer les bouquins d’il y a 20 ans (d’ailleurs c’est nous qu’on en a écrits certains, alors…). Par contre, et malgré le fait que l’on soit quelques vieux de la vieille à plancher sur cette nouvelle édition, je peux te dire qu’on va bien le transformer, le truc ! On reprend tout à zéro ou presque, on repart des romans et on tente d’y mettre le fun et la jouabilité extraordinaire des suppléments de l’époque. Il faut le dire clairement pour qu’il n’y ait pas tromperie sur la marchandise : on réécrit vraiment le background à fond ! Après, rien n’empêche d’utiliser de l’ancien avec du neuf et de mixer tout ça au gré des envies ! Ça fait partie du fun d’être MJ !

3. Bon, la Résistance de votre édition, c’est gentillet comme concept mais moi, à table, j’ai une bande de furieux qui… (se fait couper la parole)

Ismaël – Gentillette, la Résistance ? Dans notre vision à nous, ça peut être un vrai nœud de vipères. Notre source d’inspiration, c’est davantage L’Armée des ombres que Star Wars. Il y a des calculs, de la défiance, des trahisons. Et puis si tu ne veux pas jouer sur cet axe Résistance vs. Empire, le système qu’on propose te le permet. Il faudra juste faire l’impasse sur certains mécanismes du jeu : retrancher des choses, c’est toujours assez simple. On propose même une fiche de personnage sans référence à la Résistance pour que ce soit bien clair. En revanche, côté scénarios, on est clairement sur cet axe pour l’instant. Si tu veux jouer des aventures « méd-fan post-apo » sans lutte contre les Granbretons, il faudra aller à la pêche aux anciens scénarios. (Pêche pas trop compliquée sur Internet.)

4. Que pouvez-vous nous dire du système de jeu utilisé ? C’est le Choose Your Dice, c’est ça ?

Ismaël – Oui. Notre système maison, qui roule bien depuis dix ans, mais auquel on fait passer un contrôle technique. L’occasion d’apporter un peu plus de fluidité dans le système, notamment pour la gestion des points de Santé. On rééquilibre les manœuvres de combat. Et on introduit un gameplay de groupe, qui correspond à la cellule clandestine que composeront les PJ.

5. Hmmm, moi, je me méfie des méta-personnages qu’on gère comme dans un jeu de plateau. Cela fonctionnera comment ? Vous pouvez nous en dire plus ?

Ismaël – Méta-quoi… ? On est encore en phase de playtests, donc ce que je vais raconter est susceptible de changements. Ta Cellule est définie par des ressources matérielles, des contacts, des Traits, une notoriété et des points de Résistance. Ceux-ci fonctionnent comme des points de Bonne Aventure… chacun peut taper dans la réserve. Sauf qu’un point de Résistance activé devient un point d’Empire à disposition du MJ. Il peut l’utiliser pour bonifier l’action des PNJ granbretons, mais aussi pour investir, entre les séances de jeu, dans des manœuvres de surveillance, de traque et d’oppression, qui vient compliquer la vie des PJ.

6. Je dis ça sur la base d’a priori mais… vous n’avez pas peur que les vieux fans de Hawkmoon restent nostalgiques du célèbre Basic system ?

Vincent – On n’est pas propriétaires du Basic System, donc la question ne s’est pas posée une seconde. Et puis si des joueurs veulent rester sur cet ancien système en hackant le jeu, pour nous, il n’y a pas de souci. N’importe quel MJ avec un peu de bouteille (et ce serait donc le cas dans ton hypothèse !) peut adapter un univers à son système préféré. Toutefois, pour m’être mis au CYD — assez récemment je l’avoue —, je dois dire qu’il apporte quelques mécaniques rafraîchissantes tout en étant simple et cohérent.

7. Nostalgie toujours. Niveau look, vous allez faire comme pour Mournblade et finir par nous ressortir des anciennes couvrante de l’époque Oriflam ou bien vous re-faites tout du sol au plafond ?

Ismaël – Tu fais référence au fait qu’on a, une et une seule fois, repris en hommage l’incroyable couverture de Frank Brunner ? Écoute, on adorerait faire encore preuve de ce manque d’imagination qui est un peu notre marque de fabrique. Malheureusement, le Service de Prospection Ludique nous a imposé de faire du neuf. Cependant, le naturel revenant au galop, on a fait appel à des illustrateurs qu’on connaît bien, comme Christophe Swal ou ce Polonais qui débute, là, Tomasz « Morano » Jedruszek.

8. Le foulancement actuel prévoit déjà des suppléments. Bon, la Kamarg, OK mais le choix de Espanyia, j’ai envie de dire : euh, pourquoi ?

Ismaël – On va te faire une réponse très Sombres Projets : et pourquoi pas ?

Vincent – C’est un peu ma faute, en fait ! J’avais envie d’écrire sur Gibral. Parce que c’est cool, Gibral… Mon texte a beaucoup grossi…

Ismaël – Et là, on s’est dit : pourquoi on ferait pas un livre entier sur l’Espanyia ? Ça nous faisait hyper envie : un univers aride, plus mad-maxien et « dark sunien ». Ça permet d’explorer à fond une des tonalités du jeu, qui est a priori moins présente en France. Les crowdfundings permettent de prendre ce genre de risque. Tu peux faire un pas de côté, n’écouter que tes envies. Avec un financement traditionnel, je ne sais pas si on aurait pu prendre le risque commercial de développer un supplément un peu inattendu comme celui-ci.

9. Et du coup, après ce foulancement initial, vous allez continuer ces 92 pages régionaux ? Il y aura quoi ensuite ?

Vincent – C’est pas quelque chose qu’on a prévu de faire de manière systématique. Mais la Granbretanne, bien sûr, ça nous fait très envie ! De mon côté, je vais travailler sur des comptoirs et ports de la Méditerranée, qu’on devrait retrouver dans les Chroniques européanes.

10. Le foulancement a déjà dépassé les 700 % et il reste encore des semaines de CF. Vous allez être très vite à court de paliers, non ?

Ismaël – Non, on avait prévu le coup. Plus ça monte et plus on peut donner corps à des trucs dont on osait à peine rêver. Mais à un moment donné, comme on l’a fait pour Les Héritiers, on sait qu’il sera temps de dire : « On s’arrête là. Vous pouvez continuer à souscrire pour profiter de tout ça. Nous, on a beaucoup de boulot déjà et d’autres promesses nous empêcheraient de tenir nos délais. »

11. Justement, un tel succès, cela paraît être le Bien mais vous n’avez pas peur que cela finisse par faire un retard considérable genre Laelith ?

Ismaël – J’ai grandi dans une stricte éducation religieuse, qui m’a imposé une mauvaise conscience à toute épreuve. Ne pas tenir les délais, j’en cauchemarde déjà en ce moment. Ça veut dire qu’on va les tenir, comme pour Les Héritiers. On a lancé le crowdfunding alors que le travail était très avancé, au niveau des textes comme au niveau des illustrations. On s’est aussi donné un peu plus de marge : un an pour livrer les premiers éléments de la gamme, puis un supplément tous les trois mois (Kamarg en septembre, Espanyia en décembre, la campagne en avril 23). Donc on tiendra nos engagements, sauf cataclysme majeur, genre une pandémie qui bloque tout ­— mais tu vois, c’est de la science-fiction, ça, ça n’arrivera pas.

12. Une Europe alternative, une ambiance post-apo qui tire sur le retour à l’époque médiévale, des britanniques chelous… en fait, en vous, lançant dans Hawkmoon, vous organisez en interne la concurrence avec Wasteland. C’est… euh… spécial comme stratégie éditoriale, non ?

Ismaël – Oui, au Département, on aime bien se tirer des balles dans le pied. Le problème, c’est qu’on ne sait pas viser. Donc on va continuer Wasteland en parallèle. Ça risque d’être un énorme problème, qui va nous faire perdre énormément d’argent. Mais, depuis le temps qu’on est dans les parages, on est connus pour faire à peu près n’importe quoi. Il y aura donc deux jeux médiéval-post-apo édités par la même maison d’édition. C’est limite un scandale. D’ailleurs, nos Sombres Agents ont prévu de faire grève. Bon, mais en vrai, ça va gêner qui ?

 

Liens : 

La page de la souscription : https://fr.ulule.com/hawkmoonjdr/
Le site de l’éditeur : https://titam-france.fr/jeux-de-role/