Patternalisme

On vous présentait il y a quelques jours seulement les premières velléités d’un nouvel acteur sur le marché : Pattern Recog Editions. A travers ses premiers essais, notamment le foulancement en cours du jeu OSR de retro-SF, Hypertelluriens, on devine un éditeur affectionnant les projets originaux voire légèrement hors normes. Pour vérifier tout cela, le mieux était sans doute d’aller poser quelques questions aux membres fondateurs de cette nouvelle maison d’édition, Jack Machillot et Jean-Christophe Cubertafon.

 

1. Bon, alors, les gars : pourquoi se lancer maintenant ? Vous avez fait le constat que tous les autres éditeurs sont des nazes, c’est ça ?

On peut retourner la question : pourquoi ne pas se lancer maintenant ? Avec la pandémie, le temps s’est ralenti pendant une bonne année. Un bon paquet d’auteurs et de créatifs ont profité de ces quelques mois pour produire comme jamais. Des projets ont certes été retardés, d’autres ont même été abandonnés. Mais de nouveaux sont nés, sont arrivés à maturité et sont prêts à être publiés. Il y a encore de la place pour de nouveaux éditeurs au regard de la profusion des jeux à venir, et du développement du loisir avec son ouverture hors des cercles geeks.

2. Pattern Recog, jeux traduits… il faut parler l’angliche pour postuler chez vous ou bien vous vous intéressez aussi à la création francophone ?

Non, nous ne nous limitons pas à la publication de traductions. Nous n’avons pas créé PRE en premier lieu pour publier un jeu que nous aurions écrit. Nous l’avons créé parce que nous voulons éditer de beaux livres de qualité tant ludique, qu’agréable à manipuler. Nous avons quelques contacts avec des auteurs et éditeurs d’ailleurs, ce qui nous a conduits à commencer par de la traduction. D’abord pour nous faire connaître et pour montrer ce que nous pouvons faire et comment. Ensuite pour développer notre réseau. Nous nous intéressons vivement à la création francophone, qui viendra au catalogue dès l’an prochain nous l’espérons.

3. Dénicher les pépites oubliées, c’est bien beau, mais ne risque-t-on pas, au final, de se retrouver avec le fond du panier ?

Nous avons surtout constaté qu’en grandissant un éditeur n’a plus forcément les ressources en personnes et en temps pour s’intéresser aux jeux qu’il estime “petits”, sans connotation péjorative, comme des jeux de niche, des gammes fermées, etc., en particulier pour la traduction. Ce sont les pépites dont nous parlons, auxquelles se rajoutent la profusion des sorties, des financements participatifs de jeux à l’esthétique que nous recherchons. Pour les créations francophones, le problème se pose différemment. Il s’agit essentiellement d’une rencontre et d’un match entre une autrice ou un auteur et un éditeur.

Ensuite, en publiant un jeu, nous prenons un risque. Nos coups de cœur et notre capacité à sentir le potentiel d’un jeu ne sont pas infaillibles. Nous nous tromperons très certainement.

Cela dit, si un gros éditeur nous propose de nous charger de la VF d’une grosse locomotive, on réfléchira peut-être.

4. Vous vous êtes lancés avec un projet… euh… confidentiel : un story game un peu fumé (Reimagined) seulement disponible en PDF. Vous teniez vraiment à pas être connus, en fait ?

Reimagined est typiquement un jeu d’ultra-niche, mais avec un fort potentiel, que nous n’avons pas, il est vrai, encore exploité au maximum. D’abord c’est un jeu à deux, ce qui est assez rare. Ensuite, c’est un story game qui fait parfaitement le pont entre les cultures de l’imaginaire au sens large (séries, films, romans, jeux vidéos…) et le jeu de rôles. Les mécaniques sont simples, axées sur la narration. Les non-rôlistes y trouvent leur compte, comme les rôlistes. Nous n’excluons pas une version physique dans l’avenir, mais dans l’idéal il faudrait qu’un tel jeu sorte des boutiques spécialisées.

5. Passons à du plus conventionnel avec votre actu du moment : Hypertelluriens. Tellement conventionnel d’ailleurs que j’ai envie de dire : encore un OSR à Papa !?

Hypertelluriens n’a pas grand-chose de conventionnel dans le monde de l’OSR. Il ne cherche pas à émuler les premiers JdR. La mécanique se contente de trois aptitudes et de leurs dérivées, il n’y a pas de points de vie, pas de niveaux, pas de classes. Bon, la résolution se fait au d20, et il y a des archétypes.

La conception fait la part belle aux règles en langage naturel, comme le précise l’auteur. C’est-à-dire qu’au lieu des abstractions chiffrées que l’on rencontre dans la plupart des jeux, on trouve des descripteurs narratifs, par exemple pour décrire une arme, un objet magique, un sort ou pouvoir. On est bien loin de l’OSR à papa !

Hypertelluriens est aussi et surtout axé science-fantasy avec des rétrofuturs, avec des inspirations Weird Tales, Flash Gordon, John Carter of Mars, Barbarella, mais aussi Bandits, bandits pour le voyage entre les Cosmes. L’idée de l’auteur est de faire se rencontrer des PJ improbables qui partent à l’aventure dans un multivers tout aussi improbable. Il faut entendre par là que le MJ peut prendre des modules, pour reprendre la terminologie OSR, conçus pour d’autres jeux et les convertir pratiquement à la volée pour Hypertelluriens.

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6. Vous mettez pas mal en avant la patte graphique du jeu. C’est vraiment si important pour vous ?

Nous avons créé PRE pour produire de beaux livres. Hypertelluriens le sera, nous l’espérons. Ce jeu propose un vrai décalage par rapport à des OSR plus traditionnels et plus médiéval-fantastique, en particulier en focalisant sur le côté science-fantasy et rétrofutur. La patte graphique est là pour le rappeler, avec le côté kitch et désuet des illustrations à la Weir Tales des années 50. On a envie que les joueurs lâchent des “piou piou” quand ils tirent au pistolet à rayon!

7. Pas d’écran du MJ pour un jeu avec une telle identité graphique, c’est un peu péché, non ?

L’écran est une norme en France, là où il est l’exception chez les Anglo-saxons, certes avec des exceptions notables. L’écran n’existe pas dans la VO, et nous n’en voyons pas l’intérêt ludique. Le livre se suffit à lui-même, les règles sont simples, faciles en prendre en main. On peut jouer vite, en courtes sessions, sur un coin de table, en convention par exemple, mais aussi dans son bar préféré. Pas besoin d’écran donc.

8. Vous passez donc par un foulancement, mais j’ai l’impression que vous y allez un peu à reculons (pas de paliers, le suivi en sortie directe boutiques…). Vous avez des réserves à propos de ce mode de financement ?

Les financements participatifs ont énormément d’intérêts quand on démarre, d’une part parce que nous avons la trésorerie d’un éditeur qui se lance et que la production a un coût, d’autre part, pour la visibilité qu’ils offrent. Pour qu’un jeu vive et trouve son public, il faut qu’il soit un minimum connu, on le voit bien avec Reimagined, ou que son éditeur ait pignon sur rue.

En revanche, nous voulons retourner à une forme de financement participatif vertueux: des contreparties lisibles et explicites, un montant réfléchi et raisonnable et des objectifs clairs et réalistes le cas échéant. Au moment de lancer Hypertelluriens, nous sommes pratiquement inconnus du public. Il nous faut montrer ce que nous savons faire et comment, et gagner la confiance des souscripteurs, donc transparence et droit au but. Nous n’excluons pas de recourir au financement participatif pour nos jeux à venir. En revanche, et c’est peut être un vœu pieux, nous ne souhaitons pas y recourir systématiquement. Si nous pouvons sortir un jeu sans foulancement ou précommande, nous le ferons sans hésiter.

Nous avons grandi avec les boutiques. Ce sont des lieux capitaux pour le jeu, et le jeu de rôles en particulier. Nous y avons découvert des jeux, rencontré des joueurs, dont certains sont devenus des amis, monté des tables… Pour nous, un jeu existe et vit s’il se trouve dans les rayonnages d’une boutique. Pour se développer, le jeu de rôles doit être visible. Sa présence en rayon apporte cette visibilité. Le financement participatif, même s’il inclut une contrepartie pour les professionnels, joue sur un tableau assez ambigu, en partie au détriment des boutiques. C’est dommageable pour le loisir.

9. Une livraison prévue pour l’été 2021, c’est une blague ?! On est déjà l’été 2021, les gars !

Ce qui veut dire que nous sommes déjà au boulot! C’est une des prises de risque de l’éditeur, nous engageons du travail sans savoir si le jeu rencontrera son public. Et ce n’est pas l’important. L’important est de gagner la confiance du public et de respecter nos engagements auprès des souscripteurs qui assument eux aussi une part du risque, financier dans ce cas.

Ensuite, nous nous occupons d’un jeu après l’autre pour anticiper et assurer une production la plus fluide possible. Et nous imprimons en Europe, ce qui évite pas mal de déboires de livraison.

10. Bon, et la suite ? Votre site web évoque déjà deux autres projets : Defiant et Troika!. On peut en savoir plus ?

Nous avons prévu de sortir Defiant cet automne. C’est un jeu d’urban-fantasy contemporaine, motorisé par un système à tendance narrative élégant et riche. Plutôt que de servir d’agents de l’Apocalypse, ils protègent leur cité en nourrissant les sceaux de protection par leurs expériences sensorielles et charnelles. Defiant se focalise sur ces êtres, leurs existences, leurs rivalités, leurs expériences et leurs dilemmes. Les joueurs incarnent les membres d’une aristocratie surnaturelle d’Anges, de Daeva (anciens dieux oubliés), de Léviathans (formidables créatures d’avant l’humanité) et d’Infernaux, plutôt que des pions.

Ensuite ce sera Troika! cet hiver. On revient sur de l’OSR et la science-fantasy avec une identité visuelle très marquée. On pourra trouver pas mal de points communs entre Troika! et Hyperttelluriens, ce dernier s’inspirant du premier. Le système est ici un peu plus conséquent, basé sur la gamme Fighting Fantasy en en faisant quelque chose de bien fichu, fun et rapide. Troika! permet d’explorer une sorte de multivers bien bizarre en interprétant des personnages qui le sont tout autant.

Pour 2022, nous en parlerons plus tard…

https://patternrecogeditions.com/