Les boloss des colosses

Alors qu’on les attendait sur un nouveau projet signé Angeldust, le label sous lequel ils avaient auto-publié leur jeu Damnés, Manon et Simon Li nous reviennent finalement chez Posidonia, le prolifique héraut de la production francophone alternative-mais-pas-indé. Il faut dire que ce nouveau projet, Héros d’Argile, a franchi la cap de la grande aventure du foulancement et est actuellement proposé sur la plate-forme Game On Tabletop. Entretien avec Simon pour nous expliquer tout cela et, notamment, les raisons de ce changement de cap éditorial.

 

1. Héros d’argile, c’est parce que les PJ vont être tout mous et malléables, c’est bien ça ?

Oui, on joue des personnages tout flasque, c’est pour ça 😀 C’est Grotadmorv RPG !

Et sinon, plus sérieusement, nous avons juste repris l’expression ‘Colosse aux pieds d’argile’ qui correspond assez bien à l’esprit du jeu : on y raconte l’histoire d’un Héros avec ses forces mais surtout ses faiblesses, son quotidien, ses relations, etc. Bref, un géant fragile.

2. Du coup, je ne suis pas sûr d’avoir compris l’intention du jeu : on joue des super-héros inoxydables ou des « fragiles » (comme disent les djeunes) qui s’apitoient sur leur sort ?

L’un n’empêche pas l’autre mais on sera bien plus du côté des Héros faisant face à leurs faiblesses que des personnages infaillibles sauvant l’univers. C’est un jeu qui se veut intimiste et dramatique et qui explore le poids d’être hors-norme. On voulait absolument casser le stéréotype du Héros invincible (souvent un homme hyper musclé sauvant une femme en détresse qui tombera amoureuse de lui parce qu’il est « fort »). Chez nous, les Héros nous ressemblent : ils sont banals, faillibles, sensibles.

3. Un truc qui m’a pas mal surpris : on peut choisir de jouer un sidekick, c’est-à-dire le faire-valoir d’un héros. Quel intérêt ?

Un Héros n’est jamais seul. Il ne peut s’accomplir que grâce à son entourage : c’est un des principes fondamentaux de ce jeu. Exit la méritocratie ou le mythe du « self made man » : le Héros devient qui il est réellement grâce aux Sidekicks. C’est donc un rôle aussi important que le Héros ou l’Antagoniste. Et puis, jouer un adjuvant n’est pas une corvée, bien au contraire. C’est un réel plaisir que d’être le « support » d’un autre personnage. Cela force à l’ouverture, à l’écoute, au partage. Nous voulions vraiment nous éloigner des jeux dans lesquels tout le monde est un héros ou un protagoniste principal comme dans les JdR plus classiques. Cela permet d’explorer d’autres types de fictions et d’autres sortes de dynamique sociale.

4. Tant qu’on y est, on a donc à la fois un PJ super-héros et un PJ « vilain » autour de la même table, c’est bien ça ?

Oui, tout à fait. Il y a donc trois rôles en tout : le Héros, le Vilain et les Sidekicks. Chaque rôle possède ses prorogatives et chaque rôle correspondra le mieux aux envies de chacun. Pour jouer à 200% son personnage et vivre ses émotions comme un PJ dans un JdR plus traditionnel, il faut choisir le Héros; Pour construire une relation véritable avec le Héros et être là pour lui, il faut choisir Sidekick; Pour incarner l’opposition et construire un Antagoniste à la hauteur, il faut jouer le Vilain. Les mécaniques de jeu ritualisent ensuite ce qu’on peut faire et la manière d’agencer la fiction.

5. Ah, OK, je vois, je vois… on n’est pas vraiment sur un JdR traditionnel, quoi. Quelles sont les sources d’inspiration pour le game design de Héros d’Argile ?

On est effectivement très loin d’un JdR classique. Héros d’Argile est une manière de transmettre notre façon de pratiquer le JdR, notre vision du monde aussi. Côté inspirations, le système de rôle asymétrique est fortement influencé par Polaris de P.H. Lee (celui qui se passe dans le grand nord, pas le jeu sous-marin !). La manière de gérée la fiction est assez proche des jeux Belonging Outside Belonging. Le Don de Remembrance, qui est la mécanique centrale du jeu et qui consiste à faire un don de soi après une scène forte, est très inspiré par tout un tas de jeux de la mouvance « care » et « keepsake ».

6. Et par rapport à Damnés, votre précédent jeu ? Comment situeriez-vous ce nouveau projet par rapport au précédent ?

Chaque jeu que nous écrivons est le reflet d’une période de notre vie rôliste. Damnés se situe à un moment où nous explorions la manière d’explorer le mythe du vampire. En terme de design, il est moins free form, plus « Forgien » dans son ADN. Dans le fond, les thématiques abordées restent sensiblement identiques : les relations aux autres, le quotidien, l’altérité, etc. La manière d’aborder ces thèmes ont évolué avec nous. Héros d’Argile est le reflet de notre évolution : encore plus de freeform, plus de quotidien, plus de relations positives aussi.

7. Je suis surpris de voir que vous passez par l’intermédiaire de Posidonia dont la ligne éditoriale est habituellement assez éloignée des jeux indés et expérimentaux. Pourquoi cette démarche ? Même question pour le foulancement, d’ailleurs. Pourquoi en être venu à ce format de publication pour Héros d’Argile ?

C’est vrai qu’habituellement nous nous éditons, mais cette fois, nous avons voulu faire un jeu plus ambitieux : en plus des livres, nous souhaitions disposer d’illustrations qui représentent les personnages dans toute leur diversité et d’un set de cartes à jouer. Et nous voulions également être capable de faire en sorte que le jeu soit terminé et disponible dès le lancement de la campagne de foulancement. Nous sommes donc passés par Posidonia qui nous a avancé les frais d’illustrations. Ainsi, nous avons pu travailler avec Vianney Carvalho, l’illustrateur, afin de faire le meilleur jeu possible et de pouvoir envoyer à l’impression dès la fin de la levée de fond. Le financement participatif n’est pas trop notre tasse de thé finalement mais il fallait en passer par là pour que le jeu voit le jour.

https://www.gameontabletop.com/cf356/heros-d-argile.html