L’Essent(iel) à prix coûtant ! [chronique D&D]

Oui, bon, ben, quoi. Quelques clics de plus attirés là par le hasard d’une quête d’actualité  ne peuvent pas faire de mal, hein…

Oui, et puis, il est vrai que si cet article ne contient aucun bon plan pour se trouver du carburant à moindre coût, il en comporte carrément pour ce qui est de se fournir en JdR à prix cassé. Tiens, c’est bien simple : c’est limite si on n’aurait pas pu le publier un lundi, c’est dire !

Le prix des JdR, un vaste sujet… En notre temps, dans Di6dent, nous avions démontré chiffres à l’appui que, en tenant compte de l’inflation, le prix unitaire des livres de JdR (en gros, le ratio prix/page) avait en fait largement diminué. Mais, souvent, l’intuition nous dicte le contraire et on peut le comprendre : livres de plus en plus gros, couleurs et papier glacé à tous les étages, écrans du MJ en béton armé quand on se contentait dans nos vertes années de petits machins en carton souple, pratiques dossiers de PJ à la place de nos feuilles de perso mal photocopiées, « indispensables » dés spéciaux, goodies en veux-tu en voilà… et, enfin, habitude prise lors des foulancements d’acheter deux ou trois suppléments en même temps que le livre de base. Tout cela fait évidemment gonfler la facture.

Et c’est alors que l’on devient nostalgique d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître où on trouvait des JdR complets et attractifs pour un très vil prix. On parle là en particulier de James Bond 007 et, encore plus, de Star Wars D6, licences irrésistibles, jeux de très grande qualité et vendus (y compris en librairies généralistes et magasins de jouets) pourtant à la fin des années 1980 autour d’un prix équivalent à à peine 20 euros de nos jours (sans tenir compte de l’inflation). Soyons honnêtes : un JdR complet et de qualité pour un tel prix, on pensait bien que jamais plus cela ne se pourrait. Et pourtant…

Depuis que le puissant Wizards of the Coast a décidé de reprendre soi-même, après bien des psychodrames, la diffusion de son Dungeons & Dragons 5E, on ne mégote plus sur les moyens de populariser la 5ème édition. Et alors que le jeu était déjà doté d’un kit d’initiation de fort bon aloi et à prix déjà modique, WotC a finalement décidé de casser le game en lançant une deuxième boîte dite L’Essentiel. Et donc, nous y voilà : un jeu complet à 20 euros, c’est à nouveau possible. La preuve !

Les similitudes entre les deux boîtes est tout de même troublant : on peut se douter qu’il s’agit d’une réédition de celle-ci avec quelques différences dans le but, justement d’en faire baisser le prix final afin de la rendre encore plus attractive auprès des Béotiens ou, mieux, des anciens rôlistes sur le retour. Cela dit, fair play, l’éditeur a le bon goût d’en avoir changé l’essentiel (uh, uh), c’est-à-dire le ou les scénarios. Encore mieux, Wizards ayant arrêté de soutenir l’ancien kit met gratuitement à disposition des joueurs le PDF de cette version qui contient quand même un gros scénario de 64 pages, qui plus est inscrit dans le même contexte que celui de la nouvelle boîte. Eh, cela devient du mécénat, là, les mecs, faîtes gaffe, vous n’êtes pas habitués ! Voilà, je vous l’avais dit, on est quasi lundi : https://media.wizards.com/2021/dnd/downloads/dnd_loc_2010_10_07_fr.zip

L’Essentiel est contenu dans une boîte de très bonne qualité : ce n’est clairement pas là-dessus que l’éditeur a fait des économies. A l’intérieur, on trouve une impressionnante profusion de matériel à faire pâlir de jalousie la plupart des autres boîtes de ce type (peut-être à l’exception de celle de COC Cthulhu mais celle-ci se vend beaucoup plus cher).

Sur notre fiche d’inventaire, on récupère donc le loot suivant :

  • Le livre de règles de 68 pages
  • Le livret d’aventure de 68 pages itou
  • 6 fiches de personnages vierges
  • 11 dés (1d4, 4d6, 1d8, 1d10 unités et 1d10 dizaines, 1d12, et 2d20) tout basiques en plastique rouge mais qui font le job (au prix habituel, c’est déjà facilement la moitié du prix de la boîte…)
  • L’écran du maître du donjon, en carton souple comme d’antan mais avec quatre volets au format habituel
  • 81 cartes réparties en plusieurs séries (quêtes, états, objets magiques…) : bon, bien sûr, elles sont en carton non-pelliculées et à découper à la main, il faut pas déconner non plus…
  • Une carte au format poster recto/verso

Voilà, quand on dit qu’on en a pour son argent, c’est qu’on en a pour son argent sa mère, en fait. C’est bien simple, même si vous n’en avez rien à faire du contenu texte du kit mais que vous cherchez un écran, des dés et des cartes d’état pour faire jouer du matos PDF téléchargé gratuitement sur AideDD, vous êtes encore gagnant.

Le premier livret contient donc les règles de base de la 5E. C’est finalement assez dense et écrit petit. L’avantage, c’est qu’il ne manque rien. Ainsi, pas question de prétirés ici mais bel et bien de création de personnage complète avec 4 races, 5 classes, plusieurs historiques… Les avantages, sorts et autres joyeusetés décrites suffisent pour emmener les PJ quand même jusqu’au niveau 6.

Un point doit toutefois être signalé : ce kit ne contient aucun contenu rédactionnel spécifique qui en ferait un objet d’auto-initiation. Il n’y a guère de conseils, de dispositifs façon aventure solo pour apprendre les règles, aucun encadré ou note marginale qui indique l’importance de ceci ou de cela. Rien. Il s’agit plutôt d’un copié/collé des règles complètes. Cette absence de contenu dédié explique aussi le coût : il n’y a pas d’auteur crédité pour cette version-là des règles.

Ajoutons que le livret, écrit donc petit et serré, avec peu d’illustrations et beaucoup de listes et de tables n’a rien de très attractif quand on le compare, par exemple, aux produits de la gamme Terre d’Arran.

Le deuxième livret est consacré au scénario/campagne et, là, en revanche, c’est une bonne surprise. L’habituel parti-pris du scénario d’introduction est le scriptage intégral et le téléguidage de joueurs que l’on soupçonne d’être intimidés. Mais c’est oublier un peu vite que les joueurs qui découvrent aujourd’hui le JdR sont souvent habitués des jeux vidéos, des séries TV chorales ou des jeux de société narratifs. Ils n’ont pas forcément envie de prendre le train, quoi. Du coup, ce Le dragon de la flèche de givre prend le contre-pied complet et propose une mini-campagne façon bac-à-sable ou, en tout cas, et plus modestement, une série de mini-quêtes reliées entre elles par un village qui sert de base arrière aux PJ et par une vague menace transversale que je vous laisse deviner à l’aide du titre du livret (sic). Bref, c’est Neverwinter Nights/Baldur’s Gate mais en jeu de rôle papier.

Honnêtement, cela reste de la fantasy peu inspirée à base de dragons et de donjons (indice : cela se passe dans les Royaumes Oubliés…), le principe des mini-quêtes gérées par le maire avec un panneau de petites annonces et tout est un peu too much et le village de Phandaline gagnerait à être remplacé fissa par un autre généré par les tables aléatoires du Compagnon de Cœurs Vaillants. Mais, pour le reste, le dispositif est bien troussé avec un système de niveaux pour permettre au MJ de savoir quand donner telle ou telle quête aux PJ et avec des sortes de fiches de quête de 2 à 4 pages (avec plan quadrillé et tout) permettant de gérer assez facilement la campagne sans avoir à préparer des masses en avance… quand il connaît un tant soit peu son affaire ! En effet, une mini-campagne non-scriptée n’est en revanche pas si évidente à mener pour un MJ novice.

Par contre, côté joueurs, on a une vraie impression de monde vivant (les quêtes n’arrivent pas toutes d’un coup) et, surtout, de liberté. Et ça, pour le coup, c’est l’essentiel, pas vrai ? A noter que, pour les aider, la boîte fournie une grande carte de la région et un récapitulatif des quêtes disponibles sur les cartes à jouer. Grand luxe pour ce prix là.

Au bilan, la question de savoir si ce produit est un bon produit ne se pose même pas. Même si vous ne voulez pas utiliser ces règles-là, même si vous voulez réagencer la mini-campagne à votre sauce ou encore – comme évoqué plus haut – même si vous voulez juste un écran sympa, des dés et des cartes, dans tous les cas, le prix exceptionnellement bas de cette boîte en fait un must have pour tous les rôlistes. Tenez, même moi, qui a priori est peu intéressé par D&D, je ne me voyais pas passer à côté de l’occasion de m’offrir un jeu de rôle complet pour 20 euros. Hop, dans la collec’.

En revanche, on peut avoir des doutes sur l’objectif marketing de cette boîte. Grâce à la puissance de Hasbro, la maison-mère, un tel produit a donc été rendu possible. Mais quel était son objectif ? Donner un aperçu du futur D&D 5E ? La bonne blague, il est sorti depuis des années (OK, pas en France mais bon…). Détourner des hordes de rôlistes aguerris de leur jeu préféré ? Peu probable tant le produit que nous avons entre les mains est typique de D&D et risque de repousser ceux qui ne s’y sont jamais intéressés jusqu’ici.

Alors, quoi ? Convertir des légions de jeunes gens au JdR papier pour leur vendre ensuite des produits D&D ? Peut-être. Pour eux, en tout cas, le prix très bas de ce produit et sa profusion de matériel peuvent être un atout. C’est par exemple typiquement un cadeau qu’un rôliste peut offrir à un non-rôliste. Mais, dans ce cas, l’absence totale de pédagogie de la boîte risque d’être un frein. La magie du JdR peut opérer, certes, mais le novice peut aussi être dérouté et sans doute freiné par la relative aridité de cette boîte L’Essentiel.

 

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2 pensées sur “L’Essent(iel) à prix coûtant ! [chronique D&D]

  • 25 février 2022 à 13:23
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    C’est vraiment marrant de voir comme ça vous fait mal de dire du bien (relatif) de cette boîte.
    On sent bien que personne chez vous n’a le profil pour commenter et encore plus apprécier cette boîte.
    Du coup, j’ai l’impression de voir un journaliste de Télérama critiquer un Fast & Furious … C’est marrant, mais vous êtes complètement HS.

    • 25 février 2022 à 13:47
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      Ah tiens, c’est marrant ça comme remarque. Qu’est-ce qui te faire dire ça, en fait ? Je pensais avoir été vachement plus enthousiaste.

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