Du travail bien léché chez les Livres de l’Ours

Derrière le label des Livres de l’ours se cache un seul homme, Alexandre Kobayashi Jeannette. A la manière de son poto John Grümph, Kobayashi est un créateur multi-cartes (bon, quand même moins multi que LG…) qui apprécie plus que tout de pouvoir créer sans contrainte au-dessus de la tête : pas de deadline, pas de souscripteurs impatients qui toquent à sa porte, pas même de patrons qui attendent leur récompense chaque mois… rien. Alexandre écrit des jeux et puis, quand ils sont prêts, bah… il les publie, quoi. Simple.

Du coup, logiquement, pour avoir vraiment zéro emmerde, il ne faut clairement pas travailler en équipe et les jeux des Livres de l’Ours sont donc en général le fruit de son seul travail aux règles, aux scénarios, à la traduction si nécessaire ou encore à la maquette. Pour les illus, Kobayashi a besoin d’un petit coup de main… quand il ne trouve pas une astuce imparable comme pour son jeu Striscia avec ses peintures et gravures de l’époque moderne. Rusé !

Tout ceci a beaucoup d’avantage et on peut parler de jeux « d’auteur » qui sont dotés d’une vraie et belle personnalité. On a aussi des jeux sans intermédiaire (ils sont diffusés directement en PDF ou POD) et donc très accessibles financièrement parlant. Par contre, la plupart d’entre eux sont d’une présentation… euh… sobre. Voire austère. Forcément. Et on peut ajouter aussi que travailler seul, sans deadline, n’est pas l’assurance de sorties très denses et de suivi pléthorique.

Mais, pour la sortie de la version complète de Fléaux!, Kobayashi a su rompre avec ces traditions et s’adjoindre pour toute la partie graphique le talent de Edouard « EDgarra » Pellicci (déjà vu dans Faces). Ainsi, au-delà d’un jeu aux parti-pris audacieux, on a aussi un bel objet de curiosité qui vient bousculer les codes en matière de présentation des manuels de jeu (même si, il est vrai, il s’inscrit dans la filiation du Mörk Borg de Free League).

Pour rappel, Fléaux!, c’est à l’origine un petit jeu OSR à la maquette punk qui était jusqu’ici confiné aux tréfonds du gratuit. Mais Kobayashi a finalement décidé d’en commercialiser une version augmentée. Elle complète la courte proposition initiale avec d’autres peuples, sorts, talents et un bestiaire augmenté. Il y a aussi des règles pour l’alchimie et les armes à feu. Enfin, un univers dédié y est esquissé. Tout cela en une centaine de pages avec une maquette qui déchire toujours sa maman.

Derrière un système de jeu dont l’auteur a le secret (court, compact, complet) mais finalement assez classique dans la veine OSR, on a là un vrai jeu complet avec un scénario prêt-à-jouer et surtout… un univers de jeu bien à lui avec des pages de background, une carte et tout. Cela mérite d’être signalé pour tous ceux qui fréquentent régulièrement les Livres de l’ours.

Ainsi, bien loin d’être anecdotique ou simplement cosmétique, le look d’enfer de Fléaux! participe pleinement de la description de cet univers que, derrière les poncifs, on suppose violent et barbare, mettant en scène un mélange un peu warhammerien entre l’Europe terrible de la Guerre de Trente ans au XVIIe siècle et nos repères habituels du dungeonverse.

Après un simple feuilletage de ce livre magnifique, on ne peut se poser qu’une seule question : que reste-t-il aux grands ? Un créateur expérimenté qui trousse système OSR et univers de fureur en quelques pages et talent graphique à tous les étages chez son partenaire. Vous y ajoutez les facilités de la POD moderne et on se demande soudainement pourquoi on pledge à des foulancements dispendieux pour attendre pendant plusieurs années la livraison de livres qui, probablement, ne feront pas plus inspirant et fonctionnel que celui-ci

Autre corde à l’arc de Kobayashi ! : he is bilingue (un peu comme moi, quoi…). Aussi, au gré des inspirations, il lui arrive – assez fréquemment même – de rédiger et de publier directement ses jeux en anglais. L’idée est bien sûr, le plus souvent, d’en proposer une VF dans la foulée mais, toujours cette histoire de zéro contrainte…, il arrive que la VF se fasse attendre.

C’est le cas de celle de Extinction, enfin disponible en version francophone. Il s’agit d’un jeu OSR pour faire de la SF rude et « réaliste » façon Outland. Le jeu pèse 76 pages et son système est un dérivé du Black Hack choyé par Kobayashi. PDF ou POD as usual.

Le jeu propose 8 classes de personnage pour couvrir tous les archétypes de cette blue collar SF (Termite, Gratte-papier, Marine…). Les règles sont simples mais, comme toujours avec les jeux du plantigrade, abordent tous les cas possibles comme les véhicules, les virus, la navigation spatiale, etc. Chose plus rare, on trouve aussi dans le livret plusieurs pages précisant l’univers du jeu (bon, OK, c’est pas Esteren non plus mais quand même, on note l’effort !) et, même, dinguerie, un scénario prêt-à-jouer. Si ! Si vous êtes choqué, rassurez-vous : on trouve ensuite une tonne de tables aléatoires pour fournir des pistes aux MJ en mal d’improvisation.

En ce qui concerne le troisième jeu dont nous voulions vous parler, Cursed!, même topo. Alors, ne vous laissez pas berner : il s’agit bien d’une VF malgré le titre. Il s’agit d’un jeu court (36 pages en version POD illustrée, 12 pages en PDF minimaliste) émulant le genre de l’horreur (plutôt contemporaine) dans laquelle les simples mortels sont confrontés à des choses indicibles venues d’ailleurs. Mais où vont-ils chercher tout ça ?!

Cette fois-ci, le jeu s’inspire de Knave et s’inscrit encore plus dans la veine des jeux courts voire très courts. Pas de fioriture : pas d’univers, pas de scénario et, au final, des pages assez aérées. Cela ne les empêche pas d’être bien denses en informations. Par exemple, on y trouve de nombreux sorts ou encore des objets magi… euh, ésotériques ainsi qu’un bestiaire. C’est illustré, OK, mais, à l’image de la fiche de PJ, le tout reste assez austère, en tout cas très éloigné de la flamboyance de Fléaux!.

Vous trouverez tout ça et même bien plus ici : http://livresdelours.blogspot.com/

4 pensées sur “Du travail bien léché chez les Livres de l’Ours

  • 10 mars 2022 à 17:15
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    Merci pour cette jolie critique…
    longue vie au FIX !!

    • 11 mars 2022 à 13:54
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      C’est juste une news.J’espère bien que nous pourrons écrire une vraie chronique pour Fléaux! : le jeu le mérite clairement.

  • 11 mars 2022 à 00:31
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    C’est un superbe travail. Bravo à Kobayashi et EDgarra ! L’ouvrage a un équilibre total entre le thème, les règles, le graphisme et la mise en page. Extrêmement inspirant. A acquérir dans attendre.

  • 11 mars 2022 à 17:25
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    Ça donne vraiment envie ! Mais j’attends surtout la sortie d’une Vf du Black Sword Hack pour enfin pouvoir le proposer à les joueurs.

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