Le temps béni des colonies [chronique – Marines Coloniaux pour Alien]

La première chose qui frappe avec ce premier supplément du mode Campagne du JdR Alien de chez Arkhane Asylum, c’est l’aspect physique de l’ouvrage. D’aspect très similaire au livre de base (franchement, en étant peu attentif, on peut les confondre), Marines Coloniaux est surtout… quasiment aussi gros que lui ! Nous avons donc un très épais livre de plus de 350 pages avec sa classieuse mise en page toute en fonds noirs et ciels étoilés. Pour tout dire, on se demande bien dans un premier temps ce qui justifie cela car il est très rare que les gammes de JdR proposent ainsi un supplément qui rivalise en taille avec le livre de base, surtout quand il sort sui peu de temps après celui-ci. Même à la lecture, il va falloir d’ailleurs un certain temps avant de nous faire une idée vraiment précise de ce que ce Marines Coloniaux sait faire.

Un rappel d’abord : le mode Campagne, c’est le mode « classiquement JdR » du jeu Alien. Vous savez ? La majorité des PJ survivent au scénario, progressent puis enchaînent avec un autre puis un autre, le tout lié par une intrigue commune. Dans un univers comme Alien, il est important de rappeler que, si, ça peut arriver. De façon plus générale, c’est aussi dans le mode Campagne que l’on prétend pouvoir tirer autre chose de l’univers étendu des films sans pour autant tomber tout le temps sur des bases orbitales ou des cargos stellaires infestés de monstres ET répugnants. (…) Bon, ça, c’est la théorie. Sans trop spoiler, on peut quand même admettre que l’on ne s’éloigne pas beaucoup de ce schéma dans ce supplément…

En lisant l’introduction de l’épais volume, on commence à comprendre où l’éditeur VO, Free League, entend nous emmener avec ces bouquins en titanium massif : il devrait y avoir au bout du compte un volume de ce type pour chaque archétype de PJ disponible dans le livre de base. Wow. Ils viennent donc de réinventer le vieux concept déjà servi par FFG pour leurs jeux Star Wars en mode un type d’aventure = un jeu différent compatible avec les autres. Ce n’est pas si loin non plus des nombreux spin off de Mutant : Year Zero. Bon, c’est un peu amélioré quand même puisque ce livre reste bien, malgré son côté imposant, un supplément. Il ne reprend pas les règles du livre de base qui reste nécessaire. On verra aussi qu’il possède quelques autres atouts pour être utilisé dans d’autres campagnes.

Marines Coloniaux contient d’ailleurs assez peu de règles. On n’est pas du tout dans un Feu nourri pour Shadowrun ou ce genre de choses faisant focus sur l’archétype bourrin du jeu. La seule reprise de règles du livre concerne en fait la création de PJ et, de fait, ça s’impose. Le principe des archétypes, c’est que ça se distingue et que ça se complète. Or, là, le présupposé du supplément est bel et bien que tout le monde joue un Marine. Et, forcément, ça ne se distingue ni complète plus trop :-/

Pour y remédier, les gens de Free League ont fait dans le classique. D’abord, chaque Marine doit désormais se choisir une spécialité militaire, sorte de sous-archétype encore plus spécialisé. Mouaif. Ce n’est pas toujours très inspiré ni même très efficient. En fait, ces spécialités deviennent si spécialisées que cela en devient ridicule : le guetteur, le mitrailleur, etc. Bon, supposons qu’on ne pouvait pas faire autrement.

Plus intéressant, l’ouvrage fournit de nouvelles tables d’événements professionnels spécifiques pour créer du bon background à la volée. On retrouvera aussi plus lin dans l’ouvrage le même principe pour le « temps libre », période durant laquelle, apparemment, le Marine sait très, très bien s’attirer des emmerdes…

Et… bah, c’est tout. Pas vraiment un supplément de règles, en effet.

Bien sûr, on vous rassure. Il y a des flingos ! Plein de flingos même. Ouf !

On n’échappe donc pas à la tarte à la crème du supplément militarisé avec des pages et des pages de guns plus ou moins gros (mais plutôt genre très gros quand même). Ensuite c’est l’escalade avec le matériel roulant, volant, etc. Aaaah, nostalgie : cela me rappelle mes pires suppléments Cyberpunk 2020 avec tout ce matos à viander qui fait plaisir à lire mais que, au final, on n’utilise pas en cours de jeu… Bon, certes, là, les PJ étant militaires, les chances de se retrouver dans un véhicule blindé augmentent sensiblement mais tout ça pour dire qu’il ne faut pas s’attendre non plus à une lecture des plus enthousiasmantes. Cela reste assez plan-plan (d’autant que dans Alien, le matos militaire est somme toute assez conventionnel) et pas toujours très, très bien illustré.

Dans la même veine, on lira également avec un bâillement d’ennui les nombreux détails sur la hiérarchie, les emblèmes, les formations militaires au sein du corps des Marines Coloniaux. A moins d’être vraiment branchés chose militaire (mais, bon, vous jouez déjà à Twilight 2000 dans ce cas là, non ?), tout ceci ne permet que d’atteindre une certitude : mais, en fait, je n’ai pas très, très envie de mener une campagne militaire dans Alien, moi. La liberté de manœuvre des troufions est nulle, leur quotidien ennuyeux, leur mort presque certaine… tout cela ne rime pas tellement avec bonne aventure de JdR pour moi.

A ce stade, il y a quand même près de 130 pages passées et on peut donc se dire que ça pue l’échec pour Marines Coloniaux. Mais, en fait… pas du tout ! Toute la suite est… attention, mesdames-messieurs … une campagne ! Non ? Si ! Et une bonne en plus. C’est donc ça : Marines Coloniaux n’est pas tellement un supplément en mode Campagne. C’est tout simplement une campagne prête-à-jouer.

Bon, cela n’exempte pas tout à fait l’ouvrage de la nécessité de rendre des comptes sur ce démarrage poussif : franchement, il aurait pu facile faire 50 pages de moins. D’une part, il y a donc tout ce remplissage pas très exaltant qui essaye de faire croire qu’il s’agit d’un sourcebook sur le monde de l’armée. Et puis, il faut aussi admettre que cette mise en page, certes classieuse, est quand même une grande source de perte de place, les textes étant parfois ridiculement espacés. Notons d’ailleurs que les « vraies » illustrations sont très peu nombreuses dans l’ouvrage, laissant une impression un peu monotone de fonds noirs au km. Cela irait mieux ensuite, au moment de la campagne, où les plans, portraits de PNJ et autres éléments utilitaires rendent le texte beaucoup plus attractif.

Alien est en fait – perso, je le découvre avec ce supplément – doté d’une timeline que les auteurs sont bien décidés à exploiter. Par exemple, les événements décrits dans le supplément et dans sa campagne font directement références à ceux mis en scène dans le scénario en mode Cinéma Le destructeur des mondes. Il est conseillé de faire jouer ce scénario (pas avec les mêmes personnages, en revanche…) aux joueurs avant de se lancer dans la campagne. Le supplément se donne donc aussi pour mission de développer cette timeline et les éclaircissements sur les événements passés, la présentation de projets militaires secrets, des factions qui les portent ou encore des mondes où tout cela se déroule prend des dizaines de pages faisant, en effet, de Marines Coloniaux, aussi, un supplément de background. Cela dit, pour être très honnête, ce background me semble peu utilisable en dehors du cadre de la campagne décrite et l’investissement ne sera vraiment pas rentable pour celui qui veut juste quelques précisions sur ce qui se passe et, à la rigueur, deux/trois caracs de gros guns en plus. Non, vraiment pas.

 

 

En revanche, tout ceci introduit luxueusement la fameuse campagne. Celle-ci est tout à fait enthousiasmante, pas tant dans ces thématiques, pas franchement originales (on joue à quoi déjà ?) que dans son protocole de présentation. Décidément, chez Free League, on sait y faire sur ce plan. La campagne se divise en 7 missions militaires variées. Ces missions peuvent être faites dans n’importe quel ordre. A chaque fois, un des objectifs est d’obtenir des pièces du « méta-puzzle », c’est-à-dire les éléments permettant de recomposer progressivement l’ensemble de l’intrigue et ainsi pouvoir juger si les PJ sont en train de se faire entuber ou pas (je vous laisse deviner…). Un tableau de progression du méta-puzzle permet de savoir quoi révéler aux PJ en fonction de l’avancée de la timeline, indépendamment de la personne ou de l’indice qui vous donne ces infos.

 

 

Et puis, on dit « mission » mais il s’agit bel et bien de vrais gros scénarios présentés de façon non-scriptée, certes, mais avec moult détails qui permettent de s’en sortir sans un travail titanesque : description des enjeux, des forces en présence (PNJ et matos), description des lieux – certains accompagnés de plans façon blueprints – événements possibles, final souhaitable, autres alternatives et, bien sûr, pièces acquises (ou non) pour le méta-puzzle. Tout ceci peut encore être étendu avec des suggestions de missions supplémentaires (à développer par le MJ, toutefois) mais cela devrait déjà vous occuper un bon moment.

Au final, si vous attendiez du mode Campagne des ouvrages de références remplis d’outils, de règles additionnelles ou de tables aléatoires pour construire vos propres intrigues, vous pouvez passer votre chemin. Non, Marines Coloniaux est bien plus classique que cela : c’est une solide campagne écrite et présentée de façon moderne et avec un grand luxe de détails (d’où les 350 pages). Au bilan, que ce soit en mode Cinéma ou en mode Campagne, le Alien de Free League/AAP semble bel et bien devoir devenir, avant tout, un jeu « à scénarios » (un peu comme Tales from the Loop chez les mêmes). On attend donc la suite avec impatience.

Une pensée sur “Le temps béni des colonies [chronique – Marines Coloniaux pour Alien]

  • 25 avril 2022 à 12:55
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    Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, le « vrai » sourcebook sur les Marines c’est le livre de 95 « Aliens: Colonial Marines Technical Manual ».
    C’est en VO, mais c’est une vrai mine d’info (le jdr se base clairement dessus) : matos, tactiques militaires (très bonne section sur les combats spatiaux « réalistes »), hypothèses sur le métabolisme des Xénos,…

    https://avp.fandom.com/wiki/Aliens:_Colonial_Marines_Technical_Manual

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