Analyse de Marvel Multiverse RPG (Playtest Rulebook) : Le retour de la licence Marvel en JDR

Enfin le voilà !! Maintenant que le premier document officiel de ce nouveau jeu de rôle Marvel a été rendu disponible à la vente, nous allons pouvoir regarder un peu de quoi il s’agit exactement. 

L’histoire du jeu de rôle est riche de jeux ayant utilisé la licence des comics Marvel comme cadre. Cependant, ce qui a marqué les esprits en juin 2021 lorsqu’est tombée l’annonce du Marvel Multiverse Roleplaying Game (MMRG), c’est que ce 5eme JdR Marvel de l‘histoire ludique était annoncé comme directement édité par Marvel Entertainment. Pour comprendre en quoi cette nouvelle était marquante laissez moi vous faire un petit point d’historique :

  • 1988 Marvel Super Heroes (édité par TSR) avec le système FASERIP
  • 1998 Marvel Super Heroes Adventure Game (édité par TSR) avec le système SAGA
  • 2003 Marvel Universe (édité directement par Marvel) avec le système ARS
  • 2008 Sortie mondiale du film Iron Man (début du Marvel Cinematic Universe ou MCU)
  • 2012 Marvel Heroic Roleplaying (édité par Margaret Weis Productions) avec le système CORTEX 
  • 2022 Marvel Multiverse Roleplaying Game (édité directement par Marvel) avec le système D616

Vous l’aurez compris, alors que c’est une entreprise aux abois qui avait édité elle-même en 2003 Marvel Universe, c’est aujourd’hui l’une des plus puissantes entreprises de divertissement au monde qui décide de prendre en main la production du JdR exploitant sa si populaire licence. Nous sommes donc face au premier jeu de rôle Marvel à naître dans l’ère de la toute puissance de son MCU qui domine de la tête et des épaules le cinéma mondial. Ce n’est donc certainement pas un hasard si la firme américaine décide de prendre elle-même les choses en main. D’ailleurs vous noterez que ce nouveau jeu de rôle fait directement référence à la notion de Multiverse, une notion très présente actuellement dans le MCU avec son dernier film sorti en salle : Docteur Strange in the Multiverse of Madness.

Le document qui vient de sortir étant uniquement un playtest (donc voué à évoluer selon les retours de la communauté), nous sommes loin d’avoir assez d’éléments pour tirer trop de conclusions. Cependant il semble fortement probable que ce nouveau jeu va venir s’inscrire dans la logique transmédia de Marvel. Le JdR venant donc se placer aux côtés des comics, films et autres séries dans une proposition culturelle coordonnée. La volonté de faire apparaître le terme MARVEL avec les initiales des caractéristiques des personnages et la mise en place d’un système de jeu nommé D616 en référence à la Terre 616 de l’univers des comics, semblent confirmer cette volonté de l’entreprise de marquer fortement son identité et son autorité sur son univers.

D’ailleurs nous pouvons déjà noter que Marvel propose ce document de playtest via Kindle et Amazon (un réseau numérique de littérature classique grand public), et pas du tout par des réseaux habituels du JdR comme DrivethruRPG. Un indice d’une volonté d’approche grand public qui expliquerait la dédicace faite à Gary Gygax et Dave Arneson en première page du document ?

Et bien c’est ce que nous allons voir tout de suite. Regardons donc maintenant ce que la “Maison des idées” a choisi de nous proposer dans cette toute nouvelle proposition de jeu de rôle super-héroïque. Je vais d’abord regarder de près l’équipe qui a été mobilisée pour réaliser ce jeu, puis nous ouvrirons le capot de la bestiole pour voir de quoi elle est faite. 

Cast of characters : L’équipe de choc derrière la conception de MMRG

Sur tout navire il faut un capitaine, et Marvel Entertainment a décidé de confier la direction de son projet à l’auteur Matt Forbeck. Le bonhomme n’est pas un inconnu dans le milieu ludique ayant écrit des fictions dans des univers de JdR pour beaucoup d’éditeurs (Wizards of the Coast, Games Workshop, TSR, White Wolf, Green Ronin, AEG etc …). Mais c’est aussi un auteur de jeu à part entière, il est le créateur de Brave New World et a été contributeur sur Deadlands. Matt Forbeck a participé à de nombreux projets de JdR, mais le plus intéressant par rapport à notre sujet d’aujourd’hui sont ses nombreuses contributions à la gamme Marvel Heroic Roleplaying de Margaret Weis Productions. Marvel Entertainment a donc confié son projet à un auteur ayant largement participé à l’écriture du dernier JdR Marvel à avoir été édité dans les années  précédentes… un choix qui a donc une certaine logique.

Côté visuel, sans surprise Marvel Entertainment a fait appel à des artistes maison. Nous trouvons donc ici Iban Coello (dessinateur) et Jesus Arbutov (coloriste) qui se sont tous les deux illustrés sur des comics Marvel récents. Ils ont par exemple collaboré ensemble sur l’évènement King in Black des comics Venom datant de 2021. Il y a donc fort à parier que l’ouvrage final de MMRG jouira d’une excellente qualité graphique digne des comics.

Le système D616 : Enfant illégitime entre D&D et Mutants and Masterminds ?

Le titre peut paraître provocateur, mais il correspond assez bien à l’identité des mécaniques de règles de ce nouveau jeu Marvel. En effet, à la lecture du document, il apparaît vite comme évident que ce système D616 justifie par ses choix l’hommage appuyé aux créateurs de D&D en introduction du livre.

Nous sommes ici face à un système de règles qui prend à son compte des tropes majeurs des règles classiques de D&D, ce qui pourrait le rendre similaire à une référence du genre qu’est Mutants and Masterminds (M&M) et son itération du D20 system. Mais (malheureusement ?) les choix d’emprunts au plus vieux des JdR ne sont pas les mêmes. Et soyons clairs, personnellement je les trouve quelque peu étonnants (problématiques ?). Voyons un peu cela dans le détail :

Un jeu de superhéros enfermé dans un système strict de niveaux et classes de personnages

Alors que M&M avait choisi de prendre à son compte le moteur D20 de D&D (en le modernisant et en l’épurant) mais avait délibérément fait sauter tout principe de classe et de niveau, MMRG lui fait exactement l’inverse. Le nouveau jeu Marvel invente son propre moteur de jeu (le fameux D616 sur lequel on va revenir) mais il applique cette spécificité sur un cadre contraint de classes de personnages (nommées Archetype) et de niveaux (nommés Ranks). Si vous connaissez les jeux de superhéros ces termes ne vous sembleront pas nouveaux, car ce type de proposition existe souvent dans les jeux du genre, mais contrairement à l’habitude ces notions ne sont ici ni optionnelles ni ouvertes. Nous sommes réellement ici face à des profils fermés imposant des évolutions de score figées par niveau. L’illustration jointe ici d’un tableau d’évolution d’un Archetype vous donnera une image nette de cette rigidité. Comme vous pouvez le voir, le Rank et l’Archetype vont imposer des scores maximums de caractéristiques, des scores de dégâts et de défense très spécifiques.

Cette mécanique contrainte garde aussi un héritage direct des Dons de D&D à travers des avantages particuliers nommés ici Traits, mais plus étonnamment aussi par la structure de développement des pouvoirs. Si les Traits fonctionnent clairement comme des dons de D&D (avec un nombre à choisir augmentant avec le Rank), le fait d’assujettir le développement des pouvoirs à ce point aux Ranks réduit par contre beaucoup la liberté de choix par rapport aux habitudes du genre. En effet, le Rank va déterminer combien de Power Sets (groupe thématique regroupant des pouvoirs comme Cybernetics par exemple) et combien de Powers (les pouvoirs en eux mêmes) un personnage peut avoir. L’illustration ci-dessous du Power Set Cybernetics va vous illustrer la construction contrainte des capacités surhumaines de nos héros.

Nous voilà donc avec un jeu Marvel où nos chers super héros vont devoir systématiquement être définis par un Rank et un Archetype qui imposent les principales capacités de jeu de notre personnage. Et bien sûr, système de niveau oblige, les pouvoirs se retrouvent avec un système de progression par arborescence qui va participer au phénomène classique que ces mécaniques imposent en création de personnages : Pour créer un haut niveau correctement il va falloir se le construire en l’imaginant à partir du niveau 1, et comme nos héros Marvel seront plutôt dotés de niveaux assez élevés cette obligation va faire valoir tout son poids.

Ce choix de proposer aux joueurs moins de choix et d’options variables que dans des jeux classiques du genre, comme M&M, amène potentiellement un effet positif : rendre la création de personnage plus accessible et plus simple pour les joueurs.

Cependant, cet apport potentiel va être largement nuancé par deux points que je vais aborder maintenant : le but dans un jeu Marvel est il vraiment de jouer un super héros original que l’on vient de créer ? Et est ce que le moteur D616 valide par sa propre simplicité la volonté d’accessibilité de la création de personnage ?

On joue les personnages Marvel iconiques ou nos créations ? 

Une chose immédiatement étonnante est la large portion consacrée à la création et l’évolution des personnages dans ce document de travail. Environ ⅓ du livre (une trentaine de pages) couvre la création pure et le système d’évolution des héros. Si vous n’avez pas une culture particulière des principaux jeux de super-héros US cela ne vous choque sûrement pas, mais comme je l’expliquais dans mon article sur la sortie VF de Mutants and Masterminds il y a habituellement deux grandes écoles de JdR super-héroïques : D’un côté les jeux basés sur une licence de comics (Marvel, DC …) où les joueurs sont invités à incarner les héros célèbres de la franchise, et d’un autre côté les jeux basés sur aucun comics existant (Champions, Mutants and Masterminds) où les joueurs sont amenés à créer sur mesure leurs personnages (la part belle au character build).

Hors, ce nouveau JdR Marvel semble être moins tranché dans sa proposition de jeu que cette vieille habitude. Alors oui bien sûr, il à toujours été possible de créer ses propres héros dans les jeux Marvel précédents. Mais soyons clairs, cette notion a toujours été à la marge car la pratique largement majoritaire aux tables utilisant ces jeux a toujours été de piocher dans le répertoire immense de héros et vilains de l’univers des comics pour obtenir PJ et PNJ.

C’est donc assez étonnant de voir ce livre de règles se présenter avec une création de personnage très détaillée et donc très contrainte façon D&D comme je l’expliquais dans la partie précédente. Car dans la pratique ce que les joueurs vont vouloir faire, c’est prendre un héros Marvel et le choisir comme personnage. Cela implique que dans ce nouveau JDR il va falloir déterminer de quel Archetype dépend ce personnage célèbre, évaluer à quel Rank de puissance il devrait se trouver, et ensuite s’attacher à la création puis à la lourde évolution mécanique du héros jusqu’au Rank choisi.

Alors bien sûr, nous pouvons nous attendre à ce que MMRG propose rapidement dans sa gamme de large castings de personnages Marvel tous prêts sortant des comics, mais vu l’importance des effets de Rank ces héros seront-ils fournis en diverses versions ayant des niveaux de puissances différents ?

Bref, vous l’aurez compris, il me semble que toute la logique de création et d’évolution des personnages très “D&D” de ce MMRG ne fait pas la part belle à ce qui fait habituellement le charme d’un jeu de super-héros basé sur une licence. c’est-à-dire le plaisir simple et instantané de choisir un héros des comics que l’on aime et de pouvoir le jouer immédiatement sans trop se poser de questions.

Le moteur de jeu D616 : 3 petits D6 face à d’énormes modificateurs

Si la structure des personnages s’inspire fortement de D&D, le moteur de jeu de MMRG est lui par contre une création originale. Le principe de base est que toute action est réglée par un jet de 3D6 que l’on va additionner à des modificateurs, puis comparer à un niveau difficulté qu’il va falloir égaler et dépasser pour réussir l’action. 

Pour le jet de 3D6, la spécificité du D616 en explique le nom : L’un des trois D6 est en fait particulier, il est nommé Marvel die. Si ce dé spécial donne un 1, ce dé sera considéré comme un 6 et votre jet sera alors un Fantastic roll (réussite exceptionnelle). Si vous faites 6 sur les deux autres dés (616 donc) vous faites alors un Ultra fantastic roll. Si, par contre, vous faites un triple 1 vous obtenez un Botched roll (maladresse).

Pour les modificateurs à appliquer à votre jet, nous les obtenons en additionnant plusieurs facteurs, ce qui donne de belles additions à la création mais pas vraiment de calcul en cours de jeu :

  • Le score de la caractéristique (Ability) qui de base va de 0 à 4 mais peut aller bien plus loin (jusqu’à +20)
  • Le modificateur fixe au jet sous cette Ability apporté par le Rank et l’Archetype qui peut aller de +2 à +19
  • Le modificateur de circonstance déterminé par le meneur, allant de -7 à +7, pour simuler une difficulté de l’action (sachant que la difficulté d’une action est différente selon votre Rank, et peut aller de 8 à 40).

Je ne vais pas aller plus dans les détails car le système n’est que dans une version beta pour le moment, mais sachez donc que chaque Ability est dotée de son propre modificateur pour les actions qui la concerne, mais elle est aussi liée à une valeur de défense qui servira de score à atteindre pour une attaque contre le personnage basée sur cette caractéristique.

Ainsi les héros peuvent attaquer, ou être attaqués sous chacune des caractéristiques du MARVEL :  Might (Puissance), Agility (Agilité), Resilience (Résistance), Vigilance (Vigilance), Ego (Esprit), Logic (Intelligence). Tout passe par ces caractéristiques dans ce système, il n’y a pas de système de compétences.

Petit exemple pratique : Captain America possède un total d’action de +13 en Agility, donc il va faire 3D6+13 pour lancer son bouclier. Si son attaque vise Black Panther, sa difficulté pour toucher sera de 31 (score de défense en Agility de Black Panther). Autant dire qu’il lui faut faire un triple 6 pour toucher ou faire appel à des effets complémentaires.

Vous l’aurez compris avec cet exemple pas vraiment pris au hasard, le système dans sa présentation actuelle semble proposer des effets de score à atteindre et des modificateurs totaux qui laissent peu de poids aux 3D6 du D616 (pour rappel, la moyenne statistique d’une somme de 3D6 est entre 9 et 11). Il y a bien un système d’avantage/désavantage rappelant D&D5 (nommés Edge et Trouble) qui permet de relancer l’un des D6 … mais il ne comble pas en l’état cette faiblesse d’impact du 3D6. Cela laisse l’impression que beaucoup de choses vont passer par les effets du Marvel die, et bien sûr par les effets spécifiques de certains pouvoirs. Mais instinctivement l’idée qui semble se dégager est qu’il va surtout falloir réfléchir à quelle Ability de l’adversaire on veut s’attaquer pour avoir le plus de chance de l’atteindre.

Conclusion : une proposition fort étrange qu’il faudra voir dans sa totalité

Nous devons avant toute chose nous rappeler que ce document du MMRPG est une version incomplète et non définitive. Cependant, la structure de création/évolution des personnages et le fonctionnement du système D616 pour résoudre les actions me laissent très dubitatif.

Visuellement, malgré les superbes illustrations des artistes Marvel officiels, les tableaux assez massifs et les additions à faire qui apparaissent même sur les feuilles de personnages (pourquoi ???) donnent un aspect complexe et lourd à cette proposition ludique. Cependant, je soupçonne qu’à l’usage ce système se révèle moins lourd qu’il n’y paraît, car en fait tous les calculs et choix complexes semblent se concentrer durant la création du personnage.

Mais, même si j’ai envie de laisser le bénéfice du doute à ce Marvel Multiverse Roleplaying Game, il me donne la terrible impression d’être allé chercher maladroitement des références D&D assez grossières et pourtant pas les mieux adaptées à son propos. Un élément d’autant plus criant que ce document se retrouve, hasard du calendrier, pile en face du débarquement en ouvrages physiques de la très attendue VF de Mutants and Masterminds 3eme édition. Et je préfère le dire avec clarté, ce nouveau jeu Marvel fait vraiment pâle figure face au remarquable boulot de Game design de Steve Kenson sur M&M3.

… Espérons que la version finale de ce jeu me donnera tort, car il ne faut pas sous-estimer ce qu’un bon JdR directement soutenu par Marvel Entertainment pourrait apporter à la démocratisation de notre loisir.

3 pensées sur “Analyse de Marvel Multiverse RPG (Playtest Rulebook) : Le retour de la licence Marvel en JDR

  • 3 juin 2022 à 12:55
    Permalink

    De mon côté je m’y suis intéressé également, et il me semble que c’est un ratage total. C’est ultra-lourd, très rigide, bourré de microrègles et avec une logique de base; comme indiqué avec une très faible variabilité mais des modificateurs stratosphériques.
    Dans le meilleur des cas, ça fonctionne à peu au prix d’une pénibilité omniprésente, mais plus vraisemblablement ça ne fonctionne absolument pas.
    On fait un retour en arrière de 20 ans par rapport à ce qui fait le succès du JdR aujourd’hui, DD5 en tête.

    • 3 juin 2022 à 21:31
      Permalink

      Totalement raccord.
      L’article confirme le côté nazbrok qui sourdait des pages montrées en ligne…
      Purée, sérieux, la classe Polymath, c’est littéralement le tiroir du bas. Elle couvre à la fois Spiderman, Iron Man, Captain et Thor??! C’est vrai qu’ils sont tous tellement similaires…

      Excellent article.

    • 4 juin 2022 à 21:39
      Permalink

      A vrai dire j’ai quelques reproches à faire aussi à D&D5 en terme de Game Design, mais oui clairement c’est nettement plus abouti et judicieux que ce Marvel.
      Je garde espoir tout de même que la version définitive fera quelques pas dans le bon sens

Commentaires fermés.