Et encore Un pour les gouverner tous !

Eh, dîtes donc, il va bientôt en aller des jeux pour jouer dans l’univers de Tolkien comme ceux pour faire du Lovecraft à ce compte-là !

Bon, OK, il y a un peu de marge. Surtout que, là aussi, la plupart des gammes concernées sont publiées par Edge (que nous sommes mauvais : la boîte d’initiation de la nouvelle édition de The One Ring sort aujourd’hui même en VF, on vous en parlait pas plus tard que hier !) alors cela laisse le temps de se retourner et de tenter, pour la concurrence, d’occuper le terrain.

C’est justement ce que tente l’éditeur généraliste 404, régulièrement associé au JdR, notamment par le recrutement de ses auteurs de roman ou tentatives de jeux hybrides. Là, on y va franchement vers le vrai JdR (le vrai, le seul, le nôtre, bien entendu 😉 ) puisque c’est ainsi que se présente fièrement cette boîte consacrée à Le Seigneur des anneaux, le jeu de rôle qui vient de sortir dans toutes les bonnes librairies (fouillez en général du côté des escape books et ce genre de choses).

Les logos et photos ne trompent pas : il s’agit là de l’adaptation officielle de la série de films de Peter Jackson pendant que L’Anneau Unique (de chez Edge, donc) ou sa déclinaison 5E (Aventures dans les Terres du Milieu) adaptent officiellement les romans. Et toc.

Ceci expliquant cela, le public cible est plutôt celui des gens peu habitués au JdR et qui voudraient, le temps de quelques soirées, retrouver l’ambiance des films. On se dirige donc vers un jeu d’initiation voire, pourquoi pas, d’auto-initiation. On mettra toutefois quelques bémols à cette dernière ambition.

La boîte est un petit format mais aussi un petit prix (moins de 20 euros). Elle n’en est pas moins remarquablement bien remplie avec un épais livret, un écran du MJ (dont le côté joueurs fait aussi office de carte du monde), des fiches en couleurs recto/verso et même tout un deck de cartes à jouer variées. Peut-être dommage de ne pas avoir été jusqu’à inclure les deux dés à six faces nécessaires mais bon vous pillerez le Monopoly au besoin.

Le système de règles est dédié au jeu et s’en sort très bien en mode : faisons un truc simple et facile à expliquer. En bref, il faut surpasser une Difficulté avec les 2D6. Heureusement, le système est égayé par le choix des variables des PJ. Pas ici de listes de caracs et de compétences interchangeables mais plutôt des talents spéciaux qui changent du tout au tout pour chaque personnage. Ceux-ci sont expliqués sur chaque feuille de PJ et sont donc très faciles à mettre en œuvre. C’est sur eux que repose tout le gameplay du jeu. Par exemple, Merry et Pippin obtiennent un bonus de+2 à toutes leurs actions dès qu’ils agissent conjointement. Gimli a lui son +2 dès qu’il agit là où il y a de la caillasse. Etc. Simple et efficace.

Car oui, on l’aura compris : ici, on ne joue pas dans le contexte du Seigneur des Anneaux. Non, on joue directement dans le Seigneur des Anneaux. Par conséquent, on incarne des membres de la Communauté et on se confronte directement au Balrog, au Mordor, etc. Même pas peur.

L’essentiel du livret – parfois appuyé par les cartes à jouer qui portent des intrigues, énigmes, objets importants, etc. – est donc consacré à quatre scénarios qui reprennent des épisodes clefs du récit de Tolkien.

C’est là où cela devient un peu chelou : on ne joue pas seulement les héros de la Communauté, on joue directement les épisodes de la saga. Certes, c’est présenté comme des développements marginaux des épisodes connus avec des péripéties qui « auraient pu être » afin que quelqu’un qui connait le livre ou le film par cœur puisse quand même éprouver un peu du plaisir de la découverte mais pour la liberté, on repassera. Cela se joue dans l’ordre et avec une fin connue d’avance. Pas la meilleure découverte qui soit de ce qu’est par essence le JdR.

Le dispositif d’auto-initiation ou, à défaut, de jeu à la coule sans préparation, est poussé assez loin au point d’aller à rebours d’un code généralement ancré dans les habitudes de jeu des vieux MJ : là, on ne lit PAS les passages encadrés (qui comprennent des conseils ou des tests à réaliser). Ce qui veut dire que vous pouvez lire à haute-voix tout le reste du scénario. On comprend l’astuce, certes, mais il faut que le MJ soit alors un bon lecteur car sinon bonjour l’ennui ! Contrairement à ce que l’on croit quand on est au pied du mur, il est souvent plus dur de rendre compte autour de la table d’un long passage tout écrit que d’improviser avec ses mots à soi.

Mais la vraie difficulté que pose les choix éditoriaux forts réalisés pour ce Le Seigneur des anneaux, le jeu de rôle reste le fait que l’on joue les membres de la Communauté tout au long du récit. Or, comme on le sait, ces gens-là sont plus nombreux qu’un groupe de JdR habituel (surtout autour d’une table débutante ou il vaut mieux éviter d’avoir 7 ou 8 joueurs…). Qui plus est, cauchemar absolu du MJ débutant, ils ont la fâcheuse habitude de se séparer ou d’être involontairement séparés par les événements auxquels ils participent.

Pour le premier problème, il est suggéré de permettre aux joueurs de se choisir plusieurs personnages. Pour l’immersion dans le jeu de rôle, on a connu plus facile. Pour le second écueil, la « campagne » prévoit des changements de PJ pour certains épisodes : les joueurs sont donc supposés délaisser un temps le PJ auquel ils viennent juste de s’attacher pour endosser un temps un autre personnage. Mouaif. Là aussi, coton pour l’immersion et difficile à assumer pour le MJ éventuellement débutant.

Comme on le voit, il n’y avait guère de bonne solution. La commande de l’éditeur impliquait très certainement la nécessité de joueur les personnages et les événements du Seigneur des Anneaux. Or, cette exigence est peu compatible avec la pratique usuelle du JdR, en particulier quand, en plus, elle s’adresse à des débutants. C’est bien pour cela que tous les autres jeux ayant un jour voulu prendre pour cadre le monde de Tolkien se sont aventurés sur des domaines laissés dans l’ombre par le Maître.

On ajoutera, autre défaut lié à ces radicaux choix de départ, que la rejouabilité est faible voire inexistante.

Au final, on se réjouit bien sûr de la disponibilité d’un authentique JdR à tout petit prix en librairies généralistes. Si cela peut aider quelques Béotiens à franchir le pas vers notre loisir, c’est cool. On espère toutefois que cela ne leur laissera pas une mauvaise image de sa pratique en leur faisant accroire que le JdR ne consiste qu’à essayer de rejouer laborieusement les actes de héros de fiction en suivant un cadre des plus rigides. C’est là, en effet, le défaut le plus évident de cette boîte : la notion de libre-arbitre y est tout de même bien peu présente.

https://www.lisez.com/coffret/le-seigneur-des-anneaux-un-jeu-de-role-officiel-jeu-de-role-tout-public-de-2-a-7-joueurs-a-partir-de-14-ans/9791032405802

Une pensée sur “Et encore Un pour les gouverner tous !

  • 30 septembre 2022 à 10:58
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    J’ai l’impression que cette boîte s’adresse surtout à un public jeune, qui a vu Stranger Things, et n’a aucun problème à jouer une histoire qu’il connaît par cœur (tout comme il prend du plaisir à revoir un film pour la trentième fois). J’y vois une approche un peu JdP dans le JdR (le rôle se fond dans les règles).

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