L’interview du D20 Islayre d’Argolh

Faut-il encore présenter Jean-Baptise alias « Islayre d’Argolh » ? Ancien chroniqueur du podcast anonyme, consultant « expert DD5 » chez Vieux geek, mais surtout auteur de petite pépite chez Chibi. Et c’est justement sur cette dernière casquette, celle d’auteur, que nous avons été poser quelques questions à Islayre d’Argolh pour connaitre son parcours, parler de ses dernières sorties et de ses projets. Bref, pour parler de jeu de rôle.

Le Fix :  Où en est-tu en ce moment ? Notre bien aimé leader Narbeuh t’avait interrogé en 2017 et tu lui avais dit que Coureurs d’Orages n’était que le début d’une gamme complète ? Or, là je te vois traîner avec les Mushmen, sortir des élucubrations pour te faire des millions en profitant de la 5ème édition. Coureurs d’Orages, c’est mort ou bien on va enfin voir Coureur d’Orages dans l’Espace et Coureurs d’Orages vs le Dôme du Tonnerre?

Hello !

Coureurs d’Orages est présentement en hibernation. Un quatrième module, Pax Erynion – concocté par Le Grümph lui-même – finira par arriver sur les présentoirs Chibi, ainsi qu’une édition révisée du jeu, une sorte de CdO 1.5. Ça c’est promis-juré et la question c’est surtout le « quand ? ».

La vérité c’est que le module de LG est rédigé à 90 voire 95%. Il est même joué sur quelques tables de copains ! Si je me concentrais dessus, les textes manquants seraient bouclés en 5-6 heures de travail d’édition, grand maximum.

Mais l’envie n’y est pas. Nous avons eu une grosse déception avec les ventes du dernier module CdO, Sous l’Ombre du mont Yimsha, qui a été boudé par le public alors que nous avions la conviction de proposer quelque chose de vraiment intéressant. Donc il faut bien avouer que l’enthousiasme est retombé… Ça reviendra !

Mais rappelons quand même que les deux livres de scénarios pour le jeu Cœurs Vaillants de LG, la campagne des Ogres de Gel et le recueil Aventures, sont « statés » pour Coureurs d’Orages en annexe et que j’ai filé un (petit) coup de main sur les textes et la structure. Donc pour ceux qui aiment CdO, c’est une option à considérer.

Le Fix :  Ta biographie sur le grog est bien courte. Mais, quand même, tu dis que tu joues depuis l’école primaire. Comment le jeune JB (je peux t’appeler ainsi ? ) est venu au JdR ? Et à quel moment t’es tu dit que tu ne garderais pas tes trucs pour toi et tes joueurs et qu’il fallait que le monde francophone en profite ?

Comme beaucoup de rôlistes de ma génération, il me semble, j’ai juste fait la transition Livres dont vous êtes le Héros => Jeux de rôles, et ce aux alentours du CM1. C’était la période bénie des 6 bouquins Terres de Légendes (Dragon Warriors) disponibles au même format que les LDVELH et de la boite d’initiation de l’Oeil Noir vendue un peu partout.

Pour peu qu’on soit passionné de merveilleux et de récits (super) héroïques, c’était quand même difficile de passer à coté, surtout pour un parisien comme ma pomme. C’était aussi l’époque de Dragon magazine disponible en français et de la boite Heroquest… Bref, il aurait fallu le vouloir pour ne pas finir rôliste !

La transition vers la publication de contenu en mode pro/indé s’est faite toute seule et globalement sans plan de carrière. Je squattais le forum John Doe parce que j’avais eu un coup de foudre pour le dK System premier du nom (c’était ma découverte de l’OGL au d20 en réalité) et, au bout d’un moment et d’une flopée de messages d’intérêt variable, LG m’a proposé de le rejoindre, lui et Yannick « Orlanth » Polchetti, pour bosser sur la deuxième édition.

A partir de là, je ne me suis plus arrêté d’écrire des trucs et je n’ai même pas eu la présence d’esprit de changer de pseudo ! Je suis resté avec mon nom de PJ imprononçable et tout pourrave, Islayre d’Argolh. Pour la petite histoire, c’était celui de mon perso le plus balèze à Morrowind – un barde Dunmer – et le premier truc auquel j’ai pensé en m’inscrivant sur le forum JD. Quand je te disais qu’il n’y avait pas de plan ^^

Au bout de deux-trois projets gratuits, je me suis senti autorisé à réclamer des sous en échange de ma prose… Quelques bonnes âmes ont accepté de payer (merci les gens !) alors c’est, pour ainsi dire, devenu une habitude.

Le Fix :  Quand tu ne joues pas avec un D20, tu joues à quoi ?

En tant que joueur, je dis oui à tout ce que les membres de ma table de jeu proposent. Dernièrement, nous avons fait du Deadlands et je-ne-sais-pas-trop-quel-hack-de-Cthulhu.

En tant que MJ, j’essaie de rentabiliser à mort le boulot de préparation effectué donc, pour le moment, je ne fais jouer que des trucs que je peux publier ensuite : du CdO ou du D&D 5 (ce qui ne réponds donc pas à ta question, j’en ai douloureusement conscience).

Mais si vraiment je veux casser la routine du d20 et me faire plaisir en mode JdR apéro, je dégaine mon cher Abstract Dungeon.

Le Fix :  J’ai beaucoup de questions sur les élucubrations. D’abord est-ce que tu peux m’expliquer pourquoi tu as choisi de commencer par l’Ogre-Mage alors que l’Aboleth vient avant dans l’ordre alphabétique (on sait tous que personne n’a envie de lire des suppléments sur les Aarakocra) ?

Parce que l’Aboleth sent affreusement mauvais de la bouche alors que l’Ogre-Mage prend soin de ses dents (et de son haleine) sur une base quotidienne, lui.

Plus sérieusement, j’ai toujours trouvé que l’Ogre-Mage était un monstre particulièrement stylé : on le croise d’ailleurs de façon mémorable au détour d’un module CdO… C’est un excellent antagoniste, à la fois monstre et PNJ, qui peut remplir nombre de fonctions dans une campagne. C’était vraiment une évidence pour moi de faire mon premier « focus créature 5e » sur lui.

Le Fix :  En parlant des élucubrations, j’imagine que la décision de rédiger les descriptions en anglais n’a pas dû être facile à prendre, je me trompe ? Et pourquoi ne pas avoir directement tapé dans le tout anglais ?

Quand, en 2011, j’ai bossé sur Epique 6, un quasi-clône de D&D 3, ça avait été d’une simplicité enfantine d’obtenir l’autorisation des traducteurs français pour pouvoir utiliser le DRS à ma guise. De mémoire, en deux jours, j’avais reçu le feu vert de tout le monde, notamment Olivier Fanton et Sandy Julien, que je salue au passage.

Autant dire que ça a été la douche froide quand j’ai réalisé que ça allait être beaucoup plus compliqué d’obtenir l’équivalent pour D&D 5 : le premier éditeur que j’ai contacté m’a mis un vent de niveau olympique, malgré de multiples mails.

A partir de là, j’ai décidé, en accord avec LG, de faire ce qu’il fallait pour n’avoir d’autorisation à demander à personne sans pour autant me retrouver dans une zone grise vis à vis de loi. Donc pif, paf, pouf : les profils des monstres et leur blocs de texte technique copiés-collés du SRD restent en anglais.

Pour ce qui est de sortir les Élucubrations dans la langue de Clint Eastwood, figure toi que c’est prévu ! J’ai fait faire une traduction par un professionnel native speaker. J’attends juste que le bestiaire sur lequel j’ai bossé avec les Merry Mushmen fasse un peu parler de lui (pour pouvoir m’en servir comme carte de visite) avant de lancer la machine, probablement via un micro-wdfounding. L’objectif va être modeste : si ça me rembourse le prix de la traduction et si ça paie LG pour le travail de re-mise en page, ça sera déjà très bien.

Mais si ça nous rapporte des centaines de milliers de dollars, on prend aussi.

Le Fix :  Tes élucubrations permettent de donner quelques briques sur un univers de ton cru, est-ce que tu peux expliquer la genèse de cet univers et ses grandes caractéristiques ?

L’idée était surtout de rester fidèle à la philosophie Chibi, à savoir « et avec ça je vous en met un peu plus, c’est cadeau ». Tant qu’à écrire de façon transversale pour les différents dungeonverses (officiels ou éditeurs tiers), autant en profiter pour esquisser notre contexte par toutes petites touches, sans pour autant rendre l’article d’origine « captif » de notre cosmologie.

De même, les enjeux de traduction sont importants dans la démarche : puisque de toute façon nous étions obligés de faire une traduction maison originale pour un certain nombre de termes clés, ça ne coûtait pas plus cher de les faire correspondre à quelque chose de légèrement différent, tout en restant immédiatement reconnaissable : une variation sur un même thème en quelque sorte.

A partir de là, j’ai commencé à réfléchir à un univers donjonnant tout à fait générique mais qui serait ni-tout-à-fait-le-même-ni-tout-à-fait-un-autre. Un point important est la réduction de la « masse » de la cosmologie.

Par exemple, il n’y a que trois espaces physiques distincts (ou « plans ») dans notre Chibi-verse 5e : le monde des mortels et ses deux reflets étranges, chargés de magie, que sont les Landes Sorcières et le Pays Blême qui renvoient bien évidemment au Feywild et au Shadowfell, mondes-concepts aussi passionnants que copyright-és par WotC.

Le monde des mortels est lui-même divisé en trois strates : l’Au-dessus, l’En-Dessous (qui recoupe à la fois l’Underdark et les Enfers, à la façon de la mythologie grecque classique) et la Plaie (qui est aussi bien l’Abysse que les Far Realms, deux aspects du dungeonverse que j’ai toujours trouvés redondants).

Dans le même esprit de simplification, ce Chibi-verse est essentiellement monothéiste : il n’y a qu’une seule divinité authentique, le Tribunal – un dieu-artefact créé par les nains.

Mais ça n’empêche pas de nombreuses Puissances – des demi-dieux comme les seigneurs féeriques ou les nobles génies – de jouer avec le destin des mortels.
Si on accepte cette cosmologie, les personnages-joueurs Clercs seront donc obligatoirement des élus du Tribunal et ce sont les PJ Invocateurs (notre traduction maison pour la classe de Warlock) qui pourront servir les objectifs des Puissances.

Mais bon, tout ça n’a rien de follement original : il y a des propositions dans ce sens dans le guide du maître de la 5e. On peut aussi rappeler qu’on retrouvait déjà un dungeonverse en trois plans dans le D&D 4 light français « Héroïques » et que certains contextes OSR sont basés sur une cosmologie monothéiste.

Le Fix :  Et si tu veux publier un univers, pourquoi ne pas avoir opté directement pour un livre d’univers avec un gros foulancement et plein de bonus ?

Parce que publier un univers n’est absolument pas mon objectif premier. De toute façon, tout le monde l’a déjà fait, y compris en francophonie. Mon objectif principal est d’arriver à intéresser tout le monde, que ce soit les fans des univers 5e officiels, les amoureux du Pangée de BBE ou les adeptes du Eana d’Agate éditions. Donc je saupoudre à toutes petites doses mes concepts, juste ce qu’il faut pour que chaque numéro reste « OGL 5 » générique.

Le Fix :  Personnellement, je regrette que dans cette élucubration initiale, tu ne sortes pas un peu plus du sujet pour donner un peu plus de détails sur l’univers. Est-ce que la forme fanzine telle qu’on peut la trouver déclinée dans Sombre ou dans Wormwood t’intéresse ?

Le truc (et je suis désolé d’insister là dessus) c’est que mon univers maison n’est pas vraiment le sujet des Élucubrations, c’est un plus-produit, si j’ose dire. Un contexte complet, j’en ai déjà écrit un – ma bonne vieille Cité sans Nom – et ce n’est pas forcément un exercice que j’ai envie de renouveler. Je n’ai pas l’âme d’un Tolkien.

De plus, la poursuite des élucubrations n’est pas assurée : il faut qu’on s’y retrouve financièrement, LG comme moi. Pour le moment tout ce qui est acté, c’est l’écriture des trois premiers numéros. Ensuite, on fera un bilan pour voir si ça vaut le coup de continuer encore peu. Autrement dit, les sorties peuvent s’arrêter à n’importe quel moment et je n’ai pas envie de m’engager à quoi que ce soit vis à vis des lecteurs pour ensuite les laisser tomber avec un tableau à moitié brossé. Entamer la description d’un univers complet, c’est un engagement fort.

Le Fix :  Tu ne me sembles pas intéressé par les rétroclones style Swords&Wizardry, Delving Deeper ou Osric pour ne citer que les plus connus et a plutôt basé ton travail sur les versions plus récentes de l’Ancêtre. Du coup j’ai envie de te demander quelle est ton édition préférée de D&D et si tes petits copains du mouvement OSR te jettent des pierres parce que tu ne sembles pas t’intéresser au tableau d’ajustement des armes contre les CA descendantes ?

J’ai coutume de dire que les fans de D&D vivent l’âge d’or du jeu parce que nous avons actuellement en boutique à la fois la 5e (de mon point de vue la meilleure édition proposée par WotC) et Old School Essentials (le clone parfait de la meilleure édition proposée par TSR à savoir BD&D dans sa version B/X). Donc c’est la fête !

Pour ce qui est du jet de pierres, Olivier Revenu, la cheville ouvrière des Merry Mushmen, est d’une redoutable précision et on se prend (gentiment) la tête au moins une fois par semaine sur le sujet OSR vs 5e vs Retrogaming. On le fait même parfois en public pour amuser la galerie.

De façon plus générale, j’ai un peu pris mes distances vis à vis de la sphère OSR parce que je la trouve souvent (pas systématiquement, je préfère le préciser) snob vis à vis de la pratique la plus mainstream, celle de la 5e. Comme s’il y avait une bonne et une mauvaise façon de faire semblant d’être Mordak le Magicien Mordoré tout en se goinfrant de chips.

Dans ma ludothèque, j’ai du Donjon Officiel (TM) et de l’éditeur tiers, du BD&D et de la 3e/4e/5e, des univers OSR indés et des art books Magic the Gathering ou Game of Thrones pour l’inspiration. Tout ça est complémentaire, il ne devrait pas y avoir de chapelle ludique à défendre ni de supériorité à démontrer. L’important c’est de s’amuser.

Le Fix :  Tu es un peu considéré comme le Parrain du d20 francophone, pourtant ton nom ne figure pas parmi les auteurs des quelques gros systèmes D20 francophones, telles que Chroniques Oubliées, Dragons ou Héros et Dragon … Il y a une explication à cela ou c’est simplement que certaines rencontres ne se sont pas faites ?

Très franchement, si tu demandes à dix rôlistes de citer « le parrain du d20 francophone », je pense que tu auras 6 réponses différentes (parce que LG et Kegron auront été cités deux fois) et que je ne serais pas forcément dedans. Mais je ne me plains pas, loin de là : bosser avec Chibi et les Mushmen, ça me convient parfaitement et c’est une situation de rêve à la fois en termes de liberté créative, de compagnonnage et de rémunération.

Est-ce que j’aimerais avoir des jeux en boutique, bien visibles et chroniqués un peu partout ? Oui, évidemment. Mais pour ce faire, il faudrait accepter de grosses contraintes éditoriales et un salaire au signe du niveau du SMIC thaïlandais. Mon ego n’est pas en souffrance à ce point-là ! Mon espace de travail est certes un petit peu à l’ombre, mais il est hyper confortable et je m’estime très chanceux.

Le Fix :  Les foulancements, les sorties se multiplient sans ralentir. Je sais que sur le plan perso, tu es plutôt un adepte de la sobriété. Malgré tout, est-ce qu’il y a des choses que tu attends avec impatience ?

J’essaie d’acheter le moins possible en ce moment vu que ma petite ludothèque est pleine à craquer avec de quoi jouer plusieurs vies. J’en suis au stade où je dois revendre quelque chose si je veux faire de la place pour un nouvel achat. Autant dire que c’est à chaque fois tout à fait cornélien.

Il y a au moins trois sorties 5e officielles sur lesquelles il va m’être difficile de faire l’impasse en 2023 : le bestiaire consacré aux géants, la version étendue du starter set de 2014 et, évidemment, Planescape.

Niveau OSR, le triptyque Dolmenwood qui va être foulancé dans quelques mois risque aussi de me faire dégainer la CB. J’espère sincèrement que cela constituera mes 4 seuls craquages pour l’année à venir !

Le Fix :  Dernière question parce qu’on m’a demandé de travailler dessus à la rédac, mais, si Wizard of The Coast t’embauche comme consultant voire comme chef de projet sur One D&D, tu leurs dis quoi ?

Probablement non : beaucoup trop de pression potentielle, je ferais un burn-out total dans la semaine ! Et puis il faut savoir ne pas atteindre son niveau d’incompétence : je suis pile-poil bien là où je suis en ce moment.

Merci beaucoup pour cet entretien !

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