Macadabre

En l’an de non-grâce 1633, la province de Saint-Voile est en proie à un mal abject qui corrompt tout ce qui est bon et qui amplifie tout ce qui est mauvais. Cette terrible réalité, on la doit à la Comtesse, femme dont la cruauté et la perversité n’ont d’égale que sa beauté.
Saint-Voile est seule, isolée du reste du royaume et la Comtesse y règne en maître.
Pour éviter que ce mal ne se répande, une poignée d’hommes (1 à 12) – Docteurs de métier – sont envoyés sur place pour éradiquer cette damnation au péril de leur vie. Mais ne voyez pas en eux des héros, des élus pétris de valeurs et de grandeur, qui repousseront ce mal par leur simple présence.
Non.
Ces Docteurs sont des parias. Rejetés par l’Église pour des pratiques assimilées à de la sorcellerie ou pris de haut par la couronne parce qu’ils œuvrent au quotidien avec la Mort, porteuse de miasmes mortels.

Vous l’avez deviné, votre personnage est l’un de ces Docteurs.
Bienvenue dans Macadabre.

Qui suis-je ?

Votre personnage est défini par trois caractéristiques (l’âme, le corps et l’esprit), une capacité, quelques compétences (qui, si elles s’appliquent, permettront de lancer 2D6 au lieu de 1D6), un équipement dédié (qui viendra s’ajouter à l’équipement de base), une spécialisation, une aspiration et une réaction au stress.

Viennent s’ajouter à toutes ces données « techniques » d’autres informations qui vous permettront de personnaliser votre personnage et d’orienter votre roleplay : un nom (toujours précédé de « Docteur »), un sexe (intersexué, homme, femme ou transgenre) et un signe particulier (à définir soi-même ou à choisir dans une liste de propositions fournie).
Mais ne vous embêtez pas à réfléchir déjà à votre personnage ou à la manière dont vous allez pouvoir optimiser les différents éléments le constituant. Car ici, tout se décide aléatoirement au D6. C’est donc une fois la phase de création de personnage (rapide) terminée que vous découvrez qui vous êtes.

C’est un choix de conception qui fait sens avec l’univers du jeu. Ici, dès la création vous subissez ce qui vous arrive. Et les possibilités offertes, quelles que soit celles que vous obtiendrez, mettent dans l’ambiance sombre et malsaine du jeu. Et, dernier point positif, et non des moindres : le jeu étant particulièrement mortel, mieux vaux que la création de votre avatar soit rapide.

Docteur Di6dent

Au bon vouloir de la Comtesse

Sur le déroulement de la partie, Macadabre se joue comme Chevalerie et Sodomie – du Marquis – dont il en est un hack. On y retrouve donc la même mécanique de jeu (1D6 sous l’attribut esprit. Un résultat égal ou inférieur est une réussite, sinon, c’est un échec) et les mêmes concepts (jouer debout, dans un espace sombre, matérialiser les « points de vie » par des osselets ou des pièces que l’on garde dans la main). Mais on y retrouve surtout la carte hexagonale que vos PJ devront traverser, et à laquelle ils devront survivre, pour atteindre leur objectif : la Comtesse.

La province à traverser avec, en son centre, la cité de Saint-Voile.

Chaque hexagone comporte un numéro et une description correspondante. Cette dernière fournit des éléments au meneur à la Comtesse pour donner vie à cette portion de carte.
Exemple : « 3.4 : Le long d’un chemin boueux, un enfançon joue avec un hurlevent dont l’aile est gravement déplumée. Le garçon explique l’avoir découvert près du corps d’une femme dans la forêt.
Qui est cette femme? Est-elle morte ? D’où vient le hurlevent ? Où vit le garçon ? »

Une description succincte, suffisante pour planter le décor et lancer quelques mini-intrigues afin de donner vie à la province de Saint-Voile.
Mais si cette dernière suffit pour les joueurs, ce n’est pas le cas pour le meneur. Et c’est le principal reproche que je ferai à Macadabre.
Il manque pour moi des éléments de jeu, tout est là pour proposer un univers sombre, cohérent et une expérience intense aux joueurs, mais le jeu pèche par absence d’éléments à donner au meneur pour qu’il puisse retranscrire au mieux cette expérience.

Un bestiaire ou un chapitre dédié au MJ aurait été le bienvenu pour faciliter l’improvisation ou pour accompagner les meneurs. Pour moi, les jeux à monde ouvert – les « bacs à sable » – sont à destination des joueurs, pas des meneurs. Ce dernier doit avoir assez de matière pour justement préparer l’improvisation.

Pourquoi je n’ai pas ressenti ce manque à la lecture de Chevalerie et Sodomie ? Parce que le propos du jeu n’est pas le même. Le jeu du marquis est plus chaotique. Rien n’a de raison d’être à part la simple volonté du chaos. Yno propose un univers plus travaillé, qui possède une une histoire, un fil rouge en trame de fond. Et en tant que meneur, on se doit de respecter cet univers et les références qui lui permettent d’exister.

Le Marquis face à la Comtesse

Je n’ai pas l’habitude de finir une critique sur un avis négatif et pourtant, je ne sais comment finir ce billet autrement.
Entendons-nous bien : Macadabre est un bon jeu, à la réalisation impeccable : l’univers, son histoire, son esthétique forment un tout cohérent, prometteur et envoûtant (encore plus si vous avez joué à BloodBorne). On a envie d’y plonger, que ce soit en tant que meneur ou en tant que joueur. Et c’est justement à partir de ce moment, celui où l’on doit se lancer, que le jeu révèle ses faiblesses.

Dans les jeux-vidéos Die & Retry dont le jeu s’inspire, il y a – en plus de la frustration et de l’énervement – un intérêt à recommencer : retrouver ses points d’expérience perdus et renaître sans se soucier de l’intrigue ou de la cohésion dans le groupe. Et à force de recommencer, il y a, à un moment ou à un autre, une récompense salutaire (une nouvelle arme, une nouvelle armure, un bonus d’XP ou un objet permettant d’améliorer un équipement existant). Ici, il n’en est rien. Le joueur n’aura pas d’autre récompense que le plaisir d’avancer jusqu’à atteindre l’objectif final.

Et pourtant, je me dis qu’il ne manque pas grand chose. Tout est là, il suffit d’adapter le gameplay pour offrir plus de marge de manœuvre aux joueurs comme au meneur.
Prenons l’exemple de la mort du personnage : le jeu se veut punitif et mortel. Quand un PJ meurt, son joueur peut – selon le bon vouloir de la Comtesse – recréer un personnage (-1pt de corps et sans équipement) ou jouer un allié rencontré au cours de l’aventure.
Le jeu n’utilisant pas de points d’expérience, le Docteur ne perd rien (à part son équipement) et garde même les connaissances acquises des zones déjà visitées grâce aux hurlevents (les corbeaux qui accompagnent les docteurs). Il ne reste pour le joueur que la frustration d’avoir tout perdu et de recommencer avec un avatar diminué.

Il suffit de placer les Hurlevents au centre de la mort (comme dans The Crow).
Exemple : chaque groupe de docteurs doit avoir en son sein un dresseur. À la création, ce dernier possède 1D6+(nombre de joueurs) corbeaux dans une cage (de plus petite taille que les hurlements, donc). Quand un PJ meurt, un de ces corbeaux est utilisé pour le ressusciter sur place ; il doit ensuite attraper le corbeau et le dévorer pour récuperer son savoir (acte que le joueur devra mimer). Je suis conscient que l’on perd le côté « Retry » voulu par l’auteur, mais on gagne en intensité de jeu : on voit ainsi le nombre de corbeaux (sauvegardes) diminuer au fil de l’aventure. Le docteur malchanceux (comme moi) qui consomme trop de corbeaux peut s’attirer le courroux des autres. Et c’est également un levier sur lequel peut agir le meneur pour simplifier, complexifier ou relancer l’intérêt de la partie (« Il y a quelques années de cela, bien avant l’arrivé de la Comtesse, existait [dans tel hexagone – à tirer au hasard en début de jeu] un fermier qui élevait des corbeaux. Nul ne sait ce qu’est devenu son propriétaire ou si cette ferme existe toujours… » L’occasion pour les PJ de récupérer quelques « points de sauvegardes » ?

Le Die & Retry est une mécanique encore difficilement applicable en jeu de rôle. Pour moi, seuls les Livres dont vous êtes le héros y parviennent. À plusieurs joueurs, la mécanique devient plus complexe à adapter.

Dites 33

Au final, je dirais que j’ai adoré l’univers et l’esthétique de Macadabre, mais que je n’ai pas – à mon grand regret – aimé le jeu. Souvent, je passe à côté dans ma ludothèque pour le regarder avec envie ou pour lire quelques passages, puis le reposer.
J’adore Yno. J’ai joué à Patient13 et à Notre Tombeau, j’ai fait jouer La nuit des chasseurs et j’ai lu le reste. Mais j’ai peut être mis trop d’espoir dans Macadabre. Comme si j’avais eu entre les mains le très bon « Syndrome de Babylone » alors que j’avais envie de lire et faire jouer Americana.

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Une pensée sur “Macadabre

  • 7 juillet 2017 à 17:28
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    Les critiques, même nuancées ou relevant des points sombres, ont le droit d’exister, même si parfois c’est jamais drôle de devoir soulever les inconvénients sur un jeu qu’on a envie d’apprécier.
    Merci en tout cas d’avoir relevé ces points gênants, c’est toujours intéressant !

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