à froid : Warsaw


Cet article est originellement paru dans la rubrique « à froid » du Di6dent #1 (paru en 2011)

par Matthieu Carbon


une ville où il fait bon vivre !

Nous sommes en 1964 et la première guerre mondiale ne s’est pas terminée. Au moins, elle n’est plus mondiale et voit s’opposer deux mastodontes : d’un côté le Neureich, enfant monstrueux de l’Empire du Kaiser Guillaume II ; de l’autre le Komingrad, abomination communiste, dirigé du fond de son bocal par un Staline encore plus dément que l’original (si, si, c’est possible !).

Et au milieu ? La Pologne. Ou plutôt ce qu’il en reste puisque ce n’est à présent qu’un immense no man’s land, terrain d’affrontements sanglants, d’expérimentations chimiques et même nucléaires, conquis puis perdu au cours des assauts, contre-attaques et retraites par l’un des deux belligérants.

Au coeur de ces ruines se trouve Varsovie, devenue Warsaw au fil des années de guerre. Avec ses soldats, ses civils pris au piège depuis un demi-siècle, ses espions, ses résistants, ses collabos… Première réussite des auteurs : avoir fabriqué un monde cohérent, qui évite de tomber dans la caricature et le jeu « cool, on est des héros, allons sauver les prisonniers des camps avec nos mitrailleuses lourdes en butant un max de salauds à croix gammée ! ». Ici, l’idée de guerre est exploitée jusqu’à la lie, avec des dictatures qui tirent parti de la situation, et qui refont l’histoire à leur sauce : la paix ? qu’est-ce que c’est ?

Alors, vous l’aurez compris, on est très loin de Disneyland. Et encore, je ne vous ai pas parlé des Stakhanov, ces soldats morts-vivants du Komingrad aux capacités physiques surhumaines, créés par des savants fous à l’aide du Krov, un fluide noirâtre qui les maintient en vie. Ni des Uberm, soldats d’élite du Neureich qui possèdent des pouvoirs psychiques, suite à des retombées radioactives. Ou encore de la Metall Pest, maladie très contagieuse, qui vous transforme en statue de fer dans d’atroces souffrances. Plaisant, n’est-ce pas ?

Le background représente 60 des 120 pages du livret de jeu, suffisant pour jeter des bases solides à ce monde original et sombre. Mais je suis tout de même resté sur ma faim concernant la description de Warsaw proprement dite. Le parti pris a, semble-t-il, été de dépeindre la ville de manière grossière, sans trop entrer dans les détails, de manière à ce que chacun puisse se l’approprier. Louable vision, mais les contreparties sont l’immersion moindre à la lecture et le boulot que devra accomplir le MJ. Par contre, on retrouve ici l’excellente idée déjà aperçue dans Hellywood : le background narré sous forme de reportage par un personnage, ici George Orwell himself.

jouer un panzer, c’est possible ?

Après une telle lecture, vous êtes impatients de créer votre personnage et de foncer sauver le monde, tel un Brad Pitt polonais ? Et bien déjà, calmez-vous un peu ! Je dis ça pour votre bien, parce qu’on est très loin du jeu de super-héros. Et dans Warsaw, la discrétion sera sûrement votre meilleure arme.

La création de personnage est des plus classiques. On commence par choisir une carrière (médecin, soldat, Stakhanov…), qui vous donne des modificateurs de caractéristiques, de compétences, mais également de faction ; j’y reviendrai plus loin. Ensuite vient la sempiternelle phase de répartition de points : achat des points de caractéristiques, de compétences… Seule nouveauté à ce stade, des « Packs de vécu »  que le joueur peut acheter avec ses points de création et qui donne, en plus d’un historique (comme « Hanté », ou « Mercenaire »), des bonus intéressants car très rentables. Je passe sous silence les caractéristiques et les compétences, très classiques, et qui couvrent tout ce qu’il faut pour survivre dans Warsaw.

Abordons à présent LA bonne idée du système de création : les factions. À l’instar d’autres très bons jeux, comme le regretté Ars Magica, Warsaw propose de gérer les personnages en tant qu’équipe, au travers de leur faction. Ainsi, pendant la création de leur personnage, chaque joueur contribue à la création de la faction via des bonus/malus apportés par leur carrière ou leur pack de vécu, mais également via la possibilité d’investir des points personnels. Chaque faction est définie par son Infrastructure, ses Installations, ses Troupes, ses Ressources, ses Contacts et ses Fonds. Chaque point investi peut se révéler indispensable lors d’un scénario, la survie dans cet enfer étant l’élément essentiel du jeu. Alors, sans même s’en rendre compte, les joueurs vont d’ores et déjà se serrer les coudes, dès la création de persos. Une idée comme on voudrait en voir plus souvent…

warsaw2

l’art de la guerre

Et côté règles ? Un système original, à base de dés à 6 faces, qui remplit pleinement un objectif malheureusement trop souvent oublié : coller au background !

La technique de base est simple et éprouvée : la somme d’une Caractéristique et d’une Compétence donne le nombre de D6 à lancer, soit face à une difficulté, soit en opposition. Voilà en une phrase les règles des scènes basiques. Car chaque scène possède un indice de tension (allez donc jeter un oeil à notre superbe scénario, quelques pages plus loin !) ; et quand le stress et le danger augmentent, résoudre une action devient bien plus excitant, et dangereux !

Un exemple vaut mieux qu’un long discours, paraît-il. Ok, vous l’aurez cherché…

Stanislas, un ex-soldat du Komingrad, recyclé en contrebandier, transporte deux jerricans d’essence d’une planque à une autre. Alors qu’il se faufile dans les ruelles obscures de Warsaw, il entend une patrouille toute proche. Sa seule solution est alors cette porte de service située à quelques mètres de lui ; malheureusement, elle est fermée ! Allez donc trouver une porte ouverte à Warsaw, ma bonne dame…

Bref, avec une Caractéristique Agilité de 3 et une Compétence Crochetage de 2, Stanislas pourrait lancer 5D6 contre la difficulté moyenne de 10. Mais comme il s’agit d’une scène de tension, chaque 1 obtenu par un dé ferait baisser sa Caractéristique Agilité de un, le temps de la scène. Dangereux, surtout qu’il lui reste un bon bout de chemin avant d’arriver à destination… Il peut alors choisir de ne pas utiliser tous ses dés d’Agilité, ce nombre représentant le maximum de points qu’il pourrait perdre ; en utilisant un seul dé d’agilité, il ne peut perdre au maximum qu’un point, même s’il obtient plusieurs 1. De plus, chaque dé de Compétence économisé permet d’annuler un éventuel 1.

Finalement, Stanislas lance 4 dés et obtient : 5, 1, 3 et 3. Le score de 12 est suffisant pour crocheter la porte et le dé économisé annule le 1 qui aurait normalement affaibli son Agilité.

On voit sur cet exemple la gestion nécessaire des joueurs lors des scènes importantes. Les bourrins ne font pas long feu à Warsaw, d’autant que le système de blessures/soins n’est pas fait pour les pieds-tendres. À l’usage, j’ai tout de même décelé un défaut à ce système : au bout de quelques séances, les joueurs prennent beaucoup de temps avant de se décider, chaque jet étant susceptible d’entraîner des conséquences désastreuses par la suite. Cela a tendance à ralentir le jeu aux moments où, souvent, tout devrait se jouer en quelques secondes. Avec l’accord de mes joueurs, j’ai instauré un temps limite de 20 secondes pour décider d’une action lors d’une scène de tension. Et c’est le pied ! Saupoudrez le tout avec des règles de stress, d’adrénaline, de folie et les quelques règles spéciales spécifiques aux Stakhanov et Uberm, et vous obtenez un système bien huilé, qui favorise l’ambiance stressante et oppressante de Warsaw.

l’addition, svp !

Background intéressant, système qui va bien : Warsaw a-t-il de réels défauts ? Le scénario tout d’abord qui, en plus d’être unique, demande beaucoup de boulot de préparation au MJ et qui n’insiste pas assez à mon goût sur l’aspect quotidien et usant de la guerre. Le synopsis de campagne, expédié en deux pages format A5, est également loin d’être suffisant, même s’il jette quelques bonnes idées. En définitive, Warsaw est un peu frustrant. Ce jeu est excellent ; les quelques parties que j’ai pu mener ont mis en relief l’ambiance désespérée et solidaire de ce monde. Mais du coup, on en vient à regretter la description un peu floue de Warsaw et surtout l’absence d’une campagne détaillée.

Alors, mister John Doe, à quand une version collector ? Ce jeu en vaudrait la chandelle…