Fabien Fernandez ressuscite le JdR

En tout cas, il essaye, hein. Fabien commence à être bien connu de nos services mais, là, cette rentrée 2017 est marquée par une fâcheuse tendance au stakhanovisme. Courant septembre, le Matagot sortait D-Start, le jeu d’initiation. Signé Fabien. Là, les XII Singes mènent un foulancement pour un copieux suivi dédié à Necropolice. Paf, encore signé Fabien. Il allait bien falloir qu’il s’explique. Entretien.

1. Publier D-Start, c’est un plan à long terme pour créer une nouvelle génération de rôlistes qui plus tard achèteront tes prochains jeux, c’est bien ça ?

Oui, c’est exactement ça. Je ne fais jamais rien sans calculer les retombées 10 ans à l’avance. Sinon, plus Shakespeariennement parlant (ça se dit ?), D-Start est apparu suite à un coup de backstab. Un directeur éditorial Jeunesse m’avait commandé un jeu de rôle pour que ça soit adaptable à chaque roman de sa collection et ainsi en faire la promo en jouant avec des ados. Sauf que le type n’en avait jamais parlé à l’éditrice en chef et après plus d’un an de travail dessus, je me suis retrouvé avec un jeu de rôles sur les bras : drame et vengeance ça ne pouvait pas se terminer ainsi ! Je me suis alors dis qu’il fallait en tirer du positif. J’ai retravaillé mon jeu et j’ai été le proposé aux éditeurs. Matagot m’a dit « oui » et nous avons travaillé à améliorer D-Start.

2. Pfff, un scénario en une heure ? T’es un rapide, toi. Le JdR, c’est comme le sexe : pour avoir du plaisir, ‘faut prendre son temps, non ?

Oui, mais 1’heure de sexe intensif, c’est déjà pas mal non ? Toujours est-il que la durée c’est entre une heure et une heure trente (je parle d’une partie de D-Start, là). Et évidemment que ça peut se prolonger (comme le sexe ?), ça dépend des joueurs et du meneur. Mais la mécanique du jeu fait qu’on reste sur ce créneau. La raison en est tout simplement qu’un des arguments repoussoirs pour ne pas essayer le JdR est souvent : « j’ai pas le temps ». Or, ce temps est souvent relatif, car ces mêmes personnes peuvent se mettre autour d’un jeu de plateau ou d’un film pour une durée entre une et deux heures…

3. Moi, ce qui m’a toujours plu dans le JdR, c’est développer mon PJ épisode après épisode. Du coup, ton jeu-là, c’est pas pour moi, pas vrai ?

Si. En fait, le truc c’est que je ne m’adresse pas prioritairement à toi avec D-Start car c’est pour découvrir le JdR et toi, si tu aimes les longues campagnes pour étaler des xp comme du beurre sur ta fiche de PJ, tu connais déjà le JdR. Du coup, tu vas prendre ton ticket et te mettre au bout de la file d’attente pour jouer. Plus sérieusement, les parties sont en effet des one shot, mais il est tout à fait envisageable de faire évoluer son personnage sur un ou deux scénarios supplémentaires. Plus de parties, honnêtement, ça ne rime à rien car ça veut dire que tu aimes le JdR et que tu vas en trouver un pour t’y plonger pendant des années. Je pourrais alors te soumettre quelques pistes, comme Necropolice, Project Pelican et allez, soyons fou, le Star Wars de chez Edge.

4. Les dés blancs de D-Start, au final, c’est pile ou face. Le Matagot avait besoin d’écouler un stock de dés spéciaux ou bien ?

Non, en fait c’est même le paradoxe de cette histoire car le jeu devait sortir il y a un an, mais le temps de faire les dés à mis du retard au planning. Par ailleurs, on pourrait se dire que c’est en effet Pile ou Face. Du coup, il suffirait de jeter une volée de pièces en l’air… ou sélectionner sur un dé pair ou impair. Toutefois, Matagot s’est dit que l’on parlait vraiment à des novices et déjà l’option pair/ impair, on pourrait perdre des joueuses/eurs. Et comme il fallait les dés spéciaux, on en a fait aussi des blancs avec un point pour le succès et rien…quand il ne se passe rien.

5. Le coup du méta-dé de blessure qui donne indifféremment selon le jet deux échecs ou deux succès… c’est inspiré de ta dernière cuite, non ?

Ah ah ah, en fait comme je ne picole pas en quantité mais en qualité (je suis auteur, de fait je ne consomme que du luxe : je suis preneur du cadeau d’une bonne bouteille de whisky bien tourbé… si vous voulez mon adresse) ça ne peut pas être ça. L’idée est de se dire qu’en période de stress, on accomplit des choses hors du commun, ou on se plante lamentablement. Au lieu d’entrer dans un système un peu usé d’échec/réussite critique, je m’en suis remis au hasard et ça permet de booster un peu les parties. On en gagne un toutes les demi heures, plus un à chaque événement stressant (comme un combat par exemple) ou dans des circonstances spécifiques au scénario : par exemple, dans L’école des mages, le règlement de l’école interdit de lancer des sorts, de fait, à chaque sort lancé on gagne un Méta-dé. Cela permet aussi dans cet exemple de relativiser le coût de la magie.

6. Parlons de Necropolice. Avec Necromundo, le jeu, sorti en 2012, revient d’entre les morts. C’est pour être raccord avec le thème du jeu, c’est ça ?

Non, c’est parce que vous n’avez rien suivi. Avant Necromundo, il y a eut le supplément NecroStories et sont anthologie parue chez Rivière Blanche. Et il y a eu ensuite Necroculto et aussi des scénars gratuits en ligne sur le site de l’éditeur. Du coup, Necromundo est la suite logique pour clôturer la gamme.

7. Donc, on est d’accord : après Necromundo, le jeu est mort, c’est ça ?

Je pense qu’il n’est pas mort, ça dépend des joueurs car avec le nombre de settings proposés, il y a de quoi jouer pendant longtemps. Et puis, il y a la presse rôlistique comme JDR Mag où des membres de la team et moi-même pourrions alimenter encore le jeu. En tout cas, chez les Singes, c’est officiellement le dernier supplément pour ce jeu paru dans la collection Intégrales… qui ne devait donc à l’origine pas avoir de suivi. Je profite d’être sur la scène de l’école des fans pour remercier des gens, si vous permettez. D’abord, la team d’origine, c’est-à-dire Charlotte Bousquet, Sandy Julien et Benoit Attinost. Pour cette suite de supplément, c’est Guylène LeMignot qui me fait l’honneur de nous rejoindre et avec Guylène c’est presque un exploit d’arriver à boucler ce sujet quand on voit nos autres projets communs qui ont pris l’eau. C’est un vrai plaisir de bosser avec des personnes aussi talentueuses et positives et j’espère pouvoir le refaire à l’avenir. Et puis il y a aussi les auteurs des nouvelles qui m’ont fait plaisir en participant à l’anthologie NecroStories (c’était à une époque où Mayhar et Sandy étaient encore un peu disponibles). Une expérience très intéressante pour prolonger cet univers en laissant les clés de sa maison à des autrices/eurs pour qu’elles/ils refassent la déco. Et enfin, merci aux Singes d’avoir soutenu la gamme toute ces années… et à Rivière Blanche pour leur ouverture d’esprit.

Bon, ça y est, tout le monde chiale, on peut continuer.

8. Cette série de suppléments explore des lieux aussi… euh… horribles que Rome, Prague, l’Écosse… OK, toi, tu as eu l’idée de te faire payer des frais de voyage par les XII Singes, pas vrai ?

J’ai failli leur proposer mais malgré mon badge « auteur » ils auraient refusés. Faut dire qu’ils m’ont déjà offert une Ferrarri, une villa au Portugal, un rorbu tout équipé sur les îles Lofoten…ça aurait peut-être été un peu abusé, non ? En réalité, c’est plus en visitant ces lieux (j’optimise mes voyages pour écrire des JdR ou mes romans), qu’on s’est dit qu’il fallait en faire des choses. Rome et Prague sont fort d’histoire et d’occultisme, s’y promener c’est voyager dans le temps (purée, c’est beau ce que je dis, parfois…) et l’Écosse, c’est Guylène qui a fait le déplacement pour nous proposer un setting de fantômes dans les châteaux en ruines, mais surtout, loin de ces clichés, un setting social sur la pauvreté locale…

9. On aura donc sûr ces trois lieux européens plus Tokyo. Par contre, pour avoir celui sur le Maroc, ‘faudra raquer lors du CF. Hin, hin, comme par hasard. Tu es prêt à te faire traiter de « sale colonialiste refusant la déconstruction » sur les réseaux sociaux ?

C’est à peu près ça. Le crowdfunding s’est presque imposé pour sortir ce petit package de settings. J’aime bien les CF, mais pas pour y coller des goodies pour se laver les dents avec une brosse-sabre-laser-rose ou pledger pour décrocher le palier « rouleau de PQ orné de son logo elfico-licorne ». Pour moi, un CF doit être porteur de projet, pas un magasin de farces et attrapes. Quand on en a discuté avec les Singes, j’ai dis ce que j’en pensais et ce qui est bien est qu’ils pensent comme moi sur ce point. On aura donc les settings de base (Rome, Prague, Tokyo, Écosse) et on verra ensuit si les gens sont plus intéressés pour du matériel. C’est-à-dire qu’avant le Maroc, il y aura des ajouts en scénars, PNJ, etc… sur l’existant. Ensuite, en effet, il y a le Maroc car on s’est dit que si les joueurs étaient très motivés, ça fait parti des endroits peu exploités en JdR pour que ça soit exploitable en priorité pour Necropolice/Necromundo mais pourquoi pas aussi comme base pour d’autres JdR à destination des joueurs qui préfèrent bricoler leurs univers. En plus, pour ne rien gâcher, ça sera Charlotte en maîtresse d’œuvre sur le Maroc vu qu’elle s’y rend depuis des années. D’ailleurs, je peux même vous dire qu’on a éventuellement deux cartouches supplémentaires si tout explose sur le CF.

10. Je résume. Récemment, tu as publié ou vas publier pour Matagot, Les XII Singes, Agate, Sycko, Les Sombres Projets… Laisse-moi deviner : ta classe de perso préférée, c’est mercenaire, non ?

Presque. Dans la mesure où mes publications Sycko, Les Sombres Projets et Agate ne sont pas encore sorties. Et en effet, depuis un peu plus d’un an, j’ai fait le mercenaire. Je voulais découvrir par moi-même les éditeurs. Dans le milieu, tout le monde a son avis et je voulais ma propre expérience relationnelle et pro avec certains. Dans l’ensemble, ça n’a plutôt pas trop mal fonctionné. On ne s’est pas entendu sur tout, je sais que je ne retravaillerais probablement pas avec certains, car parfois, on bosse différemment. Pour ne pas faire mon type mystérieux façon post alléchant-secret sur Facebook en quête de likes, je ne donnerais qu’un exemple qui n’est pas dans cette liste : Happy Games Factory, pour qui j’ai bossé sur l’univers adaptée d’Eden. On travaille de manière trop différente pour que je refasse un truc avec eux. Pour le côté positif, de toute manière ce sont toujours de bonnes expériences car j’ai appris énormément des uns et des autres par leur approche du JdR ou du jeu en général. Et d’ailleurs, si je peux me permettre, tu as aussi oublié le Labo de Bob pour qui j’ai fait quelques illus. En résumé, j’ai pu me faire mon tri, par rapport à mes attentes professionnelles et j’ai encore d’autres éditeurs que j’aimerais « essayer ».

Pour le reste, je raconte ma vie sur mon blog. Je vous souhaiterais donc bon jeu, bonne lecture, et longue vie au Fix, qui se moque de ma nécromancie mais qui vient quand même de sortir d’une longue torpeur.