Mythic Battles : Author

On ne va pas se mentir : ici, on aime beaucoup le travail de Romain d’Huissier. C’est pourquoi nous sommes toujours impatients à l’idée de l’interviewer sur ces créations – rôlistes ou pas – et sur ses projets à venir. Et si vous ne connaissez pas encore cet auteur, au C.V. pourtant déjà bien fourni, dites-vous qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire.

1. On te connaît surtout pour ta culture comics et ton amour pour l’Asie. Comment s’est passé l’appropriation de la mythologie grecque et de l’univers de Mythic Battles : Pantheon ? Est-ce que ton travail sur New York Gigant a joué un rôle sur ce projet ?

Alors il faut savoir que je me passionne en réalité pour toutes les mythologies, pour le concept même de mythologie en fait. D’ailleurs, à notre époque, Star Wars ou les super-héros peuvent en être considérés comme les avatars modernes – ils comblent un besoin que la religion peine à satisfaire, à savoir le besoin de merveilleux qui colore de magie le monde.

Du coup, la mythologie grecque (sans doute la plus connue sous nos latitudes) est un domaine que je connais bien – même s’il m’a tout de même fallu me replonger dans quelques grands classiques ou analyses plus récentes de tout ce corpus. New York Gigant était plutôt parti d’une envie de refaire Scion – en réussi. Je n’avais pas poussé très loin la profondeur mythologique, me contentant d’une certaine superficialité empruntée à Saint Seiya (ce décor de jeu étant finalement un mélange comics / shonen).

Alors que pour Mythic Battles : Pantheon, j’ai vraiment approfondi sur la mythologie grecque : de quelle philosophie découle-t-elle, quelle vision du monde traduit-elle, quel sens donne-t-elle à la pensée grecque de l’époque… Cela peut sembler paradoxal, étant donné que le jeu de rôle dérive d’un jeu de plateau centré à 100% sur le combat mais justement : pour produire un univers ludique intéressant à partir de cette base ténue, il fallait que je remonte à la source et que je trouve des justifications crédibles à la situation initiale (réveil des Titans, grand Cataclysme, ère quasi post-apo…).

Par contre : oui, je suppose que c’est tout de même le travail sur New York Gigant (ainsi que ma collaboration régulière à Casus Belli) qui a donné à l’idée à BBE de me confier Mythic Battles : Pantheon.

2. Quelle a été ta liberté de création pour le jeu ? As-tu pu enrichir l’univers avec tes propres idées ?

La liberté était plus ou moins totale, tant que je respectais la prémisse du jeu de plateau et que je reprenais la base de ses règles pour le développer en un système de jeu de rôle complet. Mais sur le background, j’ai pu aller dans le sens où je l’entendais.

C’est ainsi que j’ai créé le Dernier-né, ce dieu qui déclenche une prophétie (dont on trouve diverses versions dans la mythologie – délivrée soit par Ouranos, soit par Métis) promettant à Zeus d’être un jour détrôné par son fils, comme lui-même détrôna Cronos. C’est d’ailleurs à cause de cette prédiction que le roi des dieux dévore la mère d’Athéna – croyant que celle-ci sera le fameux fils.

Concernant la description de la Grèce en cette époque tourmentée, j’ai tout créé : les cités et leurs ambitions, les diverses régions, le royaume centaure, les Amazones et leurs projets, etc. De même pour les dieux, j’ai brodé à partir des quelques éléments du jeu de plateau – inventant quand je devais leurs desseins, qui impulsent la dynamique politique de l’univers du jeu.

Bien qu’il soit évidemment connecté au jeu de plateau par son design général et son univers de base, Mythic Battles : Pantheon est un jeu de Romain d’Huissier et je le revendique complètement comme un élément de ma ludographie. J’en suis même très fier car j’ai pu y traiter de thèmes qui me sont chers (la mythologie, l’héroïsme…).

3. Certains disent pourtant que le jeu de rôle Mythic Battles : Pantheon n’est qu’un simple strech goal du foulancement du jeu de ‘gurines. Quel est ton ressenti sur le sujet ?

J’ai lu ça sur un forum, en effet – de la part de gens qui n’imaginent pas ce que c’est que de développer un jeu de cette taille. Cela ne parlera sans doute pas à grand-monde mais Mythic Battles : Pantheon représente 700.000 signes d’écriture. Derrière ce chiffre, on parle de plus d’un an de travail, de longues recherches et lectures sur le sujet, de réflexions sur le game design, de tests, de relectures et corrections, etc. C’est un travail titanesque (le mot est adapté), d’autant que j’étais seul à la rédaction – même si soutenu et accompagné par Léonidas Vesperini et mon éditeur Thomas Berjoan.

On ne se lance pas dans un chantier d’une telle ampleur juste pour répondre à une commande et livrer un produit sans âme. En tant qu’auteur et quel que soit le domaine (jeu de rôle, roman, nouvelle, article…), je m’investis totalement dans ce que j’écris et je ne traite jamais un projet par-dessus la jambe au prétexte de son origine. Après tout, c’est loin d’être ma première adaptation : La Brigade chimérique et Hexagon Universe partent eux aussi d’un univers préexistant – je les ai écrits (ainsi que mes collaborateurs) avec une grande passion. Car il y a toujours un angle personnel à trouver et traiter dans ces œuvres, on se les approprie et on finit même par considérer qu’elles nous appartiennent un peu…

Nanti de la confiance totale de deux éditeurs aussi importants que BBE et Mythic Games sur un projet initial ayant rassemblé plus de deux millions de dollars, comment aurais-je pu ne pas m’investir à fond dans Mythic Battles : Pantheon ? Penser le contraire, c’est vraiment ne pas connaître le fonctionnement de l’esprit d’un auteur et ça en dit long sur ceux qui émettent ce genre de jugements lapidaires, bien planqués derrière l’anonymat d’internet.

Attention cependant à ne pas mal interpréter : il est tout à fait possible de ne pas apprécier ce jeu pour un tas de bonnes raisons (comme pour toute autre de mes productions, d’ailleurs) et de le critiquer pour ce qu’il est. Mais présupposer de mon investissement et de mon honnêteté dans son écriture : ça, je ne le tolère pas. En tant qu’auteur, on n’a souvent pas grand-chose à faire valoir (tant la subjectivité peut jouer) mais mon intégrité et mon implication dans mon travail ne sont pas à mettre en doute – jamais.

4. Y a-t-il des suppléments en prévision ?

Question compliquée pour le moment.

Il y a peu, Monolith et Mythic Games ont annoncé cesser leur collaboration sur Mythic Battles : Pantheon et c’est Monolith qui en récupère le développement futur. J’imagine qu’au niveau contractuel, cela va changer certaines choses pour BBE et le suivi du jeu de rôle.

Pour le moment, je n’en sais pas plus. Stay tuned, comme on dit.

5. Si rien n’est prévu dans l’immédiat côté jeu de rôle, est-ce que le matériel (scénarios, figurines) publié pour le jeu de figurines peut être recyclé ou les deux jeux sont-ils indépendants ?

Les scénarios et campagnes du jeu de plateau fournissent une bonne base pour le jeu de rôle – avec un peu de travail, un meneur de jeu peut en tirer de nombreuses aventures voire de longues sagas. Après tout, nous sommes dans le même univers et toutes les idées sont bonnes à prendre, d’autant que celles du jeu de plateau impliquent directement les dieux et s’avèrent donc très épiques !

Le jeu de rôle a été conçu de façon à ne pas nécessiter les figurines mais elles peuvent agrémenter la table. Si les joueurs incarnent des héros connus comme Ulysse, Persée ou Jason : nul doute qu’ils adoreront avoir les figurines de ces personnages sous les yeux – surtout au vu de l’excellent travail des illustrateurs et sculpteurs leur ayant donné vie. De même, le meneur de jeu peut se régaler à poser devant les joueurs les créatures que leurs personnages affrontent – mettre une Hydre de Lerne face à quelques héros concrétise directement le danger que représente ce monstre colossal ! Et ne parlons pas des dieux et des Titans… D’ailleurs, l’art book offert avec le jeu de plateau fait un excellent supplément d’ambiance pour le jeu de rôle.

Sinon, je signale qu’il y aura un scénario pour Mythic Battles : Pantheon dans Casus Belli #25 – et il est probable qu’il ne s’agira pas du dernier texte pour ce jeu à paraître dans le magazine.

6. Un tel projet sur le CV a du t’ouvrir des portes pour la suite ! Où en est l’adaptation du projet qui te tient à cœur, celle de tes Chroniques de l’Étrange ?

Bah, ce projet ne m’a pas plus ouvert de portes que Qin ou La Brigade chimérique en leur temps. J’en parlais déjà dans une précédente interview pour le Fix l’an dernier : dans ce milieu, un auteur redémarre quasiment à zéro après chaque projet (j’exagère à peine, il faut continuer encore et encore à faire ses preuves).

Donc l’adaptation des Chroniques de l’Étrange en est au même point qu’à l’époque : nulle part. Le projet ne semble pas vraiment accrocher les éditeurs – en tout cas, pas suffisamment pour qu’ils acceptent de lui donner le format que je souhaiterais. Cela changera peut-être quand la trilogie sera complète et disponible en poche… Pour le moment, j’ai mis tout ça de côté.

7. Pourquoi ne pas passer tout simplement par une souscription ?

Parce que je suis incapable de gérer ça.

Cela impliquerait que je crée ma structure (et même fonder une association pour ça, c’est du travail), que je recrute illustrateurs / maquettistes / relecteurs, que j’anime une campagne de financement participatif (ce qui est extrêmement chronophage), que je traite avec un imprimeur, que je fasse les envois, que j’assure le service après-vente…

Impossible pour moi : je suis un simple auteur – et c’est hélas tout ce que je sais faire. Si je dois en parallèle (sachant que j’ai aussi un travail de la vraie vie et une famille avec laquelle j’aime passer de bons moments) gérer une souscription (et surtout apprendre à le faire), je n’aurais plus de temps pour produire. Or c’est tout ce qui m’intéresse : la création. Le reste, il y a des gens très bien qui le font – on appelle même ça des éditeurs.

8. Ouais, bof, ce qui compte pour une souscription, c’est surtout des visuels qui claquent, non ?

Ouais mais justement ! Ces visuels, ils sont produits par des illustrateurs dont le niveau implique une certaine rémunération.
Si tu veux ces dessins qui claquent pour appâter le chaland, ils doivent être réalisés avant la souscription – et donc avant d’avoir l’argent. Il faut avancer les sous pour rémunérer ces artistes et je n’ai pas une telle trésorerie en tant que particulier.

9. Bon. Revenons sur du concret, alors. Tant que nous en sommes à parler des Chroniques de l’Étrange, as-tu des bonnes nouvelles à nous donner sur la sortie du troisième et dernier tome ?

Les Gardiens célestes devrait enfin sortir en octobre / novembre de cette année, en même temps que les 81 Frères et la Résurrection du Dragon paraîtront en poche chez Folio SF. Cela fera une belle actualité pour cette trilogie fin 2018 ! Qui sait, ça va peut-être convaincre un éditeur de jeu de rôle du potentiel de cette saga d’urban fantasy

Après ça, j’arrête d’embêter ce pauvre Johnny Kwan pour réfléchir à de nouveaux projets littéraires.

10. Où en est le G.E.A.R en 2018 ? Quel bilan en tires-tu ?

Ouhlà, tu me rappelles son existence !

Pas vraiment de bilan à son sujet, disons que ce n’est pas évident de faire vivre cette petite équipe sur le long terme. Chaque membre a sa vie et ses projets – et puis j’ai l’impression qu’on a couvert l’essentiel avec nos articles sur la juste rémunération des acteurs du milieu, la contractualisation, etc.

Après, est-ce que ça a permis une prise de conscience, même à petite échelle ? Je ne sais pas mais quand je vois que certains éditeurs connus pour leurs pratiques scandaleuses trouvent encore et toujours des auteurs ou dessinateurs prêts à tapiner pour eux… On se demande si ça a été utile, finalement.

11. 2017 a été l’année du lancement de ton Tipeee. Là encore, quel bilan tires-tu de cette expérience ?

Alors à ce sujet, en premier lieu : je tiens à remercier tous ceux qui m’ont soutenu dans cette aventure. Une bonne trentaine de personnes ont accepté de jouer le jeu, ont relayé mes parutions, ont encouragé cette initiative, etc. Je leur en suis reconnaissant plus qu’ils ne peuvent l’imaginer.

Mais hélas malgré toute cette bonne volonté, le bilan est médiocre. Il ne faut pas se leurrer : ma notoriété est très faible et mon nom ne suffit pas à tenir un tel projet. Chaque mois, c’est à peine si je réunissais la somme-plafond (et bien souvent, je l’atteignais car un des tipeurs mentionnés plus haut mettait un petit coup de cravache au dernier moment) et pourtant, je pensais proposer des contreparties intéressantes : une petite nouvelle gratuite chaque jour, du matériel produit chaque mois en fonction de la cagnotte perçue… Il faut croire que j’ai surestimé ma capacité à rassembler un plus large public.

Donc au bout d’un moment, il faut se résoudre à accepter que l’expérience est un échec flagrant – pour moi. Par contre, le système en lui-même me parait toujours intéressant. Quand je vois des écrivains qui disposent de plusieurs milliers de fans, je me dis qu’il suffirait que chacun de ceux-ci donne un €uro pour que ces écrivains perçoivent un revenu leur permettant de vivre et de se libérer du temps (et l’esprit !) pour produire plus. Tout le monde y serait gagnant ! Peut-être que l’idée a encore besoin de faire son chemin…

12. 2017 a été une année chargée pour toi ? Qu’en sera-t-il de 2018 ? Des projets ?

2016 et 2017 ont été des années… compliquées, disons. À force d’essayer de vivre de sa plume, on finit par se brûler les ailes : burn out, dépression, syndrome de l’imposteur… On se résigne alors, en comprenant que l’on ne fera sans doute jamais partie de la poignée d’élus qui parviennent à faire de l’écriture leur métier. Il faut donc se ménager, concilier la vie professionnelle (celle qui fait bouillir l’eau des pâtes mais n’apporte aucun épanouissement personnel) et le besoin de création sans se reprendre le mur. Donc je vais clairement baisser mon niveau de production habituel pour m’éviter de nouvelles turpitudes – même si cela m’attriste. Mais quand la santé (physique et mentale) est en jeu…

Finalement, 2017 n’aura vu la sortie que de Magistrats & Manigances (qui est toutefois plus l’œuvre de Benjamin Kouppi que la mienne) et Mythic Battles : Pantheon, ainsi que de quelques articles dans les derniers Di6dent (paix à son âme…), dans Casus Belli et dans la collection Sortir de l’Auberge chez Lapin Marteau.

Pour 2018, je vais me concentrer sur la fin de l’écriture des Gardiens célestes afin de ne pas faire encore attendre mes lecteurs pour la fin des aventures de Johnny Kwan. J’ai également deux anthologies à boucler (dont l’une va vous étonner !). Et quelques travaux réalisés l’an dernier devraient finir par pointer le bout de leur nez : un décor de jeu réalisé pour Feng Shui 2, un autre pour The Sprawl (encore une collaboration avec Benjamin Kouppi !), mes textes pour Héros & Dragons, un scénario super-héros pour les Chroniques oubliées contemporaines ainsi qu’un supplément entier pour un jeu (et dont je ne peux encore rien dire). Une nouvelle édition de Devâstra est également dans les tuyaux.

Je crois que c’est tout !

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