Sur la route de Romaric

A l’origine, un vade mecum, c’est un petit livre ou carnet de route que l’on garde avec soi en voyage. Hum. Pas sûr que Vade+Mecum, le nouveau jeu de Romaric Briand, avec ses multiples cartes et son échiquier (oui, son échiquier), puissent correspondre à cette définition. Tant pis. Faisons quand même un brin de chemin avec Romaric afin qu’il nous parle de ce nouveau jeu et de ses autres projets.

 

  1. Sur le site dédié au jeu (et où on peut donc le précommander), Vade+Mecum est présenté comme un « jeu de société » et non explicitement comme un JdR. C’est anecdotique ou bien c’est une décision mûrement réfléchie ?

C’est une décision murement réfléchie. Vade+Mecum est à la fois un jeu de plateau et un jeu de rôle. J’en veux pour preuve le fait qu’il se joue avec un échiquier, des cartes et des fiches diverses. Les jeux de rôle des années 70/80 utilisaient ce type de matériel pour rendre leurs contenus fictionnels plus tangibles. C’était l’époque où les jeux de rôle étaient encore massivement considérés comme des jeux de société. Ils étaient d’ailleurs vendus dans des boîtes. Dans les années 90/2000, les jeux de rôle ont progressivement abandonné l’idée d’user d’un matériel quelconque. Les livres et les dés semblaient les seuls matériels nécessaires. Et, justement, c’est à cette époque que les rôlistes ont commencé à faire la distinction entre « les jeux de rôle » et les « jeux de plateau ».

Comme beaucoup d’autres éditeurs de ces dernières années, avec Vade+Mecum, j’essaie de réintégrer le jeu de rôle parmi les jeux de plateau. Cela m’amène naturellement à renouer avec les jeux de rôle des années 70/80, notamment L’œil noir. Or, le terme « jeu de société » recoupe les deux médias. Il me semblait donc parfaitement adapté à la description de Vade+Mecum.

  1. L’univers du jeu semble relever du thriller policier. C’est un goût personnel ou bien cela te semble avant tout être un thème porteur (notamment via les séries TV actuelles) ?

C’est un goût personnel. Die Hard, X-Files, Parasite Eve, 24H Chrono et Metal Gear comptent parmi mes séries et mes jeux préférés. A part Metal Gear, je n’avais pas vraiment eu, dans Sens, l’occasion de leur rendre hommage. C’est chose faite avec Vade+Mecum.

Au-delà de cela, si ces séries sont « porteuses », comme tu dis, c’est d’abord parce qu’elles s’adaptent parfaitement au média dans lequel elles s’inscrivent. A la télé, une série policière crée du drama et des cliffhanger qui s’adaptent parfaitement au format court et épisodique de la série : une enquête par épisode et une révélation avant chaque coupure publicitaire. De plus, les thématiques sécuritaires et la peur qu’elles inspirent sont également profitables à la plupart des annonceurs. Les séries policières sont donc parfaitement en adaptée à la télévision.

Avec Vade+Mecum, je veux montrer qu’une enquête policière est un thème parfaitement adapté à une partie de jeu de rôle. Si, comme je le prétends, une partie de jeu de rôle est un maelstrom (c’est-à-dire une réflexion collective sur des situations possibles), alors la délibération d’un jury, un débat politique, l’organisation d’un voyage à plusieurs ou des enquêtes policières se prêtent parfaitement à une partie de jeu de rôle. Le média et la thématique sont donc ici parfaitement adéquats.

  1. Le jeu est-il réellement rejouable ou bien est-ce une sorte de burst à jouer une fois ?

La campagne formée par les quatre scénarios proposés dans la base de Vade+Mecum n’est pas rejouable par le même groupe de joueur. En revanche, elle ouvre sur une infinité de scénarios possibles.

  1. Le jeu nécessite curieusement un échiquier pour y jouer (…) Ah, OK, je vois ce que c’est : toi, tu en veux encore à Manuel Bédouet d’avoir été le premier à penser à utiliser des dominos dans un jeu (Aux marches du pouvoir), hein ?

Ah ! Ah ! Ah ! Je crois que, tout à fait entre nous, j’ai été le premier à utiliser du matériel traditionnel pour faire un jeu moderne et indépendant. Le Val contient une variante narrative, en plus. Or, à l’époque, Manuel Bedouet, LE Manuel Bedouet, en présence du Grümph, m’avait dit que Le Val ne marcherait jamais commercialement parlant… parce qu’il n’y avait pas de matériel dédié pour y jouer. Je me suis donc allègrement moqué de lui quand il m’a parlé des dominos à la convention Equinoxe, à Rennes… Bref, n’inversons pas les rôles, Manuel est mon premier fan ! J’en veux pour preuve le fait que, après être devenu indépendant, comme moi, il s’est aussi mis à animer un podcast sur le jeu, comme moi…

Blagues à part, Manuel et moi sommes assez complices. Il n’y a rien d’étonnant à ce que nous nous inspirions mutuellement. Et, surtout, soyons sérieux, le fait d’utiliser un échiquier pour faire du jeu de rôle n’a rien d’original. Le jeu américain A king in the city utilisait déjà ce type de matériel bien avant moi (http://www.story-games.com/forums/discussion/20184/king-of-the-city-a-chess-powered-rpg-of-scheming-sacrifice).

Voici une loi d’airain : « quand quelqu’un affirme être le premier à faire quelque chose, il se trouve toujours un spécialiste pour lui montrer qu’il n’est que le second. » Alors, c’est vrai, je ne serai jamais le premier, je me contenterai d’être le meilleur…

  1. Vade+Mecum m’a l’air d’avoir un look très travaillé. C’est l’opportunité d’une rencontre avec un illustrateur (Valéry Nettavongs) ou bien une volonté profonde de ta part de développer l’aspect graphique de ce jeu ?

En dehors de la thématique du noir et du blanc, liée à l’échiquier, c’est Valéry Nettavongs qui a établi toute la charte graphique de Vade+Mecum. Sa source d’inspiration principale est Franck Miller et son célèbre Sin City.

  1. Tu as par ailleurs publié un recueil d’articles théoriques sur le JdR : Le Maelström. Dans quelle mesure peut-on relier cette réflexion sur le JdR et Vade+Mecum ? Ce dernier est un manifeste ou juste un jeu ?

Le Maelstrom donne une vision très personnelle de la partie de jeu de rôle. Il présente la grammaire que j’emploie pour décrire ce qu’il se passe au cours d’une partie. Vade+Mecum utilise cette grammaire pour présenter ses règles. Toutes les mécaniques du jeu sont codés en langage « maelstrom ». Mais, franchement, si vous jouer à Vade+Mecum, rien ne vous permettra d’affirmer que le jeu est propulsé par le maelstrom. Si vous n’avez pas lu le maelstrom, Vade+Mecum vous apparaitra simplement comme un jeu ordinaire. En revanche, ceux qui connaissent le maelstrom, reconnaîtront sans doute que les choix de gamedesign ont été établis sur la base de cette théorie.

  1. Tu as donc un chouette site, une boutique en ligne et tout… par contre, à part un passage très épisodique dans JDR Mag’, on en apprend peu sur toi et tes projets en lisant les médias rôlistes. Timide ou méfiant ?

Je ne suis ni timide ni méfiant vis-à-vis des médias rôlistes. J’ai une excellente couverture sur le GROG et sur Sci-Fi Universe. Je pense surtout que si on veut apparaître dans la presse, il faut aller vers elle, en général. Là, par exemple, j’ai eu de la chance. C’est toi qui es venu vers moi. En ce moment, je consacre tout mon temps à mes projets : mes jeux, La Cellule et, surtout, à ma vie de famille. J’ai donc assez peu de temps pour m’exprimer publiquement. Et puis je pense que ce qui compte le plus, ce sont les jeux. Les joueurs s’en foutent de mes états d’âme. Ce qu’ils veulent ce sont des jeux ! Or, tout le temps que l’on passe à raconter sa vie sur internet ou dans la presse, on ne le consacre pas à faire de bons jeux.

  1. Ton célèbre podcast, La Cellule, n’a pas la réputation d’être toujours très tendre avec les jeux qu’il chronique. Est-ce que tu crois que cette réputation en tant que podcasteur peut te nuire quand tu remets ta casquette d’auteur de jeu ?

Nous sommes de vrais critiques. Il est moins question de tendresse que d’exigence. Nous sommes exigeants avec les jeux que nous chroniquons. Nous essayons d’être le moins complaisants possibles, afin d’être utiles aux auditeurs de La Cellule et aux éventuels auteurs qui nous écoutent. Personnellement, je suis très exigent vis-à-vis des jeux. J’attends d’un jeu de rôle qu’il soit de très bonne qualité, selon mes propres critères. Les auditeurs connaissent ces critères et connaissent aussi mes jeux préférés. En m’écoutant attentivement, ils peuvent donc deviner les orientations que je vais prendre dans mes propres travaux. C’est donc totalement l’inverse, l’authenticité du podcasteur permet à l’auteur d’être certain de rencontrer son public.

  1. Tu es très transparent sur les questions financières, notamment sur ta méfiance vis à vis du crowdfunding ou sur la justification du prix de tes jeux. Tu as aussi un Tipeee qui rassemble environ 75 personnes. 75 personnes qui sont prêtes à payer pour encourager ton travail : ça dit quoi selon toi sur l’économie du JdR francophone aujourd’hui ?

La transparence est un immense progrès, sans doute lié aux nouveaux moyens de communication. Mais je ne sais pas ce que cela dit de l’économie du jeu de rôle, en règle générale. Cela montre surtout la place que La Cellule y occupe. J’ai encore un peu de mal à prendre du recul sur la situation. Le Tipeee de La Cellule est tout jeune. Nous verrons comment il évoluera dans le temps.

Ce que je sais, en revanche, c’est que nous avons choisi la bonne voie. Quand je vois la liste des commentaires et des encouragements sur la page du Tipeee, quand je vois le nombre de mail que nous recevons pour nous remercier de notre travail et le nombre d’auteurs qui choisissent finalement l’indépendance, je suis à la fois très fier et très ému. Mais ça ne m’apprend pas grand-chose sur ce qu’il se passe pour LE jeu de rôle. Je peux seulement te dire ce qu’il se passe pour les jeux de rôle que j’affectionne. Je crois que nous n’avons que trop parlé DU jeu de rôle, comme s’il s’agissait d’un monolithe sacré, d’un petit être fragile ou d’une ZAD. Il s’agit maintenant de trouver un modèle favorable à l’émergence de BONS jeux de rôle. Pour moi, ce modèle, c’est l’indépendance. Les bons chiffres que tu soulignes ne disent rien du jeu de rôle, mais ils semblent indiquer que l’indépendance est un choix viable en l’état du marché.

  1. Sais-tu déjà quel sera ton prochain projet ludique après Vade+Mecum ?

A ma grande surprise, il s’agit encore d’un jeu de rôle, un jeu de rôle classique en plus. Nous en avons déjà fait un premier playtest extrêmement prometteur. Je suis d’ores et déjà en train d’en écrire les règles et la campagne. La thématique de ce prochain jeu est le souffle, c’est tout ce que je peux te dire pour le moment.

 

http://romaricbriand.fr/

http://vade-mecum.org/