Modeste interview d’Akae-Sensei

Illustrateur touche à tout (Meute, Insectopia, L5A) au talent aussi immense qu’indiscutable, Akae a déjà officié en tant que co-auteur sur Sunda Mizu Mura pour son jeu fétiche : L5A. Aujourd’hui, épaulé par l’éditeur Arkhane Asylum Publishing, il va publier son premier jeu original tout en gardant une thématique japonisante – on ne refait pas !
L’intérêt étant trop fort chez nous, nous n’avons pas pu résister à aller poser quelques questions à Akae-Sensei pour en savoir plus sur cette grande première.

1. Dis-nous tout. Tu voulais écrire un supplément officiel pour L5A et ils ont refusé ton projet et c’est devenu l’Empire des Cerisiers qui n’est pas le Japon ?

Akae : Bah carrément! J’étais tellement frustré! Bon le problème c’est que j’ai dû changer du coup les noms des clans. On a désormais les 7 Clans Vraiment Importants, le Clan de la Poule, le Clan du Bulot, le Clan du… Ouai, bon vous avez compris où je veux en venir. Plus sérieusement on peut dire qu’en tant que fan de L5A mais plus largement du Japon, c’était évident qu’il me fallait un jour explorer la fantasy japonaise en Jeu de Rôle. Du coup la démarche de partir de la Matière japonaise pour forger un univers original est similaire, mais ici je suis vraiment allé chercher dans la mythologie, le folklore, la culture japonaise. Je voulais faire de la fantasy japonaise avant de faire un jeu de fantasy inspiré du Japon. Il y a du coup tout un ensemble de particularités propres qui font que L’Empire des Cerisiers n’est clairement pas L5A. Ici on joue tout ce que l’univers peu offrir de personnages héroïques, que ce soit une guerrière héritière d’un puissant daimyo ou un jeune artiste itinérant issu de la classe des hinin, un marchand, une courtisane des quartiers des plaisirs ou encore un forgeron.

Bref, le jeu, l’univers n’est absolument pas samurai-centré. Il y a bien entendu un paquet d’autres particularités et même si on peut y voir une sorte d’hommage à ce grand classique qu’est L5A, on a bien l’intention de vous proposer quelque chose de nouveau et j’espère d’unique.

2. Je t’ai entendu parler de créatures mythiques… avec l’Empire des Cerisiers, on est plus près des histoires tragiques de Kwaidan, de l’onirisme des Contes de la Lune vague après la pluie, de la féérie douce-amère de Totoro ou de la drôlerie de Nos voisins les Yamadas ? Je pourrais jouer une Yuki-Onna ?

Akae : Ha là tu m’ennuies, parce que je serais tenté de te dire un peu de tout ça. Le merveilleux est très présent, ou plutôt omniprésent. Je pense que tu peux aborder le jeu sous l’angle qui t’intéresse. Alors oui il y a une ambiance propre, qui fait la part belle à une certaine forme de poésie et de féérie, tout du moins c’est ce que je voulais. Mais qui dit poésie, merveilleux ou féérie, ne veut pas nécessairement dire lumière, glamour et histoire d’enfants. Du coup j’explore aussi des dimensions plus sinistres. Je suis un fan absolu des Miyazaki et je pense que ça s’en ressentira, princesse Mononoke est par exemple, comme Le Voyage de Chihiro, deux œuvres profondément féériques, avec une grande poésie, mais où à certain moment cette beauté naturelle laisse place à une forme « d’horreur ». Je ne voulais pas d’un jeu à sens unique. Une autre inspi, que j’ai découvert par le biais de mon éditeur, m’a conforté dans ces choix. Il s’agit du livre de Noriko Ogiwara, Les Contes du Magatama. En fait je l’ai lu après avoir rédigé la majeur partie du corpus actuel, mais j’ai eu l’impression de trouver un vrai écho avec la démarche que j’ai eu. Notamment sur l’exploitation de la Mythologie et du folklore. Mais pour en revenir à ta question, les yokai, comme la Yuki-onna, sont une composante bien présente de l’univers et si un des joueurs se prend l’envie de jouer un des leurs, pourquoi-pas! Les règles en tous les cas le permettent.

3. Il paraîtrait qu’en plus d’être un illustrateur de talent tu serais docteur en histoire. Ça m’intimide un peu. Est-ce que je dois rassembler une documentation tirée au cordeau pour jouer à l’Empire des cerisiers pour que la police du jdr ne débarque pas chez moi ?

Akae : Alors petite nuance, je ne suis pas docteur en histoire. J’ai fait un doctorat, j’ai rédigé une thèse, elle a été déposée et pour des raisons médicales je n’ai pas pu la soutenir. Ayant décidé ensuite de quitter définitivement l’Université et mon métier de chercheur et de me lancer à plein temps dans l’illustration, j’ai jamais eu le désir de soutenir et boucler tout ça. Ça c’était pour la petite précision sur le CV! Mais soyons clair, le but premier de L’Empire des Cerisiers c’est une fois dans vos mains, d’en faire ce que bon vous semble, de vous l’approprier et qu’il soit votre. Du coup non, pas besoin de prendre la pile entière de sources, bibliographie, etc. pour jouer.

Alors bien entendu on a des termes typiques japonais, éventuellement il faudra s’y familiariser ou si vous le souhaitez évacuer tout cela et vous concentrer sur les aventures et les personnages que vous voulez faire vivre. Pas besoin d’un Doctorat pour savourer Princesse Mononoke, bon et bien j’ose espérer que ce sera la même avec L’Empire des Cerisiers. Par contre le jeu puisant directement dans le Japon et sa culture, son histoire, etc. Vous pourrez clairement aller puiser dans la culture japonaise pour enrichir encore et encore vos scénarios, vos parties. Alors ces sources ont été tordues, réinterprétées, etc. pour coller à ce que je souhaitais. Mais vous n’aurez aucun mal à y mettre ce que vous avez envie. L’univers fictif présenté, permet aussi de s’affranchir je pense des contraintes historiques, même si avec un jeu comme Tenga par exemple, on a prouvé que même avec un jeu historique sur le Japon, lorsque c’est brillant, on peut s’extraire des complexités inutiles pour se concentrer sur le jeu et le plaisir de chacun. Bon et bien là c’est pareil, tout ce qui est présenté est là pour servir le jeu et le plaisir.

4. D’habitude, « Akae » est un strech goal prestigieux à atteindre. Là, comme c’est toi qui fais tout le jeu, il y aura-t-il quand même des strech goals ou on considère que tout sera débloqué dès le premier jour ?

Akae : Moi je dis, faut tout débloquer le premier jour, comme ça vous aller devoir nous forcer à nous creuser les méninges pour vous proposer plus encore. Pour le coup, de toute manière, vous vous payerez du Akae en vrai, en dur! Alors bon pas que je coûte grand-chose, mais là c’est du gros moi à l’intérieur. Bon j’ai l’aide de plein de monde autour de moi, toute une équipe qui me soutient à fond et bosse à ce que le jeu soit une réussite, ça fait plaisir. Je leur dois beaucoup!

5. Tu as opté pour un format à l’italienne, avec des fleurs roses en plus. Non mais tu n’as pas honte ? Depuis le temps que tu es dans le milieu, personne ne t’a jamais dit qu’un vrai jdr, c’était 256 pages A4, des muscles et de la semi-nudité en couverture ?

Akae : Alors j’ai trouvé une solution pour les bibliothèques : vous faite faire une rotation de 90° à votre livre et hop c’est magique! Non je rigole. Oui on a opté pour ce format, suite à diverses discussions et propositions. C’est Mathieu qui m’a appelé en me proposant ça. J’ai dis banco! Outre l’aspect esthétique, c’est aussi super pratique. En effet, l’ouvrage contiendra une bonne dizaine de cartes de cités, villages, etc. en A4 ça aurait impliqué de soit faire du A5, sur une demi page, ou alors du A3 avec la pliure du livre au centre. Bref là plus de problème. En plus le format est très élégant et colle avec ce que j’avais envie. Du coup on a finalement opté pour une couverture plus épurée. Le rose c’était indiscutable, on parle de cerisiers, j’adore le rose, et bien voilà vous aurez du rose. Et puis bon je dis ça, je dis rien, mais la collector…

5. Puisque le format a été taillé sur mesure pour les cartes, ces cartes, tu les as intégrées à des propositions de scénarios, à des listes façon OSR, ou elles sont juste là pour faire joli ?

Akae : Alors en fait chaque carte est lié à un cadre de jeu. La plus grande est la carte de la capitale Sakura-kyo. La cité est entièrement décrite et exploitable dans le livre de base. Quartiers, lieux, pnjs, etc. et plein d’idée de mise en scène pour les Meneurs de Jeu en lien avec plusieurs de ces lieux, et protagonistes. Il y aura ensuite un chapitre du bouquin qui regroupe tout un panel de cités, villages, lieux qui à chaque fois sont assortis d’un petit développement de quelques pages, qui présentent le cadre de jeu, éventuellement des PNJs, des secrets, etc. Certains cadres ainsi présentés sont parfois liés entre eux, etc. Alors j’ai hésité à mettre une petite table type OSR, mais en fait avec cette présentation et la carte en elle-même (et les noms des lieux sur la carte, etc.) je pense qu’on a suffisamment de quoi inspirer les MJs pour créer de la narration et des proposition de jeu. Elles ne sont clairement pas là pour faire joli, c’est vraiment à mon sens du matos de jeu.

6. Et une dernière, presque sérieuse pour faire plaisir aux system-does-matteristes du Fix. On a bien compris L’Empire des Cerisiers était le jeu du merveilleux japonais, mais comment tu traduis ça en termes de règles ? Tu serais du genre à faire un bon vieux Carac-Compétences et à laisser le MJ se démerder ou je vais avoir des outils spécifiques pour transmettre ça à ma table quand je ferai jouer ?

Akae : Alors je voulais avoir un système simple qui puisse être manipulable autour de la table. Du coup pas de caractéristiques déjà, mais la création d’un concept du genre « Gonjuro, marchand itinérant de la Guilde des Bras Cassés », qui aide à introduire divers éléments pour définir le personnage. Ensuite on défini le personnage avec des Champs, qui sont l’équivalent de domaines de compétences, maitrise, etc. Je fais quelques propositions, mais les mjs et joueurs sont encouragés à trouver le bon Champ qui pourra correspondre au mieux aux personnages. Alors quelques exemple, tu vas avoir Bushi, Courtisane, Yakuza, Marchand, Miko, Shinobi, Enquêteur, Yojimbo, Forgeron, Exorciste, etc. En gros quand tu fais un jet (avec 2D6 face à une difficulté) tu ajoutes ton Champs si on part du principe qu’il peut entrer en compte. Dans les Champs tu peux avoir des Spécialisations qui peuvent faire office de compétences, savoir-faire bien particulier, ou connaissance précise. Ensuite tu as plusieurs « blocs » qui viennent s’ajouter, Avantages/désavantages, Magie, les Voies, etc. les personnages sont tournés vers l’héroïque. Et le système prenant en compte le fait de pouvoir créer tes personnages sur mesure permet de lui-même d’intégrer ces composantes merveilleuses. La Magie est freeform, les Voies permettent de définir l’assise morale et mentale ou tout du moins vers quoi tend le caractère ou les valeurs du personnage, mais aussi de créer et constituer ses propres techniques ou pouvoirs « spéciaux » et autres enseignements secrets, etc. Je voulais un système qui ne viennent pas bouffer sur l’ambiance ou imposer un unique mode de jeu. Du coup il fallait que la base soit simple pour que chaque table puisse s’en servir tel quel ou le moduler pour l’adapter à ses envies. Les scénarios, le ton du jeu lui-même devrait apporter de lui-même ce merveilleux et pousser les personnages à aller dans ce sens.

7. Il y a une question que j’ai oubliée de te poser ? Oui oui, tu peux dire qu’au Fix, on laisse les interviewés faire tout le boulot.

Akae : Heu… bonne question! Bah je pense que c’est pas mal, franchement un grand merci à toi et l’équipe du Fix, j’espère que le produit final vous plaira, en tous les cas on fait tout pour vous proposer le meilleur !

Propos recueillis par Benjamin Kouppi

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