Night Witches : nous, les héroïnes du 588e [par Macbesse]

Nous, les héroïnes du 588ème

À la sortie de Night Witches, j’avais rédigé pour Di6dent #14 un compte-rendu de lecture enthousiaste pour la Rubrique « À saisir ». C’était la rubrique des cœurs à prendre, les jeux en VO que l’on signalait aux lecteurs et aux éditeurs avec l’espoir qu’ils s’en emparent, et le moins qu’on puisse dire était que j’étais enthousiaste. L’article reste disponible sur le site du Fix.

Il serait présomptueux de prétendre qu’Edge nous a entendus, mais nous sommes très heureux que cet éditeur réputé pour son sérieux en ait pris l’initiative. La traduction a été confiée à Sandy Julien, lequel avait poussé à la concrétisation du projet. Qu’il leur soit décerné une médaille du Mérite Ludique de 2e classe à 2d6+Cran.

Plutôt que de répéter mon article, écrit du point de vue d’un concepteur, je préfère ici vous présenter mon expérience de joueur : depuis, je suis devenue une héroïne de l’URSS et je peux montrer les différentes étapes d’une campagne, pour éclairer certaines mécaniques et surtout, pour montrer où va le jeu sur le long terme. Après un bref commentaire des choix éditoriaux de la VF, je mêlerai donc récit de partie et critique. Pour que vous sachiez d’où je parle, mon point de vue est celui d’un joueur à la fois très familier du système Apocalypse et de l’histoire soviétique. J’ai écrit pour les deux. Cela ne me rend pas plus compétent, mais j’ai des attentes particulières.

Éditer et traduire

Vous le savez, au Fix, on est souvent circonspect devant la surenchère de paliers dans les financements participatifs, mais ici, c’est très simple, il n’y en a pas eu. Du tout. Un jour en France, un éditeur a pris le risque d’éditer un jeu de niche sans passer par cet outil devenu la norme et sans infliger une course à l’échalote absurde aux futurs acquéreurs. Cela vaut la peine d’être salué, d’autant que la VO n’y avait pas totalement échappé. Adieu, biscuits sous enveloppe kraft et corned beef, vous ne serez pas regrettés. Pour le roleplay à moindre coût, la tablée s’offrira des graines de tournesol et mâchonnera en recrachant les coquilles par terre. Les plus téméraires iront jusqu’à préparer une kacha. Le set de cartes disparaît en même temps que les rations. Ce n’est pas une très grosse perte. Il s’agissait de visuels et de rappels de points de règles – rien d’essentiel.

Par contre, le traducteur et l’éditeur de la VF méritent une médaille pour avoir traduit les 46 pages d’aides de jeu gratuites les avoir librement mises à disposition. C’était primordial : ces documents contiennent la campagne, composée d’un tutoriel pour une introduction en douceur (au moins pour les joueurs), d’un one-shot et d’une série de bases toutes plus meurtrières les unes que les autres.

Le seul regret que l’on puisse exprimer devant les choix éditoriaux et l’absence des livrets de personnages dans le livre de base, un héritage de la VO. Leur ajout n’aurait rien gâché et aurait facilité la compréhension de l’ouvrage.

Quant à la traduction, elle est globalement satisfaisante. La langue de Night Witches est loin d’être facile, avec beaucoup de termes techniques, des passages en argot, des tournures très littéraires et même des emprunts au russe. Un cauchemar. Certains choix de traduction sont très heureux, comme « Manœuvre » pour « Move », très adapté au contexte militaire, ou encore « Cran » pour « Guts », qui appelle souvent un « Tripes » de mauvais aloi. D’autres le sont moins et certains, heureusement rares, interfèrent avec le propos du jeu. Par exemple, « Act up like a Lady » devient « Se la jouer princesse », porteur d’une connotation négative, alors que Jason Morningstar a explicitement précisé qu’il avait choisi la caractéristique Cran pour montrer à quel point il faut être courageuse pour faire preuve de féminité dans une guerre. « Se conduire comme une dame »  aurait donc été peut-être plus indiqué. Enfin – ce qui ne ressort plus de la responsabilité du traducteur – il semble que la passe de relecture sur maquette ait été économisée, ce qui nuit parfois au confort de lecture.

Jouer des aviatrices héroïques

Place au récit de campagne. Il ne s’agit bien sûr pas seulement de vous raconter mes séances de jeu, fussent-elles passionnantes, mais de vous montrer l’intérêt des mécaniques de jeu et ses petites lacunes une fois qu’il est mis en pratique.

Souffrir

« La semaine dernière, on a commencé une campagne. On est toutes mortes à l’aérodrome d’entraînement. C’était l’enfer ». C’est quelques minutes après avoir eu cet échange que j’ai accepté de participer à une campagne de Night Witches. Très honnêtement, je ne pensais pas à la lecture qu’il y avait autant de casse. Le système des marques, par exemple, est dur, mais il sert surtout à montrer l’impact de la guerre sur le personnage. C’est une incitation à se révéler et transformer son personnage, dans la lignée de la révélation des Secrets de Lady Blackbird et un guide d’interprétation, mais pas une destruction. Le cœur de la mécanique, en revanche, a été altérée pour suspendre les personnages au bord de l’abyme : les Manœuvres ne sont pas rédigées de la même manière que dans les autres dérivés d’Apocalypse World. Dans ces jeux, il est d’ordinaire difficile de vraiment échouer. Les 6- viennent ajouter des complications et n’arrêtent jamais l’action : le MC reprend la main sur le cours de la narration mais peut considérer l’action elle-même comme une réussite en ajoutant une péripétie. Quant aux 7-9, ils introduisent une petite concession. Ici, c’est différent. Les manœuvres du MC sur un 6- font vraiment très mal. C’est l’arrivée des chasseurs de la Luftwaffe, la perte des bombes, la perte d’altitude, la suspicion du NKVD. Quant aux 7-9, ils ressembleraient presque à des 6- dans d’autres jeux. On n’imaginerait pas ailleurs comme choix possible de la Manœuvre Passer à l’attaque (et il faut en prendre deux) « les dégâts infligés à l’ennemi ne sont pas suffisants et la faute vous en revient ». C’est assez déconcertant de prime abord, mais le message est clair – vous allez en baver. Les joueurs vont devoir apprendre à remplir leur réserve de points en phase de jour sans s’attirer trop d’ennuis, ce qui n’est pas si facile. Là encore, les Manœuvres sont conçues d’une manière assez vicieuse et il est très difficile de fermer complètement une action (de la même manière que Monsterhearts ne résout jamais les conflits) : très souvent, quelqu’un se rend compte de votre manœuvre, si bien que les personnages se retrouvent vite à jongler avec plusieurs contraintes à la fois. L’ultime résolution ne vient qu’avec le changement de base, un vrai soulagement pour toutes.

S’engager

Commence la partie. Nous créons très rapidement les personnages. J’opte pour une aviatrice Faucon, la personnalité des fonceuses et des ambitieuses, avec un tempérament de Meneuse. Je compte bien prendre la tête de ma section et la mener de victoire en victoire. Je décide que mon aviatrice est de nationalité arménienne : Serafima Kerovpian a un prénom bien russe et « cultivé », mais elle a les cheveux aile de corbeau et l’accent du Caucase. J’ai envie d’en faire quelqu’un de violent et dominateur, et de voir jusqu’où elle ira. Par contre, j’introduis aussi une première faille. Serafima est une survivante du génocide arménien, qu’elle porte comme une blessure inguérissable. Elle est à la fois reconnaissante à l’URSS de lui avoir donné un foyer, de lui avoir permis de s’élever, mais pas totalement dupe. Elle connaît le prix du sang : l’URSS lui a pris ses illusions en tuant ceux qui avaient fondé l’Arménie libre. Bien sûr, elle a le grade le plus élevé à la création, celui de lieutenant.

La tablée est composée de Valentina « Valya » Malinovskaya, seule survivante d’une famille d’intellectuels anglophiles passée par les armes (une Corbeau misanthrope), de Sara Rabinovitch, jeune Juive candide, sensuelle et fonceuse (une Moineau aventurière) et de Lyubov « Lyuba » Fedorova, une fille un peu plus âgée que nous et qui ne pense déjà qu’à nous protéger (une Chouette protectrice). Les joueurs les moins instruits en histoire soviétique n’ont éprouvé aucune difficulté à trouver leurs marques et à poser des bases crédibles. Ils ont été considérablement aidés par les courtes scènes jouées pendant l’engagement. Les PNJ qui recrutent posent en jeu des questions orientées qui aident vraiment comme « qu’est-ce que les Allemands vous ont pris », « est-ce que vos parents étaient vraiment coupables ? », « sur quels points du formulaire de recrutement avez-vous menti ? ». En trois scènes, on obtient les bases d’une incarnation. Et si cela ne suffisait pas, la création en commun de la base permet de se projeter et de se poser des questions sur les relations qu’on entretient avec les autres personnages. Répétée à chaque changement de base, elle permet en outre de prendre le temps de la redéfinition de soi.

Avec des femmes-soldats

Dès la création de personnage, le jeu interroge les identités sexuelles. En quoi le personnage a-t-il un comportement masculin ? Féminin ? À quoi a-t-il dû renoncer ? Avant même de se confronter à la rudesse de la vie militaire et aux tentatives de déstabilisation, les aviatrices sont dans une sorte d’entre-deux difficile à vivre, lequel ouvre des pistes d’interprétations passionnantes, inédites mais balisées à l’aide des manœuvres et des incitations à l’XP des livrets.

Les joueurs présents à la table n’étaient pas de ceux qui rechignent à jouer le sexe opposé, mais j’estime que Night Witches pourrait aider les réticents à sauter le pas, car tout le monde est logé à la même enseigne. Toutes les aviatrices vont manger des insultes sexistes, porter des fringues de mec mal ajustées et se couper les cheveux, devoir nier leur identité de genre voire leurs sentiments, et risquer gros si elles transgressent la ligne. J’ajouterais bien qu’en plus, après la guerre, le commandement les sommera toutes de rentrer dans le rang et de devenir des femmes au foyer bien rangées, et que leurs voisines les traiteront comme des putes, mais ce point n’est pas l’objet du jeu. Vous m’avez cependant compris : la féminité est interrogée, et c’est à la fois un moteur d’intrigues formidable, une exploration de son personnage et une aide aux réticents.

Les joueurs s’en sont emparés de diverses manières. Sur le premier aérodrome, pour m’affirmer face au régiment de mecs qui nous méprisait et défendre mon escadron au sol, j’ai nié ma féminité et je me suis conduite comme une cheffe de gang. J’ai protégé mon escadron autant que je l’ai fait souffrir. Je n’ai rien cédé, jamais. Et puis, en Ukraine, il y a eu ce journaliste de Pravda venu raconter nos exploits, et j’ai changé. J’ai retrouvé des attitudes, des gestes, des regards. Et pour protéger mon jardin amoureux, j’ai dû accepter des compromis. La petite Sarah a joué à fond sur sa féminité : puisqu’elle était considérée comme un bout de chair incapable de voler, elle allumait les mecs pour les frustrer. Elle a fini par perdre le contrôle de la situation et se retrouver en fâcheuse posture, mais j’ai éclaté le crâne du fâcheux avec une clé à molette… quant à Lyuba, notre aviatrice sur-protectrice, elle s’est emparée de son ambivalence sur la plan de la sexualité et s’en est servi comme levier contre d’autres aviatrices et les cadres du NKVD. Enfin, Valya jouait de son éducation pour se distinguer et, surtout, se tenir à distance.

Affronter l’adversité

Ces quatre femmes ont été jetées dans une guerre sans merci contre un ennemi que rien ne semblait pouvoir arrêter, mais également contre les préjugés de leur société. Au bas mot, une campagne de Night Witches est une lutte sur deux fronts, à la fois au sens militaire et au sens apocalypseworldien du terme. Il faut d’abord sortir chaque nuit pour bombarder les positions ennemies, de manière toujours plus audacieuse, subir les traumatismes physiques et mentaux de la guerre, et lutter contre les préjugés de la société et des militaires, un vrai front intérieur. Faire toujours mieux que les hommes pour montrer que l’on est à sa place, gagner leur respect, avec des coups s’il le faut. Prouver à sa hiérarchie qu’on est digne de la confiance du peuple soviétique. Montrer au commissaire politique qu’on ne reculera jamais devant le danger. Et sûrement mourir au nom de la mère Patrie. L’expérience de la condition féminine et l’expérience de la guerre totale forment un mélange d’une grande dureté, qui donne des parties d’une grande intensité.

En outre, la multiplicité de l’adversité offre une variété inattendue dans l’expérience de jeu, alors qu’on pouvait craindre la monotonie de la vie militaire. D’abord, le MC ne fait pas appel à tous ses fronts dans chaque base. Dans la première, à l’entraînement, nous étions surtout en butte au sexisme et à l’agressivité de nos camarades masculins, ainsi qu’au manque de reconnaissance de nos talents. Dans la seconde, au sol nous étions prises entre la pression de notre commissaire politique et celle de l’opinion en la personne du charmant journaliste de la Pravda. Nous devions être héroïques, et nous l’avons été, si bien que l’escadron a connu l’enfer.

En plus de ces quatre fronts, le meneur peut encore jouer sur la rareté des ressources, la discorde au sein du régiment, les dysfonctionnements structurels de l’Armée Rouge, la méfiance ou les besoins des habitants, ou tout simplement sur la confrontation avec la brutalité des exactions nazies. Il a donc suffisamment de grain à moudre pour éviter la monotonie, d’autant plus qu’il dispose de toute une liste d’événements pour animer la vie de la base, de la petite fête trop arrosée à l’attaque ennemie. Dans la mesure où les bases sont personnalisées à chaque fois et que les relations entre personnages jouent un rôle majeur dans la partie, il est même possible d’envisager rejouer la campagne.

Mon seul regret reste le manque d’informations sur le contexte des complications proposées, qui rend parfois difficile la lecture des enjeux et conséquences. Ainsi, notre MC a-t-il choisi comme événement une grossesse non désirée. Une des aviatrices s’en est ouverte à nous, et nous a confié sa volonté d’avorter. Excellent choix, ai-je répondu. Ainsi pourrait-elle continuer à servir le peuple. Patatras. Je subis une grosse rupture d’immersion quand elle me répond qu’elle a peur de braver l’interdit. Le MC ignorait qu’il était légal en URSS, au point d’être le principal moyen de contraception à défaut de pilule et de préservatifs. On rembobine. Donc, elle est enceinte et souhaiterait le garder, mais sa chef d’escadre risque de ne pas vouloir. La situation est tout aussi intéressante, surtout que les PJ en viennent à s’opposer : pour Serafima, l’avortement est la seule décision viable. Pour Valya, qui regrette de s’être engagée, c’est au contraire une excellente opportunité d’échapper à la guerre et elle indique à notre camarade les démarches à suivre pour obtenir un congé et passer outre l’autorité de sa cheffe. Ces informations auraient dû trouver leur place dans le livre de base car elles sont liées au cœur du propos du jeu. Il est tout à fait légitime d’ignorer les détails de la campagne militaire, des régions des différentes bases ou des différentes cultures nationales soviétiques, mais quelques pages de précisions, ne serait-ce que quatre ou cinq, n’auraient pas été du luxe. Le travail a été bien fait sur certains points, par exemple sur l’homosexualité, sa réprobation et sa répression, et l’on aurait aimé l’équivalent pour tous les points cruciaux. Il aurait par exemple été intéressant d’évoquer les tribunaux de l’honneur, rassemblement des femmes du régiment pour juger et exclure celles qui fréquentaient trop les camarades du sexe opposé, ou au contraire la pression pour devenir une « épouse au front » de la part de hauts gradés. Ces points apparaissent en filigrane, dans les listes et livrets, et ils peuvent être mis en jeu. Il aurait donc été souhaitable que le MC ait les moyens de bien les cadrer.

[EDIT : Attention, je fais une erreur sur l’avortement, voyez mon commentaire]

S’unir, puis s’entredéchirer

La dureté des mécaniques de jeu et du front incitent à créer des liens, que ce soit au sol ou en l’air, pour former une sororité du front. L’expérience de la guerre et des atrocités commises par les nazis nous a par exemple conduits à créer créer un lien très fort entre Serafima et Sara autour de la vengeance contre l’occupant génocidaire : Sara prend conscience des enjeux et passe de la désinvolture à l’engagement, tandis que Serafima trouve un exutoire, comme si elle se vengeait de ses propres bourreaux.

Plus fort encore, l’adversité terrible pousse à étouffer et contrôler, tandis que les rancœurs que le livret de personnage incite au contraire à attiser, ce qui crée à la table une tension dramatique très forte. Par exemple, la leader doit mener au sacrifice son escadron pour obtenir un Avancement : il faut qu’une des aviatrices de l’escadron meure en mission… mais si elle conduit ouvertement ses aviatrices à l’abattoir, l’escadron perd confiance et elle doit donc sans cesse se présenter en protectrice au sol, jusqu’à ce que le masque tombe. C’est précisément ce qui nous est arrivé : j’ai poussé les limites du risque en portant l’escadron volontaire pour une mission extrêmement dangereuse (en termes de règles, avec une conséquence supplémentaire sur un 7-9) alors même que mon autorité avait déjà été contestée par Lyuba en pleine cérémonie de remise de nos ailes à la fin de la base d’entraînement.

Cette tension a été poussé à son comble lors de notre ultime mission. Valya, fille d’opposants, devait rejoindre l’escadron sacrifiable, mais j’ai mis en échec la commissaire politique… juste avant de porter notre escadron volontaire pour la mission qui leur était assignée, provoquant chez Valya la terreur et l’envie de fuir. La mission était importante, leur escadron épuisé, et mon beau reporter était là. J’allais conduire mon escadron à la victoire, mettre en échec le NKVD, connaître la gloire et inspirer l’admiration et l’amour à mon beau reporter. Lyuba a vu la concrétisation de toutes ses craintes : tant que je serais leader, elle ne pourrait pas protéger l’escadron. Ou plutôt, elle devait le protéger, mais de moi. Leur craintes étaient justifiées. Ce fut l’enfer. La chasse allemande nous attendait. Les Messeschmidt fondaient en piqué, comme des éperviers d’un rouge sang, dans un sifflement atroce. En l’absence de Sara, ma sœur de cœur, ma navigatrice était Valya. Nous étions à une dizaine de mètres de l’avion de Marina et Larissa quand leur tête ont explosé sous les balles, comme des fruits trop mûrs, et que Valya s’est mis à hurler et me maudire alors que le doute s’instillait dans mon esprit. Et puis Lyuba et Polina ont réalisé une percée et nous ont ouvert les lignes ennemies. Nous avons accompli la mission, détruit les ravitaillements et la logistique de l’ennemi, ouvrant une brèche pour la glorieuse Armée Rouge, mais à quel prix. Les tirs avaient touché leur réservoir, leur avion était en feu. Polina brûlait comme une torche. C’était un miracle si Lyuba pilotait encore. Nous étions à peine mieux loties. Percé de toute part, notre avion perdait de l’altitude.

Mais le pire était évité, n’est-ce pas ? Nous avions remporté la victoire. Lyuba rentrait, gravement brûlée mais vivante. Sara reviendrait nous renforcer, apaiser nos cœurs et panser nos plaies. Quant à nous, nous allions devoir nous poser en territoire ennemi avec un avion très abîmé, mais mes talents de pilote en firent presque une formalité. Land Kiss. Nous avons pris le temps de souffler, de parler. Valya était dans une rage noire. Contre Serafima et son désir de gloire. Contre l’URSS, source de souffrances à l’égal de l’Allemagne nazie. Elle raconta l’histoire de ses parents, de sa famille, fusillés ou déportés, des tortures qu’elle avait subies, accusa Serafima d’être aveugle à cette souffrance. Non Serafima n’était pas dupe. Tout le monde avait eu affaire au NKVD. Elle-même avait été contrainte de faire des faux témoignages sous la pression et de voir mourir des personnes qu’elle admirait par sa faute. Mais elle espérait qu’ici, avec la guerre, elle pourrait refonder une famille unie, créer le rêve d’unité auquel l’URSS devrait ressembler, mais peut-être qu’elle a échoué. Et Valya lui rit au nez. Valya s’en va en lui disant de se démerder seule. Toute à sa peine, Serafima ne se rend pas compte qu’elle est en train de déserter, et elle la laisse partir. Dans les marécages, elle trouve un camp de partisans presque vides, où ne subsiste qu’un adolescent, qui garde le camp. Serafima en prend soin. Elle comprend qu’elle pourrait faire la guerre non plus pour se venger, mais pour protéger. Quelques semaines plus tard, elle est de retour à la base. L’entretien avec le NKVD est une formalité. La pureté de son engagement est au-dessus de tout soupçon. À peine en est-elle sortie qu’elle croise une forme hagarde recouverte de bandages. Cette forme pointe son pistolet vers Serafima. Elle reconnaît cette voix accusatrice. C’est Lyuba. brûlée vive à son tour en tendant de sauver Polina après l’atterrissage, en vain. Trop de morts, trop de souffrances. Lyuba tire, en plein cœur. Serafima s’effondre. Elle demande pardon, mais ses dernières pensées sont pour Sara et l’amour qu’elle ne connaîtra pas. Lyuba est neutralisée, emmenée et, on s’en doute, exécutée. Officiellement, Serafima et Valya sont mortes en mission et l’armée leur rend l’hommage qui leur est dû. Leur dévouement pour la Mère Patrie inspirera le peuple.

Tel est le destin des héroïnes soviétiques. Jouez à Night Witches si vous voulez aller au bout de vos limites et le connaître.

Benjamin Kouppi, avec Serafima Kerovpian

9 pensées sur “Night Witches : nous, les héroïnes du 588e [par Macbesse]

  • 24 juin 2018 à 20:21
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    Correctif. Je bats ma coulpe et je me couvre la tête de cendres puisque je me suis prévalu d’une expertise pour dire des bêtises.

    En effet, Nicolas Dessaux me signale gentiment que l’avortement a été interdit à partir de 1936, ce que j’avais totalement oublié. J’ai donc ressorti les articles qui en parlent, et il a raison. Légalisé en 1917, l’avortement est en effet rendu très difficile en 1936, avec des conditions restrictives, renforcées en 1944. Il revient en grâce en 1955 à la faveur de la mort de Staline.

    My bad.

    Par contre, ça ne fait que renforcer ce que je disais : ces quelques pages de mise au point sont nécessaires.

  • 29 juin 2018 à 10:14
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    Je me suis arrêté à « Un jour en France, un éditeur a pris le risque d’éditer un jeu de niche sans passer par cet outil devenu la norme et sans infliger une course à l’échalote absurde aux futurs acquéreurs ».

    C’est absurde, dommage pour le jeu, mais au final pas plus que votre charge constante et passéiste au détriment de vos articles par ailleurs de qualité.

    • 29 juin 2018 à 10:54
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      Je pense qu’on ne s’est pas bien compris. Passéiste ?? Sais-tu quel est le premier acteur du monde du JdR francophone a avoir eu recours au crowdfunding ?

    • 29 juin 2018 à 14:27
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      Il s’agissait moins de critiquer le principe du CF, qui est une des meilleures choses qui soient arrivées au jdr, que de saluer l’audace de l’éditeur.

  • 30 juin 2018 à 11:41
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    Ha ha, trop fort. J’avais fait le grossissent de la version anglaise et n’avais jamais osé le maîtriser (2014 il me semble). Je me décide enfin et là bim, magnifique critique. Merci à toi, ça me motive encore plus.

    • 30 juin 2018 à 14:23
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      Ca me fait plaisir de voir que mon enthousiasme est communicatif. Bonne partie. 🙂

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  • 31 août 2018 à 13:11
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    Je vous avoue que quand j’ai entendu parler de Night Witches, je ne connaissais absolument pas, enfin en jeu de role en tout cas. Pour moi les Sorcieres de la nuit etaient une unite de femmes qui etaient evoquees dans une bande dessinee que j’avais lue il y a quelques annees, qui se nomme le Grand Duc. Et bien, on est loin de l’ambiance du jeu de role. Genre la distance entre Tambov et Buchholz ces deux lieux n’etant pas choisis au hasard.

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