Darkrunes – Le jeu d’aventures

Ma lecture de Darkrunes a été compliqué.

Parfois, je le trouvais génial car il combine beaucoup de chose que j’aime (les mythes celtes et scandinaves, la magie issue de ces cultures et, bien sûr, l’héroïsme qui s’en dégage). Mais souvent mon plaisir fut entaché par quelques écueils que l’on peut – peut-être – excuser à une toute jeune maison d’édition. Je vous propose donc que l’on voit ensemble ce que j’ai aimé et ce qui m’a dérangé dans Darkrunes, le jeu d’aventures.

Quand le temps nous est conté

L’univers de Darkrunes prend place dans une Europe celtique fantasmée dans laquelle se côtoient des Viking, des Gaulois et des Minoéns (il est à noté que cette dernière civilisation fera l’objet d’un supplément dédié à paraître). L’Histoire se mélange aux légendes pour nous proposer un terrain de jeu cohérent et fort inspirant. Dit autrement, le livre de base vous parle de Thor qui combat le Jormungand et, quelques pages plus loin, de Vercingétorix à la bataille d’Alésia.

On sent, à la lecture de ce premier chapitre, la passion et la connaissance que possède l’auteur pour ces cultures et le fait qu’il a voulu réunir tout ce savoir – sans pour autant nous noyer dans une masse d’informations – dans son jeu. Le livre de base s’offre même le luxe (merci la souscription) d’illustrer la présentation des régions importantes par plusieurs cartes toutes en couleurs. Bref, le monde de Darkrunes est riche, connu et on a envie d’y vivre de grande aventures épiques.

Le problème, c’est qu’en lisant les premières pages, on a du mal à savoir ce qu’on y joue. Il faut atteindre la page 28 pour avoir une début de réponse. Cette confusion vient du fait qu’en plus du choix des civilisations et la variété des lieux proposés, vient se rajouter une notion de temporalité. En effet, Darkrunes vous permet de jouer avant, pendant ou après le Ragnarock. Et le livre de base mélange constamment ces trois époques dans ses descriptions. On a du mal a se situer et à définir une orientation parmi toutes ces possibilités.

Si vous avez déjà eu l’occasion de lire un très bon jeu au background riche (7Mer, Polaris), vous savez qu’il est laborieux de savoir par « quel bout » aborder l’univers. Darkrunes a le même symptôme, mais en y ajoutant trois âges jouables. Vous trouverez ci-dessous un extrait présentant la ville de Saguntum, un lieu important d’Iberia (l’Espagne) :

Initialement nommée Arse, le castro de Saguntum est une grande métropole ibérique. Dès le cinquième siècle avant le Ragnarok (AR), il développe grandement son commerce avec les Minoens (et notamment le royaume étrusque) et les Phéniciens.

Durant l’année 219AR, les Arsiens s’allient avec les Etrusques dans leur guerre contre les Carthaginois ce qui leur vaut d’être assiégés par Hannibal et son armée durant neuf long mois. Au final, les troupes du général carthaginois viendront à bout des défenses de la cité et en prendront possession.

Les légions étrusques, menées par Scipion l’africain, « libéreront » Arse de l’occupant carthaginois en 212AR. La cité deviendra alors Saguntum et par la même un comptoir Minoen.

Ce passage témoigne de la richesse historique que peut offrir le jeu tout en montrant les écarts chronologique. D’autant que le scénario d’introduction proposé en fin de livre se situe en -4AR.

Cette confusion se retrouve également à la création de personnage. Même si en introduction, il nous ait dit qu’on peut choisir notre profil de héros en fonction de l’époque à laquelle on souhaite jouer, rien dans le choix des classes nous précise l’époque ou la civilisation les plus adaptés à la classe désirée.

Un exemple de profil. Chacun bénéficiant de son illustration.

En dehors du fait qu’on peut être perdu à la lecture de ce premier chapitre, c’est surtout un sentiment de frustration qui nourrit notre petit cœur de MJ sensible. En effet, comme je le disais en introduction, l’univers de Darkrunes est riche et inspirant. Et en choisissant telle approche ou telle époque, on passera assurément à côté d’une partie du jeu. Même si l’auteur, conscient de cette particularité, suggère une petite astuce : le voile de sidhe, vous permettant – sans en abuser – de faire des bonds en avant dans l’espace-temps.

On espère que cette difficulté d’approche sera corrigée dans la campagne Ragnarok qui permettra de profiter de l’univers tout en mettant « le pied à l’étrier » pour le MJ perdu en lui proposant un cadre de jeu précis.

Prototype de couverture pour la campagne Ragnarok. Non financée durant la souscription (mais on espère qu’elle sortira).

Ceci étant, tout le chapitre sur l’univers de Darkrunes reste plaisant et très intéressant à lire. La partie sur les religions ou encore la chronologie historique sont à la fois inspirantes et pédagogiques. Sa lecture donne envie d’y jouer, encore faut-il savoir par quel bout le prendre.

Le système

Darkrunes utilise le système SIMU, un moteur de jeu générique qui sera prochainement édité chez Yggdrasil Editions. Nous avons donc ici l’occasion d’en avoir un avant-goût.

Chaque personnage est défini par dix attributs (allant de -4 à +5). Chacun d’entre eux, selon la fourchette de valeur dans laquelle il se trouve, définit un modificateur (bonus ou malus). Ensuite, le joueur choisit un profil de personnage qui va déterminer son équipement de départ, sa catégorie (combattant, ésotériste, etc.) et une liste de compétence chiffrées. Pour résoudre une action, il faut lancer 2D10 + score de compétence et le résultat doit être supérieur à un seuil de difficulté (15 pour une action courante).

Quant aux combats, ils s’avèrent beaucoup plus tactique. En effet, chaque PJ possède des points de Manœuvre qu’il pourra dépenser pour multiplier et varier ses mouvements d’attaques et de défenses. Cela peut paraître complexe, mais tout est rappelé sur la feuille de personnage. C’est d’ailleurs l’un des points forts du système de règles : il bénéficie de nombreux exemples clairs et détaillés. Et heureusement ! Car on peut retrouver dans ce chapitre la même confusion que dans le précédent. Par exemple, il y a de nombreuses références à d’autres parties sans préciser les numéros de pages (obligeant de retourner au sommaire avant d’aller au chapitre concerné) ou encore, il n’y a pas de chapitre dédié au meneur, par conséquent, on a des révélations dans la section « système de jeu ». C’est d’autant plus surprenant que certains de ces défauts sont corrigés dans l’écran, où chaque tableau ou point de règle est associé à son numéro de page correspondant. C’est ce qui énervant et qui m’a « perturbé » durant ma lecture de Darkrunes : on y trouve des erreurs qu’on n’est plus censé avoir en 2018, et à la fois pleins de bonnes idées qui exploitent les bénéfices de l’édition moderne. Par exemple, chaque compétence utilise d’un code couleur qui rend la lecture très agréable et qui facilite les recherche en cours de partie.

Mais au final, on joue quoi ?

Il est difficile de pouvoir répondre précisément à cette question après la lecture de Darkrunes. La variété des cultures proposées, l’étendue géographique du terrain de jeu, les trois différentes époques possibles et l’absence de chapitre dédié au meneur, pour cadrer le tout, fait qu’on est un peu perdu. Les joueurs incarnent des personnages au sang divin, les plaçant ainsi au dessus du commun des mortels et promis à un destin forcément épique. Le livre a la bonne idée de proposer un paragraphe expliquant comment regrouper les joueurs. Cela reste appréciable, mais pas suffisant.

skål !

Par contre, la donne s’inverse à la lecture du scénario d’introduction présent dans le livre de base (qui prend place -4 an avant le Ragnarok). Ici, tout est cadré : on y trouve une intrigue épique, une scène d’introduction qui justifie le fait que les PJ soient ensemble, des morceaux de textes à lire aux joueurs (en bleu) et des points d’explications de règles (en rouge). Un scénario d’introduction clé en main comme on aimerait en voir plus souvent dans les livres de base.

Cette qualité se retrouve et se confirme dans « Comment j’ai sauvé Viriathe« , le long scénario (en 3 actes) fourni avec l’écran de jeu. Vous y trouverez une approche didactique, des encadrés en couleur pour aborder un point de règle (en rouge) ou suggérer une mise en scène narrative (en bleu), des encadrés qui content les légendes locales et des plans pour toutes les zones importantes de l’intrigue. Seul manque à l’appel : une liste de PNJ.

Conclusion

Brouillon dans son approche, certes, mais Darkrunes possède énormément de qualités qui ont su être cristallisés dans les deux scénarios proposés. Si vous hésitez, achetez juste l’écran pour jouer son scénario. Ce dernier est assez bien écrit et détaillé pour se suffire à lui même. Si vous êtes convaincu, vous pouvez alors vous laissez tenter par le livre de base en attendant, on l’espère, la sortie de la campagne Ragnarok. Car si sa qualité rédactionnelle est du même niveau que le scénario de l’écran, on aura là une campagne mythique et une gamme à suivre avec intérêt.