L’Ecryme de la cream

Les p’tits gars de Ecryme 2, on les a déjà interviewé dans le Fix mais ça remonte à… fouloulou… on ne préfère pas le révéler pour ne pas les humilier, rapport aux délais… ah, crotte, c’est trop tard : vous avez cliqué sur le lien. Pour finir de bien ridiculiser tout le monde, précisions qu’à l’époque, on s’était tapé un fumble sur le prénom dudit Clavel. Bref : bienvenue à Alexandre Clavel et Samuel Metzener pour une interview-bilan.

 

1. Ayé, vous êtes en train de finir de livrer le CF terminé en… mai 2016. Hanhan, vous savez que vous n’êtes pas passés loin du titre de champion, là ?

Ah, on attaque fort avec LA question qui fâche… et sur laquelle nous revenons en détail dans notre « making of », un ouvrage pdf exclusif promis aux souscripteurs qui a été réalisé en collaboration avec Jérôme Larré et Coralie David. On espère que nos souscripteurs nous pardonneront de dévoiler un peu les raisons de ce retard. On va essayer de faire cout pour ne pas ennuyer les lecteurs, mais d’être pour bien comprendre où nous avons merdé et pour qu’avec un peu de chance, ça serve à d’autres. Au départ, nous avions donné nos dates en toute bonne foi… et nous livrons l’intégralité avec 2 ans de retard. Les souscripteurs peuvent témoigner que les textes ont été envoyés à celles et ceux qui le souhaitaient pendant la souscription. Il nous manquait alors la campagne, quelques bonus (dont une partie des 80 ballades) et le supplément « Chemins de traverse ».

– La principale cause vient d’un mauvais calcul de notre charge de travail restante (relecture, briefing des illustrateurs, mise en page, temps nécessaires pour les illustrateurs, relecture sur le produit mis en page, réponse aux souscripteurs afin de tenter de justifier le retard mais aussi écriture des ouvrages manquants…). Dans notre savant calcul, nous n’avions pas non plus envisagé de difficultés personnelles… Sans nous étendre sur le sujet, on a affronté après la souscription 6 mois de problèmes de santé, familiaux ou professionnels. Ce n’est pas une excuse, mais pour conserver un ton « fixien » sans langue de bois, au prorata de ce qu’on a gagné sur plusieurs années de boulot, eh bien quand les choses plantent grave, c’est assez dur de conserver la motivation.

– Une autre source de nuit blanche vient d’un second mauvais calcul. Au moment de la préparation de l’offre, la mise en page n’avait pas été réalisée et on s’est planté sur le signage attendu. Le réajustement d’un texte de manière conséquente est presque plus lourd que l’écriture initiale. Le meilleur (ou le pire, c’est selon) exemple est le recueil des 80 scénarios. La souscription a été un moment intense en émotions et nous avons été touchés par les gens qui ont cru en nous et nous ont soutenus. Ainsi, quand on a proposé ce recueil, on s’était dit : « Ouais, ça va le faire, on s’y met à plusieurs et on y va ». Au départ, on visait 80 petits paragraphes et c’est tout. On s’est rapidement dit que ce serait plus respectueux d’augmenter leur taille et leur présentation pour les rendre plus jouables et accessibles. Le problème est qu’il a fallu réécrire de nombreux passages pour homogénéiser les styles des auteurs, donner des conseils, traquer les redondances (et sur 80 scénars écrits par 5 auteurs, il y en a beaucoup), mais surtout s’assurer que le signage était respecté pour TOUS les scénarios. Cela a signifié, lors de la mise en page, de reprendre chaque texte, de traquer les segments trop courts et de raccourcir ceux qui étaient trop longs. On y a perdu des mois et de nombreux RTT/CP.

– On a voulu faire de nombreux à-côtés comme le making of ou le recueil de nouvelles avec Mnemos. On en est fier mais ça a eu un coût en temps, en énergie et ne rapporte rien.

– La campagne intitulée « La balade d’un troubadour muet », écrite à 6 mains avec Pierre Coppet n’a pas suivi le plan initial. Au final, on la pense meilleure mais elle a nécessité un gros ouvrage supplémentaire.

– Les aléas de la vie éditoriale ont fait que Matagot avait un agenda pro nécessitant des sprints ponctuels sur tel ou tel autre projet, délaissant Ecryme pour quelques jours/semaines. Cela a créé un rythme d’avancée en accordéon.

2. Champions toujours : votre foulancement à l’époque s’est terminé à… 1648 % de l’objectif ! ? Vous êtes plutôt du genre : A/ pessimiste B/ modeste C/ qui ne sait pas compter ?

Le financement participatif présente plusieurs avantages dont les principaux sont :

1-     De financer son jeu (et par là je n’entends pas uniquement réunir les fonds nécessaires à la production de son jeu mais de bénéficier de prévente directes).

2-     De faire une pseudo étude de marché pour calibrer son jeu.

3-     De faire de la publicité (bonne ou mauvaise).

Notre ressenti initial était que les souscriptions se divisaient en plusieurs catégories : certains éditeurs avaient besoin de cet argent et d’autres cherchaient à profiter des avantages. Après coup, la réalité se situe entre les deux et dans l’investissement initial de l’éditeur. Pour Ecryme, on est parti à trois (avec Hicham de Matagot) avec la conviction que ça fonctionnerait un peu envers et contre tous. « Le steampunk, c’est peu porteur » ; « Ecryme n’a obtenu qu’un succès d’estime, n’a pas de communauté de fans… ». On a calibré l’offre pour 50’000 euros et non le double. Soyons honnêtes, on a été surpris par le succès.

Après coup, on a été accusé de surfer sur la vague de la nostalgie mais on parle bien d’un jeu qui a eu deux maisons d’édition qui sont mortes suite à sa publication. Si un jour Miles Christi (on l’espère de tout notre cœur, Samuel étant un fan de la première heure), ou Tsaliar (il faisait partie de ces jeux de la Boite à Polpette qui faisait rêver Alexandre) étaient réédités, on dira si ça fonctionne que c’était de l’opportunisme et que ça ne nécessitait pas de passer par un foulancement…. Mais, on conseille aux volontaires de passer quand même par un financement participatif pour les mêmes raisons que nous.

Nous avions des envies, l’éditeur en avait d’autres. On a fait les paliers en fonction… et les souscripteurs ont dépassé nos espérances ce qui nous a permis d’améliorer ce que nous comptions faire… On a pu sortir des campagnes dans des ouvrages spécifiques sans les éclater dans X suppléments, (rappelons que les campagnes ne sont pas réputées pour se vendre), et des scénarios et encore des scénarios (qui ne sont pas réputés pour se vendre)… On a toujours essayé de rebondir en proposant des paliers qui nous faisaient plaisir et sans tomber dans la putasserie (quasiment tout est fait pour jouer, fait qui a été salué dans les différents unboxing du jeu qui ont eu lieu en ce début d’année).

3. Au final, qu’est-ce que vous retenez de cette expérience éditoriale (retards compris) ?

La dualité de ce mode de financement fait qu’on a eu du retard mais ça nous a permis de sortir ce qu’on attendait, et même au-delà. Si nous avions été plus modestes, on aurait sûrement eu moins de retard. Rappelons aussi au passage que les suppléments « donnés » en palier aux souscripteurs ne sont pas payés et que nos contrats sont proportionnels aux ventes (on ne touche donc rien sur les 80 ballades ou sur le second volume de la campagne). Les souscripteurs auraient moins investi sur le long terme mais n’en auraient pas retiré un aussi bon rapport qualité-prix (honnêtement, on a encore du mal à comprendre que les offres boutiques soient encore disponibles).

Ça serait à refaire, on aurait une mise en page plus complète et on serait sûrement parti un peu plus bas, on fournirait sûrement moins en termes de quantité, mais on ne partirait pas sur une prévente seule l’objectif ayant toujours été de faire un plus bel objet). On aurait surement eu un peu de retard et donc les mêmes questions sur les retards et les coûts de départ.

Pour finir une note positive. Dans certains cas, la souscription permet d’améliorer les produits puis de les mettre à la disposition de toute la communauté sans en augmenter le prix. Ainsi, les souscripteurs de l’Appel de Cthulhu chez Sans Détour ont pu faire bénéficier toute la communauté d’Aventures effroyables à un plus bas prix. Pour Ecryme, c’est un livre de base grossi de 5 scénario et des conseils pour les débutant qui ont pu être ajouté sans modifier le prix (sans parler des illustrations plus nombreuses), c’est une campagne à plus bas prix qu’elle n’aurait été vendue ou les 80 ballades qui sont également vraiment peu cher qui se retrouve en boutique pour tous même les non souscripteurs.

4. Matagot est un éditeur multicartes qui ne fait que marginalement du JdR. Ce n’est pas un handicap de votre point de vue ?

Comme disait Einstein, tout est relatif. Le défaut principal, c’est que le secteur JdR n’est pas comparable au chiffre d’affaire des jeux de plateaux. On est donc souvent passé après d’autres projets, comme on l’a déjà soulevé. On a fini par s’y faire. Les côtés positifs sont qu’on a eu une liberté créatrice énorme et qu’on a bénéficié d’un savoir-faire excellent en termes de réalisation (par exemple la boîte en bois collector qui a une gueule folle). Enfin, aussi dès le départ, Matagot a voulu une gamme (dont le nombre d’ouvrages allait varier en fonction du résultat de la campagne). Quand on avait fait le tour des éditeurs, au début de notre projet, c’était ce point précis qui nous avait décidés.

5. La livraison du CF est impressionnante et il semble y avoir du matos en quantité suffisante pour jouer à Ecryme lors des 25 prochaines années. Du coup, vous envisagez quand même un suivi ou ça s’arrête là ?

On ne va pas laisser tomber le jeu. Comme dit, Matagot envisage une gamme. Notre volonté d’auteurs a toujours été d’aller à l’essentiel pour ne pas disperser. On prévoit deux gros ouvrages : un pour les conteurs et un atlas. C’est notre priorité. Ils sont déjà bien entamés mais on ne veut pas se mettre de pression. Donc ils sortiront quand ils sortiront. Pas aux calendes grecques mais pas demain non plus. De manière plus lointaine, on envisage aussi, pourquoi pas, cinq petits ouvrages thématiques développant un aspect de l’univers (les nobles marchands, les religions, les ghildes, les ministères, les Loges). Le fait est qu’on a déjà plus de 100 scénarios pour ce jeu à l’heure actuelle, on peut donc prendre un peu notre temps pour faire un truc qui continue à claquer.

6. A l’origine, Ecryme, c’est 4 livrets à couverture souple et intérieur noir et blanc. Votre version avec sa quantité de matos luxueux, elle dit quelque chose, vous pensez, de l’évolution de notre loisir en 25 ans ?

On doit avouer ne pas être sûrs de bien comprendre la question. Il sort divers types de jeu, ce qui est une excellente chose car il en faut pour tous les goûts. De manière générale, il nous semble que les plus récents sont plus courts : entre 100 et 300 pages. De cela, on a essayé de conserver l’accent mis sur l’accessibilité, le fait de fournir des outils pour que les joueuses et les joueurs puissent s’approprier l’univers, les règles, etc.

En ce qui nous concerne, la première édition d’Ecryme était indéniablement plus courte (la description de l’univers faisait 45 000 signes, soit moins qu’un scénario grand écran Casus Belli première mouture). Elle était extrêmement évocatrice et poétique, mais elle était aussi sans doute plus difficile à appréhender (une des raisons de son échec). On a augmenté les textes (raisonnablement pour éviter les overdoses) mais aussi les moyens de rendre ce jeu abordable. C’est passé par des explications, des résumés, des outils, mais aussi et surtout par des scénarios. De quoi jouer à la mesure du temps qu’on peut y consacrer. C’est notre pari d’auteurs : faire découvrir cet univers si singulier par le biais d’aventures à y vivre. C’est vraiment patent, car la grande majorité des suppléments sortis grâce à la souscription ne sont pas des ouvrages de contexte mais des scénarios. Et ce qui est chouette, c’est que pas mal de critiques du jeu ont souligné l’aspect pédagogique de notre démarche. Donc oui, on est parti sur un jeu à gamme mais on a bien conscience que les années 90 sont terminées depuis longtemps. On a pensé Ecryme comme un jeu fait pour être joué vite, mais avec suffisamment sous le capot pour tenir sur la durée et pourquoi pas jouer dans la cours des grands (voire des très grands) pour côtoyer des Warhammer, des Appel de Cthulhu, des L5R… On ne sait pas si on y est arrivé mais comme l’article du Fix du 29 janvier 2019 a comparé Ecryme avec Bloodlust, Maléfices, Nephilim, INS/MV, Rêve de dragon, MEGA…, on espère avoir réussi :D.

Enfin, si ce qui gêne c’est le « matos luxueux », mis à part la boite en bois, on n’a pas livré grand-chose qui ne serve pas directement le jeu. Du scénario, de la campagne, des conseils…. On a fait certes le pari de la quantité mais jamais au détriment de la qualité.

7. Question subsidiaire. C’est qui le plus sympa : Gaborit ou Schuiten ?

Sans aucune hésitation, Mathieu Gaborit. Schuiten a été génial – et nous ne le remercierons jamais assez d’avoir accepté de nous laisser faire usage de certaines de ses illustrations, mais nous n’avons pas de contact direct avec lui. En revanche, du début à la fin, Mathieu a été vraiment humain, ouvert, modeste (malgré son talent) et de bon conseil… Il nous a laissé faire ce qu’on voulait avec l’univers qu’il avait créé avec Guillaume Vincent, parce qu’il avait compris qu’on serait respectueux. On resigne pour bosser avec lui quand il veut !

Et puisqu’on en est à parler de personnes sympas et talentueuses, je profite également de cet espace pour saluer le travail de Nicolas Fructus (professionnel extraordinaire qui nous a pondu des illustrations totalement dans le ton de Schuiten pour ne pas chambouler notre charte graphique), bien sur Remton et Emile qui nous ont donné le ton de l’univers ainsi que Sabrina qui a nous aider à combler des retard tout en s’adaptant aux deux premiers illustrateurs.

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