Alors, rats débiles ou rats méchants ? [Critique – Rats in the wall]

Alors, déjà, une précision. Non, le Fix ne se met pas aux hype anglo-saxonnes. Notre champ d’action reste bel et bien le jeu francophone. Or, il se trouve que Kobayashi, heureux homme, est bilingue et qu’à l’image d’un Eric Nieudan ou un Olivier Legrand, il lui arrive de publier directement ses jeux en anglais. Et parfois même de nous abandonner à notre triste sort, nous autres les adeptes de Deepl et de Harrap’s réunis. Là, ce n’est pas le cas et c’est donc bien de la VF de Rats in the wall dont nous allons traiter. Ouf.

Constante Kobayashienne (ouaf) oblige, vous avez là un tout petit ouvrage de 66 pages sous couverture souple, disponible en PDF ou en impression à la demande (mieux pour la couverture souple, d’ailleurs ^^). C’est court, c’est nerveux, c’est intense. Tout tient dedans, promis-juré.

Tant qu’on est à parler de la forme, à noter la grande qualité des illustrations jointes. Relativement nombreuses et pleine page, elles sont sacrément inspirantes. Bien plus, pour moi, que les imports bruts et parfois un peu maladroits de toiles de maître de différentes époques utilisées pour Striscia. Ces illus sont signées Tithi Luadthong, un artiste thaïlandais, et c’est vraiment très chouette : https://tithi-luadthong.pixels.com/

 

Bon, alors, c’est quoi cette histoire de rats ? Encore un jeu chelou où on joue des animaux, juste derrière celui sur les écureuils et les chats ?

Non, pas du tout. On est même dans l’exacte antithèse d’un mode de jeu original puisque Rats in the wall aborde… l’aventure lovecraftienne. Le biais choisi est quand même intéressant : ce n’est pas parce que l’univers de Lovecraft est désormais libre de droits que l’on doit systématiquement se coltiner Nyarla-machin et les Chiens de truc-chose à chaque fois. Une grande partie de l’ambiance lovecraftienne repose sur les mystères indicibles et les réalités insondables. Si le joueur est plongé dans une ambiance qu’il connaît sur le bout des doigts, y a un truc qui cloche. C’est donc un jeu lovecraftien-Canada dry : cela ressemble à du Lovecraft mais cela n’en est pas tout à fait.

Au-delà de cette idée, il faut bien avouer que l’on sent aussi une démarche minimaliste assumée, probablement en réaction aux gammes obèses proposées jadis par les Éditions Sans-Détour, coutumières des volumes énormes publiés par pack de 3 ou 4. De son côté, Edge a déjà annoncé pas mal de publications pour les mois… euh, trimestres à venir sur son propre L’appel de Cthulhu. Du coup, la question est posée : faut-il être riche et gros lecteur pour se lancer dans une campagne d’ambiance lovecraftienne ? La réponse de Kobayashi est claire : non.

Plus exactement, c’est non si vous êtes bel et bien dans ce felling Old School Renaissance qui irrigue l’ensemble des jeux des Livres de l’Ours. Cela implique de se libérer de plein d’habitudes contractées au fil des décennies et qui ont conduit à penser que, en effet, il fallait des tomes épais, des feuilles de perso velues et des campagnes sur-scriptées pour pouvoir jouer.

Ici, élément OSR clairement identifiable, comme d’ailleurs dans tous les jeux de Kobayashi, le premier commandement est de ne pas s’embarrasser avec le fameux « moteur de jeu ». Dans tous les cas, vous lancez deux D6, si vous avez un bonus, vous l’ajoutez, sinon, vous les jetez quand même, vous additionnez le tout, ça fait 8 et +, c’est cool, sinon, c’est moins cool. Basta. Le tout s’accompagne des habituels conseils pour jouer de cette façon : les jets doivent être motivés, tendus, bien définis et aboutir obligatoirement à une bifurcation de l’histoire, bonne ou mauvaise pour le PJ selon le verdict des dés.

Les personnages sont définis de façon ultra-rapide. Ils n’ont pas de compétences, seulement un métier et une réputation (et quelques caracs, ‘faut pas déconner non plus). Chacun de ces deux choix aboutit à une sorte de talent spécial unique (souvent une exception aux règles ou un bonus dans des conditions spécifiques). Cela a l’air peu de choses mais cela permet des combinaisons très nombreuses. Surtout, c’est une création de PJ qui répond à l’essentiel des vrais attendus autour d’une table de jeu le vendredi soir : cela n’empiète pas sur le temps de jeu, il n’y a pas besoin de se fader des pages et des pages de descriptions, de listes de compétences et de feats et les persos sont malgré tout très typés, tout de suite identifiables par les autres joueurs, donc.

Pour le moment, c’est très classique. C’est d’ailleurs un des reproches que l’on pourrait faire à Kobayashi : il ne publierait pas plusieurs fois le même jeu avec des thèmes différents, en fait ? Non. Là où le jeu devient vraiment intéressant, c’est dans l’étonnante synthèse qu’il propose de l’ambiance lovecraftienne. Les dieux, créatures, sortilèges, conseils d’ambiance qui sont fournis sont tous originaux (je le répète : ce ne sont pas les « vrais » éléments lovecraftiens comme dans l’AdC ou ToC) mais surtout décrits avec une efficacité qui puise sa force dans l’économie des mots. Pas 4 pages pour vous dire que c’est un gros gars avec des tentacules. Juste 4 lignes. Et, l’expérience prouve que c’est largement suffisant, surtout dans le cadre d’un univers dont tous les rôlistes ont de toute façon déjà des présupposés.

Le gain de cette économie de moyens est que le jeu est remarquablement stand alone dans ses 66 pages petit format et maquette très aérée. Rats in the wall n’oublie pas une progression des PJ très détaillée, un répertoire de 35 sortilèges, un bestiaire correctement fourni, des règles de gestion de la santé mentale et, même, pourquoi se priver ?, l’équivalent des Contrées du Rêve. Pas quand même de scénario pour le même prix mais de nombreux conseils et outils sur comment en créer un. Une concision remarquable qui permet de rendre accessible le loisir à tout à chacun, faible lecteur ou personne sans ressources très importantes à consacrer aux loisirs.

C’est, toutefois, là où le ver est dans le fruit. Kobayashi n’en fait-il pas parfois un peu trop dans une recherche d’un minimalisme qui confine parfois à la pose (« mon jeu est plus très court que le tien, t’as vu ? »). On peine ainsi parfois à comprendre ce qui justifie certains silences ou absences qui, au détriment de quelques misérables pages supplémentaires, auraient pu être comblés facilement et ainsi séduire encore plus de rôlistes qui, en l’état, resteront parfois sur le quai.

D’une part, le jeu manque remarquablement d’exemples. Certes, rien n’est mécaniquement compliqué mais l’usage que l’on doit faire de ces règles échappe parfois au lecteur distrait ou peu sûr de lui. La gestion des PNJ durant des scènes où le MJ est invité à ne jamais lancer les dés lui-même est notamment un point délicat qui serait sorti grandi avec des exemples détaillés (idem pour la SAN, par exemple). Dommage.

Enfin, surtout, même si on apprécie la section sur les conseils de création de scénarios, on aurait aimé les voir mis en exergue dans, au moins, un scénario prêt-à-jouer. Après tout, un jeu aux principes assez similaires comme Tranchons & Traquons en contient pas moins de deux, pourquoi Rats in the wall ne bénéficie pas de ce même souci de prise en main directe. Cela est d’autant plus dommage que le jeu se termine par une annexe dont l’utilité interroge : il s’agit de quelques pages supposées permettre de déplacer l’action dans l’ambiance des Croisades au XIIIe siècle. Mouais. Pourquoi pas mais chaque chose en son temps, non ?

Pour conclure, que ce petit goût d’inachevé ne vous empêche surtout pas de tenter l’expérience. Rats in the wall est beau, pas cher, bourré d’idées… c’est un achat à réaliser en toute confiance pour peu que vous n’ayiez pas été rebuté par un des points soulevés dans cette critique.

Le jeu est disponible en PDF ou en POD sur Lulu : http://www.lulu.com/shop/kobayashi/rats-in-the-walls-version-fran%C3%A7aise/paperback/product-24231552.html

http://livresdelours.blogspot.com/2019/09/rats-in-walls-le-jeu-dhorreur-cosmique.html