De notre envoyé spécial à Valnuit

Le Fix m’a dépêché à Valnuit, une bourgade perdue quelque part dans le sud de la France, peut-être dans les Alpilles mais je ne parviens pas à reconnaître le paysage et c’est bien la première fois que je vois une marina dans la garrigue. Après une course éperdue sous une pluie battante de tatous et de desmans, j’ai rejoint Emile Pellerin et son équipe dans les studios de l’émission Bienvenue à Valnuit et je tente de tout faire pour éviter de penser aux bruits d’insectes rampants qui deviennent de plus en plus forts.

– Emile, auriez vous la gentillesse de présenter l’émission pour les lecteurs du Fix ?

Emile : Eh bien, nous sommes la radio communale de Valnuit, une charmante petite bourgade de notre beau pays, située dans ce que certains appellent la « diagonale du vide ». Je me charge de diffuser à mes concitoyens les nouvelles importantes qui les concernent, même quand d’étranges lumières passent au-dessus de leurs maisons lorsqu’ils font semblant de dormir. Par exemple, l’ouverture d’un parc à chiens dans notre petite ville tranquille est un événement en soi. J’en profite d’ailleurs pour rappeler que les gens ne sont pas autorisés à entrer dans le parc à chiens, pas plus que les chiens, car la clôture électrifiée est extrêmement dangereuse.

Je traite de la vie locale, du sport ou des petits commerces. Il y a aussi l’info-trafic ou les comptes rendus des conférences de presse de Mme la maire. Des conseils santé, aussi : quand mettre ses vaccins à jour, combien de poches de sang laisser aux vampires du quartier est, ce genre de choses banales. Mon émission est transformée ensuite en podcast, écoutable sur Internet aisément, avec 1 épisode par mois. Ce n’est pas parce qu’on est une petite ville qu’on n’est pas modernes, hein. La preuve, depuis peu de temps nous pouvons bénéficier de 3,14 chaînes (environ) à la télévision.

Bien sûr, tout cela est rendu possible grâce à mon équipe technique et je profite de l’occasion pour saluer ces hommes de l’ombre, à savoir les stagiaires Côme et Loris qui risquent leur vie pour ramener des nouvelles du bout du monde (traduction/adaptation), Kobal qui fait en sorte que ma voix suave traverse le micro et parvienne à vos sept sens dont les deux auditifs (enregistrement, production, diffusion), Oliver des services généraux qui a repeint les locaux dans un bleu légèrement dérangeant (graphisme) et, enfin, Kalysto qui me sers de porte-parole lors des meetings en public (voix d’Emile).  

Une rumeur prétend qu’il existerait de l’autre côté de l’Atlantique une bourgade appelée Night Vale où tout ce qui arrive à Valnuit serait déjà arrivé. Connaissez vous ses habitants ? Comment vivez vous avec votre futur ?

Emile: Là, je me vois obligé de révéler des informations semi-confidentielles mais la police secrète municipale m’a donné un bon de divulgation d’informations semi-confidentielles valable pour une interview. En effet, il y a une ville appelée Night Vale aux États-Unis, qui a une émission appelée Welcome to Night Vale (WTNV). J’ai essayé d’y envoyer mon jeune stagiaire, Henri, pour enquêter. Avant sa disparition définitive, il m’a dit que cette émission gratuite, bi-mensuelle, est l’un des podcasts de fictions le plus écouté du monde. J’en profite pour dire à la famille de Henri que leur fils reste un des grand héros de notre radio, lui qui a sacrifié sa vie pour nous faire découvrir cette ville. Bon. Il a dit aussi :  « Le grand écart temporel pourrait faire croire que notre Valnuit est une simple traduction de ce qui leur arrive là bas et aaaargh… aarrrrgkkleeeuh… » (je cite).

Loris : C’est bien le cas. Mais pas seulement. Après avoir découvert le podcast WTNV, je me suis demandé ce que ça donnerait en français. Alors j’ai traduit le pilote et fait un enregistrement de ma voix avec mon téléphone. Ça ne marchait pas, simplement parce que les noms américains créaient un décalage avec le texte en français. D’où le déplacement de Night Vale, petit bled perdu dans le désert américain à Valnuit, petit bled paumé dans la diagonale du vide française. Après, j’ai proposé l’idée à Kobal, qui tenait déjà un podcast – Radio Rôliste –  et à Côme et Kalysto, qui participent à ce même podcast, de lancer ce projet de traduire le WTNV en français. Ils ont dit d’accord. Le plus difficile a été d’obtenir l’autorisation de l’équipe américaine, qu’on a rencontrée lors de leur passage en France. Ils nous ont donné un accord de principe, tant qu’on restait intégralement bénévoles, qu’on n’utilisait pas leur logo et qu’on indiquait bien notre statut de traduction autorisée mais non-officielle. Oliver Vulliamy s’est gentiment joint à l’aventure pour faire tout le design graphique, si on ne relatait pas son addiction au Cénovis (Oups).

Il existe aussi une fiction sous forme de tumblr, bien plus sombre et située au Royaume Uni, appelée Scarfolk.

Emile : Scarfolk est jumelée avec Valnuit depuis 1974 et fournit à la police secrète municipale des formateurs spécialisés dans les technique d’interrogations non-encore illégales sur notre territoire.

Côme : Évidemment, nous accusons un certain retard par rapport à la version originale (une broutille de 60 épisodes environ) ; mais tout auditeur de « Bienvenue à Valnuit » attrapé à écouter “Welcome to Night Vale” sera puni gentiment. Avec des poinçonneuses.

– On dit que Carlos, le célèbre scientifique qui étudie votre communauté, a plongé ses instruments dans cette déformation spatio-temporelle. Connaissez vous les résultats ? Savez vous comment se produisent les changements, de Nightvale à Valnuit ?

Emile : Carlos, le magnifique Carlos, quand je lui ai posé la question, s’est contenté de se mettre à trembler, d’éviter mon regard et de bégayer : « Il ne faut pas s’inquiéter, tout va pour le mieux. Non, vraiment ».

Loris : Comme dit plus haut, la traduction directe ne fonctionnait pas : les noms anglais mélangés au texte français rendaient étrangement à l’oral. Après, il faut réussir à tout adapter et c’est là qu’on rencontre de nouvelles difficultés, à savoir la consistance d’abord, c’est-à-dire ne pas changer un nom tous les épisodes et, ensuite, réussir à trouver des équivalents. Parfois c’est facile : Arby’s est un genre de Flunch. D’autres fois, c’est plus galère, comme quand il faut parler du système scolaire ou des équipes de foot, baseball etc. devenues équipes de foot (européen), handball etc. Dès le départ, avec Côme, on a commencé à alimenter une bible de traduction, histoire de s’y retrouver. Soit je traduis l’épisode et il le relit, soit il le traduit et je le relis. Après cela, Kalysto refait une passe pour deux raisons : d’abord, pour adapter le texte à sa manière de parler. Il faut que le texte coule tout seul, qu’il ne trébuche pas sur un mot et que cela ne sonne pas bizarre quand il y met le ton juste. La traduction pure peut rendre presque parfaitement un concept à l’écrit et être ridicule à l’oral. Ensuite, on a aussi pu rater quelque chose, comme des allitérations par exemple, difficiles à voir à l’écrit. Puis Kalysto se rend dans le désormais célèbre studio de Kobal pour l’enregistrement.

Kobal : Pour le montage je récupère les enregistrements bruts de Kalysto, que je nettoie, puis je redécoupe la piste pour avoir le bon tempo, et enfin j’ajoute les fonds sonores en piochant dans ma liste de musiques trouvées sur Jamendo. Puis c’est le mixage et enfin l’export en MP3.

– Depuis que je suis ici, je trouve tout l’univers menaçant, menaçant mais beau à la fois, mais je ne sais pas à quoi cela tient. Y a-t-il une explication à ce curieux phénomène ?

Emile : C’est tout à fait normal, un phénomène bien connu de nos médecins. Vous verrez, tout ira mieux quand vous aurez fait votre visite médicale obligatoire et qu’on vous aura enlevé 2-3 glandes sans importance…

Côme : Le propre de “Welcome to Night Vale” (et donc de « Bienvenue à Valnuit »), c’est de marier l’étrange, l’inquiétant, le grinçant et le drôlatique sans indigestion. C’est un peu la rencontre improbable entre les écrits de Lovecraft et ceux de Terry Pratchett… Il y a souvent ce basculement d’un registre à l’autre au sein d’un épisode, c’est ce qui fait la réussite du podcast. Nous n’avons donc pas grand mérite puisque tout le boulot est fait de l’autre côté de l’Atlantique ; même si je dois dire que les changement de tonalités de Kalysto marchent pour moi encore mieux que ceux de Cecil Baldwin, l’animateur américain.

 

– Le ciel était… taupe quand je suis arrivé. Emile, dites moi, quel temps fera-t-il demain ?

Emile : La météo, c’est…compliqué. Je ne veux pas m’avancer mais il me semble que demain il fera bauxite-pechblende, avec de superbes martensites en début de soirée. Mais ce n’est pas vraiment mon domaine. Je préfère parler de musique. Valnuit est une grande bourgade, pleine de citoyens bourrés de talent et nous autres, à la radio communale, avons à coeur de les faire connaître en espérant que quelqu’un les repère. Ainsi, chaque morceau a été fourni gracieusement par un groupe, différent à chaque fois. En échange de ce morceau, que nous diffusons intégralement, et d’une petite partie de leur âme, nous mettons le nom du morceau et celui du groupe, avec des liens vers leur site, partout où nous le pouvons et nous le citons. Si vous résidez près de Valnuit et que vous voulez faire connaître votre groupe, n’hésitez pas à me contacter.

Loris : Nous cherchons continuellement des morceaux et nous faisons la pub du morceau et du groupe dans la description de l’épisode, dans l’outro, sur le blog et partout où on le peut. Pour plus de détails ou proposer un morceau, c’est .

– Pardonnez ma question, mais j’aimerais transposer la vie de votre communauté dans un jeu de rôle, ou au moins m’en inspirer. Est-ce que vous y avez déjà réfléchi, ou même déjà essayé ?

Kobal : Le plus évident est Over the Edge/Conspirations

Loris : Moi je verrais bien Itras By comme moteur. Le mélange de surréalisme onirique avec des aspects inquiétants, c’est tout à fait adapté. Après, il y a toujours moyen de reprendre des éléments de Valnuit pour les jeux contemporains ayant une note de fantastique : Delta Green, The Laundry et autres. Un auditeur a d’ailleurs commencé un wiki qui rassemble les infos, ça devrait faciliter la vie à un nouvel MJ.

Côme : D’ailleurs on peut trouver en fouillant un peu sur internet un « actual play » d’une partie d’Itras By se déroulant à Night Vale. Malheureusement le groupe n’est pas très bon et ça tourne vite à la rigolade potache, mais c’est une vraie bonne idée. Sinon il existe un petit JDR gratuit en anglais, “Community Radio”, qui permet de jouer à être Cecil ou Emile. Je ne l’ai pas testé mais ça a l’air prometteur…

– En entrant dans le studio, j’avais une question essentielle à vous poser, et puis elle s’est dissipée, s’est effiloché comme un nuage qu’on laisserait partir au loin et qui se viderait lentement de son contenu, mais je garde la certitude que vous avez la réponse à ce cette question. J’aimerais la connaître. Oui, maintenant, avant d’être dévoré par les insectes.

Emile : Bien sûr ! La police secrète municipale vient de m’en fournir une version papier d’après leurs lectures télépathiques légales. Alors voyons… Hmm. Ah. LA question. Euh…


Vous voyez, c’est assez simple. Ne vous en faites pas, je vais tout vous expliquer. Rapprochez-vous, je vais vous la chuchoter. Un peu plus près. Plus près… Encore un peu… Ne craignez rien… Shhhhhh…

Emile, Côme, Kobal, Kalysto, Oliver & Loris.

Note :

Un épisode de Bienvenue à Valnuit paraît le premier de chaque mois. Il est disponible sur iTunes, Podcloud et autres plates-formes. Il est possible de lire les transcriptions des épisodes et de les écouter sur le blog.

Emile, le présentateur, a aussi ses comptes Google et Facebook, ainsi qu’un compte Twitter, où il est le plus actif.

Propos recueillis par Benjamin « Macbesse » Kouppi