Cégé nous raconte tout sans détour

Bah quoi ? Vous n’aviez pas vu l’absence de majuscules ? En effet, point de ragots médisants dans cette interview (c’est tellement pas le genre de la maison, en même temps…) de Christian Grussi, ancien de la belle époque (si) de l’éditeur Sans Détour mais, tout au contraire, un entretien tourné vers l’avenir. Et l’avenir, pour Cégé, c’est sa nouvelle structure Rafiot Fringant. Avec plein de nouveaux projets dedans. Alors ça méritait bien quelques questions pleines de posititivitude.

1. Rafiot. Fringant. Euh, on peut avoir une explication ?

Mais bien sûr ! Rafiot, c’est parce que je vis à bord d’une péniche plus vieille que le Titanic, que je retape depuis quelques années, et qui flotte toujours. Évidemment, elle a quelques pets sur la coque. Un peu comme mon parcours.

Et Fringant, car sous cette vieille coque un peu usée, il y a pas mal de pépites, d’envies, et que du côté motivation sur les projets, y a de quoi faire.

Voilà pour l’explication de mon « nom de scène », car au final, c’est ça. Je ne suis pas un éditeur qui a pour vocation de monter une multinationale. Juste un auteur indépendant, qui va s’autoéditer, avec les outils disponibles, avec l’expérience de l’édition, et sans oublier les amis.

2. Alors comme ça, on veut ressortir Arkeos, mais là, c’est devenu carrément Arkeos Adventures. On vise direct le marché international ?

Mais non, le marché galactique, voyons ! J’envisage d’ores et déjà de le faire traduire en Klingon ! Arkeos a toujours été un jeu cher à mon cœur, et dès sa fin, j’avais envie d’en faire une nouvelle édition, mais les aléas ont dicté de le laisser dans un tiroir.

Pour en revenir au titre, c’est d’une part pour clairement identifier une nouvelle édition, qui sera différente de la première sur de nombreux points, mais aussi en référence aux titres de magazines pulp de l’époque. Comme le magazine « Adventures » qui contenait des histoires bourrées d’exotisme et d’aventures (étonnant, non ?). Mais aussi car cette nouvelle itération sera dédiée à la possibilité de vivres pleins d’aventures différentes (mon correcteur automatique me signale un trop grand nombre de répétitions…) sur des sessions de jeu qui pourront être courtes.

Ça fait pas mal d’indices sur cette nouvelle version d’Arkeos, rien qu’avec l’explication du nouveau titre.

La nouvelle mécanique de jeu, qui sera très simple d’accès, est basée sur la mise et le bluff. Au travers d’un pool de points que pourra miser le joueur à sa guise, pour faire à peu près tout ce qu’il souhaite :

En l’état, ce pool est de 12 points. Il pourra donc effectuer 12 actions à un point s’il le souhaite (pas sur que ce soit efficace), ou effectuer 3 actions en même temps (je me planque (3 points), vise le fourbe et cruel cannibale pour le neutraliser (4 points) et reste sur mes gardes pour ne pas me faire surprendre par ses potes affamés (5 points)). Bien sûr, la fiche de perso, composée d’une série de cartes, lui procure des bonus selon les situations.

Mais s’il mise plus de la moitié de ses points dans une seule action, il prend des risques, et devra tirer une carte de fortune, qui peut aussi bien lui être favorable, défavorable ou neutre.

En face, le meneur dispose de cartes de danger, qu’il va poser en début de tour de table, face cachée. C’est le niveau à battre pour réussir une action.

Les points servent aussi de jauge de vie, d’énergie, et ils peuvent de fait diminuer au fil du temps, rendant les actions plus délicates, ou limitant les possibilités.

Bien entendu, cette mécanique favorise la narration et l’immersion, tout en restant très intuitive, et ce le début de la partie.

3. À l’époque de la sortie d’Arkeos, le jeu pulp était encore relativement inédit dans le paysage francophone. Or, depuis, on a eu la VF de Spirit of the Century, celle de Hollow Earth Expedition, bientôt le Pulp Cthulhu chez Edge, etc.. Du coup, ça a encore du sens de vouloir ressortir ce pionnier ?

Oui, le pulp est foisonnant côté offre. L’idée avec Arkeos, c’est non seulement de proposer une mécanique de jeu particulièrement simple et immersive comme décrit précédemment, mais aussi de proposer des aventures ayant toutes un point commun. Autant, dans la première édition, nous nous étions fait plaisir en abordant tous les aspects du pulp dans les quatre volumes de la campagne (voir mon article à ce sujet : https://rafiot-fringant.com/retrospective-arkeos/ ).

Autant, dans cette nouvelle édition, je souhaite garder l’axe fort de la chasse au trésor face aux sbires du 3E Reich, à la recherche d’artefacts puissants, de légendes perdues. Bref, faire de l’Indiana Jones 1 et 3 dans le texte, tout en sortant des clous des classiques Graal et autre Arche d’Alliance. Dans l’univers d’Arkeos, je pars du postulat que d’anciennes civilisations disparues ont existé, bien avant le déluge, et ont laissé des traces et des technologies merveilleuses. Les légendes à ce sujet attisent la convoitise des marcheurs au pas de l’oie, rêvant de domination mondiale grâce à celles-ci.

Cette nouvelle version proposera donc pas mal d’aventures, avec pour chacune un artefact antédiluvien en ligne de mire. Et ce sera très certainement sous forme de serial. Des aventures en 6 à 12 chapitres courts, comme à l’époque des magazines pulp. Là où il y avait une grande campagne dans la première édition, il y aura la possibilité de jouer un grand nombre d’aventures, assez ouvertes, non dirigistes, et autour d’une même thématique.

Enfin, mon Graal absolu pour Arkeos, ce serait une grande rejouabilité, si je parviens à mettre au point un générateur d’aventures digne de ce nom, afin d’improviser des parties toutes différentes.

4. Tu sembles donc avoir décidé d’abandonner le EW-system pour ce reboot. Ah bon, il n’est pas bien finalement ce système de jeu ?!

Il n’est pas abandonné, je l’ai même mis à disposition sur mon site (https://rafiot-fringant.com/ew-system/) pour qu’il continue à vivre de sa belle et longue vie. Après m’être replongé dedans avant sa mise en ligne, j’ai eu le plaisir de redécouvrir un système riche, bien ficelé. Et j’en suis toujours content. Mais c’était il y a 15 ans, et depuis, j’ai pas mal évolué. Je trouve que l’EW-System est au final un système simulationniste, c’est-à-dire qu’il vise à reproduire le réel dans le cadre d’un jeu de rôle. Cette approche, qui est toujours utilisée à des milliers de tables, en vaut une autre, et c’est très bien. Mais j’ai bien plus envie de mécaniques très légères, basées sur la narration, qui visent à retranscrire une ambiance, des ressorts narratifs. C’est d’ailleurs le cas pour la nouvelle mouture d’Arkeos, mais aussi de Tribute.

5. J’ai vu, en effet, que tu travaillais sur ce Tribute, un système de jeu à base de cartes à jouer. C’est celui-ci que tu vas utiliser pour le nouveau Arkeos, du coup ?

Tribute, dont le titre est un hommage à la chanson éponyme de Tenacious-D, est un jeu à part entière. Il a des similitudes dans l’approche de celui d’Arkeos, mais non, ce ne sera pas cette mécanique.

Tribute a pour objectif d’adapter autour d’une table un film, une série, que l’on a vu la veille, et ce de manière très facile et rapide. Et un simple de jeu de 54 cartes suffit pour mettre en place une partie. T’as vu un film sympa, tu flânes et tombes sur tes potes joueurs au bar ? Allez, on pique le jeu de cartes au taulier et c’est parti pour une séance de jeu débridée autour de la table, sans avoir besoin de quoi que ce soit d’autre pour jouer.

Le principe est très simple, c’est de la narration partagée qui se base sur le black jack : approcher le plus proche de 21 sans jamais le dépasser. Chaque joueur choisit une couleur, qui va définir le style de son personnage : plutôt physique, malin, intello… . Les figures de la couleur vont lui permettre de choisir une manière d’agir : en finesse, de manière bourrin, ou calculée. La pioche de cartes quant à elle, va lui permettre de réaliser tout ce qu’il souhaite. À chaque carte qu’il pioche, il va pouvoir ajouter un élément à la narration. Si la carte a une grosse valeur, il pourra ajouter un élément important. Si c’est une petite valeur, seulement un détail à l’histoire. Quelle que soit la carte qu’il pioche, il pourra agir et influencer l’histoire (un détail peut tout faire basculer… souvenez-vous de Hans Grüber qui à cause de son bracelet-montre finit en crêpe au bas du Nakatomi Plaza…), le tout étant de ne jamais dépasser 21, au risque de tout foirer.

Toute la mécanique incite à faire preuve d’imagination, et des subtilités comme le fait d’obtenir un black jack ou une suite ouvrent des options de gameplay.

Le meneur de jeu a dans Tribute un rôle de guide avant toute chose ; les scénario dont il dispose se composent d’une situation initiale (vous êtes des blacks ops), d’un objectif (vous avez pour mission de délivrer l’otage), d’éléments clefs (il est détenu en territoire, dans un ancien bunker soviétique) et de quelques adversaires (la branche tchétchène d’Al-Qaida est soupçonnée d’être derrière l’enlèvement). Bon, là, c’est une version ultra expurgée, mais rien qu’avec ces éléments, il est possible de lancer une partie dans Tribute. La narration partagée et les options de la mécanique permettant le reste.

Tribute sera disponible dans les prochains mois et sera soit un livret A5, soit un livret au format comics d’environ 64 pages, avec plusieurs settings et scénarios inclus. Il me reste des repasses d’écriture à faire, et à passer un coup de polish.

6. Et du coup, après, paf, tu nous ressors Cirkus. C’est ça le plan ?

Et paf, ben non !

J’ai plein d’idées qui se bousculent, que ce soit pour des aventures et suppléments pour Arkeos, ou Tribute, mais aussi Dino Soldier, le petit jeu de combat qui se joue avec les jouets de notre enfance. Et bien d’autres choses à développer. Sans compter que j’ai envie de travailler avec des amis sur d’autres projets. Mais rien que les gammes déjà présentes ont de quoi m’occuper un moment !

7. Tu annonces te lancer dans tes nouveaux projets en indépendant avec au programme PDF et POD. Mmmmh, je n’arrive pas à savoir ce qui te dégoûte le plus : les éditeurs ou les foulancements ?

Soyons clairs, je n’ai rien contre les éditeurs. Mais pourquoi irais-je leur proposer des projets alors que je connais le métier sur le bout des doigts ? Après toutes ces années passées à gérer des gammes, et pas des moindres, je devrais en théorie arriver à sortir des jeux par moi même. Et c’est là tout l’intérêt. J’ai une vision assez claire de ce que je souhaite faire, et je n’ai pas envie de me contraindre à un format, une pagination, juste parce que « ça rentre dans les cases ». Si j’ai envie de publier un jeu minimaliste, qui ne fasse pas des centaines de pages, et sans suivi de gamme car il se suffit à lui même, je peux le faire. Si j’ai envie d’utiliser un jeu de mikado pour un gamedesign, libre à moi. Bref, être son propre éditeur, ça a un certain nombre d’avantages.

Quant aux financements participatifs, je les connais bien également. Et je n’ai rien contre eux, bien au contraire. Mais ne comptez pas sur moi pour proposer des versions collector en peau de bouquetin, accompagné de fanfreluches inutiles, juste pour faire un score sur une plateforme. Je n’exclus pas de faire des crowdfunding, mais ce sera pour proposer une version imprimée, avec du matos ludique, et à un tarif raisonnable. Cela permettrait aussi de fournir les boutiques avec des exemplaires que je n’aurais pas le moyen de financier autrement.

8. Oh, arrêtez tout ! Je viens de voir que tes jeux seraient « en prix libre ». Genre 0 euro, quoi. Là, t’as carrément craqué, on est d’accord ?

Tu as bien lu, oui. Tous ne seront pas à Zero euros, comme c’est déjà le cas pour Dino Soldiers. Il y a un prix minium, un prix conseillé, et chacun est libre de mettre une somme comprise entre le minimum et l’infini. En fait, comme sur itch.io. Mon boulot te plaît, tu as envie de léguer ta fortune familiale pour m’encourager à en faire d’autres, bah… be my guest.

Après, bien sûr, pour les versions imprimées, que ce soit en PoD ou via un crowdfunding, il y aura forcément un prix défini, ne serait-ce parce qu’en France il y a la loi qui encadre les livres, et qu’on n’a pas non plus le droit de vendre à perte. Mais pour la version numérique, là, je peux me permettre de rendre accessibles mes jeux aussi bien aux riches nantis qu’à l’humble mangeur de pâtes sans sauce… Et ça, c’est plutôt cool.

Un autre aspect qui me plaît énormément dans la publication numérique, c’est que cela permet des retours de la part des joueurs. Rectifier les coquilles, améliorer, sans avoir à réimprimer. Juste à mettre à jour l’archive disponible.

9. Surprise. Dans les projets annoncés, il n’y a rien autour de Cthulhu. Une petite lassitude peut-être ?

Je pense en effet avoir une certaine lassitude. Le tentacule, c’est bien, mais à force, on a envie de changement. J’adore l’univers de Lovecraft. Je le connais très bien. Mais peut-être en ai-je fait une indigestion. Après, j’y reviendrais un de ces jours. Mais si c’est le cas, et je dis bien si, ce sera forcément avec une approche très différente.

Et puis il y a tellement d’autres choses explorer, créer. Pourquoi se cantonner à une recette connue et « safe » ? Je préfère prendre des risques et m’aventurer en dehors des boulevards au bitume bien lisse.

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