Cyberpunk, retour vers le passé du futur

Que d’émotions. Je ne vais pas chercher à me cacher derrière le nous collectif de la Redac6on ou quoi : je suis un gros, gros fan de Cyberpunk. Le genre avec un petit c et même le jeu avec un grand C et des chiffres derrière. (…) Oui, je sais : l’amour rend aveugle (soupir).

C’est donc avec une émotion non-dissimulée que j’ai retrouvé du matériel en noir et rouge avec une chouette illustration qui sent bon le chrome et les néons : le kit de démarrage de Cyberpunk RED, traduit en VF par Arkhane Asylum.

N’y allons pas par quatre chemins : c’est de la belle ouvrage. La boîte est en béton armé et si elle reste un peu vide comme beaucoup de ses consœurs, elle possède quand même tout ce qui peut être attendu d’un tel kit : deux livrets couleurs d’une cinquantaine de pages chacun (classiquement : un « univers », un « règles »), des dés spéciaux (enfin, au look spécial car le système utilisé ne justifie en rien des dés exclusifs), des fiches de prétirés en couleurs et même des plans quadrillés couleurs, des figurines en carton au look sympa et les socles plastiques qui vont bien.

A la rigueur, j’aurais préféré un petit écran souple à la place du poster avec l’illu de couverture mais ne chipotons pas (et puis ce sera l’excuse pour ressortir le chouette écran de l’édition 2020 signé Gassner). Le tout pour un prix légèrement supérieur à 30 euros : c’est une bonne affaire.

Le contenu des livrets ne déstabilisera pas l’habitué. C’est le moins que l’on puisse dire. L’univers a certes évolué (voir ci-dessous) mais Night City, certaines corpos et certaines figures historiques sont toujours là. La base du système est identique (carac + compétence + D10 contre une Diff.). On retrouve les mêmes rôles pour les PJ (le Cop est rebaptisé Justicier et… c’est tout). Il y a de la cyberpsychose, de la braindance, etc. On est quasi chez Mémé. Et, il faut bien l’admettre, pour un jeu qui se veut à sa façon « punk », c’est quand même un peu décevant. Honnêtement, à part la nostalgie, je ne trouve pas d’argument permettant de motiver un vieux grognard de Cyberpunk 2020 à se lancer dans ce kit de démarrage. Cela ne doit pas être le cœur de cible.

A la rigueur : la timeline. Cyberpunk RED se déroule vers 2045. Mais ce n’est pas très clair, tout ça. On peut même le dire : la timeline de CP devient franchement confuse. Le jeu historique se déroulait en 2013 et son édition à succès en 2020. La présente édition existe par la vertu du futur jeu vidéo si attendu Cyberpunk 2077. Le nom de l’édition (RED) est une référence transparente à la boîte du jeu vidéo, CD Projekt RED. Mais, pour autant, le JdR n’y fait aucune référence et se déroule 30 avant. Un rendez-vous manqué, non ? Autre complexité : il a existé un Cyberpunk 3.0 (encore que certains fans prétendent que, non, ce jeu ne peut pas *vraiment* avoir existé…) qui fixait la timeline dans les années 2030. Mais cette édition n’y fait pas référence et renvoie les événements de l’édition précédente dans une réalité alternative.

A cause de tout ce bazar, le background présenté dans ce kit de démarrage est quand même des plus confus. Des bouts de trucs ont été collés ensemble mais ça ne forme pas toujours un tout très cohérent. Sans rentrer dans des détails qui n’intéresseront que les spécialistes du jeu, on est quand même un peu surpris que Night City ait été ravagée par une explosion nucléaire dans les années 20 (au point que le ciel soit resté rougeoyant pendant des années, d’où le nom de l’édition, paraît-il) puis reconstruite et repeuplée comme si de rien n’était ou presque 15 ans plus tard. La présidente des USA, Kress, est indiquée dans le corps du texte comme étant une personne honnête, présidant depuis 10 ans et 4 fois triomphalement élue alors que, quelques pages plus loin, la chronologie nous indique qu’elle est au pouvoir depuis plus de 20 ans dans une sorte de dictature d’état d’urgence où on ne vote plus. Et autres bizarreries.

J’ai bien peur que tout cela s’explique d’une façon simple : ce kit est le kit d’un jeu inachevé. En général, un kit de démarrage est publié en même temps que le jeu complet dont il est une sorte de version light pour le découvrir à moindre frais. Or, là, ce kit existe en VF alors que le jeu complet en VO n’est toujours pas sorti. Certes, il est enfin annoncé par R. Talsorian Games et devrait paraître le mois prochain… mais cela fera plus d’un an d’écart entre la sortie du kit VO et du livre de base complet. Chelou.

Quand un jeu est en cours d’écriture, son système fait l’objet de tests, des relectures successives permettent de repérer les incohérences, etc. Il semble là que l’on ait entre les mains le brouillon de ce que sera (peut-être) le jeu complet.

De ce fait, ce kit de démarrage ne peut pas être un achat rationnel. Si vous cherchez un jeu cyberpunk pour tout de suite maintenant, tournez-vous vers un autre choix : ce n’est pas ça qui manque depuis quelques temps (Shadowrun Anarachy, The Sprawl, TechNoir, etc.). Si vous n’êtes pas pressé et que vous voulez vous lancer spécifiquement dans Cyberpunk RED, attendez la sortie du livre de base en VF chez Arkhane. Si vous êtes un vieux de la vieille de Cyberpunk, ressortez votre édition Oriflam et bricolez n’importe quoi qui vous convienne pour faire le pont entre hier et aujourd’hui.

Il n’y a donc guère que si vous êtes pris d’une bouffée nostalgique devant cette jolie boîte et que vous voulez juste refaire un petit shot de Cyberpunk sans lendemains que vous pourrez être séduit par ce kit de démarrage un peu bancal. On y trouve en effet tout le nécessaire pour se lancer sans efforts et sans se ruiner dans un petit run des familles dans les ruelles mal famées de Night City : des prétirés, une (modeste) aventure prête à jouer (qui utilise potentiellement les plans couleurs et les ‘gurines en carton) et trois de ces bonnes vielles screamsheets, à savoir des infos façon breaking news accompagnées de leurs pistes afin de les transformer en scénario. A vous de voir si cela justifie, de votre point de vue, cet achat.

Une pensée sur “Cyberpunk, retour vers le passé du futur

  • 31 octobre 2020 à 13:57
    Permalink

    Excellente critique ! J’ai eu exactement la même sensation en lisant le bordel.
    Je n’ai acheté le kit que parce que je suis, moi aussi, un gros fan nostalgique de Cyberpunk 2020 et il n’y a aucune autre raison.
    Je savais bien, de plus, que la sortie de ce kit (dont le titre ne laisse aucun doute), n’était que pour surfer sur l’arrivée du hit que sera le jeu de CD Projekt ! Un peu douteux comme principe, mais pas nouveau.
    Je m’étais juré de ne plus acheter de jeux issus de la famille Pondsmith suite à leur adaptation (à mon sens raté) de The Witcher, tellement j’en fut déçu. Mais bon, le coeur et mon côté collectionneur ont parlés.
    Bref, Cyberpunk, le kit, sent le truc pas finis, pas relu, avec des éléments dans une boite (peu remplie), qui servent, à mon avis, moins qu’un écran souple par exemple.

Commentaires fermés.