Égarés trouve enfin la sortie

Et ben, dîtes donc, je ne sais pas si c’est réellement la crise ou si, finalement, le JdR a su tirer son épingle du jeu mais le début de l’année 2021 croule sous les projets, les annonces de foulancement, les lancements effectifs. Ouf. Du coup, dans ce tumulte, on pourrait avoir vite fait d’écraser d’une semelle négligente les plus petits. Les amateurs, les indés, les auto-publiés, vous les appelez comme vous voulez. On veut parler des authentiques passionnés capables de porter un projet pendant 10 ans pour vous le proposer finalement là tout de suite maintenant (en POD, ici) sans attendre la livraison de votre early bird ou de votre late pledge. Guillaume « Ikaar » Vasseur est de cette étoffe et nous nous devions donc de lui ouvrir nos pages pour qu’il nous parle de son jeu, Égarés.

 

  1. Égarés, tu dis ? Nan, ‘connais pas. Ah, ouf, je vois que c’est tiré d’un précédent jeu qui s’appelle La Forge. (…) Ah, mince, je ne le connais pas non plus.

Ok, ok… Alors, rassure-toi, tout est normal. Égarés, c’est tout nouveau, et sa sortie n’a pas dû filtrer beaucoup. On est sur quelque chose d’assez confidentiel, dans ce qui reste un marché de niche, et avec un angle d’attaque lui-même très particulier. Ça fait beaucoup, et même, malgré les talents de pythie du Fix, il n’est pas très étonnant que le bouquin soit inconnu. Histoire de brouiller encore davantage les pistes et d’égarer les happy few qui s’étaient accrochés, il faut savoir que le jeu est en effet tiré d’une précédente version… avec un titre différent : La Forge !

Alors, petit retour en arrière explicatif, magnéto Serge.

Je vous parle d’un temps où une association de créatifs en tout genre se forme sous un nom, une bannière, ForgeSonges, et autour d’un forum très actif, mais disparu en 2017, après 10 ans d’existence. Comme beaucoup savent, c’est de cette association que vont naître un petit projet devenu grand : Les Ombres d’Esteren. Au-delà des succès et des controverses, il est intéressant de comprendre comment ce projet devenu professionnel a débuté des envies fusionnées de plusieurs forumistes qui, malgré leurs talents respectifs, se définissaient au départ comme des amateurs… avec certaines ambitions. J’ai d’ailleurs moi-même rejoint l’équipe du jeu sur le tard pour compléter certains éléments du livre de base. Puis l’aventure a continué, et continue toujours, de loin en loin. Mais c’est une autre histoire.

Au-delà des Ombres d’Esteren, ForgeSonges est aussi connue à l’époque pour son concours de création de jeux de rôles : les Démiurges en herbe. De beaux noms et d’illustres inconnus se retroussent alors les manches pour créer en un temps limité une multitude de jeux de rôles en partant de mots-clefs imposés. Et c’est là où je veux en venir. Je participe deux fois au concours, sur des thèmes bien différents.

Lors de ma première participation, je me hisse à la 7e place avec un jeu d’espionnage nommé Faceless, quelque part entre Alias et Dollhouse. Un succès d’estime au sein du concours. Je ne pense pas reconduire l’expérience, mais l’année suivante, en 2009, le concours propose simplement les mots clefs Forge et Songe pour inspirer ses apprentis créateurs. Je m’y lance un peu au dernier moment, motivé par un membre du forum qui avait apprécié mon précédent jeu. Je commence donc à rédiger, le jeu file, et j’ai même du mal à rester dans les 80 000 signes imposés par le concours. Je rends une version sabrée, mais cohérente, sobrement intitulée La Forge.

Le jeu frôle le prix du public, sans l’obtenir et passe les premières sélections en sortant vainqueur de sa poule, présidée par les membres du Bob zine, devant la création de Philippe tromeur -Neptune. Il ne reste alors que 9 jeux en lice sur plus de 50 jeux rendus et jugés. La demi-finale réduit le nombre de jeux à 5 : Etincelles de Helkus (Pool 7 – JDR mag), La Forge de Ikaar (Pool 3 – Taverne production), L’île de Jilsar (Pool 2 – Agate Editions), Projekt Hekate de Thorgrim (Pool 1 – Antonio Bay) et Smog de Zed Zolovsky (Prix du public).

Le jury final, composé de 9 personnes et présidé par Olivier Caïra, a désigné les trois lauréats de cette édition : 1er lauréat : ETINCELLES de Helkus (699 pts), 2ème lauréat : LA FORGE d’Ikaar (645 pts) et 3ème lauréat : PROJETK HEKATE de Thorgrim (600 pts).

Voilà pour la petite histoire, La Forge s’arrête aux portes de la victoire avec une belle 2e place saluant son originalité. Petit plus, l’un des jurys, Pierre Mauger, est davantage séduit encore et fait jouer La Forge aux Utopiales, la même année. Il y gagne alors le prix du meilleur scénario de jeu de rôles.

Voilà pour la petite histoire qui me fait prendre conscience du potentiel du jeu et me permet de l’améliorer, par touches, en tenant compte des retours détaillés des différents juges.

Mais bon, la vie sait être prenante, je m’occupe de beaucoup d’autres choses. Mon maigre temps d’écriture est consacré en très grande partie aux Ombres, même si ce n’est là aussi que par petites touches me permettant de participer à cet univers et d’en être satisfait.

Ainsi, cela va mettre un peu plus de dix ans pour que j’arrive à une version longue qui me satisfait. Le système de jeu a été totalement revu, il était assez minimaliste à l’époque. Il s’est étoffé et modernisé. Il reste simple mais propose davantage de possibilités narratives et stratégiques.

Le jeu change aussi de nom pour ne pas être confondu avec les théories rôlistes du site the Forge, il s’intitule désormais Égarés : c’est ainsi que se nomment les personnages perdus dans l’univers de La Forge des Mondes, comme le mentionne encore le sous-titre du jeu.

  1. Dis donc, ça a l’air un peu fumé comme contexte de jeu, non ? Tu peux nous la refaire en plus simple ?

Alors, on va clairement assumer : c’est totalement fumé, oui, mais vraiment. Et c’est ce qui a plu alors. A l’époque, je désignais même le jeu comme un peu « psychotique ». C’est clairement un jeu-concept.

On n’est pas loin du burst, mais pas tout à fait non plus, car Egarés se fonde surtout sur son cadre, ses personnages et ses possibilités, dont une part est laissée au choix ou à l’appréciation du meneur. Il y a une forme de secret fondateur au cadre de jeu, intriguant et qui sera forcément au centre des interrogations des joueurs, mais plusieurs hypothèses sont proposées au meneur et celui-ci peut même décider de toutes les faire corroborer. Il y a un petit côté boite à outil, qui peut même permettre de réinvestir le matériel d’autres jeux, enfin je le vois comme ça. La Forge des Mondes peut constituer une bonne base de multivers, c’est une des possibilités du jeu, mais c’est à chaque meneur de choisir ce qu’il veut en faire.

Bon, au-delà du côté barré du jeu, pour la refaire en plus simple, je vais me faire moi-même les questions réponses (ouaip, je te pique un peu ton boulot, c’est comme ça, c’est pour la bonne cause…) :

De quoi parle le jeu et qui joue t-on ?

Comme le titre l’indique, les joueurs incarnent des Egarés, amnésiques au départ, du moins partiellement, et qui se réveillent dans La Forge des Mondes, un univers atypique et extrêmement dangereux ouvrant sur différentes portes menant à des Simulacres tout aussi étranges mais dans lesquels les personnages retrouvent parfois une part de leur passé ou de leurs traits de caractères par de bien curieuses coïncidences.

Ces Simulacres sont parfois très proches d’une expérience terrienne et parfois extrêmement différents avec des lois qui leur sont propres. Ces expériences permettent également d’ouvrir le jeu à la notion de multivers qui est abordé dans le livre, ou à des particularités proches d’un décalage à la twilight zone, sliders ou ce genre de séries.

Les émotions suscitées par le jeu tiennent de la déstabilisation, une forme d’angoisse face au changement et à l’inconnu, mais également quelque chose qui tient de l’émerveillement face aux possibilités offertes par l’environnement qui les entoure, malgré sa dangerosité. J’aime bien l’idée d’onirisme macabre, une sorte d’oxymore au cœur de l’expérience de ce jeu. Le jeu parle de la perte de repères et des efforts fournis par les personnages pour comprendre les tenants et aboutissants d’un univers instable et dépaysant, tout en se retrouvant eux-mêmes et en cherchant une sortie vers notre réalité.

Tu comprends mieux pourquoi je parlais de jeu psychotique, il y a une forte part de trouble généré par l’environnement, un fort conflit entre l’ego des personnages et l’adversité représentée par le monde qui leur fait face. Néanmoins, les Simulacres évoqués réagissent aux personnages qui y pénètrent et ces derniers y apportent parfois une part oubliée d’eux-mêmes. Ils représentent ainsi une occasion de se souvenir de traits saillants de leur personnalité ou de leur vie, les réminiscences.

L’univers est hostile, comment les personnages s’en sortent ?

Les personnages se rendront vite compte que leurs besoins naturels n’ont plus besoin d’être satisfaits, ils ne seront donc pas en manque de ressources, hormis pour se défendre. Il y a une forme d’urgence et de danger dans La Forge des Mondes. Elle possède une forme de beauté merveilleuse, mais incertaine et souvent morbide. Les personnages y seront très vite traqués par un groupe de créatures particulières et apparemment invincibles, les Exarques.

Quelles chances de survie dès lors ?

Plusieurs. D’une part, comme les besoins naturels primordiaux, la mort fonctionne un peu différemment, elle existe bien évidemment, mais les personnages auront une petite surprise à ce niveau-là. Peu de choses sont réellement définitives et ils devront également apprendre de nouveaux réflexes. La Forge implique une perte des repères traditionnels, y compris à ce niveau-là. Et tout ceci a une ou plusieurs explications, qu’il faudra découvrir à force d’hypothèses et d’explorations.

D’autre part, il existe d’autres Égarés, leurs prédécesseurs, capables de leur prêter main forte afin d’agrandir leur communauté ou de récupérer un maximum de Reliques – des objets bien spécifiques qui ont accompagné les nouvelles recrues lors de leur premier réveil dans cet univers.

Enfin – et sans cela il n’y aurait jamais pu avoir une communauté d’Egarés – il existe un Simulacre spécifique, qu’ils ont pu investir et aménager selon leurs désirs : Asile.

Ce Simulacre unique est le seul propice au développement d’une communauté d’Egarés et à la reconstitution d’un semblant de société multiculturelle. Il est le refuge de tous les êtres humains perdus dans La Forge des Mondes. Certains Égarés y trouvent même la sérénité suffisante pour développer de nouvelles capacités et devenir des Thérianthropes, des êtres rappelant les divinités égyptiennes et capables d’agir de manière apparemment magique sur leur environnement et de le tordre à leurs désirs. Il faut dire qu’Asile possède intrinsèquement cette possibilité et que tous peuvent donc s’y essayer avant d’accéder au précieux statut leur permettant d’accomplir de tels prodiges hors de leur refuge.

Certains s’épanouissent ou complotent en Asile, mais tous ou presque finissent par ressortir dans La Forge des Mondes en quête d’exploration, de nouvelles Reliques et -évidemment- à la recherche d’une hypothétique sortie qui leur permettrait de retrouver la terre originelle… voire de comprendre ce qui les a propulsés ici et ce qu’est véritablement cet ici…

De la magie donc ?

Oui, les personnages ne sont pas si dépourvus, mais cela viendra avec l’expérience. Il y a un vrai côté initiatique dans la progression des personnages. La thérianthropie peut paraître lointaine, un stade avancé des personnages, mais une autre forme de magie, plus puissante encore, existe et elle est directement accessible, même si plus limitée et hermétique.

Il s’agit de la magie attachée aux Objets, de précieuses reliques se régénérant auprès des nouveaux arrivants et qui, lorsqu’on en perce le mystère, accordent un pouvoir unique mais très puissant… Ces Reliques peuvent parfois s’associer les unes aux autres pour créer de nouveaux pouvoirs ou ouvrir certaines portes de Simulacres à l’accès restreint… voire davantage encore. Leur recherche et leur obtention est au cœur d’une véritable dynamique parmi les Égarés.

Sortir de La Forge est-il possible ou n’est-ce qu’un miroir aux alouettes pour les joueurs ? Et quand ils y parviennent, tout est terminé ?

Alors, je voulais que cet espoir existe et qu’il soit réel. Il représente un horizon lointain qui nécessitera que les personnages progressent tant à l’extérieur que dans leur cheminement personnel pour recouvrer certaines parts de leurs souvenirs essentiels.

Mais la sortie existe et c’est lors de cette sortie que les hypothèses des personnages vis-à-vis de la raison de leur présence dans La Forge prendront sens. Le meneur sera libre d’en jouer et même de les croiser. C’est également à lui de définir si sortir constitue la fin de la campagne.

En réalité, le jeu propose des pistes pour continuer et prendre une dimension encore plus grande, quitte à le croiser avec le matériel d’autres jeux contemporains. L’ensemble est très malléable.

  1. Ouch, OK. Et… euh… niveau inspi, tu peux nous en conseiller une ou deux pour se faire une idée ?

Là, clairement oui. Elles ont nourri tel ou tel aspect de ce monde et un paragraphe du jeu, en préambule, en liste d’ailleurs plusieurs.

Citons en vrac et sans ordre de priorité : Memento, Cube, Lost, Hellraiser, Inception, the Lost Room, Matrix, Dark City, l’Expérience Interdite, Sucker Punch, Locke and Key, Rob Serling, le miroir des Alice, la gardienne des clés, les Cités obscures, le panthéon égyptien et la théorie de la synchronicité…

Ouf, et ce n’est pas tout.

Un ami, qui savait que j’allais publier le jeu, m’a récemment montré un extrait d’un film russe passé inaperçu, Koma. Le film semble avoir des défauts, ou c’est peut-être lié à des sensibilités différentes au niveau du public, mais il y a des points communs troublants. J’ai sorti la première version il y a plus de 10 ans, le film est sorti dans l’intervalle et, malgré les différences, il peut constituer une très bonne inspiration à ajouter aux autres.

Au niveau ludique, on a souvent rapproché Égarés des jeux un peu atypiques d’Yno. Et je suis d’accord avec ça, même si le jeu peut sembler plus modeste que ceux d’Yno qui sont globalement d’une qualité assez extraordinaire ! Je suis assez fan d’Anthony Combrexelle, tant au niveau de ses écrits que de ses démarches et de son côté multi-talents : non content d’être un auteur brillant (lisez Ordo !), il illustre, met en page et s’auto-édite pour certains de ses jeux. Ma plus grosse claque a été Patient 13, sur lequel j’étais relecteur à l’époque. Ce jeu est énorme et reste une véritable expérience ! Il y a d’ailleurs, dans Égarés, un exemple de Simulacres qui est un clin d’œil direct à Patient 13 (en plus de pouvoir ainsi connecter les deux univers… je dis ça, je dis rien…). Il y a dans le même passage une série de mini-références à de grandes œuvres cinématographiques traitant de la folie. J’espère que ça fera sourire le lecteur attentif. Mais, évidemment, si le refuge des Egarés s’appelle Asile, ce n’est pas un hasard, le double sens est porteur de signification et l’interrogation sur la folie est aussi un des thèmes sous-jacents du jeu. La mémoire étant constitutive de l’identité… sa perte et la lutte pour en retrouver des bribes et reconstituer son propre puzzle, tout cela nous amène à nous interroger sur les limites de la folie et de la réalité.

C’est un aspect que je trouve passionnant et le jeu se nourrit aussi d’aspects hérités des débuts de la psychanalyse telle qu’elle a pu être vulgarisée auprès du grand public : à mon sens, les Reliques, ces objets qui naissent au monde de La Forge en même temps que les nouveaux arrivants, constituent une nouvelle forme d’objets transitionnels… Bien sûr, on peut jouer sans cette donnée, mais comprendre cela, c’est comprendre leur importance dans le jeu, aussi bien au niveau ludique que sur ce qui sous-tend la philosophie de cet univers atypique.

  1. Niveau système de jeu, si je dis Rolemaster, je suis dans le vrai ou j’ai pas super bien lu le jeu ?

Alors, pas du tout. On reste sur quelque chose de très simple, en réalité, mais qui offre finalement pas mal d’options aux joueurs. Globalement, c’est un peu narratif, sans pour autant se réclamer de cette philosophie de jeu, ou peut-être en la bornant davantage. Il y a aussi un petit côté stratégique, les jets de dés pouvant être optimisés en exploitant bien son environnement et en étant malin.

A mes yeux, on reste sur quelque chose d’assez traditionnel, mais très hybride. Et de nombreux exemples démontrent comment tout se tient, de manière progressive. Je pense aussi que c’est aisément bricolable pour des meneurs expérimentés. Certaines options pourraient être « oubliées » dans un premier temps pour ne conserver que la base. A l’inverse, on pourrait encore ajouter des strates, notamment en ce qui concerne les armes par exemple.

Cela peut choquer mais, en réalité, il n’y a pas de grandes différences d’une arme à l’autre dans ce jeu, du moins en termes de dégâts. Ça n’aurait pas eu de sens, vu ce qui sous-tend cet univers : il y a donc une raison réelle à cela. On n’est pas loin de la petite cuillère de Néo…

Pour autant, malgré cette apparente uniformisation, il est possible de faire plus ou moins de dommages à une cible, sauf que ça ne passe pas par l’arme.

Bon, passons, histoire d’évoquer la base :

Le système est fondé sur 6 attributs classiques, D.R.E.A.M.S, soit Dextérité, Robustesse, Esprit, Aura, Mouvement et Sens.

Le joueur fait tous les jets. Le meneur lui oppose le monde ou l’ennemi, l’ensemble étant amalgamé sous le terme Adversité.

Ces Attributs sont comparés à une Adversité (active ou tacite) qui va indiquer quel dé choisir parmi les trois lancés systématiquement.

On est pas loin d’un côté Blood bowl quelque part pour les joueurs de ce jeu. Si j’ai une meilleure Robustesse que mon adversaire (6 pour moi, 3 pour lui par exemple), il y a des chances que je puisse choisir un meilleur résultat de dé dans notre confrontation.

Un jet unique de 3D10 est effectué et un seul résultat est lu selon les circonstances, dé haut, médian ou bas. Plus le résultat est haut, mieux c’est, puisqu’il faut dépasser 6 pour réussir.

Mais les 2 autres dés peuvent apporter des nuances narratives selon qu’ils sont pair ou impair. On retrouve les fameux OUI et, OUI, OUI mais, NON mais, NON, NON et, hérités du système FU, mais avec un autre mécanisme ludique.

Certaines Variables (selon 7 catégories prédéfinies, histoire de cadrer un peu) peuvent apporter quelque bonus pour atteindre le 6 fatidique.

On trouve les Variables de matériel, de nombre, de circonstances, de stratégie, de séquelle, de réminiscences et enfin de Songe. Bref, tous les éléments auxquels peuvent recourir les personnages pour prendre l’ascendant sur l’adversité qui leur fait face.

Le gros plein de muscle qui me fait face a toutes les chances de me défoncer, mais si je viens avec un bon bâton et quelques alliés, ça ne va pas être la même chanson… Et si je suis capable d’utiliser en plus le Songe pour donner un peu plus d’élan à mon coup de pied sauté, là non plus ce n’est plus la même… On va vite retrouver une forme d’égalité a minima, et il y a même de fortes chances que je prenne très vite l’avantage dans de telles circonstances…

Enfin, une mécanique de Réminiscences (liée aux souvenirs des personnages et les caractérisant au-delà des simples attributs) permet de gagner et dépenser des Aubaines pour monter d’un cran le résultat narratif obtenu. Là, il ne s’agit plus simplement de jouer sur les chiffres pour atteindre le 6 cible, mais de monter le résultat obtenu directement d’un niveau. Ainsi, il est possible de faire passer un NON, mais à un OUI, mais… et ça peut changer beaucoup de choses…

Pour le système, les principales inspirations vont ainsi de ce que j’avais écrit dans le passé pour Galaxy at war (et qu’un forumiste avait repris de manière plus générale en le réintitulant D12 engine), FU (notamment la version écrite par Cédric Ferrand dans Wastburg), mais aussi Brigandyne, voire Coureurs d’Orage et Deepsyx.

Clairement James Tornade, Islayre et Nathan Russell sont des références en termes de système. Le Grumph aussi, mais pour d’autres raisons sans doute également.

L’ensemble forme un curieux hybride ayant son unité propre et mettant assez facilement en avant la narration tout en essayant de la cadrer pour donner des repères nets dans sa maîtrise au meneur.

Les différentes possibilités autour des 3 dés jetés, et de la mécanique des Réminiscences qui leur est liée, permet de conserver une certaine forme de stratégie pour ceux qui aiment jouer avec les dés…

Ça tombe bien, c’est mon cas, j’aime une base simple où le joueur lance les dés mais où ces derniers sont exploités à leur maximum et offrent des possibilités multiples. J’ai essayé de faire les choses dans cette direction.

  1. Égarés, c’est le genre de jeu très « PJ centré », non ? Il y a vraiment besoin de scénarios ou seule la quête des souvenirs du personnage est intéressante ?

C’est pas faux. Il est clair que le meneur va devoir prendre en considération le passif des personnages, et permettre à certaines incursions dans des Simulacres de refléter ces aspects de leur vie antérieure, afin de leur donner la possibilité de développer des Réminiscences et ainsi d’affiner leurs personnages. Ils le construisent en un sens en même temps que l’aventure, dont ils décident pour une bonne part.

Mais cette mécanique des Réminiscences peut aussi se faire de manière partagée, et il n’est nullement impossible pour un joueur de rebondir sur un élément présenté par le meneur dans un Simulacre pour s’approprier une Réminiscence liée et l’expliquer rapidement en un flashback à la Lost. Donc, oui, il y a un focus clair sur les personnages.

Mais c’est aussi très centré sur le monde. L’exploration de La Forge est fondamentale et très libre, le meneur est invité à broder autour de nombreuses propositions ou suggestions faites au cours du jeu. J’apporte quelques réponses, mais je laisse énormément en suspens également afin que chacun puisse investir ces propositions et les développer à sa manière, en cohésion avec son groupe et ses envies narratives. Asile, la cité, propose également une ambiance très différente, bien plus sociale et politique. Elle pourrait devenir un véritable nœud d’intrigues, d’autant qu’elle est animée par différentes factions aux objectifs parfois conflictuels et qui proposent autant de visions du monde.

Logiquement, les personnages devraient se faire rapidement une idée de ce qu’est La Forge, mais le savoir n’est pas tout. Il reste à y évoluer, à l’explorer, à se fondre dans une multitude de Simulacres de tailles différentes, dont certains peuvent être de véritables terrains de jeu bien spécifiques, permettant de vivre des expériences originales et bien différentes de l’ambiance que proposent simplement Asile et La Forge en eux-mêmes.

On peut donc jouer à La Forge de manière très libre, voire comme un simple jeu à mission partant d’Asile pour remplir tel ou tel objectif. Cet aspect est confortable. Mais cela n’empêche nullement d’y écrire des scénarios ou de vastes campagnes. Le livre de base en contient déjà un, qui tient beaucoup de l’initiation et pourra être considérablement développé par tout meneur un peu ambitieux, mais il permet surtout de présenter différents aspects de l’univers aux joueurs, des aspects qu’il leur sera possible ensuite d’investir selon leurs envies.

Le jeu vivra aussi bien par ses mystères à décrypter, les ambitions croisées de diverses factions ou individus, la quête interne des personnages, les multiples dangers et merveilles de La Forge, que par la multiplicité des possibilités permises par les Simulacres. Tout est possible et, selon la sensibilité du meneur, de nombreuses ambiances pourront être explorées.

Il y a un cadre étrange et aux multiples facettes qui est proposé aux joueurs. C’est véritablement un cadre de jeu, mais chacun sait que ce qui fait une bonne histoire, ce sont de bons personnages et une bonne intrigue. Alors, évidemment, en ce sens il s’agit de centrer sur les personnages et de les confronter au monde dans toute son effrayante versatilité.

  1. Ressusciter un projet au bout de 10 ans, c’est pour profiter du boom de la POD et s’en mettre plein les fouilles, hein, avoue !

Il y a un boom de la POD, sérieusement ? Pas vu. Lulu est une entreprise active depuis très longtemps maintenant. Pour le moment, le jeu n’est disponible que sur cette plateforme en version physique. Mais ce n’est pas forcément le meilleur moment : depuis sa refonte, Lulu est encore un peu foutraque et, surtout, l’entreprise n’a plus jamais proposé les frais de port gratuits, ce qui constituait leur promotion phare, de loin la plus intéressante et qui revenait avec une belle fréquence. Depuis la refonte du site, on a l’impression qu’il y a aussi eu un changement dans la direction commerciale. Je n’ai rien à dire là-dessus, j’imagine qu’ils savent ce qu’ils font.

Au moins, la qualité est toujours au rendez-vous et le site ne cesse de s’améliorer. Le processus de mise à disposition du jeu a été agréable et, en suivant quelques conseils appropriés, on obtient vraiment un beau produit. Le format est un 6 × 9 et chacun y retrouvera ses petits : le jeu est disponible en noir et blanc couverture souple, en couleur couverture souple et en version rigide. Ces deux dernières versions offrent vraiment une belle qualité, car les illustrations sont bien mises en valeur et l’ensemble est agréable. J’ai commandé les trois versions tests pour m’assurer de ce qu’auraient entre les mains les lecteurs. Une sorte de contrôle qualité personnel. Globalement, je n’ai pas été déçu. Le service proposé est à la hauteur.

Financièrement, pour l’instant, j’y suis plutôt de ma poche. Et en termes de temps, je ne compte même pas. Mais le jeu est arrivé à son terme désormais, alors c’est derrière, ce temps dépensé n’a plus vraiment d’importance, il y a la satisfaction de la sortie du jeu et les quelques ventes qu’il générera me satisferont quoi qu’il en soit.

Je sais d’avance que ce ne sera pas un très gros succès, car le jeu de rôle est un marché de niche, un jeu auto-produit d’autant plus et si on ajoute à cela la dimension un peu barrée de l’univers, ce sont des éléments qui s’accumulent pour en faire quelque chose qui tient presque du bootleg, version jeu de rôle.

  1. Mouais, admettons. Mais quand même, 10 ans, c’est long. Qu’est-ce qui t’a fait t’acharner sur ce projet-là ?

Tout à fait, dix ans, c’est énorme. Mais il y a une vraie satisfaction à voir le produit fini se matérialiser enfin. Il ne s’agit pas non plus de dix ans de travail continuel. Le jeu a été repris plusieurs fois et a évolué par phases. C’est un jeu-concept et le concept au centre du jeu me tenait à cœur. D’autant que son succès aux Démiurges et les retours des juges ont été un plus, c’est quelque chose que je relisais souvent, car les retours étaient constructifs par rapport à ce qui les avait séduits et vis-à-vis des manques qu’ils avaient ressentis dans la version limitée du concours. 80 000 signes, c’est vite atteint. La nouvelle version dépasse les 350 000 signes. J’ai pu développer Asile notamment et beaucoup d’autres choses.

Lorsqu’il a fallu illustrer le jeu, je me suis mis en quête d’images correspondant à ma vision. J’ai trouvé mon bonheur et je les ai achetées. Mais comme je voulais qu’il y ait une vraie cohérence entre le texte et les illustrations, certaines de ces dernières ont insufflé des choses au jeu et je les ai prises en compte pour alimenter l’univers de nouveaux éléments.

De ce fait, il y a une cohérence de l’ensemble et les illustrations n’ont pas qu’un simple rôle décoratifs : elles correspondent à des éléments du jeu et sont donc tout à fait exploitables pour évoquer l’onirisme macabre qui en découle.

Et puis j’ai mis la main à la pâte également, en créant moi-même la couverture et une autre illustration du jeu, l’une en manipulation digitale, l’autre en medium traditionnel.

Et puis réussir à sortir ce jeu m’a beaucoup appris, ne serait-ce que pour vraiment mettre en page avec un logiciel pro et réfléchir à ce que doit être un livre, ce qu’il doit devenir pour être lisible et agréable dans les mains d’un lecteur.

Cela m’a donné envie de ressortir d’autres jeux qui traînent sur mes disques durs et qui mériteraient une refonte poussée afin de se matérialiser. J’ai bien 5 ou 6 jeux en attente.

Et depuis Égarés, un autre jeu m’est venu en tête en voyant les cartes en hexagones qui pullulent en ce moment dans la mouvance OSR. J’aimerais pondre un jeu-campagne sur ce modèle avec un système simple et dans un contexte qui ne soit pas médiéval, mais tiendrait plutôt de la science-fiction et du thème extra-terrestre, que je trouve finalement assez peu exploité en France.

Quelque chose tenant de la guerre des mondes, de l’exploration d’un milieu étranger et hostile (oui, encore !) et d’une esthétique jouant des paradoxes et de l’hybridation. J’ai repensé à l’esthétique d’EXistenZ il y a peu, mais aussi à une scène fascinante de Ulysse 31, à un jeu vidéo récent et aux films catastrophes d’invasion E.T. tout autant qu’à d’autres plus philosophiques comme Contact et Arrival. Bref, tu vois un peu ma manière de penser, j’aimerais mixer tout ça avec les cartes hexe et faire que cette forme ait une vraie justification, autre que le côté old school vintage. Ça me trotte dans la tête. J’ai commencé à écrire.

  1. Et, au fait, pourquoi pas un éditeur ? T’es tricard ?

Tricard… Je ne sais pas, je ne pense pas. En tout cas, je n’espère pas. En réalité, il y a quelques années, j’avais été approché par un petit éditeur pour La Forge dans l’optique d’une sortie un peu confidentielle, alors que j’étais déjà tenté par l’autoédition. Il y a eu quelques échanges mais aucun contrat n’est jamais arrivé et je pense que la petite maison d’édition a coulé depuis. Je n’ai plus eu de nouvelles, et je n’en ai pas vraiment donné non plus.

Vu que j’ai écrit par salves, c’était compliqué. Ce jeu est resté parfois totalement prisonnier de mon cerveau et totalement immobile pendant des mois, voire des années. Ce n’est pas une situation viable avec un éditeur. J’ai une vie bien remplie, j’aime écrire à mon rythme, changer parfois de projets, puis revenir à un autre etc.

Le premier confinement a pas mal changé la donne. D’une part, j’ai perdu quelqu’un du Covid et j’ai constaté que des personnes finalement encore assez jeunes y laissaient leur peau. Ça a servi d’aiguillon peut-être et les thèmes au cœur d’Égarés constituaient sans doute une aubaine pour exorciser tout ça. D’autre part, et malgré mon travail prenant, le premier confinement m’a donné du temps, notamment en soirée, alors que mes habitudes de préparation et planification de mon travail sont à ce moment-là de la journée justement. Il y a eu une sorte de transfert qui s’est opéré et Égarés a ainsi pu bénéficier d’un nouveau laps de temps et d’une motivation retrouvée : dès lors, il était hors de question de lâcher le morceau.

J’ai fini l’écriture et la quête d’illustrations durant cette période qui tenait un peu de la science-fiction. Depuis, j’ai œuvré sur la mise en page et les corrections. Novembre / Décembre furent les mois d’impression des versions-tests, et le jeu a été rendu disponible à la fin de cette période. J’ai annoncé la sortie le 2 janvier sur divers forum en croisant les doigts. Égarés aura 2021 pour faire ses preuves.

Ne pas chercher a tout prix un éditeur une fois le jeu fini, c’était aussi m’assurer une certaine liberté. Le jeu est tel que je le voulais et surtout il a pu sortir en l’état. Un éditeur expérimenté aurait pu le rendre meilleur peut-être… ou pas.

Mais, surtout, il m’aurait fallu encore revenir dessus. Ça fait 10 ans que je le portais, il était temps d’accoucher, quitte à le faire à ma manière. Pour reprendre mon expérience d’écriture sur les Ombres d’Esteren, avec une vraie équipe et un vrai éditeur, je peux te dire qu’il y a une exigence de qualité incroyable. Les textes sont ciselés, le matériau premier est repris des dizaines et des dizaines de fois. C’est une véritable école d’écriture, terriblement exigeante et formatrice. J’y ai appris beaucoup, mais je ne voulais pas de ça pour Égarés : reprendre un texte plus de vingt fois, jusqu’à parfois même ne plus le reconnaître ou ne plus pouvoir le voir en peinture, je ne voulais pas vivre cette expérience-là pour ce que je voulais libérer, personnellement.

L’éditeur apporte beaucoup, j’en ai bien conscience, mais je voulais rester libre et maître du projet d’un bout à l’autre, et peut-être bien m’amuser à jouer à l’homme-orchestre un peu à la manière d’Yno ou Le Grümph avec de moindres ambitions évidemment, mais avec ces modèles vers lesquels tendre.

Ne pas me rendre totalement esclave du signage était aussi un plus. Si j’en conçois l’utilité – c’est même déterminant dans un projet professionnel, d’autant plus quand il est collaboratif comme Les Ombres – je trouvais que l’auto-édition permettait une plus grande marge de manœuvre à ce niveau et, en ce sens, c’est un peu plus récréatif et libérateur par rapport aux exigences d’un projet professionnel.

Dans les deux cas, le livre aurait existé, certes différemment, mais il se serait concrétisé. Il était temps, je l’avais assez mûri. Le sortir seul était aussi un choix, assumé et libérateur.

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Vous pouvez trouver Egarés en POD sur la boutique Lulu de son auteur soit en version couverture souple ou couverture rigide. Il existe aussi une version n&b. Tous ces livrets sont au format roman 6 x 9 :

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