Remets-nous une tournée de bouscote ! [chronique Wastburg 2]

Faut croire que le butin s’était tari, que la cliquaille se faisait rare, que les ripoux avaient du mal à boucler les fin de mois. Ou que les bourgeois avaient oublié à qui ils devaient la – relative – tranquillité de leur sommeil. Ingratitude quand tu nous tiens ! Pourtant, on entendait bien quelques voix, ici ou là, pour réclamer le retour des gardoches. De leurs aventures qui pataugent dans la boue des ruelles. De leurs déconvenues sur le parquet inégal d’un tribunal à la justice tout aussi inégale. De leur capacité à jouer les funambules entre leurs petites magouilles de traîne-godasses et les grandes magouilles des échevins engoncés dans le velours. Et d’autres voix exprimer l’espoir de jouer des monte-en-l’air à la petite semaine du quartier de la Purge, les demi-sels qui font trimer quelques filles à solde sur les quais. Et qui se rêvent en sublimes caïds, seigneurs du mitan dont même quelques notables viennent embrasser la bagouze.

Bref, ça chouinait pour une deuxième édition de Wastburg.

Alors, Cédric a convoqué ses complices dans l’arrière-salle d’une taverne dont je tairai le nom pour ne pas porter la poisse à son tenancier, qui ne s’est jamais montré regardant avec la probité de sa clientèle. Or donc, Cédric et sa bande d’aigrefins (dont votre serviteur, embringué dans cette histoire pas totalement de mauvais gré, je l’avoue) se prennent à imaginer de remettre la main à la pâte. Ce n’était plus un coup d’essai, alors, on verrait ce qu’on verrait : fini la bricole, place à l’ambition. La gnôle aidant, nous voilà partis à tirer des plans sur la comète. Patron, remets-nous la même, je nous sens en veine !

Pour les nouveaux qui arrivent en ville

On les repère vite, les pieds-tendres qui viennent tout juste de débarquent en ville. Ils en sont encore à se demander si on prononce « Wastbürg », « Wastbeurg », ou « Wastbourg ». Sans parler du « g », muet ou sonore. Sans blague ?

L’univers du jeu est très directement inspiré du roman d’un plumitif notoire, Cédric Ferrand, qui a brossé le portrait de cette ville franche, port à la fois maritime et fluvial, aux confins de deux royaumes, l’un, waelmien (que ses sujets voient comme un sommet de civilisation), et l’autre, loritain (que les Waelmiens considèrent exotique, au mieux, et crasseux, au pire). Le temps présent y est encore marqué par le souvenir de l’omniprésence de la magie, qui a disparu de la cité depuis que quelque chose avait vraiment merdé.

La ville est divisée en quartiers dont des érudits pontifiants diraient qu’ils sont sensiblement différents par leur « sociologie ». Quand tu arpentes Wastburg, tu as vite fait de comprendre si tu es dans le quartier cossu ou chez les crève-la-dalle, si tu as affaire à ceux dont l’avenir est de poser leurs fesses sur un siège d’échevin ou à ceux qui s’allongeront sur une paillasse derrière les barreaux. À chacun sa manière d’envisager sa place au soleil : le pouvoir d’une charge vénale, ou le surin manié d’une main ferme.

Et, au milieu de tout ça, improbable ciment d’une ville inégalitaire où l’honnêteté est une denrée plus rare qu’une eau totalement potable, une « garde » municipale, chargée de faire régner l’ordre, à défaut de la loi (quant à la justice, d’autres s’en chargent, à leur manière). Et encore, la qualifier de « municipale » est un tantinet optimiste : les gardoches sont plutôt aux ordres de notables de chaque quartier, notables qui jouent leurs propres cartes dans un grand jeu de duperie et de course au pouvoir.

Mal payés, coincés entre leurs propres contingences et les affaires douteuses aux étages au-dessus d’eux, comment trouvent-ils encore la force et la conviction de courir après les criminels en tous genres, voleurs, contrebandiers, faussaires et autres assassins de tout poil ?

On remet la même tournée ? Non, pas tout à fait

Cette deuxième édition de Wastburg garde le système – adapté du Free Universal Roleplaying Game, concocté par Nathan Russel – qui a séduit les amateurs de la première. Pas de raison de trop modifier ce qui tourne bien, n’est-ce pas ? Pas besoin, non plus, d’une flopée de « compétences » et « caractéristiques » : ici, une demi-douzaine de « traits » librement choisis suffit à croquer un personnage.

Concernant la résolution d’une action à l’issue incertaine, ça reste dans la simplicité : lancer une pincée de D6 (leur nombre dépend du talent du personnage dans le domaine mis en jeu), et comparer le résultat avec un seuil de difficulté. Et, comme on n’est pas un Loritain au ciboulot binaire, on ne s’arrête pas à une squelettique distinction « échec / réussite » : avec des intermédiaires positifs ou négatifs, et, pour faire bonne mesure, une louchette d’« aubaine », la gamme des résultats (« Non, et… », « Oui », « Oui, mais… », etc.) ouvre davantage de perspectives qu’une vie de clerc de notaire.

Pour ne quand même pas resservir une soupe cuite et recuite, cette deuxième édition contient quelques ingrédients nouveaux, dont une gestion de l’expérience, pour l’évolution des personnages, et un personnage (le supérieur hiérarchique) incarné par les joueurs, collectivement. Cependant, sauf à avoir de la boue dans les mirettes, chacun remarquera que le grand changement, c’est la possibilité, désormais, d’incarner des malfrats, et plus seulement des gardoches. Faut croire qu’incarner des représentants de la loi, même terriblement ripoux à l’occasion, ça ne suffisait à rassasier les rôlistes. En avant, donc, pour le passage de l’autre côté de la ligne rouge (ou noire, si le budget manque).

Balance le butin sur la table !

Si vous décidez de mettre la main sur l’intégralité de la gamme de Wastburg, en l’acquérant auprès d’un vendeur honnête ou en la subtilisant dans la besace d’un Waelmien inattentif, prévoyez de la place sur vos étagères. Et, surtout, soyez assurés qu’avec cela, vous disposerez de tout ce qu’il faut pour profiter pleinement de ce cadre de jeu.

Wastburg, le livre de base (256 pages), vous donne les clés de la mécanique de création des personnages et celles du système de jeu (résolution des actions, gestion de l’expérience, etc.). Il y ajoute la présentation des rôles et organisations de la Garde et des bandes de malfrats et, surtout, la description de chaque quartier de la ville sous des angles très pratiques (où arriver, à voir, où manger, où s’amuser, où ne pas aller), ainsi que les parties souterraines et mal connues. Et, histoire de mettre tout cela en branle concrètement, 3 scénarios, deux pour des Gardoches et un pour des Malfrats.

Le Guide du Gardoche et Accessoires du MJ contient les éléments attendus d’un supplément « écran » : ledit écran, une carte de la ville, et un livret (48 pages) qui forme le « Guide du Gardoche » pour plonger les débutants dans le bain. Plus 20 numéros de la gazette locale, rapportant les faits divers qui donnent de la consistance à la ville, et des fiches de règles optionnelles (un jeu de taverne, et une amusante mécanique de gestion de l’expérience).

Le supplément Les Coulisses de l’Injustice (112 pages) dévoile les arrière-cuisines – peu glorieuses – de la justice wastburgienne, qui se révèle mouvante et vénale, et indéniablement liée à la catégorie sociale des justiciables. Ce que démontre un grand scénario, en deux parties, tournant autour d’affaire – et de procès – de faux-monnayage.

Avec Les risques du métier (112 pages), pas moins de 7 scénarios attendent gardoches (6 aventures) et malfrats (1 aventure). Les connaisseurs de la gamme Wastburg remarqueront que la moitié de ces texte a déjà été publiée par ailleurs : un dans Gardoches partout, Justice nulle part, un supplément de la première édition ; deux dans JdR Mag ; un dans Di6dent. Mais faute avouée (ces publications antérieures sont clairement signalées) est à moitié pardonnée, non ?

La campagne Seul avec Tous (112 pages), avec ses trois actes et ses deux interludes est, en revanche, une création originale pour cette deuxième édition. Elle embarque les personnages dans un moment où Wastburg est affligée par une épidémie. Ne ratez pas, dans les annexes, le « générateur coopératif de scénario », bien utile pour se mitonner une partie de Wastburg sur le pouce, entre aminches.

Au rayon des accessoires : le Casier Judiciaire (16 pages) est l’aide-mémoire de chaque personnage de joueur (création de personnage, biographie, contacts, équipements, lieux fréquentés, jargons des gardoches et des malfrats, etc.), agrémenté d’une carte de la ville ;

Synopsia (55 cartes à jouer) est une boîte à outils pour générer une trame (sur la base des 6 questions : qui ?, quoi ?, où ?, quand ?, pourquoi ?, comment ?), à partir de laquelle concocter une intrigue que les gardoches devront démêler ;

et Sous-Bocks, comme son nom l’indique même aux plus bouchés à l’émeri, contient des sous-verres utilisables non seulement pour y poser une copine de cervoise, mais aussi pour mettre en œuvre la règle optionnelle de gestion de l’expérience exposée dans le supplément le Guide du gardoche cité plus haut.

Les XII Singes n’ont pas publié gratuitement de « kit de découverte » de Wastburg. Toutefois, pour le quidam qui aimerait entrevoir le jeu et qui n’aurait pas des oursins dans les poches, le supplément Initiative ! (32 pages), vendu pour quelques gelders, constitue exactement cela : une introduction à l’univers du jeu et au système de règles, avec un scénario d’initiation et les PJ prétirés pour s’y lancer.

Tes enlumineurs, ce ne sont pas des manchots

La bande à Cédric, pour tenir la plume, c’est loin d’être des pisse-copie (et je ne dis pas cela juste pour moi) ; mais, quand tu te contentes de feuilleter les livres, ça ne saute pas forcément aux yeux. En revanche, côté enluminures, tu es vite plongé dans l’ambiance. Il faudrait s’être passé les châsses à la râpe pour ne pas apprécier les illustrations de Rolland Barthélémy, Gary Chalk, Mathilde Marlot et Maxime Plasse : les personnages, les bâtiments, les cartes et plans, voilà que tout Wastburg prend forme. Et les XII Singes n’ont pas pleuré les dessins : dans les scénarios, par exemple, quasiment tous les PNJ Majeurs ont droit à leur portrait.

Et puisqu’on en est aux confidences en tête à tête, je te le glisse sans témoin : quand on est un des auteurs, découvrir, sur le vélin, les trognes de personnages qui jusque-là n’avaient existé que dans ma tête et dans mes mots, ç’a été une surprise majeure, et un plaisir non dissimulé, parce que ça collait vraiment bien.

Mijoter une nouvelle soupe avec de vieilles carottes

La nouvelle édition de Wastburg ne rend pas caduque la matière de la première édition. La preuve, certains restes des précédents festins ont été remis dans la marmite de la deuxième édition. Et, pour ne pas gâcher, autant se servir allègrement dans les autres ouvrages de la première : Droit dans leur bottes, avec un scénario en deux actes et une aventure en intermède, et une aide de jeu sur les relations sociales ; Et la nuit résonnera de mille crimes, avec un scénario, et une aide de jeu sur la gestion des ressources des PJ ; Fleur de Purge, consacré à la prison de Wastburg (ladite « Purge ») et à son quartier, décor central d’un scénario aux trois affaires entremêlées ; L’opéra de quat’ gelders, une campagne touchant à la pègre et à la Garde ; ou encore Sous les pavés, la fange !, pour s’enfoncer sous la surface de la ville, ces souterrains que met en valeur un scénario. Et coup de chapeau à Je suis Karly, en téléchargement gratuit, qui aborde un thème surprenant, et pas moins riche en occasions d’aventure : la presse à Wastburg.

Alors, tu signes dans la Garde ou dans une bande ?

Qu’on s’imagine en gardoche ou en malfrat, l’univers de Wastburg est un terrain de jeu au ras du pavé, les pieds dans la gadoue et la tête dans les embrouilles des puissants. Faiseurs et défaiseurs de monde, superhéros et jeteurs de sorts, passez votre chemin. Ici, on se coltine les emmerdes du quotidien, les petits ennuis qui cachent – peut-être – de grosses affaires, on donne et on récolte des gnons, et on évite d’espérer la reconnaissance des citoyens. L’amour du travail bien fait ne vaut pas les dessous de table. Le jeu, lui, en vaut-il la chandelle ? Je ne t’en parlerais pas si je n’y croyais pas. Mais, remets une tournée, et je continue à t’expliquer, si tu as encore des doutes.