Le jeu qu’il faut fer à tout prix ? [chronique Les Royaumes d’Acier: Le Requiem]

Ça fait un moment qu’on s’ébaubit au Fix sur le rythme de parution de la branche traduction du Studio Agate.

A l’automne 2022, après une campagne-éclair de quinze jours, Agate avait réussi le foulancement d’Iron Kingdoms : Requiem, foulancement qu’on vous avait annoncé ici. Il s’agit de la traduction du jeu du même nom publié en VO par Privateer Press en 2021 qui adapte au SRD 5 l’univers des Royaumes d’Acier. Agate nous ayant fait la grâce de nous envoyer un exemplaire numérique du livre de base, nous avons souhaité vous en dire un peu plus sur cette édition dont la VF va atterrir incessamment sur les étagères des souscripteurs.

Iron Kingdoms ou Royaumes d’Acier en français, est un univers développé par Privateer Press, une compagnie états-unienne, fondée en 2000. L’éditeur s’est fait connaître au public à travers la campagne de la Trilogie Witchfire, trois scénarios d20 traduits en français par Asmodée. Ces trois aventures introduisaient l’univers des Royaumes d’Acier, un contexte de jeu mêlant D&D et steampunk. A partir de cette base, l’éditeur développa ce monde sous la forme de suppléments d20 dont la plupart fut traduit par Asmodée. Parallèlement, Privateer Press utilisa son univers pour deux jeux de figurine Warmachine et Hordes. Ce faisant, les jeux et suppléments étiquetés Royaumes d’Acier trouvèrent un public enthousiaste et raflèrent de nombreux prix. Avec le reflux de la vague d20, Privateer Press choisit de sortir une deuxième édition de son jeu de rôles en 2012. L’éditeur s’appuya sur un moteur plus proche de ses jeux de figurines. Succès critique, soutenue par des romans et les développements issus des jeux de figurine, cette nouvelle édition n’eut cependant pas le succès commercial de sa prédécesseuse. C’est probablement en raison de ce moindre succès que Privateer Press fit le choix d’adosser la troisième – et présente – version de son jeu à la populaire OGL 5e. Du côté d’Agate, on peut faire l’hypothèse que cette traduction du livre d’un univers qui fut très populaire en France, témoigne de la volonté de compléter l’offre OGL par des univers réputés pour leur qualité.

Bien que la gamme en OGL 5e des Royaumes d’Acier soit, deux ans après la sortie du livre de base, déjà assez fournie en VO, le foulancement d’Agate a porté sur un ensemble plus réduit : le livre de base, un écran, une carte de l’Immoren occidentale (la partie du monde où sont localisées la plupart des aventures dans les Royaumes d’Acier) ainsi qu’un scénario de 88 pages ; La Légende de la Sorceflamme. Lors de la campagne, divers bonus furent débloqués, notamment des decks de sorts et d’objets ou une galerie de PNJ.

La présente recension se concentrera seulement sur le livre de base et portera sur quelques points qui nous paraissent significatifs. Il s’agit globalement de présenter ici les spécificités de l’univers des Royames d’Acier et de voir si l’ouvrage traduit par Agate permet de facilement se les approprier que ce soit au niveau de la description du monde, de l’ambiance portée, des propositions ludiques et de l’adaptation mécanique.

Avant de commencer, rappelons tout de même que le livre de base des Royaumes d’Acier : le Requiem ne contient pas les règles du SRD 5. Avoir accès à ce contenu, ou à Dragons (l’adaptation de l’OGL par Agate), demeure indispensable.

Premières impressions : Agate la classe !

Il convient d’abord de dire qu’Agate a mis à notre disposition un document de travail numérique du livre de base qui date d’août 2022. A cette date, le travail était déjà quasiment fini. Certaines coquilles et traductions douteuses étaient encore présentes, en tout petit nombre. Il n’y a cependant aucune raison de croire que l’ensemble ne sera pas au niveau de la production habituelle de l’éditeur quand les souscripteurs le recevront. Quoiqu’il en soit, en termes de maquette, de traduction, d’illustration et de relecture, le document, laisse suffisamment voir de ce à quoi ressemblera le livre publié pour qu’on puisse en décrire sereinement l’organisation et l’ergonomie.

Globalement, bien que le texte soit relativement dense, il est fort lisible.  Les deux colonnes peuvent paraître assez austères, notamment pour les parties non mécaniques, mais la mise en page est fort heureusement aérée par des illustrations et des encadrés. Souvent en une page ou une demi-page, ces illustrations sont belles et le style est cohérent de l’une à l’autre. Il est à noter que lorsque les souscripteurs de la VO avaient été livrés, l’impression des livres laissait beaucoup à désirer et certains passages étaient illisibles. Sur le document numérique que nous a envoyé Agate, rien de tout cela n’était visible et nous sommes à peu près sûrs que l’éditeur de La Garenne mettra un point d’honneur à ce que les problèmes qui ont empoisonné la livraison de la VO ne se produisent pas.

Sur le plan de l’organisation, le livre fait 270 pages et comprend six chapitres. Le premier d’entre eux (45 pages) décrit l’univers. Le texte, assez dense, présente d’abord l’histoire du monde puis détaille les principales régions de l’Immoren occidentale, la région du monde de Caën où se situent la majorité des aventures publiées pour les Royaumes d’Acier. Le second chapitre fait plus de 120 pages et est entièrement consacré à la création de personnages. Il est divisé en parties séparées par une illustration ce qui fait qu’il est relativement facile de s’y repérer. Le chapitre 3 couvre la magie en une quinzaine de pages. Il contient quelques conseils pour adapter la magie OGL au contexte et les habituels nouveaux sorts et objets. Le chapitre 4 décrit l’équipement et le matériel sur une vingtaine de pages, s’arrêtant notamment sur les objets Mékamagiques que peuvent fabriquer les personnages. Le chapitre 5 prolonge cet aspect de l’univers en décrivant en 13 pages les règles sur les Scaraciers, les golems technologiques qui sont une des marques de fabrique de l’univers. Enfin, un dernier chapitre concerne les MJ en leur présentant les options nécessaires pour maîtriser des campagnes dans les Royaumes d’Acier. Un bestiaire d’une quinzaine de pages complétant ce chapitre.

Au total, on a un ratio univers/règle où la part de l’univers semble réduite à la portion congrue, ainsi que s’en sont plaint nombre de critiques de la VO. Ce ratio n’est cependant pas inhabituel. Il est non seulement similaire à celui du livre de base de la 1ère édition (62 pages d’univers pour 400 pages de règles pour la V1 contre 45 sur 270 dans la version Requiem) mais également à d’autres livres d’univers parus pour la 5e. De plus, la Cinquième édition possède une économie d’écriture spécifique qui fait que les règles prennent plus de place que pour des systèmes plus légers. Ajoutons que de nombreux éléments sur l’univers sont dissémines à travers le monde et qu’on peut donc dire que le volume d’informations sur l’univers est important.

A l’œil, l’ensemble est agréable. On circule facilement dans le livre. Le texte, plutôt dense et compact, regorge d’informations. Mais l’on circule facilement entre les chapitres. Il manque cependant des aides à la lecture telles que des encadrés, des récapitulatifs ou des notes de marge qui permettraient d’accéder rapidement à l’information. Nous reviendrons sur ce point.

Le genre (1) : de la Fantaisie Blindée

Le terme « Full Metal Fantasy », que Privateer Press (et Agate, qui l’a gardé tel quel) a accolé à son titre, fait forcément penser au manga Fullmetal Alchemist de Hiromu Arakawa. Non seulement le manga est plus ou moins le contemporain de la parution des Royaumes d’Acier mais il en partage de plus le décor steampunk et une vision utilitariste de l’alchimie bien loin des visions ésotériques qui sont généralement associées à cet art.

De fait, dans le jeu de rôles de Privateer Press comme dans le manga, la révolution industrielle a eu lieu. On trouve dans les Royaumes d’Acier des dirigeables, de la poudre à canon, des usines et des trains. On est quelque part entre l’ère victorienne et les années 20. Dans cet univers, cependant, la technologie a rencontré la magie. Celle-ci décuple en effet les effets des énergies électriques ou thermiques. L’association entre magie et technologie forme ainsi la mékamagie, une discipline centrale dans les Royames d’Acier. Elle permet de créer et d’utiliser les outils technologiques alimentés par magie, soit toute sorte de gadgets, des armes à feu ou des créations encore plus impressionnantes. Les Royaumes d’Acier sont ainsi connus pour les warjacks ou scaraciers, des machines pilotées à distance par des magiciens. Il est à noter que comme dans le manga, la technologie n’est pas l’apanage d’une nation, mais est maîtrisée dans tout l’univers, même s’il est plusieurs fois référence dans le livre de base à des contrées plus sauvages et marginalisées. Quant à l’alchimie, elle transforme certaines ressources du monde pour produire des effets parfois spectaculaires et surtout alimenter les accumulateurs à la base de la mékamagie. La poudre à canon est soumise au même traitement. Grâce à la magie, les effets destructeurs des armes et des explosifs sont décuplés, ce qui fait que les armes à feu sont les reines du champ de bataille.

L’omniprésence de la technologie suinte de toutes les illustrations : rues pavées illuminées au gaz, scaraciers dans divers états de fonctionnement, soldats brandissant des armes crépitantes d’électricité forment l’immense majorité des illustrations. Quelques scènes d’intérieurs georgiens ou les tricornes ou chapeaux à toques rompent un peu avec la monotonie de ce règne des machines. Cela se répercute sur les règles qui mettent également la technologie au centre. Outre les trois chapitres qui sont consacrés à la mékamagie (celui sur la magie, celui sur l’équipement et celui consacré aux scaraciers), les cinq classes nouvelles introduites dans le livre de base utilisent toutes la technologie ou l’alchimie. Les classes de pistoliers ou de mages-balisticiens se singularisent par l’utilisation des armes à feu, les mékamagiciens et mékastratèges se distinguent par les possibilités qu’ils ont de contrôler des scaraciers. La classe d’alchimiste, quant à elle, permet essentiellement de confectionner très rapidement des potions et d’en utiliser au mieux les effets.

Une autre traduction du terme « Full Metal Fantasy » peut également se comprendre en référence à un autre chef d’œuvre: Full Metal Jacket, célèbre film de Stanley Kubrick dont le titre fait allusion aux balles chemisées ou blindées. Et l’impression que l’on retire des Royaumes d’Acier : le Requiem c’est bien celle d’un monde militaire, voire militariste. Non seulement les illustrations représentent fréquemment des scènes de combat (probablement 70 % du corpus d’images), mais on y trouve de plus des armes démesurées, des armures plus larges que nécessaire, qui évoquent des jeux tels que Warhammer 40 000, notamment Deathwatch ou Mutant Chronicles. De manière significative, les classes propres aux Royaumes d’Acier sont également très orientées vers le fait de faire des (gros) dégâts. Même l’alchimiste fait d’avantage penser à un lanceur de bombes ou de grenades qu’aux personnages tourmentés de l’œuvre de Marguerite Yourcenar. A ce stade de notre recension, contentons-nous de regretter que ce parti pris quelque peu monotone se fasse aux détriments d’autres éléments de l’univers. Le livre mentionne en effet des trains, des vaisseaux volants ou divers gadgets mais ceux-ci ne sont jamais montrés et illustrés. La vie quotidienne dans ce monde industriel est le grand absent en termes d’illustration. De fait, on peut penser que cette absence s’explique par le fait que l’univers est marqué par la guerre dans son historique, ce que soulignent l’existence de deux jeux de guerres qui s’y situent.

On peut donc parler de « Fantasy Blindée » pour décrire les Royaumes d’Acier pour rendre compte de cet univers industriel, de vapeur et d’acier. Reste désormais à voir quelle place est faite à la Fantasy derrière les plaques d’acier de ce Cuirassé.

Le genre (2) : du D&D avec des méka

Par deux fois, les Royaumes d’Acier ont été motorisés sous un système repris de D&D. On s’attend donc à ce que le jeu présente une ambiance high fantasy similaire à celle du jeu dont il reprend le système.

Au premier abord, la lecture du chapitre de création des personnages confirme cette impression. On est en terrain connu, il y a des espèces (terme préféré à celui de « race ») humanoïdes. Cependant, les espèces sont traitées de manière très intéressante car elles mêlent un certain canon D&Desque aux spécificités de cet univers industriel. Ainsi, les Gobbers forment un peuple de gobelins, vivant au contact des Humains mais marginalisés, astucieux et plein d’esprits, ils sont des mécaniciens et des baratineurs hors-pair qui se heurtent à la méfiance du monde qui les entoure. Ils occupent ainsi la niche ludique du « petit mais dextre » qui revient d’ordinaire aux petites-gens ou aux gnomes tout en s’intégrant naturellement à l’univers. On trouve une situation similaire avec les Trollkins. Ces Trolls présentent les spécificités classiques de l’espèce : coriace, robuste et récupérant vite des coups. Mais ils présentent également des traits originaux avec leur rapport au chant et à la spiritualité. Ils prennent ainsi aisément la niche occupée par les demi-orques (puissance physique, sauvagerie) mais leur place dans l’univers est fort différente. Vivant au contact des humains, ils sont des bâtisseurs de talents. Pour les autres races, les rôles sont plus classiques. Les Ogruns sont également de grands costauds qui ne diffèrent fonctionnellement des Trollkins que par leur organisation féodale et leur loyauté envers leurs amis. Les Iosiens peuvent être assimilés aux Elfes et forment un peuple reclus, mystérieux et un peu hautain traditionnel des univers de D&D. Le twist est qu’ils sont confrontés pour certains à un mal cosmique étrange et que leurs relations avec le reste du monde sont difficiles. Les Nains restent des Nains : industrieux et aimant taper sur des trucs avec des marteaux. Cependant, ils sont loin de se cantonner aux rêves de gloire passée et à leurs halls monumentaux mais présentent une vraie curiosité pour le monde qui les rendent un peu semblables à des savants humanistes de la Renaissance. Quant aux Humains, ils forment le traditionnel peuple polyvalent et proliférant. Largement majoritaires, ils sont très divers avec pas moins de cinq grandes cultures entre lesquelles choisir, reflétant ainsi l’histoire de l’univers. Au total, ces peuples cohabitent, pas toujours de manière cohérente, de manière crédible. On est loin des univers patchwork (qu’on apprécie par ailleurs) des univers classiques de D&D.

D’autres points de règles montrent que les Royaumes d’Acier divergent de la High Fantasy souvent associée à D&D. Comme on l’a vu, la magie est essentiellement utilitaire et va à l’essentiel. Les nouveaux sorts introduits dans le livre de base peuvent être classés en deux catégories : ceux qui facilitent la création ou le contrôle des méka et ceux qui font des dégâts. C’est tout. Les sorts typés high-fantasy tels que ceux de téléportation ou de voyage planaire sont proscrits, ainsi qu’une dizaine de sorts de haut niveau. Le livre de Base formule peu d’interdits en termes de ce qui est jouable, mais il est significatif que la classe de sorcier (ou d’occultiste, quel que soit le terme que vous employez pour traduire le terme de warlock) soit la seule classe explicitement interdite. Bien que le monde possède une cosmogonie relativement développée, que les Dieux existent et que les religions et ordres religieux aient de l’influence, la magie divine est elle aussi bridée. Elle subit les mêmes restrictions que la magie profane et les sorts de résurrection ou de revivification ne fonctionnent pas non plus. Les sorts de soin, plutôt que de laisser leurs bénéficiaires frais et dispos, laissent des traces et des cicatrices même si, mécaniquement, ils remplissent bien leurs fonctions. Cet aspect d’un monde plus sanglant est renforcé par la règle de blessures majeures introduite comme une option dans le guide du maître. Arrivé à zéro point de vie, l’infortuné personnage doit jeter sur une table avant de faire ses jets de mortalité. Il existe des chances non négligeables qu’il garde des séquelles (voire que son chemin vers la mort soit accéléré). Les règles sont donc plus punitives que celles de l’OGL 5e.

Cette différenciation avec D&D se poursuit par la lecture du mini bestiaire proposé dans le chapitre du MJ (qui fournit une quinzaine de créatures en attendant la traduction du bestiaire de cette nouvelle édition). On notera que les ennemis que les MJ peuvent mettre dans les pattes des joueurs sont plutôt des soldats d’autres nations, des inspecteurs trop pointilleux, des créations mékamagiques hostiles ou encore des cultistes voués aux pouvoirs infernaux plutôt que des hordes d’orques. Dragons et Infernaux constituent de vraies menaces mais ne sont pas détaillées mécaniquement dans le cadre du livre de base. On relèvera cependant qu’elles ont d’ailleurs en commun le fait de plus miser sur l’influence et la corruption que sur l’affrontement direct. L’iconographie reflète cet état de fait. Lorsqu’ils sont représentés, les ennemis sont souvent des méka ou des créatures informes et monstrueuses uniques. L’orientation de certains pouvoirs de classe et archétypes traduit d’ailleurs la prévalence de créatures extérieures et de morts vivants sur toute autre type de créatures. Enfin, alors qu’un des sous-genres de D&D est le hex-crawl ou l’exploration de terres sauvages, rien n’est dit de ce type d’aventure. Les Royaumes d’Acier ne sont donc pas, par défaut, des endroits où l’on explore des contrées inconnues et s’émerveille des prodiges de la Nature (qui n’est d’ailleurs montrée que sur de très rares illustrations par rapport à des ambiances urbaines ou des intérieurs).

Enfin, en termes d’ambiance, les Royaumes d’Acier se différencient également des univers qui tentent de mélanger steampunk et D&D tels qu’Eberron. Cet univers officiel de Wizards of the Coast, repose même sur des prémisses inverses de ceux des Royaumes d’Acier. Dans Eberron, la magie est tellement présente et développée qu’elle en est devenue la technologie alors que dans les Royaumes d’Acier, la magie est un instrument qui a facilité l’industrialisation. Contexte urbain, sale et sanglant, l’univers des Royaumes d’Acier ressemble davantage à celui de Warhammer qu’aux univers chatoyants et technicolor de D&D. Ce constat fait, il appartient au livre de nous donner envie de jouer dans cet univers.

Le monde  (1) : des Royaumes à reconstruire, un chapitre à réécrire.

Le premier chapitre introduit l’univers. Il détaille la cosmogonie (simple et efficace) et l’histoire du monde dans ses premières pages ainsi que la situation de ses principaux états à la date où commence la nouvelle édition. Il est en effet à noter que, par rapport aux deux premières éditions, le monde a avancé de quelques années. Une catastrophe appelée la Récolte vient de frapper de plein fouet les Royaumes d’Acier. Cet événement a déstabilisé l’univers dans son intégralité mais il est la conséquence de l’évolution ludique de l’univers. Dans la première édition du jeu, les habitants des Royaumes d’Acier étaient confrontés à l’invasion des Orgoths. Ce peuple pratiquant la magie noire et la nécromancie occupa en effet pendant quatre siècles l’Immoren occidentale avant que ses troupes ne soient repoussés par les créations mékamagiques des peuples des Royaumes d’Acier. Pour ce faire, les habitants des Royaumes d’Acier ont dû pactiser avec des puissances mal intentionnées et les puissances infernales qui aidèrent à résister à l’invasion réclamèrent leur dû. Cette dette était payable en âmes, d’où le nom de Récolte (Claiming en anglais). L’ordre Nonokrion, la faction infernale qui avait aidé les Royaumes, dévasta le monde, ne laissant derrière elle que quelques survivants et des Horreurs, c’est à dire des créatures surnaturelles qui continuent à rendre le monde dangereux. C’est donc de l’effet combiné de ces deux catastrophes, l’invasion orgothe et la Récolte, que cherche à se relever le monde.

Les principales nations sont décrites dans le reste du chapitre. Chacune est présentée de manière générale avec, en plus, la description de certains lieux et villes (en général, chaque lieu est détaillé en une vingtaine de lignes, sans plans). La configuration politique ne frappe pas spécialement par son originalité mais demeure solide. Grand empire décadent, royaumes humains plus civilisés et cités états mercantiles sont à l’honneur. Pour faire bonne mesure s’ajoutent l’inévitable quasi-théocratie intolérante et les terres isolées des Iosiens. Les relations entre ces entités politiques sont des relations de concurrence et de jalousie. Si celles-ci ont été mises sous l’éteignoir, sous les effets conjugués de l’invasion orgoth et de la catastrophique Récolte, elles affleurent de nouveau et menacent de dégénérer en guerre. Par ailleurs, le monde comporte son lot de factions, d’ordres mystiques, religieux ou ésotériques aux objectifs contradictoires et à l’action souvent discrète.

Après digestion des informations de ce premier chapitre, le monde paraît solide et cohérent. Mais la lecture de ce chapitre n’est pas des plus facile, surtout pour un novice. De fait, le titre et les six premières lignes du chapitre sur l’univers donnent le ton.

« Après l’échec de l’invasion des infernaux venus d’au-delà de Caën, les Royaumes d’Acier ont entamé leur reconstruction. Suite à la Collecte, de nouvelles alliances ont été formées, mises à l’épreuve par une paix née de l’absence d’ennemi commun ».

On voit tout de suite que le texte n’a pas été écrit pour des novices qui découvriraient l’univers et qu’il suppose même une certaine familiarité avec l’univers. Quelqu’un qui ne serait pas familier avec les Royaumes d’Acier ne doit donc pas à s’attendre à une lecture-plaisir. Au contraire, parcourir ce chapitre demande une lecture active assortie d’une solide prise de notes. Le lecteur novice se sentira probablement littéralement submergé par les noms de peuples, de personnages, de lieux et de concepts. Ceux-ci auraient dû être regroupés en un lexique ou simplement signalés dans le texte, en marge, en notes, voire par des caractères gras pour qu’on puisse les repérer facilement. Malheureusement, aucune de ces aides n’a été incluse dans l’édition de ces règles. On ne trouve ni chronologie, ni récapitulatif, ni aucun appui pour le lecteur. Cette absence ne gênera pas que le lecteur novice, car de telles aides à la lecture seraient plus qu’utiles à un vétéran qui doit distiller l’information à destination de ses camarades joueurs.

Une fois l’effort de lecture fait, la richesse du monde se dévoile et on en vient presque à considérer comme un exploit de résumer en 45 pages un univers aussi riche. L’univers est prenant et fait pour jouer. Les relations politiques sont riches et complexes et le monde semble être constamment au bord d’un chaos crépusculaire ou d’une renaissance lumineuse. Il est également à noter que malgré la présence de forces mal connues et dangereuses, les Royaumes d’Acier : Requiem n’est pas un jeu à secret. Le monde a conscience de lui-même, connaît son passé et sait quelles forces le menacent. Au contraire, l’univers paraît taillé pour que les joueurs laissent leur empreinte. A condition de se mettre d’accord sur ce qu’on joue …

Le monde (2) : et on joue à quoi ?

On s’attendrait à ce que le livre de base propose une page qui explicite les propositions de jeu d’un univers aussi typé. Il n’en est malheureusement rien et pour savoir ce que l’on joue, il est nécessaire de lire le livre en guettant les éléments qui caractérisent la proposition ludique. Ceux-ci se trouvent dans les idées de scénario du premier chapitre, dans les compagnies d’aventuriers du chapitre de création du personnage et enfin dans la demi-page sur les types de campagne du chapitre du maître.

Chaque encadré rose est une accroche scenaristique

Du côté MJ, que ce soit dans les suggestions de scénario du chapitre I ou dans le chapitre réservé au Maître, on perçoit bien quelques thèmes forts. L’exploration pour chercher des trésors issus du passé lointain ou proche tient une bonne place. Le thème « intrigue et politique » est également bien soutenu dans les inspirations de scénarios et colle bien à la réalité du monde dans lequel les grands conflits sont gelés mais les rivalités à peine mouchetées. Ces thèmes peuvent être combinés avec les sous-thèmes de la lutte contre ce qu’il reste de la présence infernale et les agissements secrets des membres de ses cultes, la restauration de la réputation de sa nation natale ou de son peuple ou bien encore s’insérer dans les écheveaux des organisations criminelles qui sont présentes dans ce monde.

Ce qui est dit des « compagnies d’aventuriers » dans le chapitre de création des personnages est aussi très utile pour faire vivre ces diverses pistes de campagnes. Les règles sur les compagnies d’aventuriers fournissent en effet des archétypes de groupes d’aventuriers inspirés du principe des Patrons proposés dans le Guide de Tasha pour D&D 5. Cette partie fournit beaucoup d’inspiration en permettant aux joueurs et joueuses de se doter d’objectifs communs et donc de mieux définir un style de jeu qui leur convienne. Neuf types de compagnie sont détaillés. L’Assemblée de cultistes propose aux joueurs d’incarner des individus dévoués à une même divinité peu appréciée, y compris maléfique. Leurs aventures consisteront à démontrer la puissance de leur divinité et contrecarrer les efforts des autres croyants. S’ils choisissent la Charte de mercenaires, les joueurs joueront une compagnie de mercenaires exportant leur savoir à travers le monde. Une compagnie d’Enquêteurs intrépides correspondra plus ou moins à la compagnie classique d’explorateurs aventuriers en quête de trésors ou de connaissance au profit d’institutions scientifiques ou pour eux-mêmes. L’équipage pirate est une autre proposition classique visant à écumer les mers en tant que pirates ou corsaires portant une lettre de marque. Les joueurs qui apprécient jouer des criminels pourront former une compagnie de Hors-la-loi affiliée à une des organisations criminelles ou se mettant à son compte. À l’inverse, un autre groupe pourra choisir de jouer des Justiciers pourchassant les criminels et déjouant leurs vils desseins. Ceux qui s’intéressent à la magie pourront être les membres d’un même ordre arcanique cherchant à découvrir des secrets anciens ou mettant leur art ésotérique au service des puissants de ce monde. Enfin, pour tirer parti des intrigues politiques qui abondent, le groupe pourra être conçu comme un réseau d’espions collectant des secrets pour le compte de leurs patrons ou vendant leurs services au plus offrant.

Les historiques donnés dans le chapitre sur la création de personnage complètent ces propositions en reliant les personnages aux nombreuses factions et organisations de l’univers ainsi qu’à son passé récent. Faire cohabiter ces factions pourrait être un défi difficile à relever et le MJ devrait travailler avec ses joueurs pour les faire coïncider avec le type de compagnie d’aventuriers que les joueurs auront choisi. Le jeu en vaut certainement la chandelle tant la combinaison des deux bâtira rapidement une thématique forte et construira une carte de relations assez fournie qui aidera les MJ à se lancer et à proposer des enjeux personnalisés à leurs joueurs et joueuses.

On peut donc dire que le livre donne des idées solides sur ce qu’il est possible de jouer mais on est cependant frappé par deux choses. En premier lieu, la thématique presque post-apocalyptique de la reconstruction du monde après la Collecte, retombe comme un soufflé dans le reste du livre. Elle n’est portée ni par l’esthétique ni par des règles spécifiques pour gérer par exemple les voyages ou l’exploration des terres ravagées. Vu la pauvreté de l’OGL sur ce sujet, il va probablement falloir attendre un ou plusieurs suppléments et voir comment ces thèmes sont utilisés dans les scénarios parus. De même, bien que l’univers soit très militarisé et que le combat et la guerre occupent une place fort importante dans l’esthétique et les mécaniques, aucune thématique militaire propre et singulière n’émerge des inspirations de campagne dans un monde qui est encore en paix et où les conflits ne dépassent pas les escarmouches frontalières. De nombreux historiques tournent pourtant autour d’un passé militaire et il existe, en outre, la possibilité de choisir de jouer une compagnie de mercenaires. Il est donc étrange que le livre de base ne traite ni de la guerre en tant que telle, ni ne propose pas de règles de combat de masse. On reviendra sur cette absence qui nous semble attester d’un problème plus profond. Contentons-nous pour l’instant de constater ce contraste entre l’omniprésence des thèmes guerriers et l’absence de suggestions visant à mener des campagnes militaires.

Ce contraste un peu étrange est également visible dans la description des classes de personnages ou des archétypes complétant et adaptant l’OGL. Parmi les cinq classes présentes dans le livre de base, toutes ont peu ou prou des talents à faire valoir en combat, voire s’y consacrent exclusivement. Toutes ces classes ont d’ailleurs des archétypes martiaux destinés à faire de gros dégâts. Ces classes, emblématiques des Royaumes d’Acier, car présentes pour quatre d’entre elles depuis la première édition, ne nous paraissent guère taillées pour les propositions de jeu mettant en avant la subtilité ou la diplomatie (encore que la théorie de feu le Président Roosevelt impliquât qu’on puisse parler d’une voie douce pourvu qu’on brandisse un gros bâton, ici un scaracier de combat). À l’inverse, les archétypes proposés pour personnaliser les classes OGL reflètent, eux, des choix orientant plutôt la construction de personnages vers des aventures davantage centrées sur le mystère, l’intrigue ou la discrétion. Il est également à noter que les archétypes proposés pour la classe de Paladin ou les domaines divins pour les Prêtres montrent que le thème de religions en compétition peut également constituer un très bon moyen de découvrir l’univers des Royaumes d’Acier en particulier. Cela en vaut d’autant plus la peine que le paysage religieux et la cosmogonie sont plus qu’intéressants.

Le point concernant les classes met la puce à l’oreille sur le fait que cette mouture des Royaumes d’Acier ressemble fort à un palimpseste où le passé du jeu est encore très lisible. De manière plus gênante, cela se retrouve aussi dans les mécanismes.

Mécanique (1) : du sable dans les rouages.

Entre la description de l’univers et le dernier chapitre de conseils à la maîtrise, s’étend la partie mécanique proprement dite. Il y a donc une quantité non négligeable de règles (ou de « crunch » si vous préférez). Au préalable, rappelons que rares sont les adaptations de la 5e qui soient des franches réussites. Le standard élevé se situe, selon nous, du côté d’Aventures dans les Terres du Milieu ou de Brancalonia, deux jeux qui n’ont pas hésité à tailler dans le gras et à remodeler l’OGL pour le mettre au service de leur proposition ludique et de leur univers.

L’adaptation mécanique à la 5e des Royaumes d’Acier n’atteint pas ces standards cités plus haut. C’est même plutôt du côté de la queue de peloton qu’il faut chercher. Ce qui suit va donc être une longue litanie, soyez prévenus si vous pensez que le Fix râle trop souvent.

Le premier reproche qu’on peut faire est la très mauvaise ergonomie générale de la partie règles. Certaines règles s’étendent sur plusieurs chapitres et, comme pour l’univers, rien ne permet de les synthétiser. Savoir comment on gère un Scaracier, ce qu’on peut construire avec la mékamagie implique donc de lire les classes et les chapitres concernés et de synthétiser tout cela à vos joueurs.

Le second reproche nous semble venir de la manière dont les règles abusent de mécaniques qui sont problématiques dans le cadre de la 5e. L’économie d’action est gentiment tordue par certains pouvoirs qui permettent de faire beaucoup de choses dans une action. A d’autres endroits, ce sont les actions bonus et les réactions qui pleuvent comme à Gravelotte. Quant aux bonus situationnels de +1 par ci, +2 par là, ils sont partout alors que l’une des meilleures innovations de la 5e est le mécanisme d’avantages/désavantages qui permet justement d’éviter d’avoir à faire la compatibilité des micro-bonus. Par ailleurs, malgré ces bonus qui traînent à droite et à gauche, l’avantage mécanique est distribué bien trop généreusement dans certains pouvoirs de races et de classes alors que l’intérêt de cette mécanisme est plutôt de permettre le jugement au débotté (ou « ruling » si vous êtes OSR). L’impression que cela donne, c’est que les auteurs n’ont pas bien compris le concept d’échelle restreinte (« bounded accuracy ») qui distingue justement la 5e par rapport aux éditions antérieures de l’Ancêtre. Même si les Royaumes d’Acier promettent une ambiance un peu plus sanglante (avec la règle sur les blessures graves), les personnages seront probablement bien plus costauds que leurs petits copains de l’OGL. Enfin, les dons (amenés par le choix d’une essence dont on reparle plus bas car c’est plutôt une bonne idée) sont généralement puissants que les autres dons OGL (qui sont eux-mêmes déjà plus puissants que ceux du Manuel du joueur de D&D 5) et surtout sont quasiment incontournables en raison de l’intérêt de choisir une essence.

Le troisième reproche touche le manque de diversité dans le gameplay des classes nouvelles et leurs interactions avec les classes OGL. Les cinq nouvelles classes sont là pour faire des dégâts et ne font généralement pas grand-chose d’autres (à part éventuellement réparer des méka pour qu’ils aillent se battre). Si l’on veut étendre les compétences d’un groupe, mettons pour faire de la discrétion ou de l’exploration, mieux vaut se tourner vers d’autres classes (ce qui serait une erreur, on y revient plus loin) ou vers les archétypes propres aux Royaumes d’Acier. Comme on l’a vu, ce sont eux qui permettent d’explorer les autres propositions ludiques possibles mais aucun d’entre eux n’apporte vraiment la dimension méka qui est également au cœur des Royaumes d’Acier et qui elle, ne se rencontre pas dans les classes. Cela amène à un autre problème. De plus, Privateer Press n’a pas non plus poussé la logique qui voudrait qu’on adapte l’OGL à son univers plutôt que l’inverse. Brancalonia a bâti à partir de l’OGL une progression sur seulement 6 niveaux et des règles de bagarre non létales spécifiques car cela colle avec l’ambiance « fantasy-spaghetti ». Aventures en Terres du Milieu n’a gardé de l’OGL que l’économie d’action, les règles de combat et le fonctionnement général des caractéristiques mais a changé tout le reste ou presque. L’éditeur des Royaumes d’Acier a eu la démarche inverse: il a décidé de faire de son univers une extension des règles OGL. Le jeu n’interdit rien à part le sorcier et quelques sorts trop puissants. Pour le reste, toute l’OGL est jouable. Même si, parmi les classes de base, seules le Barde, le Guerrier, le Moine, le Paladin, le Prêtre, le Ranger et le Roublard se voient proposer des archétypes, il est possible de jouer un Barbare, un Druide, un Ensorceleur ou un Magicien ainsi que les archétypes des autres classes faisant partie de l’OGL. Et ce, même quand ils ne collent pas du tout à l’ambiance. On peut même penser que si, en guise d’OGL, on utilise Dragon, on risque d’avoir des dissonances encore plus fortes.

Savoir pourquoi Privateer Press a fait ce choix de ne pas se montrer plus sélectif dans son adaptation de la 5e édition dépasse le propos de cette recension. Mais l’on peut quand même faire l’hypothèse d’une trop grande fidélité au matériel produit pour la 3ème édition (d’où les micro-bonus à droite et à gauche et le fait de proposer les mêmes classes que dans le livre d20). On peut également se demander si l’éditeur n’a pas considéré que restreindre la liberté des joueurs à faire ce qu’ils voulaient réduirait ses ventes (ce qui est probablement faux car il est à parier que le public ayant souscrit à l’édition en VO était déjà acquis à la cause).

Au total, si l’on peut se permettre de glisser un conseil dans cette recension, il serait triple :

  • 1. Se faire ou trouver un aide-mémoire pour les règles de création de méka et celles régissant les skaraciers
  • 2. S’en tenir aux cinq classes et presque 17 archétypes du livre de base. Il y a de quoi faire dans le livre pour ne pas avoir à supporter des ensorceleurs tiefelins ou des bardes gobbers.
  • 3. Surveiller la progression des personnages et leur capacité à construire ou réparer leur équipement si l’on souhaite les garder dans la bounded accuracy.

L’adaptation mécanique des Royaumes d’Acier à l’OGL (on aurait adoré écrire l’inverse) est donc ratée dans les grandes largeurs. Il y a cependant des choses à sauver dans ce bouillon.

Mécanique (2) : ce qui marche

À côté de ces nombreux points de déception, les Royaumes d’Acier : Requiem introduisent des idées innovantes et intéressantes.

Dans le domaine de la création de personnages, il est en effet possible d’opter pour une règle optionnelle qui permet aux joueurs de fignoler leurs personnages en choisissant leurs augmentations de caractéristiques par la sélection d’une essence et d’un historique. À la création de son personnage, le ou la joueuse doit choisir une essence parmi cinq proposées. Une essence est un ensemble d’affinités naturelles reflétant l’environnement dans lequel il a vécu. Ces essences s’appellent Ésotérisme, Puissance, Piété, Agilité et Intellect. Chacune d’entre elles offre une augmentation de caractéristique de +2 ainsi qu’une ou deux capacités spéciales. Elles commandent également l’accès à une liste de quatre dons que le personnage pourra choisir lors de sa progression. Ensuite, le personnage choisit son historique qui lui apportera un autre bonus de caractéristique de +1. Cette combinaison remplace les bonus de caractéristiques liés à l’espèce. Même si on a déjà soulevé le point de déséquilibre induit par la puissance des dons, cette règle est malgré tout intéressante. En effet les joueurs qui veulent jouer un personnage dextre n’auront pas besoin de choisir de jouer une race spécifique pour construire leur monte-en-l’air ou leur habile bricoleur et il est possible d’imaginer par exemple un Ogrun habile de ses dix doigts plutôt que fort et costaud.

Autre point intéressant, le concept de la création des compagnies d’aventuriers. Outre que celles-ci offrent de la cohérence au groupe et l’inscrivent dans l’univers, les règles les régissant sont plutôt intéressantes. Chaque compagnie d’aventuriers progresse selon une échelle divisée en tiers qui traduisent la montré en niveau des membres et l’augmentation de la réputation du groupe. Ces différents tiers apportent chacun leurs avantages, donnant par exemple la possibilité de mieux négocier ses contrats ou d’obtenir plus facilement la coopération de certaines autorités. Il est appréciable que plutôt qu’un énième bonus de +1 ou d’une manœuvre collective en combat, la majorité de ces avantages soit plutôt tournée vers l’ambiance et la place des personnages dans le monde. Ces règles reprennent en partie ce qui était proposé dans le guide de Tasha (comme pour le bonus de caractéristique lié à l’historique) et elles soutiennent l’idée que les joueurs vont laisser leur marque sur l’univers par leurs exploits et leur réputation et ce, sans inventer des super-pouvoirs ou jeter aux orties l’équilibre du jeu.

L’autre point attendu et relativement réussi concerne la création d’objets. Dans un monde où la technologie joue un rôle aussi important et où pas moins de trois classes ont à voir avec la fabrication d’objets divers et variés, les Royaumes d’Acier ne pouvaient pas aller sans un système dédié. Celles-ci existent. L’ensemble est cependant à reconstituer par la lecture de plusieurs chapitres, entre les classes de personnage, celui sur le matériel ou sur les scaraciers. Là encore, on aurait apprécié des annexes ou des récapitulatifs un peu synthétiques plutôt que la recherche d’informations éparpillées. Dans l’ensemble cependant ces règles sont solides. On ne criera cependant pas au génie non plus car elles impliquent de la micro-compatibilité et des calculs. Il est cependant clair que ce « jeu dans le jeu » ravira nombre de joueurs et joueuses qui auront l’impression de mettre leur main dans le cambouis, ce qui est un des attendus de l’univers. Un autre point d’attention porte sur l’emploi des scaraciers en bataille dans la mesure où, là encore, les micro-règles sont réparties à droite et à gauche sans récapitulatif. L’impact négatif est cependant limité car les règles sont relativement intuitives pourvu qu’on sache gérer un combat OGL. Dans l’ensemble, les scaraciers sont gérés comme des PNJ contrôlés par leurs maîtres, à l’image des compagnons animaux ou des invocations. Là aussi, l’équilibre entre désir des joueurs de fignoler leurs petites machines et le fait de ne pas alourdir le jeu est plutôt atteint. Les scaraciers sont clairement des machines puissantes, mais elles coûtent très cher, s’usent et n’impliquent pas que les mékamagiciens ou les mékastratèges prennent toute la place et volent aux autres classes leur part de lumière.

Les règles citées ci-dessus sont donc intéressantes. Notons cependant qu’elles induisent un différentiel de puissance entre les personnages créés dans les Royaumes d’Acier et ceux de l’OGL (en raison notamment des dons supplémentaires et des plus grandes possibilités d’optimisation). En définitive, même si elles ne sauvent pas complètement la partie règle du naufrage, elles sont suffisamment intéressantes pour mériter qu’on les garde.

Quel inventaire ?

En guise de conclusion, on peut dire que Les Royaumes d’Acier: Requiem offrent une belle introduction à un univers intéressant, attachant et cohérent. L’ouvrage réussit, malgré ses défauts d’ergonomie et la densité du texte, a donner envie de jouer dans l’univers de Privateer Press désormais accessible grâce à la traduction de très grande qualité réalisée par Agate Studio. On note en particulier la cohérence de l’univers, ses partis prix radicaux et son ambiance unique. On ne peut pas non plus être insensible au fait que c’est un monde qui est fait pour que les joueurs laissent leur empreinte et que les actions de leurs personnages aient un impact. Ce n’est pas si fréquent en fait et rien que cela justifie cette réédition.

L’OGL 5e n’est pas, malgré tous les problèmes qu’on a relevé, un mauvais choix pour Privateer Press. Outre qu’elle ouvre la porte d’un public nombreux, cette édition est souple et très bien adaptée au combat tactique d’un jeu avec figurines. Cependant, non seulement le MJ devra faire des choix drastiques pour garder un équilibre mais il devra également réfléchir à ce que sa table et lui-même désirent. S’agit-il de considérer que les Royaumes d’Acier demeurent cet univers militaire et militariste des deux premières éditions ? Dans ce cas, autant ne pas tenir compte de l’avancée de la chronologie et reprendre ses livres des deux premières éditions. Au contraire, s’agit-il de découvrir ce monde renaissant de son agonie, entre ténèbres et Lumières ? Dans l’affirmative, les nouvelles classes sont moins pertinentes et il vaut mieux se tourner vers les archétypes pour les classes de l’OGL. Dans les deux cas, une partie du livre se trouve d’ores et déjà caduque et inutile.

Il apparaît clair que Privateer Press a, de manière compréhensible, hésité entre flatter la nostalgie de son public et faire un lifting de son univers. On aurait aimé, que quel que fût ce choix, les auteurs fassent valoir leur droit d’inventaire et éliminent plus rigoureusement les scories trop nombreuses de la 3.X qui polluent les règles. En définitive, cela n’est cependant pas très important. Les souscriptions en VO et en VF ont montré qu’il existe un public pour ce monde qui souhaite découvrir, ou, plus probablement, re-découvrir cette Fantasy Blindée dont les Royaumes d’Acier sont l’incarnation et se fichera probablement un peu des règles. On ne peut qu’espérer que la suite de la gamme leur permette de continuer à jouer dans cette ambiance singulière à commencer par la campagne et les scénarios déjà publiés, dont on espère qu’Agate Studio assurera la traduction.

Une pensée sur “Le jeu qu’il faut fer à tout prix ? [chronique Les Royaumes d’Acier: Le Requiem]

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