Pour moi, c’est du Sinhois

Comme vous le savez sans doute si vous êtes fidèle lecteur du Fix, on a un peu de mal avec les multiples foulancements menés par Maître Sinh, la tête pensante de l’éditeur 500 Nuances de Geek. Ah, ça, pourtant, on aime son ambition de renouveler le game avec des jeux novateurs mais, comment dire, trop de jeux, trop de paliers, trop de mots… bref, too much. Mais, si au moins, il y a un reproche qu’on ne peut pas faire à Maître Sinh, c’est de se cacher derrière son petit doigt. Alors, le Monsieur répond encore une fois à nos questions, sans sourciller.

1. Neuf jeux « powered by the Apocalypse »… oh, t’aurais pas pu monter jusqu’à 10 pour avoir un compte rond, non ?

Tu ne crois pas si bien dire : il y en avait un 10eme, Troublemakers ! On l’a retiré, sur les conseils des joueurs proches de nous (en particulier Magimax, bien connu pour son travail sur Dungeon World), parce que l’auteur ne le considérait pas 100 % terminé. Ceci dit, l’auteur m’a contacté juste après pour le départ de sa campagne Kickstarter, donc au final…
2. Bon, OK, mais toi, si tu devais n’en choisir qu’un parmi tous, tu choisirais lequel ?
Ah c’est difficile. Je procéderais plutôt par élimination. Les super héros, c’est pas mon truc. Le gothique et compagnie, non plus… ce qui élimine deux jeux. Après, c’est plus difficile. Uncharted World, c’est un peu le Dungeon World de la SF. Il est sympa, mais en tant que lecteur de SF, je trouve ça trop « générique ». Et c’est justement l’intérêt du système Apocalypse de traiter des fictions bien précises.
Au final, j’en retiendrais quatre. D’abord, deux création francophone, Dominion, justement pour l’émulation de Dune ou des Heroes of the Galaxy. Medieval Mayhem, parce que les actions sont un régal à lire, et là aussi il émule parfaitement un genre, qui plus est assez inédit en JdR. Saga of the Icelanders m’intéresse beaucoup parce qu’il montre l’énorme potentiel des jeux pbta pour traiter un cadre historique : la manière dont il permettent de se plonger dans un contexte complexe sans rien savoir.
Mais peut être que mon préféré au final, c’est Action Movie World. C’est absolument personnel : j’adore les films 80s et jouer pour déconner. Il m’apporte les deux.
3. Dans un article précédent, du Fix, je faisais le rapprochement entre tes « vagues » de jeux et la vente des packs de lait voire de rouleaux de PQ. Ça ne t’avait pas trop plu, je me trompe ?
C’est de bonne guerre. Même si je trouve ça injuste. 500NDG est une asso, une petite structure. Chaque jeu ou presque est un miracle avec de tous petits tirages. Simplement, il y a beaucoup à faire pour rattraper notre retard en France sur le « système » Apo qui est là-bas, au moins aussi important que Fate, voire plus. Et comme on a déjà en amont beaucoup de travail sur les jeux, pour nous, ça fait totalement sens de virer les « goodies » et de ne proposer que des jeux. On a bien assez de matière pour ça.
4. Dans cette « vague », on trouve donc aussi bien des traductions que des créations originales (comme Medieval Mayhem) mélangées. C’est pour légitimer ces dernières ou bien pour les cacher au milieu car elles sont pas terribles, terribles ?
Pour inclure un jeu, il y a deux conditions : soit il est demandé par les rôlistes, soit je (on) le trouve de qualité, dans le sens où il apporte quelque chose. Les deux ne coïncident pas toujours. Dominion et Medieval Mayhem sont deux bombes. Si leurs auteurs avaient été américains… les joueurs français attendraient la traduction !
C’est le rôle d’un éditeur de « pousser » ses jeux. Donc c’est pour cela qu’on les inclut au milieu de ce que la demande attend déjà. Mais c’est pas simple, c’est sûr.

5. On trouve aussi dans la « vague » des jeux en version longue dont les versions courtes ont déjà été financées par les soutiens de La Caravelle. En les sollicitant à nouveau pour la version longue, tu ne crains pas de tirer un peu sur la corde d’un public restreint ?

C’est le genre de remarque un peu surréaliste, si tu me permets. D’abord, parce qu’on fait l’effort de proposer des versions jouables et gratuites pour ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas, pledger. C’est quand même pas rien et ça s’inscrit dans une politique de libération des contenus par 500NDG (DW, Fate, etc…)
Ensuite, la Caravelle, c’est 22 (!) jeux par an. Les jeux passés par la Caravelle qui sont sur la campagne sont au nombre de 3, sur 9 jeux !
Et puis surtout les version redux de la caravelle, c’est une trentaine de pages en pdf. La version finale, c’est plus d’une centaine, illustrée et maquettée, et en papier. Ça n’a rien a voir.
Tiens ça me fait penser au boulanger qui donnerait un petit pain au lait (sans payer) et le gars répondrait « hé vous m’avez pas donné la baguette ! »
Enfin, on a ajouté des privilèges pour les membres de la Caravelle. Même sans pledger, ils ont les pdfs gratuits ! Et des avantages à chaque pledge. Pas tellement pour « compenser », mais parce que la Caravelle est vraiment fondamentale. C’est là qu’on produit le plus de contenu « difficile ».

6. Lors de la « vague » FATE soumise précédemment au foulancement, tu avais mis en avant le titre Atomic Robot… qui n’avait finalement pas été financé. Ce n’était pas plus cohérent de retourner au crowdfunding pour finaliser ce jeu là avant de se lancer dans un tout autre projet ?

Ça n’a rien a voir. Au moment ou la campagne Fate se déroulait, le plan Apocalypse poursuivait déjà son chemin depuis longtemps. Atomic Robo c’est un palier très élevé. On a fait dans les  20 000 euros, plus de 300 %. C’est pas un drame si une campagne n’atteint pas le dernier palier. On avait largement de quoi faire vivre Fate pour un moment, avec une dizaine de suppléments.
Par ailleurs Atomic Robo, c’est un jeu attendu par les rôlistes. Mais, disons le honnêtement, c’est un jeu qui n’ira pas au delà. Qui n’apporte pas de nouvelles façons de jouer et d’émuler la fiction, comme le font chaque jeu pbta. Il viendra plus tard dans une nouvelle campagne.
7. De même, est-ce qu’on va avoir du suivi pour des jeux déjà lancés, comme Dungeon World, par exemple ?
Oh que oui. En septembre, avec l’éditeur Mnemos. Mais on va faire la news ensemble d’ici deux semaines. Disons juste que la tête d’affiche sera un supplément basé sur un classique du « planet opera » ou du « science fantasy ». Et en paliers (secrets et non accessibles avant validation) on prévoit des suppléments plus classiques pour DW. En fait, plusieurs sont déjà traduits.
8. Laisse-moi deviner : quand tu te lèves le matin, tu penses que ce que le monde attend, c’est encore et encore plus de nouveaux JdR, c’est ça ?
Justement non.
Tu te souviens peut-être que je ne me situe même pas vraiment dans le JdR, puisque notre cœur, c’étaient les jeux narratifs (au-delà des jeux « sans MJ », l’ensemble des jeux ou le système est considéré comme central). Et qu’idéalement, pour toucher un public plus large, il faudrait sortir du format livre, pour les jeux qui le peuvent (je te renvoie à nos expériences sur la Caravelle avec le format de Sword Whitout Master et Capes).
Donc ce qu’on cherche à faire ce ne sont pas « des JdR de plus », mais plutôt « des jeux différents, qui apportent de nouvelles façon de créer de la fiction, et qui peuvent aller au delà du monde rôliste ». Les jeux pbta, en apparence, c’est du JdR classique (MJ-joueurs-perso), mais leur « paradigme », la manière dont ils conçoivent le système est totalement différente. Ce sont de formidables machines a décortiquer les fictions.
On a donc tout mis en place pour promouvoir ce système, « coller » a la création US, et offrir au public français une diversité de l’offre. Créer une visibilité chez les joueurs. Ne pas se contenter de Dungeon World et de quelques jeux épars.
 9. Tu mets en effet souvent en avant la volonté très louable d’ouvrir le monde du JdR au grand public en faisant le lien avec le jeu de plateau, la littérature d’imagination, etc. Tu ne crois pas que ce type d’offre pléthorique et un peu confuse ne va pas à l’encontre, justement, de la conquête d’un public plus large ?
Je crois surtout qu’à part pour les rôlistes, c’est le JdR qui  est très « confus » et hermétique ! Qu’on le déplore ou non, une chose est sûre : ils s’en tiennent prudemment éloignés. Alors que le JDP a explosé. Et depuis trente ans, l’approche en terme de « jeux simplifiés » et les « prêt à jouer » n’y change strictement rien.
La ligne de 500NDG est de relier le JdR plus étroitement avec sa source première, la fiction (entre autres, les romans), pour créer des ponts réguliers, de la circulation des publics. Du sang neuf. Un public plus large. Mais aussi de la qualité renouvelée.
Plutôt que « confus », je dirais que c’est complexe, a la manière des règles d’un JDP où tout s’assemble.
Je donne un exemple : dans quelques jours sort la dernière livraison du Memorandum Fuller de Charles Stross sur ExoGlyphes ( https://www.tipeee.com/exoglyphes), un auteur phare, avec plusieurs prix Hugo, dont le cycle est une des meilleures variations sur le thème du Mythos. Mais il n’était plus publié depuis 10 ans en français !
C’est grâce, en partie, aux rôlistes qu’on l’a financé. Sur la Caravelle, en parallèle, Bastien (Le guide de Dungeon World, La reine des cendres) a sorti l’alpha pbta du jeu de rôles. Celui-ci permet de faire vivre l’univers. Tous ces gens joueurs et non joueurs, se côtoient.
En fin d’année, une campagne de CF proposera des versions papier du roman aux non-souscripteurs d’ExoGlyphes, une version papier complète du jeu….et une encyclopédie sur le monde de la Laverie. Celle-ci supplée au fait que les JdR pbta n’ont pas de « background » littéraire. Comme c’est un livre indépendant, elle est accessibles aux joueurs comme aux non-joueurs, ce qui nous offre plus de moyens pour les illustrations et la qualité.
C’est une nouvelle façon de concevoir l’édition de jeux, étalée dans le temps et re-insérée dans la fiction, avec au final 3 parties liées (jeu/roman/encyclopédie). C’est complexe parce que c’est totalement nouveau. Comme au temps des premiers CF…
10. Conquête du monde, toujours. C’est quoi la suite ? Un foulancement d’une vingtaine de jeux ?
On le fait déjà : dans la Caravelle ! C’est 22 jeux par an, au rythme de deux par mois. Et totalement non lucratif (tous les fonds vont aux auteurs/traducteurs).
Non, la suite c’est de transformer (encore) 500NDG sur le modèle de la coopérative. Parce qu’on devient un réseau ou beaucoup de monde collabore et il faut mettre tout ça en cohérence. Répartir les fruits du travail de façon plus claire et systématique.
Je pense aussi aux souscripteurs, dont beaucoup de fidèles depuis des années, qui pourraient avoir une rétribution, sur le modèle de la coopérative d’achat. Tous ces gens doivent aussi avoir droit au chapitre, a l’intérieur d’une ligne éditoriale définie et en fonction de leur contribution en travail ou en achat.
Inventer un nouveau modèle économique pour rendre soutenable la production dans le long terme, et améliorer encore sa qualité.
On ouvrira un débat sur le forum public cet été.