Alibis j’en suis baba [chronique For the story]
Alors que la plupart d’entre nous tentent de perdre un peu d’embonpoint avant le début de l’été, la gamme For the story a décidé d’opter pour le régime inverse. Et pas qu’un peu !
Déjà que la collection s’agrandit considérablement, pour atteindre un total de 6 jeux. Ce qui, j’espère, est significatif d’un certain intérêt pour ce type de jeu. Mais surtout, la dernière boite sortie a pris un peu d’embonpoint comparé au premier jeu de la collection : Pour la reine. Ce qui démontre un jeu qui tente de se renouveler en proposant de nouvelles expérience de jeux.
Qui a-t-il dans cette grande boite ?
Le jeu vous propose de raconter une histoire entre joueurs et joueuses. Plus précisément, une enquête policière allant de la découverte de la scène de crime, l’enquête, le jugement (au tribunal) et sa couverture médiatique. Une succession d’étapes, autant ludiques que créatives, qui s’accompagnent d’un matériel varié pour structurer la narration.
Découverte de la scène de crime :
- 6 larges illustrations Scène de crime
- 15 cartes Personnage illustrées (pour la victime et les suspect)
- 8 cartes Cause de décès
- 14 cartes Indice illustrées
L’enquête :
- 25 cartes Interrogatoire (qui correspondent à des questions à poser aux suspects)
- 6 lots de 9 jetons Culpabilité (1 lot par joueur – qui vont servir pour des votes)
Le jugement :
- 3 cartes Accusation/Défense
- 1 carte Sentence
- 12 cartes Une de presse
- 12 cartes Réaction de juré
- 50 feuillets À la Une (aide de jeu pour rédiger des articles de presse en quelques lignes)
A utiliser pendant toute la partie :
- 10 feuilles Dossier (aide de jeu pour prendre des notes)
- 1 carte X (pour éviter les sujets difficiles et respecter la sensibilité de chacun)
Si je vous détaille ainsi le contenu de la boite, ce n’est pas pour vous dire « Look le matos frère, t’en aura pour ton argent« , mais pour que vous réalisiez que chaque étape de la narration est accompagnée, voire encadrée, par le matériel (en plus des règles). Et chaque élément a son importance. On le verra ensemble un peu plus bas.
For the replay
Avant de vous expliquer comment se joue Alibis, et que vous réalisez l’évolution qu’il apporte, revenons le temps de quelques lignes sur la mécanique initiale du jeu.
A la base, For the story vous invite à raconter une histoire à travers des cartes autour d’une thématique bien précise (préparer un rituel au nom d’un culte commun, incarner des monstres qui doivent entretenir un donjon, être les candidats d’une téléréalité ou encore faire partie d’une équipe de braqueurs). Le tout premier jeu de la collection, Pour la Reine, se compose uniquement de 80 cartes dont la fonction est de titiller l’imagination à travers des questions et des illustrations. Les joueurs et joueuses sont ainsi encouragés à broder autour de ces cartes et à rebondir sur les idées des uns et des autres pour raconter une histoire originale à la façon d’un cadavre exquis.
Puis la mécanique narrative s’est peu à peu enrichie avec des cartes personnages ou encore le découpage de l’histoire en plusieurs actes. Mais toujours basée sur des cartes. Alibis se base toujours sur la même structure, en venant l’enrichir de nouvelles mécaniques.
Alibis
Comme indiqué plus haut, dans Alibis, vous allez jouer les différentes étapes d’une enquête policière. Dans un premier temps, les joueurs et joueuses devront établir ensemble la scène de crime. Pour ce faire, ils devront tirer au hasard (ou choisir) un décor (parmi 6) sous forme d’une grande carte illustrée, piocher une carte « cause du décès » et décrire ce qu’elle inspire et piocher une carte personnage qui sera la victime. Il faudra la décrire brièvement en lui choisissant un nom et une profession. Toutes ces informations sont décidées de manière commune et seront écrites sur une feuille de jeu intitulée « dossier ». Cette dernière servira autant de référence que d’aide mémoire.
Ensuite, chacun leur tour, les joueurs et joueuses piochent soit un indice, soit un suspect pour, au final, avoir 3 indices et autant de suspects que de joueurs. A son tour de jeu, le joueur actif décrit l’élément pioché. Pour un suspect, ce sera son nom, sa profession, son lien avec la victime et le mobile possible du crime. Tandis qu’il faudra préciser la découverte d’un indice et son contexte.
Une fois tous ces éléments définis, on a une bonne notion de la scène de crime dans son ensemble et on peut attaquer la phase d’investigation.
Pour ceux qui se disent « c’est pas du jeu de rôle« , pas d’inquiétude, on y arrive. En effet, durant la phase d’investigation, on reprend les cartes suspects, précédemment piochées et définies, et on en distribue une à chaque joueur (d’où la règle de piocher un suspect par nombre de joueur à l’étape 1). Il faudra donc incarner ce personnage le temps d’une scène pour justifier son innocence de façon la plus crédible possible. Suite à cet interrogatoire, tous les joueurs, excepté celui incarnant le suspect, juge de la crédibilité et de la véracité des dires de l’interrogé en lui affectant un jeton « Culpabilité » face cachée. Ces derniers seront révélés à la toute fin du jeu. Une fois ceci fait, on passe au joueur suivant et ainsi de suite jusqu’à faire un tour de table.
Alors que l’on peut penser que cet interrogatoire peut partir dans tous les sens, il s’avère que non, car les règles et le matériel sont là pour cadrer son déroulé. En effet, chaque joueur, en plus de recevoir une carte suspect, reçoit également 4 cartes interrogatoire qui, concrètement, correspondent chacune à une question. Au début du tour, chaque joueur choisit une carte parmi sa main et la donne à un suspect. Lui même en recevra une. A la fin, tous les suspects se verront affecter une et une seule question qu’un autre joueur leur aura donné. Puis, on résout les questions une par une et chaque joueur devra se défendre par rapport à la question qui lui a été posée. Une fois le tour de table terminé, on recommence une seconde fois en posant une autre question. On jouera donc seulement deux cartes de sa main sur les quatre, en ne choisissant pas forcément le même suspect.
A l’issue de ces deux tours, les joueurs et joueuses débriefent et accusent un des suspects comme étant le coupable. On passe alors à la dernière phase du jeu : la justice.
Les joueurs jouent des cartes jurés qui vont alourdir ou alléger la sentence de l’accusé. Les joueurs seront également invités, toujours en s’inspirant des cartes piochées, à rédiger un article de presse avec un gros titre (+1 point d’estime si vous faîtes un jeu de mot clin d’œil au Fix). A l’issue de ces révélations, l’accusé obtient une note baptisée Le Verdict. Plus elle est haute, plus il est coupable, plus elle est basse (voire négative), plus il est innocent. On révèle ensuite les jetons « Culpabilité » des autres suspects, joués face cachée durant la phase investigation. Si un suspect à un score supérieur à l’accusé, ce dernier a été inculpé à tort. Sinon, c’est une réussite.
J’ai essayé de vous exposer les règles, de manière simple pour que vous réalisiez la variété des étapes, tout en formant un enchainement logique et construit dans la narration. Si cela vous parait confus, rassurez-vous, tout est bien expliqué dans le livre de règle. Vous pouvez d’ailleurs vous faire votre propre avis, puisque ce dernier est téléchargeable gratuitement (cf. lien ci-dessous).
Et ça marche ?
Oh que oui !
J’ai fait une partie de découverte avec 6 joueurs aux profils variés : joueuses et joueurs de jeux de plateau, occasionnels ou pas, rôliste et non-rôliste. Alors, sans surprise, quand j’ai proposé le jeu, certains ont fait une moue en disant « Mwé, les jeux où il faut raconter des histoires, c’est pas pour moi…« . Tu parles !
Je me suis rendu compte qu’au final, les règles n’étaient pas là pour aider les joueurs à stimuler leur imagination, mais au contraire, pour les cadrer. En effet, durant cette première partie, les idées – aidées par les cartes – partaient dans tous les sens : ça fusait ! On n’avait pas encore fini d’établir la scène de crime qu’ils imaginaient déjà le déroulé du meurtre. Les règles sont donc là pour pousser à la narration, tout en cadrant les éléments pour aller à l’essentiel.
Et en dehors de l’histoire (qui restera nôtre), il en ressort pour moi deux points importants :
1- On a tous ENORMEMENT ri !
2- Les joueurs – tous les joueurs – sont partants pour refaire une partie.
Coupable !
Alors que j’avais été moins convaincu avec le premier jeu de la collection, Pour la Reine, mon avis est tout autre pour cet Alibis. Le matériel proposé aide à la narration (l’illustration de la scène de crime est une excellente idée), l’histoire en trois étapes donne une bonne dynamique autour de la table (on imagine la scène de crime, on joue avec les suspects et on conclut) et les différentes cartes aident les joueurs qui pensent, souvent à tort, ne pas avoir d’imagination.
Alors, évidemment, ça reste un jeu d’ambiance où il faut raconter une histoire, et où il n’y a pas vraiment de gagnant, ni de perdant : ça ne plaira donc pas forcément à tout le monde. Mais tout est là pour que les joueurs passent un excellent moment. Alors à défaut de l’acheter, je vous conseille au moins de l’essayer si vous en avez l’occasion. Et cet article est avant tout là pour vous donner un seul conseil : n’ayez pas d’apriori et laissez vous porter par la mécanique et les joueurs et joueuses autour de vous.
Même ressenti que toi Vincent et merci pour cet article. J’avais été un peu refroidi par la hype de Pour la Reine : c’est sympa mais pas impérissable, les histoires qu’on construit ont finalement relativement peu d’incidence et le jeu peut facilement tourner en rond (j’arrête personnellement avec l’option de la moitié du paquet de cartes). Le gros avantage est sa prise en mains pour se lancer en mois de 5 minutes.
Avec Alibis, on a ça et bien plus : du matériel sympa, une séquence en trois temps et une possibilité d’immersion bien supérieure, avec le plaisir qu’on en retire. Testé à Cannes avec un groupe qui déambulait, ils sont tout de suite rentrés dans notre trip rôliste pour bien se lâcher sur les persos joués et les rebondissements (on a revisité Breaking Bad avec une intrigue autour d’un chimiste qui synthétisait de la drogue et un final au tribunal avec Saul Goodman en star absolue). Un très bon souvenir et une très belle réussite !