Donjons & Chatons nous fait ronronner de plaisir [chronique]
Un chaton, ça a de toutes petites patounettes. Alors, ça ne va pas bien vite et, résultat, ça met des mois pour arriver jusqu’à notre rubrique « chroniques ». En effet, le jeu publié par le Studio Deadcrows est disponible en boutiques depuis longtemps désormais. Ce n’est plus de l’actu très bouillante. Pour autant, comme nous étions les premiers à vous parler de ce projet en détail (c’était en… février 2023, cela ne nous rajeunit pas ! : https://lefix.di6dent.fr/archives/20283), nous tenions absolument à boucler la boucle et à vous présenter enfin notre chronique de ce début de gamme féline. De plus, le jeu devrait bientôt (avant la fin 2024 en tout cas) redevenir d’actualité sous la forme d’une boîte de découverte inédite. Une ambition qui, comme on va le voir dans cette chronique, sied très bien aux qualités de ce Donjons & Chatons.
D&C appartient à cette nouvelle catégorie de jeux, de plus en plus présents sur nos étals, que l’on pourrait aller jusqu’à appeler des « jeux d’illustrateur ». On parle donc ici d’un univers singulier d’abord né de la plume d’un illustrateur de talent (pour D&C, Clément de Ruyter) et ensuite porté en JdR sous l’égide de celui-ci ou, au moins, en utilisant abondamment ses œuvres pour l’illustrer. Dans les productions récentes qui démontrent la prégnance de cette veine, on peut citer dans le désordre GODS, L’empire des cerisiers, Draconis, Tales from the Loop, Vaesen, etc. Bref, une partie significative de la production de ces dix dernières années.
Dans le cas de D&C, Clément de Ruyter ne s’est pas contenté de dessiner les petits miquets et est la cheville ouvrière du jeu. Il a toutefois eu l’intelligence de s’entourer d’une solide équipe avec François Cédelle et Trickytophe mais aussi Le Grümph dont la patte (garantie sans griffe ni coussinet) se remarque très vite dans l’approche ludique et le game design. Ce n’est clairement pas pour nous déplaire ici chez le Fix.
Le jeu est dérivé du dessin animé éponyme (France TV mais pas encore disponible) dont la prémisse rappellera peut-être des souvenirs aux lecteurs de la série de BD Solo (et ses spin off) dont il partage le principe de base… même si l’exploitation en est sensiblement différente, dans le ton adopté comme dans le parti-prix graphique. Les humains ont (presque) disparu pour une raison pas bien claire (au choix : le vote massif pour le RN ou le réchauffement climatique, par exemple) mais cela profite à d’autres espèces qui développent leurs facultés sur ce terrain désormais vierge.
Et hop, c’est ainsi que les chats décident (enfin!!) de se débrouiller seuls pour se procurer litière propre et croquettes fraîches. Ils se mettent à parler, se dressent sur leurs patounettes de derrière, pensent à se couvrir les parties génitales et ce genre de choses : bref, ils deviennent des animaux anthropomorphes dignes des Fables de Monsieur de la Fontaine.
Dans le même temps, la Nature en profite pour souffler un peu en l’absence du superprédateur et regagne du terrain un peu partout, laissant le champ libre aux forêts pleines de légendes et aux marais aventureux. En effet, malgré le prétexte post-apo et quelques allusions à l’ancienne présence des humains… oh, pardon… des grands tout-nus, que l’on ne s’y trompe pas : le titre du jeu indique bien que l’inspiration première est la fantasy rôliste avec ses quêtes absurdes, ses monstres errants et son soupçon de magie… euh, décidément… de miagie.
On le voit : on est en terrain connu. Le succès ces dernières années d’univers de ce type comme Les légendes de la garde et Root, tous les deux adaptés en JdR montrent assez la pertinence du propos : au-delà de l’amusement de jouer une petite créature mignonne, il s’agit de mettre en scène un danger accessible et réaliste : quand on est un chaton, on comprend vite que traverser une forêt ou se confronter à une bande de molosses représente un danger mortel. Pas besoin de sortir les dragons chromatiques ni de passer du temps à expliquer ce que c’est. A cela s’ajoute le plaisir de proposer des histoires non-manichéennes qui, finalement, sous couvert de poils, parlent de la nature humaine : là où on s’attend à ne trouver que mignonnitude et ronronnements se dissimulent pourtant aussi des âmes mauvaises et de noirs desseins.
La proposition de jeu précise qui lance chaque campagne de D&C évoque d’ailleurs ceci : confronté à la limite des ressources de sa cité, un vil dictateur a décidé de la faire simple en chassant purement et simplement de la communauté les jeunes chatons surnuméraires et moins bien nés. Ceux-là sont invités à aller voir ailleurs si on y est. Ce sont bien sûr là les PJ et c’est ainsi que, sans plus de délai, naît l’aventure.
Pour ne terminer sur le sujet du banc d’essai des jeux à petits animaux mignons, on évoquera les différences de fond qui oppose ce D&C au récent Historia (proposé en VF chez AAP). On s’en souvient peut-être (https://lefix.di6dent.fr/archives/18821), nous n’avions pas beaucoup apprécié le jeu italien. Or, sur bien des points, D&C prend le contre-pied des choix faits par les auteurs d’Historia et cela nous comble. Du point de vue du background, des décisions aussi simples que limpides ont été prises pour éviter les ambiguïtés d’un tel setting, principalement… eh, si les animaux sont devenus intelligents (les chats mais aussi les chiens, les rats, les corbeaux… certains PJ jouables aux côtés des chatons, d’autres redoutables PNJ), qu’est-ce qu’on met dans les croquettes, au juste ?! Ici, pas d’hésitation : tout ce qui parle ne se mange pas, point. Il est temps pour les chatons de se mettre à la salade et aux endives ou, au mieux, aux animaux restés à l’état… bah… animal.
Surtout, les règles ont aussi été pensées pour refléter l’animalité de PJ qui ne seront donc pas de simples humains recouverts de poils et de coussinets. Par exemple, les règles de « combat » sont scindées en deux types de conflit, « de griffes » et « de crocs ». Si le premier est le combat classique, le second consiste lui à feuler et à hérisser le poil pour faire reculer l’adversaire sans avoir besoin de l’émasculer ou de lui arracher un œil. Les points d’amitié, eux, viennent représenter l’effet de meute et donc celui d’être plus fort et plus en confiance entouré de ses compagnons que seul sous une voiture ou en haut d’un arbre.
Tout cela est rendu possible par un choix fort en matière de système de jeu qui tranche avec la tarte à la crème de la 5E (choix donc effectué pour Historia). Certes, le système de jeu retenu est là aussi supposé être « générique » puisque dérivé du 3D6 maison du Studio Deadcrows. Il a toutefois été tourné et poli pour correspondre pile aux besoins du jeu et se présente sous les atours simples et élégants d’un bon cru de chez Chibi, convenant donc aussi bien aux débutants (jamais rien de compliqué) mais aussi aux vieux routiers (plein de possibilités ludiques).
La base est simplissime : on jette 3D6 (sans déconner ?!) et chaque résultat est comparé à une variable et donne succès ou échec. Il faut un succès pour une action standard, plusieurs pour une action difficile. On peut être avantagé (4D) ou désavantagé (2D). A cette base simple s’ajoutent plein de petites subtilités qui, toutefois, ne viennent jamais alourdir la mécanique : on peut réussir quand même même s’il manque une réussite en acceptant une complication, de l’imprévu survient en cas de triple, on peut dépenser des points d’amitié pour obtenir le soutien de sa meute, etc. Ça tourne vraiment bien.
La création de personnage n’échappe pas à cette règle et se limite essentiellement au choix d’un archétype (il y en a beaucoup, y compris des non-chatons) qui se borne à offrir un pouvoir spécial et un équipement de départ. Le reste, c’est du choix pour répartir les points entre les caracs, choisir des talents (qui avantagent) mais aussi de la miagie puisque chaque chaton, quelle que soit sa spécialisation, peut manipuler cette magie de faible puissance. On est bien dans de la fantasy.
Des petits chats mignons, un système simple et fonctionnel… bah dîtes donc : est-ce que ce Donjons & Chatons ne serait pas un superbe candidat dans le marché de plus en plus encombré des jeux taillés pour l’initiation voire l’auto-initiation. Oui, da ! D’autant qu’il bénéficie d’une copieuse partie conseils, divisée, une fois n’est pas coutume en une série de conseils pour les joueuses et joueurs (une quinzaine de pages quand même) et une autre, plus classique, pour le MJ (on grimpe à 20 pages).
Mais, la plus grande surprise, pour moi, à la lecture du livre de base, c’est de constater l’importance accordée à l’univers de jeu. Naïvement, je pensais qu’il allait essentiellement se limiter à la proposition de base « vous êtes des petits minous jetés à l’aventure au milieu de nulle part ; que faîtes-vous ? ». Un peu, finalement, comme les glorieux anciens Les légendes de la garde et Root RPG qui ne s’encombrent pas de lore (comme disent les jeunes du Fix…).
Ici, en revanche, l’environnement des chatons est décrit sur… 100 pages. Bien sûr, les pages de ce livre de base au format carré et très illustré ne sont pas très remplies mais cela fait quand même de très nombreux détails inspirants sur le royaume des chats, la capitale de l’Arbrachat, la casse des chiens, les égouts des rats, le port de Tourne-Bouchon, etc. Lieux clefs, PNJ importants, idées d’aventures… il y a largement de quoi écrire sa propre campagne dans l’univers de D&C.
Les esprits critiques diront « ça tombe bien ! ». En effet, ma seule déception à propos de cet impeccable livre de base concerne les scénarios fournis. Il y en a quatre (et même cinq en comptant le livret vendu avec l’écran), ils sont (trop ?) variés, peuvent s’enchaîner… OK. Mais ils me laissent quand même une impression de trop peu qui me gêne au moment de lancer une éventuelle campagne D&C cet été. Le premier est un aimable didacticiel aux enjeux un peu faibles. Le deuxième, ça passe. Le troisième est un bac à sable expérimental constellé de tables aléatoires qui me semble hors de propos compte tenu du public cible du jeu et le dernier est un donjon, lui aussi en mode aléatoire.
Alors, peut-être est-ce une illusion mais, à la lecture du riche background du jeu, il semblait qu’il soit possible de faire quelque chose de plus enlevé et il manque sans doute une grande campagne clef en mains pour convaincre tout le monde de se lancer dans D&C, un jeu aux grandes qualités par ailleurs. Peut-être sera-ce l’objet de la future boîte de découverte promise pour le jeu ?
Les lecteurs fidèles du Le lundi c’est gratuit ne manqueront pas de se rappeler qu’il existe quatre Gazettes de l’Arbrachat sur le terrier du Grümph, tout gratuit, avec un paquet de scénarios supplémentaires qui sont même, pour chaque numéro de la gazette, comme des mini-campagnes. Largement de quoi jouer tout l’été…
Merci pour cette belle review. Effectivement LG propose en parallèle pas mal de matos supplémentaire. Et oui, D&C proposera prochainement du développement.
je suis conquis par ce jeu…mais impossible de mettre la main sur l’écran 🙁
Et oui les Gazettes de LG, top de top