Bons baisers des Andes, au service de sa majesté [chronique Sapa Inca]
Je fais partie d’une génération – et je sais que nous sommes nombreux de cette dernière à pratiquer le jeu de rôle – qui a été biberonnée au début des années 80 par l’incroyable série d’animation Les Mystérieuses Cités d’or. J’en ai gardé une passion rêveuse pour l’ensemble des civilisations précolombiennes, une fascination qui me pousse toujours à m’intéresser à ces sujets … mais sans avoir développé pour autant une maîtrise réelle sur ce vaste domaine.
Avoir une attirance pour un cadre historique avec son esthétique et ses thèmes est une chose, mais pouvoir créer et développer des histoires autour d’une table de jeu de rôle sur ce même cadre historique est par contre une toute autre affaire. Et c’est sur ce sujet bien particulier que le jeu de rôle que nous allons étudier aujourd’hui apporte des réponses fort intéressantes : ce jeu c’est Sapa Inca, l’une des toutes dernières créations de l’éditeur français Odonata éditions.
Nous allons donc voir ici comment cet éditeur, connu pour son approche souvent novatrice, a abordé ce thème passionnant mais rapidement déroutant des civilisations précolombiennes. Quelles promesses ludiques porte cette gamme ? quelle est sa réelle accessibilité pour un public potentiellement novice sur ce contexte ? comment tout cela va s’incarner en jeu autour d’une table ?
Pour répondre à cette question il est donc grand temps de traverser l’océan et le temps car après tout “qui n’a jamais souhaité voir le soleil souverain guider ses pas au cœur du pays Inca … ?”
La gamme Sapa Inca : point sur les ouvrages disponibles
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est déjà important de vous détailler sur quels éléments je vais m’appuyer pour vous faire l’analyse de ce jeu de rôle. Je vais donc commencer par vous faire un petit point sur la logique éditoriale et la mise en forme des livres de la gamme que j’ai pu lire pour me faire mon avis sur Sapa Inca.
Le triptyque de Sapa Inca, pivot d’une gamme immédiatement riche et cohérente
Pour vous parler de Sapa Inca je vais m’appuyer sur les trois livres qui forment actuellement l’essentiel de la gamme de ce jeu. La principale chose à avoir sur ce trio, c’est qu’il forme une proposition remarquablement cohérente et structurée pour aborder un jeu de ce type. Cette cohérence va jusqu’à une mise en forme identique particulièrement agréable à l’usage: une mise en page sur deux larges colonnes avec d’étroites marges uniquement décoratives. Une police de caractère fonctionnelle très classique sur fond blanc qui laisse aux titres et aux illustrations la charge de faire passer l’inspiration visuelle du thème Inca. A noter que des encarts avec des fonds de couleur spécifiques sont utilisés pour donner des informations ciblées, et que la fonction de ces encarts est clairement expliquée dans les premières pages de chaque livre (ce qui est très appréciable).
Concernant les illustrations, elles alternent entre deux styles très complémentaires : d’un côté nous avons des illustrations au style très schématique qui rappellent les visuels historiques de l’Empire Inca et qui servent à représenter des symboles, des œuvres ou des divinités. D’un autre côté nous trouvons de très belles illustrations plus classiques et figuratives qui mettent en image des personnages ou des scènes de l’univers de jeu.
L’ensemble donne donc cette sensation de plongée dans cette culture très particulière, mais sans perdre de vue la nécessité d’être agréable et facile d’accès.
Voyons maintenant ce que chaque ouvrage nous propose :
Livre de base (couverture rigide, 288 pages)
Pierre fondatrice habituelle de tout jeu de rôle, le livre de base est ici particulièrement complet au point qu’il est déjà autosuffisant et permet à lui seul de faire jouer à Sapa Inca :
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Contexte (103 pages) : la culture, l’histoire et le détail des peuples et des territoires Incas. Mais aussi exactement la même chose concernant les espagnols.
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Les règles (117 pages) : création de personnages, pré-tirés, système de jeu.
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Pour le meneur (60 pages) : secrets de l’univers de jeu, bestiaire, 3 scénarios complets et des annexes (un glossaire et un guide de prononciation des termes Inca)
Tahuantinsuyu (couverture rigide, 256 pages)
Ce supplément est le guide du monde de Sapa Inca (nommé Tahuantinsuyu). Il permet de rentrer beaucoup plus dans le détail sur l’ensemble de la zone géographique qui va servir de terrain de jeu. Plus qu’une simple encyclopédie géographique, cet ouvrage va aussi amener des pistes de scénarios (et des scénarios complets) ainsi que des événements et des personnages faisant vivre ce cadre.
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Contexte (220 pages) : Description des diverses régions, peuples, cités et autres lieux intéressants. Le tout ponctué d’informations pratiques, de plans et d’accroches de scénarios.
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Pour le meneur (28 pages) : 2 scénarios complets et des pré-tirés pouvant être utilisés pour les jouer.
Missions dans le Tahuantinsuyu (couverture souple, 111 pages)
Comme son nom l’indique, ce livre est un pur recueil de scénarios. Cet ouvrage contient 9 scénarios, les 3 premiers formant une mini campagne dont on nous promets une suite dans de futures publications. L’ensemble propose à la fois une vraie diversité et une véritable implication dans la grande histoire du peuple Inca.
Les outils complémentaires de la gamme : classique mais aussi spécifique
En dehors des ouvrages que je viens de vous détailler, il faut savoir que cette gamme propose aussi des aides de jeu qui ne surprendront pas les rôlistes habitués aux diverses propositions de jeu actuelles.
Sapa Inca propose ainsi un très classique écran du meneur. Je n’ai pas eu cet écran entre les mains, je ne pourrais donc pas en faire une description détaillée, mais il semble répondre aux habitudes actuelles avec un format paysage voué à la rendre plus discret à la table.
L’autre élément est plus spécifique au jeu, tout en étant dans l’air du temps : ce sont des dés spéciaux (des D8) qui portent sur leurs faces des symboles Incas permettant d’indiquer si chaque dé fait une réussite, un échec ou un critique (on va y revenir en parlant du système de jeu).
L’univers de Sapa Inca : l’uchronie par le prisme du mysticisme Inca
Maintenant que nous avons fait le tour du matériel proposé, il est temps de plonger dans la proposition de jeu que nous présente Odonata éditions.
L’univers de Sapa Inca est très clairement une uchronie qui se base sur une différence majeure avec notre monde réel : le mysticisme et les divinités donnent de vrais pouvoirs aux peuples de l’Empire Inca. A partir de là, bien évidemment, l’équilibre des forces avec les envahisseurs espagnols et leurs technologies supérieures s’est révélé bien plus équitable que dans notre Histoire réelle. Du coup Sapa Inca nous invite à jouer en 1535, un an et demi après des accords ayant instauré un statu-quo entre les enclaves espagnoles et l’Empire Inca. Voyons maintenant ce que ce cadre va pouvoir nous proposer et ce que les personnages pourront y faire.
Un univers immersif mais pensé pour la jouabilité
Avec cette uchronie de départ, se posent des questions évidentes sur la jouabilité de ce jeu de rôle : comment Sapa Inca met-il en scène une véritable société Inca, avec ses coutumes et sa langue si particulières, sans prendre le risque de perdre les joueurs dans un cadre pas trop étranger à nos habitudes ? et bien sûr quelles sont les possibilités d’intrigues et d’aventures dans un tel contexte ?
Sur le premier point, les auteurs de Sapa Inca ont choisi une approche descriptive et didactique mais aussi ambitieuse. En effet, le jeu ne fait pas de concession sur l’usage des termes incas dans ses textes. Que ce soit pour les mythes ou l’organisation quotidienne de cette société, le lecteur devra s’habituer aux termes incas qui seront certes expliqués mais aussi presque systématiquement utilisés. Par exemple, le terme Tahuantinsuyu (l’Empire Inca) ou des mots évoquant des rangs sociaux comme Sinchi ou Hatun runa seront des compagnons réguliers durant la lecture. La description de l’univers de jeu prend le temps d’expliquer la signification de chaque mot Inca, et le glossaire pas trop imposant fourni à la fin du livre de base sera aussi d’une aide précieuse … cependant, malgré cet accompagnement volontariste le lecteur devra accepter le défi de se plonger dans cette culture pour profiter de tout l’intérêt de Sapa Inca, et comme nous le verrons un peu plus loin cet nécessité d’immersion sera confirmée par la place de l’ambiance Inca dans le système de règles.
Sur le deuxième point, la volonté des auteurs est clairement de fournir un univers ouvrant de multiples options d’aventures et de scénarios. Bien au-delà des évidentes intrigues vis-à -vis des espagnols, la société Inca est déjà par elle-même remplie d’intrigues entre les différents peuples unifiés sous l’égide de cet empereur de droit divin qu’est le Sapa Inca. Et à cela vont venir aussi s’ajouter les intrigues mystiques venant de divinités malignes ou le danger de lieux anciens depuis trop longtemps oubliés. Sapa Inca propose donc un large éventail d’aventures possibles pour toute personne engagée dans la protection et la surveillance de ce vaste Empire Inca, et cela tombe bien car c’est exactement dans ce rôle que le jeu positionne les joueurs.
Sapa Inca propose aussi une gestion du destin de chaque personnage. Cet aspect reste assez discret je trouve dans les textes mais il est bien présent. Cette notion de destin prend corps dans une jauge déterminant le lien entre le personnage et les forces mystiques, et ce lien peut aller jusqu’au fait de devenir un avatar d’un dieu … ou au contraire d’être perverti par la corruption avec les conséquences qui vont avec. Je ne reviendrais pas sur cette facette dans le reste de l’article, mais il faut la garder en tête car elle porte potentiellement son propre intérêt ludique.
Un univers se voulant directement ludique : le rôle des personnages
Élément important pour la jouabilité d’un jeu de rôle proposant un univers très spécifique, le rôle et la place des personnages est directement pensé pour rendre la tâche des meneurs plus facile dans Sapa Inca. En effet, les personnages sont tous membres du corps des Amachaqs, une unité d’élite au service du Sapa Inca devant traiter tous les risques possibles se dressant face à l’empire.
Cette position fait de Sapa Inca un jeu de rôle utilisant le principe très pratique du “jeu à mission”, ce qui signifie que dans cette proposition ludique les joueurs ont un commanditaire désigné et des motivations claires pour partir à l’aventure. Cet axe très spécifique place en plus les joueurs dans une logique proche d’un service d’espionnage ou de renseignement, car leur rôle auprès de l’Empereur des Incas sera souvent gardé secret lors de leurs missions.
Ce rôle des personnages est donc un outil ludique fort qui pousse directement les joueurs vers l’aventure avec un large éventail de thèmes possibles. Il faut d’ailleurs noter que cette approche va aussi éviter aux tables de jeu de se poser trop de question sur les questions d’achat d’équipement et de commerce en général, et c’est plutôt une bonne chose car de nombreux rôlistes auraient pû être perturbés par l’absence de monnaie dans ce monde Inca (tout fonctionne par le troc).
Autre élément à relever aussi pour l’intégration des joueurs dans cet univers très spécifique, le jeu fait le choix d’une incarnation très personnalisée de cet ordre des Amachaqs. En effet, dès la première partie du livre de base nous faisons connaissance avec Raua Capac (responsable des nouvelles recrues) ou Naira Pachani (qui assure la formation spirituelle).
Dernier point important à noter, le jeu propose aussi l’option d’incarner aussi des espagnols, mais prioritairement dans l’idée qu’ils ont été illuminés par un contact avec une divinité Inca avant de devenir un membre des Amachaqs.
Sapa Inca nous propose donc de jouer des agents de l’Empereur mandatés pour agir contre les menaces internes et externes se dressant face à l’Empire Inca. Problèmes diplomatiques, sociaux, politiques entre les peuples natifs mais aussi intrigues face aux conquérants espagnols dans un contexte de statu quo … autant de possibilités d’aventure qui sont complétées par l’important volet mystique de cet univers. Les divinités et les lieux mystérieux sont une réalité forte dans Sapa Inca, et cela va s’incarner nettement dans les capacités magiques plutôt puissantes dont les personnages joueurs seront porteurs et qui vont être mises en avant par le système de jeu.
Le système de jeu : outil d’immersion tout autant que de résolution
Lorsqu’on parle de jeu de rôle, il est possible parfois d’avoir l’illusion que l’immersion dans une histoire ou un univers ne peut être que le résultat prioritaire de l’impact de la narration et/ou du roleplay. Cette croyance est à fortement nuancée selon moi, et le cas de Sapa Inca est très intéressant sur ce sujet car nous sommes ici face à un jeu qui utilise clairement son système de règles comme outil majeur de l’immersion dans cette culture si particulière qu’est celle des Incas. Comme je vais vous le détailler ci-dessous, les auteurs ont choisi de mettre en place un système mécaniquement plutôt léger, mais ils assument aussi le choix de le rendre moins directement accessible par des termes et des choix de résolution voulus pour être des références directes à une culture qui nous est étrangère : celle des Incas. Nom des caractéristiques ou chiffres sacrés déterminant les effets des résultats des dés, autant d’éléments d’immersion qui vont plonger les joueurs au cœur du Tahuantinsuyu par le biais de leur feuille de personnage. Un choix fort et osé mais qui ne devrait pas nous surprendre de la part de l’éditeur Odonata éditions.
Voyons donc comment Sapa Inca propose aux joueurs de construire leurs Amachaqs et comment il propose au meneur (nommé Apu Inti) de résoudre les multiples actions qui devront être tentées au nom de l’Empereur.
Création et structure des Amachaqs (personnages joueurs) :
Je vais vous faire ici un résumé commenté de la création de personnage, ce qui me permettra de vous donner une idée claire des briques avec lesquelles les héros sont construits. Cela devrait même vous mettre en évidence les axes de jeu proposés :
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L’origine du personnage : le choix du peuple (entre 11 cultures locales ou Espagnol) va déterminer un bonus et un malus de compétence (1D8 à chaque fois) et les langues de départ (le jeu précise que tout le monde doit parler la langue Inca, le Quechua pour que les interactions soient pratiques.
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L’esprit animal : le choix de son animal tutélaire (parmi 14 esprits animaux proposés) va donner au personnage une philosophie de vie mais aussi une capacité animiste au niveau naissant.
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La divinité : le choix de la divinité particulièrement vénérée (parmi le panthéon Inca de 10 dieux) va donner au personnage un pouvoir divin au niveau naissant. Cela va aussi impacter les actes favorables ou les blasphèmes pour ce personnage.
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Les caractéristiques : le joueur répartit 8 points entre les 4 caractéristiques suivantes : Vipère (Intellect), Puma (Coeur), Condor (Sens) et Dauphin (Agilité). Il faut que chaque caractéristique finisse avec un score entre 1 et 3.
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La carrière : le choix de la carrière (parmi 12 carrières de natifs et 4 carrières pour les Espagnols) inscrit le personnage dans l’univers de jeu et lui donne accès à des Améliorations de destinée (bonus de caractéristiques et/ou de compétences)
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L’équipement : élément intéressant car pas au choix des joueurs. L’Apu inti détermine l’équipement selon la carrière et les capacités du personnage. Ce sont les responsables des Amachaqs qui donnent leur matériel aux personnages, renforçant ainsi l’aspect jeu à mission.
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Les améliorations communes : c’est une étape de personnalisation. Chaque joueur dispose de 18 points pour acheter des capacités supplémentaires ayant des coûts variables. Développer des compétences, augmenter des caractéristiques ou développer ses différents pouvoirs sont des options de cette étape.
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Traits de personnalité (optionnel) : En option un joueur peut doter son personnage d’un trait de personnalité désavantageux tirer au hasard pour obtenir 2 points de personnalisation supplémentaires, ou au contraire dépenser 2 points pour tirer au hasard un trait de personnalité avantageux.
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Les caractéristiques secondaires : cette étape détermine les valeurs de Défense, Méditation, Rapidité et Vigilance, caractéristiques secondaires calculées à partir de certaines caractéristiques principales.
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Les jauges : cette étape détermine, encore à partir de scores de caractéristiques principales, les valeurs de points d’Harmonie (puissance mentale, magie) et de points d’Essence (points de puissance physique, points de vie). Les points d’Oeil mystique (lien avec les dieux et corruption) sont eux automatiquement à zéro à la création.
Sapa Inca nous propose donc à l’évidence des personnages avec une structure très directe, largement basés sur les 4 caractéristiques principales parfois renforcées par des bonus de compétences. Cependant il est vite évident que tout est fait pour offrir une personnalisation maximale de son personnage à la création. Le nombre de choix à chaque étape est élevé, même si cela n’apporte parfois que des variations mineures, et il faut surtout noter la grosse étape de personnalisation libre qui donne beaucoup de possibilités de diversité.
Le système de jeu : un pool de D8 en équilibre précaire entre simplicité et immersion
Maintenant que nous savons un peu de quoi sont faits nos personnages, voyons comment fonctionne le système de règles de Sapa Inca.
Le principe de base est très classique, il consiste à construire un pool de D8 à lancer. Le nombre de D8 qui seront lancés pour une action sera égal au total caractéristique + compétence. Le nombre de ces D8 dont le résultat est une réussite détermine ensuite l’ampleur du succès ou de l’échec, sachant que la difficulté de l’action entreprise va déterminer combien de réussites sur les D8 sont nécessaires pour réussir.
Le point d’attention à avoir sur ce système de base très simple et classique, c’est que les auteurs ont visiblement voulu mettre une couleur très Inca directement dans ce système de résolution. En effet, pour obtenir une réussite sur un D8 lancé il ne faut pas faire le plus haut possible (ou le plus bas même) sur le dé. Une réussite est obtenue pour chaque D8 dont le résultat est 3, 4 ou 7 … sachant qu’un 4 est relancé avec la possibilité d’obtenir une réussite supplémentaire (ou même plus si on obtient encore un 4). Par contre, si on obtient un 8 sur un des dés et aucune réussite sur l’ensemble du jet, ce sera alors un échec critique.
Sapa Inca propose cette répartition non instinctive des échecs et succès selon les faces du D8 pour être en accord avec les symboles liés au chiffres dans la culture Inca. Je trouve ce choix assez peu pertinent, car à mon avis cela va beaucoup compliquer la lecture de chaque jet de dés à la table pour un gain fort limité en terme d’immersion. L’usage des dés spéciaux avec leurs faces portant des symboles Incas fait déjà parfaitement ce job, je pense donc qu’il aurait été préférable de rester sur une lecture confortable et classique du résultat des D8 normaux … avec l’échec critique sur le 1, l’échec normal de 2 à 5, la réussite normale sur 6 ou 7 et la relance sur le 8.
Ce point un peu particulier étant levé, il faut bien dire que pour le reste le système de Sapa Inca possède à la lecture un certain charme. On pressent un équilibre subtil entre une vraie simplicité de ce système et les possibilités de gestion plus détaillées qu’il permet quand même de mettre en scène.
Le cœur du système de résolution va donc être les 4 caractéristiques principales, avec 5 compétences qui vont dépendre de chacune d’elles.
Les pools de D8 lancés vont rester de taille très raisonnable puisque le maximum classique sur un jet sera de 6D8 (3D8 de caractéristique et 3D8 de compétence). Il faut noter que ce sont plutôt les pouvoirs magiques qui permettront de rajouter des D8 à un jet, être compétent ou même spécialisé dans une compétence ne permettant que de jouer sur les relances de certains D8 selon le score obtenu.
Mais à partir de ce socle très direct, Sapa Inca propose des mécaniques donnant un vrai intérêt ludique au nombre total de réussites obtenues sans se cantonner au classique test comparé en cas d’opposition. Le principe des actions étendues, qui demande d’accumuler assez de réussites sur un temps long avec plusieurs tests de compétences, est par exemple très simple et très pertinent dans ce cadre de jeu. L’artisanat ou même les voyages qui sont des thèmes à prévoir sur ce type d’univers seront parfaitement mis en jeu avec une mécanique de ce type.
Le combat et la magie, marqueurs de l’offre ludique du système de règles
Comme souvent, la personnalité réelle d’un système de résolution apparaît de façon bien plus claire sur les sujets souvent majeurs autour des tables de jeu que sont le combat et la magie. Sapa Inca ne fait pas exception et nous allons par ce biais pouvoir regarder plus précisément ce que ces mécaniques nous promettent comme expérience de jeu.
Le combat n’occupe que 5 pages dans le Livre de base, et ses mécaniques très directes justifient cette place limitée. Basé sur des tours de combat classiques de 10 secondes, le combat à Sapa Inca s’appuie sur une initiative très classique en début d’affrontement. A partir de là les échanges d’attaques sont accélérés par l’absence de jet de défense (les difficultés pour toucher sont basées sur les scores fixes de défense).
Le jeu propose une poignée de manœuvres possibles (Prise, Charge, défense active) mais sans multiplier les options. Deux points spécifiques sont très intéressants et viennent amener des possibilités tactiques dans cette base très épurée :
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La possibilité d’actions multiples, chaque action au delà de la première venant retirer 1D8 à tous les jets du Tour de combat du personnage
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La notion de Placement, qui couvre tout ce qui touche aux mouvements des belligérants par rapport aux autres, et qui ouvre la possibilité de traiter des intéractions impactantes entièrement dans le récit et le théâtre de l’esprit.
Le combat peut donc être amené vers des réflexions très tactiques par les meneurs qui le souhaitent (même si la notion de Placement manque de précision dans le livre), et cela sera renforcé par le système de dégâts qui nous livre un principe classique de dommages de base augmenté par le nombre de réussites sur le test d’attaque. Cet aspect permet de garder des caractéristiques très simples pour les armes et armures, et cela amène bien sûr un côté tactique dans la gestion de son pool de D8 et des réussites pouvant être obtenues.
La magie pour sa part occupe 50 pages dans le Livre de base, nous voyons donc immédiatement l’impact majeur qu’elle va avoir dans le jeu. Mais croire que cette grosse section décrit des mécaniques de résolution serait une erreur, car la façon d’utiliser la magie est couverte dans le système de règles de façon très directe avec un test classique Caractéristique + Compétence et avec juste la nécessité de dépenser des points d’Harmonie dans certains cas.
En fait ces 50 pages sont uniquement un répertoire de tous les pouvoirs qui existent par le biais des animaux tutélaires et des divinités selon une échelle de puissance sur 4 niveaux : Naissant / Mature / Affirmé / Avatar. Et c’est là le point majeur que je souhaitais aborder par rapport à l’offre ludique de Sapa Inca : l’importance et la puissance majeure des capacités ésotériques dans ce jeu.
En effet, les capacités mystiques sont très puissantes dans cet univers … et les règles sont totalement en accord avec cette volonté. Par ces pouvoirs impressionnants, les personnages seront facilement capables de faire venir le soleil ou de se donner des bonus notables sur certaines actions (Naissant) … et en accédant à des capacités plus avancées ils pourront, par exemple, paralyser un adversaire de peur pendant plusieurs Tour ou d’entendre la voix des morts (Affirmé).
Le système de règles de Sapa Inca vient donc conforter la place centrale des pouvoirs mystiques dans la proposition ludique. Ce côté magique est une brique majeure de l’univers de jeu, et sa puissance est mise à l’honneur clairement dans le système de résolution avec des effets puissants ou marquants. Si nous ajoutons à cela le vocabulaire très immersif utilisé dans les termes de jeu, il est vite évident que le système de règles a été voulu pour participer fortement à la couleur Inca du jeu.
Conclusion : accessibilité d’une proposition qui ne sacrifie pas sa richesse
Lorsque je prends du recul sur ma lecture de cette gamme Sapa Inca, j’en retire une sensation que j’apprécie tout particulièrement quand il s’agit d’un jeu ayant une proposition très spécifique. Cette sensation, c’est le sentiment que le jeu a fait un effort pertinent pour rendre sa spécificité accessible sans trop d’efforts … mais sans sacrifier pour autant la profondeur de son propos et la fidélité à l’identité si particulière qu’il a choisi de proposer.
Sapa Inca est clairement une plongée dans les cultures précolombiennes, et cette immersion n’est pas seulement esthétique car ce jeu de rôle s’appuie sur les particularités du monde Inca pour proposer des axes de jeu. Et c’est bien là, pour moi, la plus belle réussite des auteurs : faire réellement plonger joueurs et meneurs dans ces cultures spécifiques mais sans jamais perdre de vue l’objectif prioritaire … en faire un terrain de jeu efficace avec de vrais possibilités d’aventure !
La gamme Sapa Inca est généreuse, avec beaucoup de matériel disponible de base pour animer de nombreuses séances de jeu passionnées, mais tout en donnant aussi assez de liberté et d’outils aux meneurs pour écrire au-delà de tout ça leurs propres récits. J’ai émis des réserves sur quelques points de détail faciles à rectifier selon moi, mais ces derniers restent très secondaires par rapport à la jouabilité qui transpire des pages de de jeu de rôle.
Pour autant, s’emparer de ce cadre de jeu précolombien ne pourra pas se faire sans aucun effort. Charge aux meneurs et joueurs d’accepter de se plonger dans le monde des Incas grâce à toute la matière fournie, et vu ce que Sapa Inca propose en termes de jouabilité dans ce contexte ce serait à mon avis dommage de s’en priver.
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