City of Mist : L’affaire du siècle [Chronique]
Deux ans déjà que City of Mist, le jeu de fantasy urbaine créé par Amit Moshe, est arrivé dans nos contrées fromagères grâce à l’excellent travail des gens de chez Barbu Inc. Deux années plutôt bonnes à en croire l’honorable foulancement de la suite de la gamme en mai dernier. De notre côté, ces deux années ont été l’occasion de tester extensivement le coffret de base de ce jeu riche, engageant, génial, et parfois frustrant…
J’ai des contacts à Duskvol
Le dossier City of Mist semblait plutôt simple à boucler. Un jeu d’enquête paranormal dans une ambiance urbaine basé sur l’apocalypse, sûrement un camarade de cellule de Monster of The Week. L’enquête aurait pu s’arrêter là, mais quelque chose clochait. Les ressemblances étaient trop parfaites, la proposition commune mêlant mystère sombre et action loufoque trop évidente. Le client me menait en bateau, il m’éloignait du vrai complice: Un caïd du nom de Blades in The Dark.
Qu’on se comprenne bien, City of Mist n’est pas un jeu « Forgé dans l’Obscurité », mais il partage la même philosophie de Game Design que le bébé de John Harper : prendre le système Apocalypse, et le modifier radicalement pour qu’il colle à une idée très spécifique. Pour Blades, l’idée est d’émuler la tension et les twists des films de braquage. Chez City of Mist, il s’agit de recréer les dilemmes moraux classiques des films policiers. Je m’explique.
T’es trop proche de l’affaire Callahan
Quel est le point commun entre Hellboy, Seven, The Wire et Hellblazer? La question est étrange, mais quand vous en êtes à la 26ème tasse de café et que vous confondez le sucre avec les mégots du cendrier elle devient évidente: toutes ces histoires prennent place durant une enquête, mais le moteur émotionnel de ces histoires est le dilemme de l’enquêteur entre son obsession et la vie normale (et bien plus heureuse) qu’il pourrait avoir s’il levait le pied de temps en temps. Le premier coup de génie de City of Mist est d’utiliser les éléments surnaturels de son univers pour intégrer directement ce conflit au cœur de chaque personnage, et de le lier à son gameplay, et à son évolution.
Le setting de City of Mist est une ville entourée de brume où chaque habitant peut devenir un Réceptacle; l’avatar vivant d’une légende, d’un mythe ou d’une licence célèbre, c’est le cas des PJ. Tous sont tiraillés entre leur Logos (la vie quotidienne) et leur Mythos (la légende qui les habite), et chaque décision qui vous approche de l’un, vous éloigne de l’autre. Dans ce contexte, chaque enquête n’est pas seulement l’occasion de révéler les horreurs au cœur de la ville, ou des combats épiques à grands coups de pouvoirs magiques, mais aussi l’occasion de faire résonner les questions de dossier avec celles que l’enquêteur se pose, conséquences à la clé. Ce faisant, chaque PJ vit le même dilemme que les personnages classiques d’histoires policières, mais avec un twist légendaire en prime.
Dans un jeu Apocalypse classique, le Mythos et le Logos se traduirait par une liste de playbooks dans lesquels il vous suffit de cocher un dilemme adapté à votre concept. Mais les designers avaient clairement à cœur de proposer une liberté totale à chaque joueur pour qu’ils créent leur version du détective torturé, et c’est là que les ennuis commencent.
Le mystère de l’interminable session zéro
Dans City of Mist, la liberté de création a un prix, et ce prix est votre temps.
Pour créer la fiche de votre personnage, vous choisirez 4 thèmes. 2 d’entre eux sont liés à votre Logos, et autant à votre Mythos.
Le premier problème, c’est que ces thèmes sont pour certains très vagues. Certains joueurs vont inévitablement se retrouver perdus face à cet ensemble de choix abstraits, et le guide fait très peu pour les guider. D’autres thèmes vont paraitre redondant, ou contre-intuitifs. Et c’est pas fini.
Chaque thème s’accompagne d’une série de questions auxquelles vous répondrez pour définir chaque fois 3 avantages, et 1 défaut sous la forme de petites phrases à inscrire directement sur la fiche. Les questions ne sont pas plus claires que les thèmes, et les réponses ont intérêt à être formulées avec la précision d’un laser qui a lu la Pléiade, car elles sont l’outil mécanique principal du jeu!
En bref, à moins d’avoir un bon esprit de synthèse et un concept très précis en tête, votre session zéro peut très facilement devenir une pièce de théâtre avant-gardiste de 8h sur le sens des mots, ou un thriller où l’arme du crime est un dictionnaire. Pourtant ces efforts font sens. Le tout crée une grosse moulinette qui prend n’importe quel concept de personnage et le rend automatiquement jouable, et ne vous y trompez pas, jouer à City of Mist est un véritable bonheur.
La calculette était fermée de l’intérieur
Votre personnage est enfin prêt, et vous regardez sans doute votre fiche avec une expression perplexe signifiant « où sont les chiffre? ». Eh bien y en a pas, ou presque.
Pour déterminer vos bonus sur un jet de dé, vous devez regarder chaque avantage et désavantage de votre fiche, et justifier lesquels vous aident ou vous handicapent pour cette action précise. Vous avez noté que votre jardinier municipal habité par le dieu celtique Cernunos a des outils sur lui? Il ne tient qu’à vous de dire comment ce trait peut servir à crocheter une serrure, menacer un videur de boite de nuit, ou achever un vampire. Chaque action devient un débat passionnant qui met à l’honneur la créativité des joueurs, la loufoquerie des actions, mais peut aussi bien servir une tension dramatique; dans les bonnes circonstances, le polaroïd de votre bien aimée peut vous donner la force de résister à une attaque fatale, ou vos pouvoirs de métamorphes peuvent déplacer votre cœur pour éviter la balle d’un sniper.
En plus de donner une liberté d’interprétation rafraichissante aux joueurs, ce système sans chiffre est directement lié à l’évolution de votre personnage. En plus d’être vos scores, ces traits expriment la lutte sans merci que se livrent votre Mythos et votre Logos : privilégiez l’un, et vous verrez l’autre lentement disparaitre, au point de devoir supprimer l’un de vos thèmes. City of Mist crée une boucle parfaite où chaque élément mécanique détermine le roleplay, et où le roleplay influence directement votre façon de jouer.
La MC est dans la place
On s’est pas mal étendus sur l’expérience de City of Mist en tant que joueur, mais les MJ (ou MC pour « Maitre de Cérémonie ») sont loin d’être en reste.
La boite à outils de la MC regorge de conseils sur l’univers, mais aussi sur la manière de le modifier. A vous de créer la ville des brumes de vos rêves ou de vos cauchemars. Chaque grand mystère du jeu (que sont les réceptacles, quelle est la nature de cette ville etc) est accompagné de nombreuses pistes pour nous permettre de créer nos propres réponses. Les chapitres sur la création de PNJ, d’objets, et de lieux sont magistraux, très simples à comprendre. Après quelques essais, créer un élément pour City of Mist vous prendra quelques minutes et tiendra sur un post-it.
Surtout, cette boite à outils justifie à elle seule l’achat du coffret si vous aimez proposer des enquêtes à vos joueurs. Les conseils sur l’ambiance et la dramaturgie sont précieux et s’adaptent à n’importe quel système, sans compter le joyaux qu’est leur modèle de création d’enquête : l’iceberg.
L’iceberg est une manière de voir une enquête et ses nombreux éléments comme les strates d’un… eh bien d’un iceberg. La surface est vaste avec de nombreux détails visibles qui deviennent des scènes crimes, des témoins et tous les indices qui mènent progressivement aux parties immergées. L’ensemble forme un entonnoir menant directement à la solution. Le chapitre sur ce sujet et les illustrations sont un véritable cadeau même si vous ne jouez pas à City of Mist.
La fin de l’affaire
On dit souvent que le JdR permet de tout faire, mais rarement ça n’a semblé aussi apparent qu’avec le système de City of Mist. Son of Oak, les créateurs en ont visiblement conscience, puisque leurs deux derniers foulancements promettent d’adapter le système à la fantasy et au cyberpunk. Dans tous les cas, le jeu de base est une excellente alternative si vous trouvez que Cthullu manque de punch, ou si vous aimez la profondeur sociale du World of Darkness mais vous trouvez l’univers un peu rigide.
Contrairement à ses cousins de l’Apocalypse ou même Blades in the Dark, City of Mist est l’antithèse du JdR à one-shot. Il requiert un investissement conséquent et immédiat de la part des joueurs, et vous supplie de passer du temps avec vos personnages. Ce temps se mérite, mais c’est sans doute une des meilleures manière de le dépenser à ce jour.
merci pour cet article
L’univers de City of Mist est clairement alléchant et je suis tenté de craquer ….
Néanmoins certains problèmes de système et la rumeur d’une version « corrigée/allégée » me freine encore pour sauter le pas, j’hésite entre le craquage et l’attente de l’éventuelle seconde édition.
Si je m’en tiens aux publications VO, Il n’y aura pas de version révisée, mais les suppléments à venir fluidifient grandement la création de personnage, qui est le principal problème du système
Les rumeurs viennent cependant de la « nouvelle version du moteur de jeu » qui est utilisée dans Tokyo: Otherscape et raffinée pour le futur Legend in The Mist (de la « rustic fantasy »). Mais c’est un peu comme le Year Zero Engine ou le Cortex (avant la publication des SRD) : une évolution de système à travers de jeux différents pour répondre à des besoins/objectifs différents. Malgré leurs points communs, ils sont sensiblement différents, ce n’est pas un simple polissage.
A la lecture j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de Fate de le non chiffrage et le besoin de « ciseler » les descripteurs d’un PJ, vivement que j’ai le temps de tester city of myst !
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