Devâstra – transcendance : Shiva être bien ! [Interview]
Après le très bon Les Chroniques de l’étrange, le duo Cédric Lameire et Romain d’Huissier se reforme pour ressusciter Devâstra. Sous-titrée Transcendance, cette troisième édition à paraître chez Antre Monde semble beaucoup plus ambitieuse, tant sur la forme que sur le fond. A l’occasion de la souscription, qui débute ce mardi 17 septembre, nous avons été poser quelques questions aux auteurs, puis nous avons terminé cet agréable échange comme il se doit, par une dance de Bollywood enflammée. Musique !
Le Fix : Bonjour. Antre Monde vient d’annoncer la troisième édition de Devâstra. Quels sont les auteurs et les illustrateurs derrière cette nouvelle édition ?
Cédric : Les textes et les idées des deux premières éditions qui ont été réutilisés sont de Romain d’Huissier et Laurent Devernay Satyagraha, tandis que la troisième édition est de Romain et moi côté auteurs. En ce qui concerne les illustrateurs, nous avons globalement travaillé avec le Studio Xishan, dont Shan Zhu comme directrice artistique, et de nombreux artistes comme Raphaëlle Pellé, Pierric Sorel, Leizh, Roxanne Milard, Mscatermaid, William Bonhotal – et ça, c’est uniquement pour le kit de découverte. Il y a bien d’autres artistes pour le jeu complet, une carte du monde en cours par Olivier « Akae » Sanfilipo, et peut-être une surprise pour la couverture du coffret. Les illustrations sont résolument dans un style manga et animé avec cette édition.
Romain : Quand Cédric dit que cette troisième édition est de lui et moi, il est trop généreux : elle est à 99% de lui. Il faut d’ailleurs vraiment que les lecteurs se rendent compte du genre d’auteur qu’est Cédric : quelqu’un qui ne pense qu’à son lectorat du début à la fin d’un projet. C’est son unique préoccupation, il met toute question d’ego de côté et cherche ce qui va être immédiatement utile aux joueurs. Il y pense même la nuit : certains matins, je me connecte à la messagerie et paf, il m’a balancé dix nouvelles idées enrichissant considérablement le projet. Que ce soit en termes de règles, mais aussi d’ergonomie de la mise en page, de praticité de la fiche de personnage, d’aides de jeu qui vont faciliter le travail du MJ, d’organisation du background, de trucs & astuces pour que les rôlistes s’immergent encore plus…
On pourrait croire que c’est la norme quand on rédige un jeu de rôle, mais d’après mon expérience, en réalité, des auteurs aussi concernés par le plaisir que prendra le public à lire et jouer, il y en a peu comme Cédric. Il écrit des jeux à jouer et son travail entier se concentre sur cet objectif, à l’exclusion de tout autre. Aussi, j’estime normal de lui laisser majoritairement la parole dans cette interview afin de souligner tout le mérite qui lui revient pour cette version de Devâstra.
Le Fix : Initialement, cette troisième édition était prévue chez LETO. Pouvez-vous revenir sur ce changement d’éditeur ?
Cédric : Oui en effet, ça a été envisagé à un moment et annoncé lors du passage en gratuité de la deuxième édition en 2020, durant le confinement. Les choses ont évolué depuis avec l’accord de l’ensemble des personnes concernées. Tout s’est bien passé. Cela fait plus de deux ans que je travaille avec Romain sur cette version.
Le Fix : Tout le monde ne connaît pas Devâstra. Le jeu a maintenant plus de dix ans. Pouvez-vous nous présenter ce que l’on joue, ainsi que son univers ?
Cédric : Le jeu a plus de quinze ans en réalité. Il se déroule dans un monde imaginaire qui ressemble à l’Inde antique ou médiévale, dans sa version la plus mythologique – tout en prenant de grandes libertés pour en faire un lieu dans lequel les PJ vont vivre des aventures inspirées des codes des mangas et animés de type shônen. Les joueurs y incarnent des Avatars, des êtres humains qui sont les réincarnations de divinités oubliées, inspirées des devas de la mythologie hindoue donc, et qui acquièrent au travers d’un objet, leur Devâstra, des pouvoirs divins très puissants.
Dans ce monde où de nombreuses nations, factions ou sociétés secrètes vont s’intéresser à leurs capacités et chercher à les convaincre de rejoindre leur cause plus que toute autre, et donc de choisir un camp, les Avatars ont pour adversaire atavique les Asuras, leur contrepartie démoniaque si l’on peut dire : des créatures échappées d’un enfer appelé le Narak, qui disposent eux aussi parfois d’objets leur conférant des pouvoirs maudits, les Asurâstras.
Le jeu est conçu comme un jeu de rôle « à clans » ou « à factions », où les PJ disposent de grands pouvoirs dès le début, mais n’en sont pourtant qu’au stade de la découverte de leur divinité. Il permet de jouer en mode sandbox mais propose aussi une grande campagne, construite comme les épisodes d’une série animée, avec des saisons, des cliffhangers, des personnages récurrents, des enjeux à résoudre tout de suite et d’autres qui forment un fil rouge pendant plusieurs scénarios. L’univers dans lequel les PJ et PNJ évoluent se révèle exotique et mystérieux.
Il se trouve également sur la brèche : la guerre y couve après une longue période de paix et la présence des Avatars et des Asuras vient en bouleverser l’équilibre déjà fragile. Dans ce décor, les PJ sont amenés à prendre des décisions ayant un fort impact sur tout le continent et toute la société qui les ont vus naître.
Le Fix : Si les joueurs incarnent des demi-dieux, cela veut-il dire qu’on sera TRÈS puissant dès le début ? Si oui, comment gérer les intrigues et l’adversité ? Ou on commence bas niveau comme dans tous les jeux de rôle ?
Cédric : Les Avatars sont bien plus puissants que les simples mortels dès le départ. Le niveau de puissance des personnages dans Devâstra – Transcendance n’a rien à voir avec d’autres jeu de rôle de fantasy où on démarre « simples aventuriers de niveau 1 ». Pour autant, il existe une marge de progression non négligeable.
Tout comme dans les shônen dont on s’inspire, les héros commencent par découvrir leurs capacités, apprendre à vivre avec et comprendre les responsabilités afférentes. Même s’ils sont déjà plus forts que des humains normaux, leurs adversaires évoluent dans la même catégorie qu’eux. Petit à petit, ils accumulent de nouvelles capacités et apprennent de nouvelles techniques. Tout ceci est mesuré par des Chakras qui s’ouvrent un par un. Là où les humains n’en ont ouvert qu’un ou deux au maximum, la plupart des êtres surnaturels – PJ comme PNJ – en ont au moins trois, voire beaucoup plus – jusqu’au septième, qui représente le véritable niveau divin.
Le jeu fournit de nombreux conseils pour coller à l’ambiance des mangas shônen dont il s’inspire. Je ne pense pas que le niveau de puissance des personnages soit un problème. À mes yeux, ce n’est d’ailleurs le cas sur aucun jeu dont le thème s’y prête. Il existe ainsi déjà de nombreux jeux de rôle qui mettent en scène de tels niveaux, dans lesquels on peut par exemple jouer des princes immortels dotés de pouvoirs surnaturels et capables de voyager entre diverses réalités, des vampires infiniment plus dangereux que les mortels, des exaltés tenant le pouvoir du soleil dans le creux de leur main ou des super-héros capable de déplacer des montagnes et de voler plus vite qu’un avion de chasse. Les dangers, les intrigues, les défis sont tout simplement à la hauteur de ce que les PJ peuvent accomplir. Pour le reste, si vous aimez ce genre de série, vous savez forcément déjà quelles histoires raconter.
Le Fix : La deuxième édition du jeu était déjà une version largement augmentée – voire complétée – de la première. Que va apporter cette nouvelle-nouvelle édition ?
Romain : En réalité, il n’existait pas tant de différences entre la première édition et la deuxième. Cette dernière s’était avérée indispensable car le 7ème Cercle avait cassé le contrat avec Laurent et moi, et le jeu se trouvait dès lors indisponible et orphelin. Nous avions un peu resserré les vis du système, mais guère plus – soyons honnêtes. Rien à voir avec ce que Cédric accomplit sur la troisième édition, qui envoie le jeu dans une tout autre dimension. C’est désormais un vrai blockbuster digne des meilleurs productions animées japonaises !
Cédric : À mes yeux, les deux premières éditions étaient bourrées de bonnes idées, mais elles restaient très modestes en termes de pagination et de matériel prêt à jouer. Le cœur du jeu y était, mais il n’y avait pas de bestiaire ou de Devâstras prêtes à jouer, et la description du monde survolait beaucoup de sujets. En clair, toutes les pièces se révélaient présentes, mais il fallait que le MJ soit bricoleur pour que tout se passe bien.
Dans la troisième édition, il y a plusieurs approches simultanées : le côté sandbox avec des briques à assembler se trouve toujours là. En revanche, des exemples sont fournis directement prêts à jouer, comme de nombreux adversaires et éléments de jeu, pas seulement du scénario. Je vais prendre un exemple avec la création de personnage : avant, il s’agissait de créer son avatar et sa Devâstra, puis d’imaginer chaque pouvoir à partir d’une répartition de points. Maintenant, le joueur a le choix : prendre un prétiré ; ou créer son Avatar en sélectionnant un Deva et sa Devâstra prêts à jouer ; ou tout créer de A à Z comme avant. Cette troisième édition offre beaucoup de choix à tous les niveaux.
Par surcroît, le système se veut à la fois plus uniforme et plus complet. Mais le changement ne se limite pas aux règles : nous avons aussi ajouté beaucoup de précisions sur le background. Si les fans de la première heure vont retrouver l’essentiel de leurs points de repères, certains lieux ont été complétés ou repensés, de même que quelques PNJ emblématiques pour plus de diversité. De petits éléments qui peuvent servir d’accroche de scénario ont été placés un peu partout. De nouvelles voies et techniques, qu’on appelle les Dharmas ou les Enseignements à Devâstra, ont été ajoutées pour étoffer les histoires des personnages. Quelques idées qui n’étaient qu’effleurées dans certaines scénarios des précédentes éditions ont aussi été intégrées à la base du jeu et développées plus en détail.
Le Fix : Le jeu émule le style shônen. Pour vous, le shônen, c’est quoi ? Et comment le jeu l’émule-t-il concrètement ?
Romain : Devâstra se veut en effet un jeu qui importe le genre shônen (et précisément le nekketsu) dans le jeu de rôle. Ce type de récit que l’on retrouve dans le manga depuis quasiment ses débuts met en scène de jeunes héros découvrant tout un monde d’aventure et d’adversité, au sein duquel ils se feront des amis, affronteront des ennemis, augmenteront leur puissance afin de rester à la hauteur de défis de plus en plus difficiles, etc. Il s’agit d’un genre très balisé, qui a donné naissance à des œuvre désormais aussi connues que Dragon Ball, Saint Seiya, One Piece, Naruto, Demon Slayer, etc. Les affrontements y tiennent une place prépondérante, participant de la narration et de la construction des personnages. Le côté feuilletonnant, instauré par une parution en chapitres hebdomadaire, façonne également la manière de raconter l’histoire : introduire des personnages classes, ménager le suspense, utiliser de nombreux cliffhangers…
Cédric : Quand Romain m’a fait confiance pour moderniser Devâstra – Transcendance, la première chose que j’ai voulu faire a consisté à ajouter dans le système des pouvoirs, des capacités, des conditions, des Enseignements et autres éléments de jeu qui reprennent les codes et les tropes du shônen. C’est-à-dire des principes qui donnent concrètement une bonne raison (ludique, liée au système de règles) d’utiliser une action à ne rien faire durant un combat, à part admirer la puissance de ses alliés ou de ses adversaires. Ou encore des mécaniques de jeu qui poussent à garder sa meilleure attaque pour la fin, à épargner un adversaire afin qu’il puisse se joindre à vous par la suite, etc.
Je ne vais pas énumérer tous les poncifs du shônen qu’on a rendus possibles : il y en a trop ! Je vais simplement préciser qu’on ne s’est pas contenté de n’émuler que le shônen. Devâstra, c’est aussi l’Inde mythologique, donc ce travail a aussi concerné les poncifs de Bollywood, lorsque cela concerne le côté épique de certaines sagas hindouistes, par exemple. Et tout ça, ce sont des éléments en plus de tous les ingrédients, indiens ou shônen, qui existaient déjà de façon embryonnaire dans les éditions précédentes, mais que l’on a repris et amplifiés – comme les mécanismes qui permettent de se relever après avoir été vaincu si on est soutenu par ses amis, par exemple.
Le Fix : Devâstra a toujours consisté en un unique livre de base. Est-ce qu’avec cette troisième édition, il y aura une gamme plus étendue ?
Cédric : Déjà le pack de base comprendra trois livres, qu’une campagne accompagnera : une saga en trois actes conçus comme les saisons d’une série télévisée. Certains de ces scénarios sont repris et ré-imaginés à partir de textes des deux précédentes éditions, mais une bonne partie – comme l’aventure du kit de découverte – s’avère totalement inédite. On parle ici de plus de dix scénarios – peut-être même quinze, tout va un peu dépendre de comment se passe le financement. Parce que comme d’habitude, il y aura un suivi via des suppléments gratuits en PDF nommés les Vedas – l’équivalent des Taonet de Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange.
Le Fix : Est-ce que le retour de Devâstra signifie aussi le retour de Laurent Devernay Satyagraha dans le monde du jeu de rôle ?
Romain : Je pense qu’il vaudrait mieux poser la question directement à l’intéressé, mais s’il surveille de très près cette troisième édition, rien permet d’affirmer que cela le convaincra de revenir dans le milieu… Mais qui sait, si une foule en délire se mettait à le réclamer !
Cédric : Pour ma part, je dois remercier Laurent et Romain de m’avoir laissé les clés de leur univers. Sous l’œil bienveillant de Romain, j’ai modernisé d’abord le système, puis les scénarios et plus récemment une bonne partie de l’univers. Au fur et à mesure que je creusais le sujet avec les auteurs originaux et avec l’éditeur, de nouvelles idées arrivaient. J’ai aussi eu la chance que Simon et Coline (de chez Antre Monde Éditions) nous suivent dans cette folie créatrice. Le jeu ne serait pas aussi riche et réussi sans toute cette équipe. Et on l’a évoqué, l’équipe artistique participe aussi de cette qualité – illustrateurs, graphiste et même musicien. Ça va être une belle gamme !
Le Fix : J’ai déjà les deux premières éditions. Qu’est-ce qui pourrait me convaincre de craquer pour celle-là ?
Romain : Franchement, les deux premières éditions étaient des produits de leur temps – le début des années 2010 – et n’avaient pu bénéficier d’une réelle ambition éditoriale. Depuis leur sortie, le jeu de rôle a beaucoup évolué et cette troisième édition le reflète clairement. De plus, Antre Monde Éditions y met vraiment les moyens afin que le jeu se déploie à son plein potentiel.
Cette troisième édition bénéficie de l’expertise d’un auteur aussi méticuleux et concerné que Cédric, qui n’a pas hésité à tout démonter pour voir ce qui marchait et ne marchait pas avant d’améliorer l’ensemble en remettant tout en place. Quant à l’éditeur, il lui offre une carrosserie rutilante et un service après-vente solide. En gros, une Deux-chevaux s’est transformée en Ferrari – avec un moteur fiable et puissant testé sur la longueur. Le jeu est enfin passé en mode Super-Sayan.
Cédric : Le jeu se base sur la même idée que les deux éditions précédentes, mais poussée et améliorée à tous les étages. Il y a plus de matériel, un plus bel écrin avec le talent de nos artistes et il y aura un suivi. On fournit même les règles de conversion d’une édition à l’autre. La vraie question, c’est plutôt : pourquoi s’en priver ?
Le Fix : Quel sera le format de Devâstra – Transcendance ? A4, comme tous les ouvrages de publiés par Antre Monde, ou A5, pour se rapprocher du manga ?
Cédric : Ni l’un, ni l’autre – on sera dans un format intermédiaire. Les trois volumes qui constituent le jeu de base se verront probablement réunis dans un très beau coffret (en fonction du succès du financement, bien sûr). Et la suite utilisera le même format. La direction artistique est très attentive à la cohérence de la gamme, ce que j’apprécie particulièrement car moi-même, quand j’achète des livres, j’adore que les couvertures soient coordonnées, par exemple.
L’orientation manga est assumée dans les illustrations. Cela me tenait beaucoup à cœur de trouver des artistes qui ont cette envie et cet amour du genre. C’est une part importante du travail avec Shan et tous les artistes qui nous ont rejoints. L’ambiance graphique est très différente de la fantasy classique et très rafraichissante, et même inspirante, à mes yeux. Romain et moi, nous avons été bercé une partie de notre enfance par des séries shônen et voir les personnages qu’on a imaginés prendre forme grâce aux artiste, dans ce style graphique qui nous parle, c’était important. Selon moi, cela fait partie de l’identité de cette édition et du jeu.
Le Fix : En dehors de cette édition de Devâstra, en quoi consiste votre actualité ? En tant qu’éditeur, mais aussi en tant qu’auteurs ?
Cédric : Avec Romain et chez Antre Monde Éditions, la suite de la gamme Hong-Kong – Les Chroniques de l’Étrange, bien sûr ! Toujours chez cet éditeur mais avec d’autres auteurs, je peux citer Parias, car j’écris le tome sur l’Asie blessée. Au sein d’un vaste collectif d’auteurs, j’ai écrit pour le Cabinet des Murmures chez les XII singes, au sein des nombreux suppléments qui vont paraître. Je travaille aussi avec d’autres éditeurs comme Odonata sur les Brigades du Steam. J’écris un peu dans Casus Belli : je signe dans le #49 un scénario pour l’Empire des Cerisiers. On a aussi d’autres projets avec Romain, mais on ne peut pas encore parler de tout.
Romain : Comme le dit Cédric, on continue à travailler sur notre premier enfant et un nouveau supplément pour Hong-Kong – Les Chroniques de l’Étrange sera annoncé sous peu. Quant au Taonet #6, il arrivera vers la mi-septembre. Nous avons un autre beau bébé en gestation, mais il vient à peine d’être conçu alors on n’en dit pas plus pour l’instant. En solo, j’espère bientôt finaliser un recueil de mythes et légendes de la Chine ancienne chez un chouette éditeur.
LIEN