Maxbrown: l’horreur au Max ?

On en avant déjà parlé dans le Participafix, mais, depuis vendredi, c’est officiel : la Collection Maxbrown est lancée sur gameon tabletop. Au début, on croyait que c’était un recueil de scénarios d’horreurs un peu génériques. On avait (presque) tout faux : la Collection Maxbrown, c’est un jeu-campagne d’aventures horrifiques proposant à la fois un univers (l’Europe de la fin des années 2000), une campagne et un système dédié (utilisant des cartes et des dés). La page du foulancement est assez explicative. L’offre est simple, le système est explicité et des actual plays existent, qu’on peut retrouver depuis la page. Bref, l’offre est assez transparente pour qu’on n’aie pas besoin d’entrer dans tous les détails. Et, comme au Fix on aime les créateurs autant que leurs jeux, on s’est dit qu’interroger l’auteur Pierre Saliba était le meilleur moyen d’en apprendre plus.

 

1. Salut, nous c’est le Fix on collectionne les papillons. On t’a déjà interviewé, mais à l’époque on ne t’avait pas demandé de te présenter. On se rattrape et on te demande « et toi t’es qui ? »

Salut le Fix ! Les papillons, vraiment ? C’est pas vraiment le thème du jour, mais on va s’adapter. En effet, on se connait déjà un peu toi et moi le Fix, j’avais répondu à tes piquantes questions en 2019 pour le financement de mon premier jeu Sorcières & Sortilèges. Depuis j’ai fait mon petit bonhomme de chemin avec 4 nouvelles créations :

Couverture de Rouge flamme, campagne de De Architecturat

  • Les recettes de Germaine (un recueil de scénarios pour Sorcières & Sortilèges toujours chez Stellamaris)
  • Rouge Flamme (une campagne pour JDR med fan sorti chez DeArchitecturart qui n’est pas référencée sur le GROG, mais foncez, c’est de la bombe)
  • L’appel du large (un scénario d’enquête et de magie chez DeArchitecturart)
  • La Songemer (un livre interactif pour enfants sorti chez l’Atelier Semaphore).

Ça, c’est mon parcours de créateur « officiel ». C’est un petit parcours, mais c’est aussi parce qu’il est émaillé de beaucoup de petites choses gratuites qui se sont intégrées entretemps : des traductions, des jeux indés distribués gratuitement sur mon site (www.drnemrod.ch) et surtout une vie de famille et une vie professionnelle qui occupe tout comme il faut. Parce qu’en réalité, le jeu de rôle occupe une place importante dans ma vie, mais ce n’est pas tout ! Loin s’en faut ! Je suis chimiste le jour et rôliste la nuit. Mais je suis aussi musicien dans un groupe de punk rock qui se nomme « les Bananaboyz ». C’est très important d’être actif je trouve et de ne pas attendre la retraite pour faire ce qui nous plait. On ne sait pas trop où va le monde et ce qu’il adviendra de nous dans les prochaines années. Alors je préfère miner le bonheur plutôt que des bitcoins.

Whoa punaise… C’était une simple question et je me suis un peu emballé. Désolé cher Fix pour cet intermède beaucoup trop grave. Penchons-nous un moment sur ta collection de papillons si tu le souhaites…

2. On a repris contact avec toi, car on s’est intéressé dans le cadre du Participafix à ton projet de foulancement pour la Collection Max Brown. Au début, on s’était dit que « Collection Max Brown » ça faisait marque de café bon marché vendu plus cher, mais en fait c’est un projet qui possède une longue histoire, c’est ça ?

Alors, commençons par le début : le titre du jeu c’est La collection Maxbrown. Il n’y a pas d’espace entre Max et Brown, car c’est un nom propre. C’est en effet un projet qui a une très longue histoire. Tout commence en 2009, ma compagne et moi partons pour un voyage qui s’annonce sensationnel vu que l’on commence par aller visiter Saint-Pétersbourg et nous prévoyons par la suite de rejoindre un ami de l’université dans un autre pays. Durant 3 semaines, ce n’est pas moins de 4 destinations à cheval entre l’Europe et l’Asie que nous visitons. En termes de vacances, c’était incroyable, mais c’est en termes d’inspiration culturelle que l’expérience est la plus forte. Je commence à prendre des notes et au fur et à mesure de mon écriture, je réalise qu’il existe des légendes qui s’entrecroisent entre toutes ces destinations. Je décide donc d’en faire une campagne et c’est le début de  Sous l’Œil du Dragon qui sera ma première véritable création rôlistique.

Extrait de la page du foulancement

S’inspirer de vacances pour écrire un jeu sur la mort ? On serait tenté de s’inquiéter pour ma santé mentale et pour le côté reposant des vacances que je mène. Rassurez-vous c’était des vacances très classiques quand on prend tout en compte. Il nous est arrivé néanmoins une expérience assez désagréable, car en réalité on a assisté à une fusillade durant le séjour. Du grand n’importe quoi !

Bref, je m’égare encore une fois. Tout ça pour te dire que le projet La collection Maxbrown a une longue et riche histoire. C’est un projet qui s’est inspiré de fait vécu, d’histoire et de légendes proprement documentées. C’est un projet qui a longuement muri et qui a évolué avec les années pour arriver à une forme que j’estime idéale pour une publication.

3. Quand on t’a interrogé à l’époque de Sorcières et Sortilèges, tu nous avais dit que tu écrivais pour ta fille. Et là, c’est quel âge pour la Collection Maxbrown et en quoi ça modifie ta manière d’écrire ?

En réalité, la Collection Maxbrown a été mon premier véritable projet d’écriture rôlistique. J’ai commencé le JdR en 1991 avec Vampire la Mascarade, et c’est ce genre de jeu qui me fait toujours kiffer à titre personnel. En plus, je n’étais pas encore papa en 2009, j’avais champ libre.

C’est vrai qu’avec la naissance de ma fille, j’ai eu envie d’écrire des jeux pour qu’on joue ensemble. Ça a donné des créations sympas comme Songemer ou Sorcières & Sortilèges. Maintenant qu’elle a grandi, me revoilà donc à mes racines : un univers bien sombre et très mûr avec la thématique de la mort au centre du jeu.

Ma façon d’écrire ne change pas fondamentalement d’un projet à l’autre, car quand j’écris, j’ai une intention en tête, un public cible pour lequel j’ai envie de délivrer un message. Le ton que j’emploie et les concepts que j’aborde changent bien entendu, mais l’effort que je mets et la profondeur des concepts que j’explore reste la même.

Ça veut dire au final que je ne prends personne pour des imbéciles. Ni les enfants ni les adultes. Je ne suis pas professionnel dans le milieu de l’éducation, mais j’ai trouvé que bien souvent, la puissance de la réflexion est présente chez les enfants et c’est plutôt le manque de connaissance du monde et surtout la mauvaise maitrise de leurs propres émotions qui les rendent « immatures », ou en tout cas impropres à recevoir certains messages. Ça veut dire qu’on ne peut évidemment pas raconter n’importe quelle histoire à un enfant, il faut les préserver ; mais il ne faut pas non plus les prendre pour des idiots.

Bandeau La Collection Maxbrown

Par contre pour Maxbrown, je me suis mis beaucoup moins de barrières. C’est un jeu d’horreur psychologique ; la terreur qui saisit les gens au seuil de la mort est au centre du jeu et ce n’est pas un sujet facile malgré les apparences. Mais c’est un thème central dans la construction de notre société. Sans peur de la mort, il n’y a plus beaucoup d’artistes, de légendes ni de projets qui prétendent résonner dans l’éternité…

Et puis il y a tellement de tabous autour de ça. La mort on en rigole quand il s’agit de tuer des gobelins par milliers, mais quand on y pense, il y a quelque chose d’hyper violent dans la perte de soi dans le grand oubli. Il y a là matière à raconter plein d’histoires !

4. Il existe pas mal de jeux d’horreurs contemporains et il se raconte que la Collection Maxbrown contient des choses qui ont été écrites pour d’autres jeux. Pourquoi as-tu voulu créer ton jeu et t’embêter avec la rédaction d’un système ? Et d’ailleurs, c’est quoi ce système ?

En effet, ce projet a connu pas mal de variations. Tu as sans doute entendu parler de La collection Maxbrown comme un projet annexe à Within et c’est vrai ou tout du moins ça l’a été pendant une période. Après avoir joué la campagne avec un groupe d’ami de 2010 à 2015 et l’avoir mise par écrit, je l’ai proposé à l’éditeur et à l’auteur de Within. Ce dernier m’a énormément aidé avec des conseils critiques et des encouragements (merci encore, Benoit Attinost). Il a fallu faire un grand chantier, car le jeu n’était initialement pas prévu pour être intégré à un autre univers que le sien propre. Après quelques années de stagnation, il a fallu se rendre à l’évidence : le projet ne se ferait pas et si je voulais faire quelque chose de ma créature, il fallait que je lui donne naissance autrement. Après de nombreuses discussions, j’ai intégré la maison d’édition 2d Sans Faces pour porter ce projet et nous y voilà !

Au départ c’était juste une campagne. J’avais créé un système sympa, assez proche du Storyteller System de White Wolf, mais avec une composante d’attrition. Les personnages se fatiguaient en agissant, mais en gardant l’unité de base des succès comme monnaie narrative. À mi-chemin entre Vampire et Chtulhu Hack si tu préfères. Après avoir abandonné l’idée d’en faire un supplément pour Within, j’ai commencé à me ré intéresser à ce vieux système. J’ai décidé de garder le système de succès, de coupler le système d’attrition avec du deckbuilding et pour parachever le tout de faire de ces cartes des motifs évolutifs un peu comme les aspects dans FATE. Bref, c’est un truc très nouveau et original qu’on ne voit pas ailleurs, mais qui est assez simple une fois déroulé dans une partie. Je ne vais pas rentrer dans les explications pures et dures, car il existe 8 parties en actual play que j’ai eu la chance de faire au Studio 4D2 ici en Suisse et une partie introductive ou je rentre dans le détail des règles. Ça se trouve ici et je te conseille fortement d’aller voir : https://www.youtube.com/watch?v=rNZXi_RiCcQ&list=PL1eBuanUAvd7gJZFFnUjnvQBtG3srZRdY

5. Jusque-là, tu as bossé avec d’autres, pour ce que l’on comprend, La Collection c’est ton premier foulancement solo ? Tu le sens comment ?

Alors je ne suis pas tout à fait seul, car j’ai intégré la société coopérative 2d Sans Faces, mais je suis quand même un peu tout seul, car la structure de la maison d’édition fait que chacun s’occupe un peu de ses projets et laisse plus ou moins les autres faire les siens. Ce qui a le double avantage de me laisser une liberté créative totale et de me donner accès à des gens beaucoup plus expérimentés que moi.

Autant le dire clairement : l’édition c’est une expérience effrayante. Il faut penser à un milliard de détails. Heureusement le chemin est quand même assez bien balisé et si on ne fait pas trop de folies, on devrait s’en sortir tout à fait honorablement.

Je vais citer Stéphane « Alias » Gallay qui m’a dit une fois « la meilleure manière de se faire une petite fortune avec le jeu de rôle, c’est de commencer avec une grosse fortune ». J’ai ri. Jaune. Mais j’ai ri.

6. Ton site contient pas mal de ressources gratuites dans des genres très différents. Peux-tu nous parler de ton processus créatif ? Est-ce que tu es le genre de créateur qui va publier tout ce qui lui passe par la tête, quitte à offrir des brouillons ou des choses inachevées ou, au contraire, es-tu du genre perfectionniste ?

Oui en effet, avant de me lancer dans des projets éditoriaux, j’ai fait beaucoup d’expérimentations et de petits jeux dont je suis particulièrement fier, car ils osent des trucs que l’on ne voit pas ailleurs. Je pense par exemple à Via Fabula qui est un jeu de rôle qui se joue en randonnée. Ou encore à Smoking Blowers qui se joue autour d’une table de billard.

Je ne pense pas que l’on puisse me qualifier de perfectionniste. À un moment les projets il faut leur donner vie, on ne peut pas rester toute notre vie à sculpter un truc en espérant atteindre la perfection. Sinon on peut vite se mettre dans la situation du héros dans le « chef-d’œuvre inconnu » de Balzac. Il faut rester humble, on ne va pas révolutionner le monde à chaque invention de game design. Mais il faut être sérieux ; je ne suis pas perfectionniste, mais je ne diffuse rien tant que je ne suis pas fier du résultat. Ce n’est peut-être pas du 100% professionnel, mais c’est toujours des projets achevés.

7. On sait aussi que tu es un conteur professionnel. On imagine bien que ça doit nourrir ta pratique de MJ, mais est-ce que l’art du conte ça compte aussi quand on écrit des scénarios, voire des règles ?

J’ai pris des cours de contes avec Alix Noble Burnand, une thanatologue et conteuse de ma région. Une femme stupéfiante. Mon but était d’enrichir ma pratique de MJ et de réussir à dompter les silences dans un récit. Ce n’est pas évident, car on est tenté de parler tout le temps en tant que MJ. Je crois avoir fait quelques progrès, mais j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir.

Un oeil et un visage Collection Maxbrown

Le conte m’aide dans l’écriture en effet. Ce n’est pas tout, mais ça aide, car dans le conte, il y a des structures narratives bien ordonnées qui ont fait leurs preuves. C’est toujours plus facile de jouer avec les règles quand tu les connais par cœur.

Par contre pour le game design, non ça n’aide pas ou en tout cas, je n’ai pas trouvé comment.

8. As-tu d’autres projets, d’autres envies après la Collection Max Brown ?

Olala, c’est le drame de ma vie. J’ai trop de projets de jeux de rôle. Je n’aurais pas assez d’une vie pour tout faire !

S’il fallait établir des priorités, je voudrais mener à bien 2 projets avant tout :

  • Odysseus, une gigantesque campagne de science-fiction.
  • Orbis, un jeu de péplum science-fiction.

J’aimerais aussi bien retourner dans l’univers de Rouge Flamme et écrire un jeu de gestion de domaine qui soit compatible avec les règles de gestion de bataille…

9. Y-a-t-il d’autres créateurs de JdR qui t’inspirent ou avec qui tu aimerais travailler ? (c’est le moment d’en parler, il paraît que certains lisent Le Fix…).

C’est hyper cool comme question, je me suis creusé la tête un bon moment. Les gens avec qui j’ai envie de travailler dans l’avenir, ils le savent, car je les ai contactés : c’est Odonata dont j’aime beaucoup l’esprit. Pattern Recog, car je trouve que leurs livres sont des œuvres d’art. De Architecturart, car j’ai une véritable affection pour le personnage et son style de dessin. Et les XII singes, car ils représentent pour moi exactement ce qu’une maison d’édition doit être : des choix éditoriaux forts, des gammes suivies, de la place pour du classique, mais aussi pour des créations originales. Ceux que je n’ai pas encore contactés, c’est Agate, car j’en ai entendu beaucoup de bien dernièrement.

Et sinon mes créateurs « people » préférés, c’est FibreTigre, car il a un don pour émuler des choses impossibles (« Les deux tours » c’était fantastique). Clément Viktorovitch, car une partie avec lui ça doit être passionnant et Jean-Philipe Jaworski, car je rêve de l’aider à faire un jeu de rôle dans son univers du Vieux Royaume.

Ça fait beaucoup de name dropping, mais c’était une question super intéressante.

Merci encore de ton intérêt le Fix, j’espère qu’on aura l’occasion de parler de nouveau de La Collection Maxbrown prochainement. D’ici là, porte-toi bien !

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