Fabien Clavel & Samuel Metzener : l’heure d’Ecrÿme

Le jdr francophone prend de l’âge. De plus en plus de rééditions et autres reboots arrivent sur les étals de nos boutiques et, le plus souvent , sur les écrans des sites de crowdfunding. Le nouvel impétrant se nomme Ecryme. Ecryme 2. Cela vous dit quelque chose ? Non ? Rassurez-vous. D’abord, cela veut dire que vous êtes encore jeune. Ensuite, l’équipe derrière ce reboot se confie au Fix.

On a déjà entendu parler de vous récemment dans le Fix… Mais, pour nos lecteurs infidèles, pouvez-vous vous présenter ?

Nous sommes Alexandre Clavel et Samuel Metzener, les deux faces d’une association qui s’appelle Role ‘N’ Roll. Chacun de notre côté, nous avons commis quelques textes pour des jeux comme R.A.S., Plagues dK, Hellywood, SOAP… (des textes qu’on essaye désormais de réunir sur le blog http://rolenroll.blogspot.ch/) et plus récemment une campagne pour Tenebrae intitulée « Les testaments trahis ». La grande majorité de nos textes sont des scénarios car c’est à nos yeux la meilleure aide de jeu pour des JdR. En effet, même si vous ne les jouez pas, ils fournissent un contexte et aident à l’improvisation avec des scènes, des personnages ou des décors réutilisables (parfois même pour d’autres jeux).

Mais avouons-le, l’association a surtout été montée pour nous aider dans le développement d’un reboot d’Ecryme.

Donc, cette fois-ci, vous venez nous parler de votre projet Ecryme 2. Tous nos lecteurs ne sont pas des vieux : vous pouvez nous rappeler ce qu’était Ecryme ?

Ecryme était un jeu de rôle « low steampunk » de Mathieu Gaborit et Guillaume Vincent, sorti en 1994, avant Agone. Il dépeint un monde proche de notre XIXe siècle recouvert d’un liquide corrosif appelé l’écryme. Pour survivre, les humains se sont retranchés dans des mégapoles industrielles reliées entre elles par les traverses, de gigantesques ponts de pierre et de métal.

Quelques années après la parution du jeu de rôle, l’univers d’Ecryme a passablement évolué dans deux romans parus aux éditions Mnémos : Les rives d’Antipolie et Revolutsya réédités en un seul tome sous le titre de Bohème.

Ecryme était l’un des premiers jeux de rôle steampunk français. Il avait une sensibilité un peu différente du steampunk « à l’américaine », moins pulp et plus sombre. Les avancées techniques étaient légitimées par l’histoire du monde et il y avait d’autres classes sociales que la bourgeoisie. C’était un jeu où l’ambiance « Jules Vernienne » était fortement contrebalancée par une atmosphère mélancolique et légèrement onirique propre aux univers développé par Mathieu Gaborit.

Quel est le modèle éditorial de cette nouvelle version du jeu ? Vous avez un éditeur ? Vous allez passer par un crowdfunding ?

L’idée derrière ce projet n’est pas de faire une réédition ou une seconde édition mais plus un reboot comme c’est le cas par exemple pour Bloodlust Metal. Les romans Bohème comme les deux éditions d’Écryme ont de nombreux points communs même si on a passablement « réaménagé » l’univers. En fait, on triche un peu car la première édition s’appelait Ecryme, la geste des traverses, alors que cette nouvelle version s’intitulera Écryme (tout court, avec un accent).

Pour nous soutenir dans notre démarche, nous travaillons avec les éditions Matagot. Hicham nous a aidés à présenter l’univers de manière plus didactique et participe avec nous au développement graphique du jeu, en nous associant à deux illustrateurs de talent : Émile Denis et Rémi « Remton » Le Capon (un troisième pourrait se rajouter suivant les résultats de la souscription).

L’idée du Matagot est de partir sur un financement participatif pour améliorer le produit au maximum, voire d’en faire sa « carte de visite JdR ». Le jeu est écrit et à de très fortes chances de paraître, le financement servira surtout à ajouter des éléments de jeu (scénarios, nouvelles…) et visuels (illustrations, meilleurs couvertures…), afin de faire la plus belle et la plus aboutie des éditions possibles. On laisserait les goodies de côté.

Quelles seront les principales différences entre Ecryme et votre reboot ?

Elles sont multiples mais la plus importante à nos yeux porte le travail effectué sur ce que l’on joue, à quoi, comment et pourquoi. Il nous a semblé indispensable de présenter aux meneurs de jeu un texte où les enjeux étaient définis dès le départ, sans se contenter de livrer un univers que nous trouvons génial et dire : « Ben voilà, à vous de jouer ». Pour cela, on a découpé l’univers en quatre strates non exclusives qui permettent de découvrir une facette de l’univers. On peut voir les ambiances évoluer en fonction de sa table ou même rester à l’une de son choix. On a donc développé un monde de base, fait d’intrigues pour jouer des missions à la Shadowrun/Polaris. Puis, on a ajouté une dimension fantastique, sur plusieurs niveaux, pour jouer de simples humains découvrant les secrets de l’écryme (type Appel de Cthulhu) qui finissent par lutter contre le plus terrible des adversaires (type Agone). L’idée est vraiment d’accompagner les conteurs et les joueurs dans ce cheminement et de leur donner assez de billes pour les laisser faire leur propre cuisine. Chacun sera en mesure d’explorer un des « niveaux » du jeu à son rythme.

Nous avons également conçu un nouveau système de jeu, plus conforme aux standards actuels, qui fera la part belle aux émotions des personnages, jusque dans la description de leurs actions.

Dernier point essentiel, nous donnons dès le départ les tenants et aboutissants des secrets de l’univers. Ainsi, on a réservé un peu plus de 110 000 signes pour expliquer les secrets, les niveaux de jeu et la manière de les mettre en scène. L’expérience acquise en suivant le développement d’autres jeux nous a incités à donner toutes les clés de l’univers tel que nous comptons le développer. Nous préférons au maximum éviter de passer sur les forums pour expliquer que telle ou telle question sera résolue dans un supplément à venir…

Selon vous, pourquoi Ecryme 1 n’a-t-il pas connu plus qu’un succès d’estime à l’époque ?

Les critiques de la première édition sur le GROG sont unanimes sur la qualité et l’originalité de l’univers. Après, l’esthétique du livre de base (maquette très aérée, illustrations souvent inégales…) et le suivi clairsemé de la gamme n’ont pas permis de fédérer une grande communauté de fans. Mathieu Gaborit l’explique aussi par le thème steampunk, peu à la mode au moment du jeu, ainsi que par des thématiques pas assez explicites.

Même en tant que fan, on est obligé d’admettre que le background était décrit de manière succincte, en environ 40 000 signes (plus petit qu’un grand écran Casus Belli ancienne formule), sous forme de nouvelles (et donc passablement dilué). À titre d’exemple, la première édition ne donnait la couleur de l’écryme que sur la couverture. Elle contenait de nombreuses incohérences dans ses textes, ses suppléments et avec les romans… Nous avons vraiment travaillé pour apporter plus de cohérence au tout et de privilégier le jeu (comment on joue), même si parfois cela se faisait au détriment de l’univers (dans quoi on joue).

Quels sont vos rapports avec M. Gaborit ? Va-t-il participer à cette nouvelle édition d’une façon ou d’une autre ?

Difficile de faire court pour répondre à cette question. Fans de l’imaginaire qu’il développe sur différents médias (dont les deux principaux sont les romans et le jdr), nous avons, en le côtoyant, appris à admirer ses qualités humaines. S’il suit notre travail d’un œil bienveillant (il a été très enthousiaste à la lecture du manuscrit), il ne participera toutefois que très peu à cette édition. Son apport se limite essentiellement à trois points.

Par ses conseils, ses questions, ses retours enthousiastes sur certains points, il nous a vraiment permis de développer certains concepts forts de cette nouvelle édition.

Certains de ses textes ont été profondément retravaillés et réintroduits dans notre reboot (en particulier les scénarios et les nouvelles qui se retrouveront dans les paliers de souscriptions).

Enfin, il nous a vraiment encouragé à nous réapproprier Ecryme pour en faire un autre univers, à faire « du Gaborit sans Gaborit », voire carrément autre chose.

Faut-il avoir lu les romans pour jouer ?

Non, pas du tout. Le jeu de rôle se suffit à lui-même et fournit toutes les explications pour jouer. Pour les meneurs, ça reste évidemment une aide de jeu idéale et un roman de grande qualité. Pour les joueurs, l’histoire dévoile quelques secrets, mais les plonge dans l’ambiance si particulière de l’univers.

Pour éviter les « spoilers », tous les secrets dévoilés dans les romans seront fournis aux conteurs. Via le financement participatif, on proposera aussi de développer une campagne permettant aux joueurs de les découvrir.

Où en est le projet là à l’instant T ?

Le livre de base est écrit. Il est composé de trois parties : un livre univers, un livret de règles et un livre contenant les secrets et des ressources pour jouer. Il manque encore un scénario que nous sommes en train de terminer. Il s’agit d’une aventure très ambitieuse.

La souscription devrait contenir également une dizaine de scénarios en palier. Nous en avons fini, relu et corrigé six sur dix qui sont inédits. Il reste encore à relire et à lisser quatre scénarios de la première édition, que nous avons retravaillés en profondeur.

Quant à l’écran, il figurera également dans la souscription. Nous avons encore un scénario et une aide de jeu à compléter.

L’objectif idéal est d’avoir achevé tous les textes à la fin de la souscription.

En parallèle, nous avançons sur les premières illustrations et les essais de mise en page.

Avez-vous déjà planifié du suivi pour le jeu ?

Si l’objectif avoué est de faire un jeu qui se satisfait à lui-même, nous espérons son succès et travaillons déjà à la suite… Le plus difficile pour nous étant de ne pas nous disperser. Dans un premier temps, nous envisageons deux gros suppléments. Le premier servirait d’Atlas et décrirait le monde avec luxe de détails et d’idées d’aventures. Destiné aux conteurs, le second leur donnerait des pistes et du matériel pour utiliser concrètement les secrets.

On voudrait enfin développer certaines thématiques, via des suppléments plus courts. Mais à chaque fois qu’on travaille dessus, on a mauvaise conscience. En effet, pour l’instant, on tente vraiment de rester concentré sur la souscription et ses bonus, et uniquement sur eux.