Y a plus de papier ! #3 : LETO

Des fois, vous oubliez ça : nous sommes des garçons sérieux chez le Fix. Si. Et notre petit cœur de rôliste ne reste pas insensible devant le drame qui se joue sous nos yeux d’observateurs privilégiés : la crise mondiale des matières premières. A côté de celles qui nous affectent au quotidien (céréales, pétrole, gaz…) – dont nous n’oublions pas l’importance, en particulier pour les plus modestes d’entre nous – on compte aussi de graves pénuries de papier et de carton (d’après les spécialistes, le coût de la pâte à papier a augmenté d’environ 60 % entre l’été 2020 et l’été 2021). Oui, l’essence même de nos précieux livres de JdR, de nos boîtes de découverte, de nos decks de cartes et de nos fidèles écrans du MJ…

Pour tenter de trouver des réponses aux questions qui se bousculent dans notre tête dans ce contexte économique troublé, nous avons logiquement solliciter les acteurs de première ligne : les éditeurs. Quelques-uns ont accepté de répondre à notre sollicitation. Les Éditions du Troisième Œil (LETO) est l’un d’eux et c’est donc le troisième acteur dont nous vous proposons les explications (par la voix du toujours bon client Laurent Rambour merci à lui ! ).

1. Estimez-vous que la crise mondiale du papier et du carton impacte en effet votre planning prévisionnel d’une façon ou d’une autre ?

Pour l’instant le planning LETO n’est pas vraiment impacté par cette crise-là, il a déjà suffisamment morflé, il faut le laisser tranquille maintenant, circulez.

La crise du papier, pour LETO, c’est une menace fantôme que l’on surveille, mais qui n’a pas encore pointé le bout de son nez. Si elle montre les dents, on y fera face, comme d’habitude… LETO ne travaille pas avec la Chine qui, apparemment, subit de plein fouet cette crise (sauf pour les cartes, mais comme c’est un prestataire situé aux Pays-Bas qui a sa propre usine en Chine, il conserve le contrôle, donc tout se passe bien sur ce point). Pour les livres et les écrans, LETO confie ses impressions à des prestataires en Bulgarie ou en France. Les prix sont peut-être plus maîtrisés parce que l’on a vécu sur des stocks, je ne maîtrise pas ces données, mais ce qui est certain c’est que les prix n’ont pas « flambé ». Il faut aussi comparer ce qui est comparable : on ne fait pas des tirages de 10 000 exemplaires, les répercussions sont donc indubitablement moindres.

2. Bon, rassurez-nous : vous n’avez jamais eu l’idée d’utiliser cette crise comme prétexte pour dissimuler d’autres retards de production, petits canaillous, hmmmm ?

Non, mais c’est sûrement un tort en y réfléchissant bien, et maintenant que tu as soumis l’idée…

LETO a eu bien d’autres soucis karmiques à gérer, comme je viens de l’expliquer. Nous travaillons et investissons désormais beaucoup en amont pour préparer les jeux (traductions, relectures…), ce qui permet de réduire drastiquement les délais entre les précommandes et la livraison, et donc les imprévus, et donc les retards. Casser la spirale infernale des retards et juguler leurs causes est notre principale préoccupation. LETO n’a jamais eu de problème de délais avec les imprimeurs. Une fois les fichiers livrés et les détails techniques corrigés avec lui (prépresse), on est généralement livré trois semaines après. Donc accuser l’imprimeur serait assez grossier. LETO collabore avec le même imprimeur depuis 2016, sa représentante est une alliée solide et cruciale sur biens des points et elle me tient informé.

3. Allez, ne nous épargnez plus, on a besoin de savoir : est-ce que nous allons devoir payer plus chers nos produits de JdR à l’avenir ?

C’est tentant, mais non puisque nous ne subissons pas ou très peu les effets de la crise du papier. Du moins pour l’instant. Si cela venait à être le cas, nous diminuerions alors l’investissement dans les illustrations originales pour équilibrer les coûts, ou nous éviterions de développer des systèmes avec des cartes ou des dés bizarres. Les clients lisent plus qu’ils ne jouent, donc je crois qu’il faut essayer de se positionner sur les prix qui se pratiquent généralement sur la BD (techniquement, c’est ce qui s’apparente le plus à un livre de JdR, excepté pour le volume des tirages évidemment). D’ailleurs j’étudie d’autres formules plus économiques et légères que nos productions actuelles. Jérôme m’opposera sans doute un tas d’arguments, c’est un esthète et moi une vermine capitaliste.

 

4. Les foulancements complexes qui génèrent des produits très divers comme des livres bien sûr mais aussi des cartes à jouer, écran du MJ, posters, etc. qui utilisent donc toutes sortes de papiers et de cartons différents ne sont-ils pas une des clefs du problème ?

Il ne me semble pas. J’ai développé plus haut pourquoi. Cela joue sur la complexité du développement (et donc sa durée) si les cartes ont un rôle important dans le gameplay (comme dans Kabbale ou Everway – le second ayant inspiré le premier), mais factuellement, je ne perçois pas de lien direct et si flagrant avec la fabrication. Peut-être que certains exagèrent sciemment l’importance de cette crise, peut-être n’en ai-je tout simplement pas conscience. C’est plus la multiplication des goodies inutiles qui plombent un financement participatif : certains clients en veulent pour pledger, l’éditeur craque et augmente ses coûts de production sur des produits à la fabrication pas toujours maîtrisée et à la rentabilité douteuse (« vas-y, encaisse, on se démerdera après ! »), et forcément, ça finit mal. Je pense (par expérience) qu’il est plus sain de revenir à une forme de sobriété et d’efficacité. Un JdR, n’est pas un Kinder surprise.

5. Et le principe même du foulancement ? Est-il encore viable dans un contexte de flou sur les prix des matières premières puisqu’il consiste à fixer le prix d’un produit des mois avant de l’imprimer sur papier ou de l’emballer dans du carton ?

Je pense que c’est toujours possible s’il n’y a pas 3 ans de délai entre l’encaissement et la livraison (je sais de quoi je parle). Mais crise du papier ou pas, le principe même du foulancement est truffé de pièges. Payer des charges et des frais de fonctionnement sans publier de produits coûte bien plus cher qu’une hausse du papier (ce n’est pas du pétrole non plus…). Malheureusement, le foulancement restera la seule réponse pour les éditeurs modestes tant que les banques ne feront pas leur travail ou tant que ceux-ci n’auront pas un fond de roulement (ou capital) suffisant pour s’en passer. LETO cherche clairement à s’affranchir de cette pratique, notamment en repensant sa façon de faire, mais il fallait bien expérimenter et essuyer quelques plâtres pour comprendre et ajuster le tir.

6. Est-ce que, quelques mois après les confinements, tout ceci vous incite également à développer votre offre dématérialisée ?

Oui et non. Le dématérialisé représente une très faible part du CA, même si celle-ci tend à augmenter ces derniers temps. C’est plus l’envie de répondre au besoin des joueurs qui pratiquent désormais online qui motive le développement du démat’. La majorité des clients restent toutefois attachée au bois mort.

7. Bon, en tant que rédacteur du fameux planning des sorties du Fix, j’ai besoin d’un coup de main : concrètement, qu’est-ce que vous êtes sûrs de pouvoir livrer sur papier dans les prochaines semaines ?

Dans les prochaines semaines ? Valérian et Against the Darkmaster (s’il atteint au moins 100%), puis Flash Gordon (qui est finalisé). Pour le reste, vous verrez bien. Ce qui est sûr, c’est qu’après la traversée du désert Covid, il y a embouteillage sur les bouclages et que l’on a de quoi publier régulièrement jusqu’en 2023.

On reçoit beaucoup de soumissions de projets en ce moment, mais nous ne signons plus de créations francophones. Il y a un projet en discussion très avancée avec la Warner France, mais ce ne sera pas avant fin 2022.

 

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