Les palimpsestes du Scriptarium

A l’heure où de gros foulancements regroupent des millions de signes à publier entre deux épaisses couches de carton glacé, il existe encore de petits artisans, que dis-je, de vénérables scribes qui, le dos cassé sur leur manuscrit, fignolent à la plume d’oie des jeux sinon confidentiels en tout cas moins exposés à la lumière. Voyons donc ce que nous préparent les gens du Scriptarium.

1. En 2017, vous allez plancher sur un cas d’école : proposer une nouvelle édition de Rêve de Dragon, sans changer une virgule à la précédente. Wahou. En fait, vous êtes des haut-rêvants, c’est ça ?

Bien sûr que nous sommes des haut-rêvants ! Tu en doutais ? On s’est même pris une sacrée enfilade de queues de Dragon pour avoir envie de se lancer dans cette aventure…

Pour être plus sérieux, en fait, disons qu’on parle d’édition « augmentée ». Les règles ne changeront pas d’une virgule, c’est un fait, comme nous l’avons toujours annoncé ; Denis Gerfaud ne souhaite pas revenir sur son système. Mais nous allons ajouter des choses. Primo, on ressort un écran. Deuxio, sans doute des aides de jeu pratiques : rappels de règles détachables, table des Terres médianes du rêve plus lisible et pratique, sans doute des cartes de sort type tarot. Les règles se présenteront sous la forme d’un gros bouquin. Il y aura une nouvelle maquette, qu’on s’efforce avec Pierre Lejoyeux de rendre plus claire et plus pratique que la version Multisim. Et, surtout, la grosse nouveauté, c’est un recueil de scénarios, rassemblés pour la première fois. Il s’agit de scénarios écrits par Denis Gerfaud depuis le début du jeu, qui sont parus dans des mags comme Casus, Dragon Radieux, etc. et qui sont pour la première fois rassemblés. Il y a eu du travail dessus, notamment de Denis ; quelques-unes de ces reliques ont été écrites pour la V1 des règles, et tous ces scénarios ont été adaptés à la V2. Tous les plans sont en train d’être refaits par Jidus. Et Rolland planche sur des illustrations inédites. Il y aura au bas mot une vingtaine de scénarios, voire plus, selon le succès de la souscription, bref, des centaines d’heures de jeu.

L’intérêt de la souscription, c’est aussi de pouvoir proposer quelque chose de chouette si on arrive au seuil de financement : à savoir 2 gros bouquins tout en couleurs, couv rigide, dans un coffret. On croise les doigts (et on monte en Rêve).

2. Bon, moi, mon exemplaire de RDD époque Multisim, il est enfermé dans un caisson étanche donc je n’ai pas besoin de racheter le livre de base. Vous avez aussi de l’inédit ou pas ?

Comme dit précédemment, des scénarios à gogo, tous adaptés à la V2, avec une ligne graphique cohérente. Alors, bien sûr, on va nous dire qu’il n’y a pas d’inédit (Denis, ne jouant plus, n’écrit plus de scénar) et les fans hardcore de Rêve de Dragon les auront sans doute joués, si ce sont des collectionneurs méticuleux. Mais on rappelle que l’objectif, c’est d’attirer de nouveaux joueurs à Rêve, et là, ils auront du matos à se mettre sous la dent, et présenté joliment. Après, nous pensons aussi à l’avenir : de nouvelles campagnes verront sans doute le jour, écrites par Jidus, auteur de A la claire fontaine, et peut-être d’autres auteurs. Puis il ne faut pas oublier notre série de livres-jeux. Le Bal au pont a très bien marché, à tel point que nous venons de faire une réédition. Une suite est en cours d’écriture…

3. Vous avez confirmé avec un petit teaser web que cette nouvelle édition verrait le jour courant 2017. Où en est-on, au juste ?

La chose est sur sa rampe de lancement, on serre les derniers boulons du moteur. Mais c’est un diesel, c’est un peu long à mettre en route. Rappelons que Scriptarium est une maison d’édition associative, nous sommes des quasi-bénévoles qui travaillons sur nos gammes en plus de nos vrais tafs. La nuit, en gros… Disons qu’on essaie d’avancer un maximum le projet avant de lancer la souscription. Mais cette dernière ne devrait pas tarder à arriver. En avril, si tout va bien…

4. La gamme Défis Fantastiques (avec par exemple deux aventures dont vous êtes le héros à la fin du supp’ Créatures de Titan), un livre dont vous êtes le héros pour Rêve de Dragon… vous savez que le LDVELH, c’est passé de mode depuis la fin des années 80 ou bien ?

Et bien pas tant que ça ! En toute honnêteté, même si nous sommes, chez Scriptarium, de vieux fans de livres-jeux ET de JdR, nous avons cru aussi que c’en était fini des livres à choix multiples, souvent vus comme une première étape simpliste vers le JdR. Pourtant, on constate une relance depuis plusieurs années. De nombreux éditeurs publiant des livres-jeux sont apparus, certains éditeurs historiques relancent leurs gammes (notamment Gallimard Jeunesse, avec qui nous travaillons étroitement et publie notamment le nouveau Loup Solitaire en mai, mais Hachette fait un carton aussi avec sa série C’est TOI le héros déclinée sur plusieurs licences comme Star Wars, Fort Boyard, etc.). Et énormément de choses sortent sous format numérique, de la simple adaptation sur écran de livres-jeux à de nouveaux produits multimédia (avec son, animations…), mais toujours sur le concept d’aventure solo à lire. Ceci dit, rien de tel qu’un bon vieux livre, c’est à notre sens plus plaisant pour découvrir une histoire. Et un univers, comme pour la série Les pérégrinations d’un voyageur onirique en cours de développement pour Rêve de Dragon.

Nous travaillons aussi sur une réédition augmentée d’une série de LDVELH, avec l’auteur et l’illustrateur. Peut-être ne vendrons-nous pas des quantités astronomiques de ces ouvrages (bien que Le Bal au Pont ait rencontré un franc succès), mais ce n’est pas notre objectif premier, la passion et l’hommage restent nos principaux moteurs.

5. Défis fantastiques, c’est pas tout jeune et c’est du medfan très classique. Pourquoi devrait-on s’intéresser à cette gamme plutôt qu’à Pathfinder ou D&D5 ?

Si on doit comparer avec ces deux jeux, et bien c’est avant tout une différence de type de système. DF-Jdr est un système héroïque, beaucoup plus simple à prendre en mains et pratiquer. Trop au goût des simulationnistes d’ailleurs, ou même aux rôlistes qui aiment bien s’appuyer sur un corpus de règles détaillées. DF-Jdr, c’est grosso-modo la synthèse des systèmes ultra-simples des LDVELH (séries Défis Fantastiques et Sorcellerie), basés sur les caractéristiques Habileté, Endurance, Chance et Magie (et une liste de sorts simples, efficaces ou amusants), agrémentée d’un minimum de variété dans la personnalisation des personnages (compétences, talents, types de magie, pouvoirs de prêtres…) et la jouabilité (armes et armures différenciées, etc.). Et pour ceux qui veulent aller un peu plus loin, Scriptarium a développé un certain nombre de règles additionnelles et complémentaires, pour certaines issues de certains DF (comme la règle de la Peur), destinées à pimenter le jeu pour ceux qui aiment à s’adosser à des règles pour cela. Mais ce n’est pas indispensable, le maître-mot étant le roleplay.

L’univers médfan lui-même est suffisamment lâche dans sa trame pour laisser beaucoup de latitude aux MJ et aux joueurs, ce qui attire aussi des joueurs qui pourraient se sentir trop contraints, cadrés, dans d’autres univers. Le cadre existe, on ne peut pas faire tout et n’importe quoi non plus sur Titan, mais il existe suffisamment de régions peu connues, inexplorées ou peu peuplées pour laisser libre cours à son imagination, tout en pouvant se servir des éléments de background existants pour enrichir le jeu et l’inscrire pleinement dans le “cours de l’Histoire du monde”.

Certaines références, oui, sont sans doute un peu datées, le choix des illustrations elles-mêmes sont un clin d’œil assumé à la fantasy des années 80, mais c’est aussi cela qui peut faire le charme du jeu : une certaine légèreté, naïveté parfois même et beaucoup d’héroïsme !

6. Du coup, vous avez d’autres projets pour Défis Fantastiques ou bien vous laissez le temps aux joueurs de latter les 260 streums de Créatures de Titan ?

Non, ils vont souffrir : la cadence de sortie va même s’accélérer, nous avons eu du renfort de qualité bienvenu dans l’équipe.

Sont annoncés de façon certaine :

  • un nouvel écran (le premier étant épuisé depuis longtemps), avec nouveaux dessins recto et verso, nouvelles tables et nouveau (long) scénario prenant place aux confins de la civilisée Gallantaria, superbement illustré par Koa. Le premier reste utilisable, donc ce n’est pas du pousse-à-l’achat, mais ceux qui le possèdent déjà ne seront pas déçus !
  • une campagne complète, Maudit Trésor, reprenant le scénario du 1er écran dans une version améliorée, et incluant un second scénario, qui le complète.
  • un supplément de contexte, comprenant des mini-scénarios, sur l’Ancien Monde, l’un des trois continents principaux de Titan, siège notamment de la série Sorcellerie et des livres de Jonathan Green, le principal développeur de l’univers avec Steve Jackson et Ian Livingstone ;
  • le Compagnon des Héros, un petit supplément de règles.

Et je ne mentionne pas les autres projets qui avancent dans l’ombre, car il n’en manque pas !

7. J’ai aussi vu que vous faisiez les sous-traitants pour BBE dans la prochaine VF de L’œil Noir. C’est quoi l’histoire ?

L’œil noir c’est un JdR qui s’est toujours caractérisé par son offre abondante en scénarios de groupe et en solitaire, qui a d’ailleurs constitué pour beaucoup de lecteurs de LDVELH un formidable outil de découverte du JdR, et ce n’est donc pas un hasard si Scriptarium, qui tâche de faire le pont entre ces deux types de jeu, s’y est intéressé.

Nous lorgnions depuis plusieurs années sur la licence, certains d’entre nous étant de vieux fans de l’Oeil noir, pour certains membres de la dynamique communauté francophone qui faisait vivre le jeu sur le web dans les années 2000 autour du site aventurie.com, alors que plus rien n’était édité depuis près de dix ans déjà de ce côté du Rhin. Nous avons même déposé une offre de services à l’éditeur allemand Ulisses Spiele, rassemblant des pointures de la communauté, puis sommes allés les rencontrer à Essen, et ils ont été séduits par notre connaissance de la gamme, de l’univers, notre passion à maintenir la flamme et notre motivation. Moins par le poids commercial et la dimension non entrepreneuriale de notre structure associative, sachant que nous ne pesions pas lourd au moment des négociations. En conséquence, ils ont préféré accepter l’offre de BBE, un éditeur de taille, reconnu, susceptible de porter haut et loin la renaissance de la gamme sur le marché du JdR en français, mais en leur suggérant fortement de s’associer à notre équipe.

Et comme Black Book a tout de suite joué le jeu, nous sommes devenus leur équipe de traduction et d’expertise. L’avantage est de nous décharger du travail de maquettage et du gros du travail de communication (la souscription notamment, conçue et conduite du début à la fin par BBE), sachant que nous ne pouvons néanmoins pas nous empêcher de faire aussi un peu de com’, sur leur forum en particulier, et en conventions, où nous animons des démos. BBE a travaillé aussi sur une réduction des règles pour la version d’initiation (exclusive à la souscription), et puis ne pas gérer tout le volet commercialisation et distribution n’est pas un mal pour nous, ça nous permet de nous centrer sur le cœur du projet, la partie la plus intéressante (même si nous proposerons aussi à la vente un peu de matériel).

8. Du coup, on peut avoir des infos fraîches de l’intérieur même du projet : ça en est où ?

Ça avance, lentement mais sûrement. BBE est mobilisé sur beaucoup d’autres gammes et peu disponible pour l’Oeil noir mais ils ont fait des efforts récents de réorganisation interne. Quant à nous, nous avons beau travailler pour un gros éditeur soumis à la réalité économique, nous conservons notre approche associative, pour le meilleur et pour le pire. La rigueur dans le respect des sources et l’expression écrite qui caractérise nos autres projets est ici aussi à l’oeuvre, gage de qualité du produit final : travail très fin en groupe de traduction des termes propres au jeu (près de 3000 entrées “conventionnées” à ce jour), de multiples relectures… Mais la contrepartie de ceci, c’est évidemment le temps que cela prend et notre mobilisation est variable, comme dans toute association : des gens disparaissent parfois pendant plusieurs mois et ça ralentit forcément le processus.

Le gros morceau, c’est le livre de règles, un pavé de 660 pages brutes (qui, avec les illustrations et le maquettage, devrait en faire encore plus). Et comme c’est le bouquin le plus important, car celui destiné à resservir pendant des années, nous avons tenu à y passer le temps nécessaire pour être vraiment sûrs qu’il tienne la route, soit agréable à lire et clair (dans un contexte où, par rapport à la v1, nous avons affaire à un système plus complexe). Notre quête nous amène à intégrer les errata successifs de la vo, d’en discuter avec Ulisses et nous a même permis de débusquer un grand nombre de petites coquilles et erreurs issues de la vo, que nous leur avons faites remonter ! Ce travail devrait être terminé bientôt et il est pour moitié maquetté par BBE, donc il semble jouable d’envisager qu’il soit prêt au printemps.

Maintenant, il reste 6 scénarios derrière (4 de groupe et 2 solo), traduits depuis des mois mais à finir de relire, l’écran et le supplément sur les tavernes aussi, ainsi que les cartes géographiques (les autres goodies, c’est BBE qui s’occupera de préparer ça). Compte tenu de l’avancement, tout cela, même cumulé, ne devrait pas demander plus de travail que le livre des règles.

Enfin, nous travaillons en parallèle sur le bestiaire (traduit et dont le gros des relectures reste à faire), qui sera livré séparément aux souscripteurs.