Une interview de chair et de sang

Prêt à tous les sacrifices pour vous offrir du contenu de qualité, nous n’avons pas hésité à envoyer notre meilleur stagiaire dans les sous bois sombre de la foret de Sherwood. Sa mission, trouver le brigand qui se fait appeler James Tornade et , si possible, en apprendre plus sur ses plans ludiques. 

– Avant de commencer à rentrer dans le vif du sujet, peux-tu te présenter ?

Bonjour je m’appelle James Tornade, j’aime le sucre et la bagarre.
J’ai commencé le JDR dans les années 90 : j’étais un enfant. Un tout petit enfant. J’ai joué un cocher à Warhammer qui est mort dès la première scène d’action. Je suis parti me cacher et pleurer dans ma chambre. Depuis je me suis toujours dit que j’avais une revanche à prendre sur le JDR.
Beaucoup plus tard, j’ai fait des études inintéressantes de droit, et enchaîné des jobs déprimants et/ou sous-payés, mais parallèlement, je noircissais des tonnes de carnets avec des systèmes de jeu, des dessins, des cartes, des univers… Et puis un jour, je me suis dit que je pouvais vivre de ma plume (j’étais jeune et fou, c’était l’année 2015). Aujourd’hui j’écris pour un site internet et j’autoédite mes jeux de rôle. Je suis toujours sous-payé, mais je ne porte pas de cravate.

– On sent que Brigandyne correspond à ta manière de jouer. Comment passe-t-on d’un système maison à une gamme complète auto-éditée ?

C’est vraiment l’envie de partager ses créations, ses idées, et le fait de se dire « Allez moi aussi je peux le faire ».

– Pourquoi ne pas être passé par une souscription ?

Pour deux raisons : la première c’est que quand on est un total inconnu dans le milieu et qu’on sort son premier jeu, la souscription peut se planter méchamment. Mais surtout, une souscription est vraiment très engageante pour l’éditeur/l’auteur. On promet monts et merveilles, des gens vous font confiance, soutiennent financièrement votre projet, commencent à se faire des idées sur le jeu qui pourront s’avérer fausses à la réception du produit des mois plus tard… Il faut vraiment être à la hauteur de leurs espérances. Si on les déçoit, il y a de bonnes chances qu’ils ne vous fassent plus confiance à l’avenir. J’ai préféré proposer mon jeu sans rien promettre d’avance.

– Rapidement, Brigandyne a eu son petit succès critique au point de bénéficier de nombreuses adaptations. Apparemment, ta façon de jouer convient à beaucoup de monde. Tu t’attendais à un tel engouement ? Cela correspond toujours à ta vision du jeu ?

Ça a été une très, très bonne surprise et je ne m’y attendais pas. Mais je savais qu’il y avait un vrai manque dans les systèmes de jeu actuels, que Brigandyne pouvait venir combler : celui des systèmes gritty, durs, aux combats très rapides. Honnêtement, il n’y a que dans le jeu de rôle où les combats durent si longtemps. Dans les films, les séries, les jeux vidéo, les jeux de société, les combats durent quelques coups au maximum (sauf si c’est vraiment le thème du truc : films d’arts martiaux, jeux vidéo de combat etc.). Alors pourquoi les auteurs de jeu de rôle continuent à pondre des règles où les bagarres durent vingt, trente, quarante-cinq minutes ?
J’ai bossé longtemps sur Brigandyne, de façon à ce que le système soit meurtrier, rapide, mais pas simpliste, et que ça puisse plaire aussi aux joueurs qui aiment « le crunch » comme on dit. Et quelques personnes lui ont donné sa chance, d’autres se sont laissées convaincre, et c’est comme ça que ça a commencé. J’en profite pour dire un grand merci aux premiers acheteurs, ceux qui se sont dit « Pourquoi pas ? » et qui ont donné leur avis sur le jeu. Ce sont eux qui lancent la machine.
Ensuite, plein de gens y ont joué, ont posté leur ressenti, ont émis des propositions, certains ont même proposé des adaptations. Aujourd’hui, le système est adapté à plein d’univers : NightProwler, Shade, Le Royaume des Légendes, Bloodlust, Sable Rouge, Légendes des Contrées Oubliées, Mantoïd… Je lis chaque avis, chaque proposition, et c’est grâce à la communauté que j’ai pu avancer et bosser sur les nouvelles règles du Compagnon par exemple.

– Question people : nan mais vraiment, James Tornade, c’est ton vrai nom ?

J’aurais bien aimé ! Mon vrai nom est difficile à prononcer (les Balkans tout ça…). Alors, un peu comme un catcheur à qui on trouve un bon pseudo et un costume moulant, il me fallait un bon nom. J’ai beaucoup hésité avec Max Puissant, Mike Champion, ou Jimmy Double Punch (celui-ci je le garde pour un PNJ qui portera un marcel ce genre de trucs).

Ne vous fiez pas à son sourire sympatique. Cet homme fait souffrir des PJ.

– Dans le livre de règles, tu dis « Ne vous reposez pas sur les joueurs. C’est à vous [MJ] de faire tout le travail ». Tu te rends compte que tu vas contre l’air du temps et la mouvance « propulsé par l’apocalypse ». Tu ne serais pas un peut Dissident ? Pourquoi cette approche ?

Je suis de la vieille école : celle où le MJ se tape tout le boulot ! Et qui prépare longtemps ses aventures. J’ai vraiment pas envie qu’après la partie mes joueurs se disent « Waaa il s’est pas foulé… » ou « Ça se voyait qu’il était en totale impro, et c’était bien pourri »…
Pour avoir joué à des jeux « PbtA », je pense que là aussi, le MJ doit quasiment tout faire. Il achète le jeu, le lit, apprend les règles, ses moves de MJ, les moves des PJ, va se renseigner sur les forums pour voir s’il a tout bien compris… Et doit ensuite tout expliquer clairement à ses joueurs. Il supervise la création du background, et quand la partie commence, il doit sans cesse rebondir en improvisant (bien), pour proposer aux joueurs une suite crédible à leurs actions. Il ne faut pas que son univers fasse « carton-pâte », ce qui est toujours le risque avec les univers créés une demi-heure avant de jouer. Il interprète bien sûr tous les PNJ, gère la musique… Rien que de le dire, ça me fatigue déjà.
Quel que soit le jeu, MJ est un sale boulot ingrat, mais on ne peut pas être « maître du monde » pendant quatre heures sans contrepartie !

– Sauf erreur de ma part, je n’ai pas vu Brigandyne sur les divers salons de France et de Navarre. Cela n’a pas desservit l’accueil du jeu, mais est-ce quelque chose qui va changer ? As-tu l’intention de faire jouer et de mettre encore plus en avant ton jeu dans les conventions ?

C’est vrai, je n’ai pas encore présenté mon jeu en convention, mais c’est pour bientôt ! Problème : il paraît que maîtriser en convention c’est affreux : il y a du bruit, et plein de personnes qu’on ne connaît pas (qu’on appelle « les autres gens »). Donc ça me fait peur d’un côté.

– Y’a-t-il une suite prévue pour Brigandyne ? Une nouvelle campagne ?

Oui ! J’aimerais vraiment sortir un univers dédié. Oui, il existe déjà des milliers d’univers de fantasy. Mais les univers med-fan, c’est comme les disques de rock : il y a de la place pour tout le monde. Ce n’est pas parce qu’il y a déjà les Doors, Led Zep ou les Beatles, que ça empêche la sortie de plein de très bons albums tous les mois.
Et je réfléchis actuellement à une nouvelle campagne. A ce propos, les campagnes de Brigandyne seront toujours rédigées dans un axe bien précis pour éviter les équipes disparates et peu crédibles. A Rêves de Gloire par exemple, toute l’équipe des PJ doit être composée de petites frappes, de teignes de la rue, de crève-la-faim. Ça vous soude tout de suite une équipe.

– Et entre nous, tu joues toujours à Warhammer ?

J’ai été joueur il y a trois semaines sur Le Duché des Damnés (un très bon cru !). On l’avait quand même mixé avec des trucs de Brigandyne, parce que les rounds où tout le monde passe son temps à taper dans le vide et les demi-actions, on n’a plus le temps !

– Tu viens d’annoncer récemment ton nouveau jeu : Sherwood. Peux-tu nous en dire plus ? Est-ce une gamme naissante ou un jeu stand alone ?

Sherwood revisite le thème de Robin des Bois. On y joue des hors-la-loi, des gens qui n’ont plus rien à perdre. Face aux lois iniques et à la cruauté de l’occupant, ils ont décidé d’aller vivre dans la forêt comme des parias, et devenir bandit pour rendre la justice eux-mêmes. Mais parallèlement, des créatures étranges font leur apparition dans la forêt de Sherwood. Les bandits seront donc pris entre deux feux : les Normands d’un côté, les monstres de l’autre. Brigandage, affrontements, chasse, évasion, sauvetage, survie, vengeance, des tas de scénars sont possibles…
L’univers a cet avantage qu’il est connu de tous. Il a peu été utilisé en JDR, alors que tout est là pour des aventures palpitantes. Les héros sont du bon côté, les méchants sont cruels et injustes, et les grands PNJ sont reconnaissables dès qu’on prononce leur nom le mystérieux Robin, le colosse Petit Jean, l’intrépide Lady Marianne, le cruel Sheriff de Nottingham, l’infâme Guy de Gisbourne… Le MJ n’aura pas besoin de faire un long exposé d’une heure avant la partie pour commencer à jouer. D’ailleurs le jeu a vraiment été écrit pour prendre le lecteur par la main, qu’il soit débutant ou non.

– Le jeu aura son système dédié ? Si oui, pourquoi ?

Oui j’ai bien bossé sur ces nouvelles règles et voilà mon sombre secret : je suis passionné par les systèmes de jeu, les probas, l’équilibrage des règles. C’est maladif. Et c’est ce qui m’amuse le plus dans la création, ce que j’écris en premier.
Quel que soit le jeu, il faut vraiment que la mécanique soutienne parfaitement la proposition ludique. Brigandyne propose une atmosphère dure et gritty, alors c’est important que les personnages soient un peu faiblards à la création et que les combats soient meurtriers.
Au contraire à Sherwood, on joue des jeunes héros courageux au cœur bon, et il fallait créer un système qui donne la possibilité de réussir beaucoup plus souvent ses actions, et avec panache.

– Dans Brigandyne, le texte prime sur les illustrations. Ce qui, je trouve ; lui fait un peu défaut. Ce point sera-t-il amélioré dans Sherwood ?

Absolument. Sherwood est bien plus illustré, et je sais à quel point c’est important dans un jeu de rôle, aussi bien pour le confort de lecture que l’immersion du lecteur.

– Un dernier mot pour la fin ?

Je voudrais remercier tous ceux qui postent leurs avis sur Lulu, le Grog ou leur blog. C’est vraiment important si vous aimez un jeu, ou si vous y avez joué, de rédiger un petit truc sympa, a fortiori quand ce n’est pas une grosse locomotive d’un éditeur américain… Et un énorme merci au Grog qui a nommé Brigandyne deux fois « Jeu du mois » (je vous promets, je ne leur ai filé aucun billet !). Cela a beaucoup aidé à faire connaître le jeu. Merci aussi à Di6dent pour m’accorder cette interview.

Une pensée sur “Une interview de chair et de sang

  • 10 septembre 2017 à 15:59
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    Bravo James pour t’être lancé de cette façon dans l’aventure. Tous mes encouragements pour les prochaines livraisons !

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