Freaks’ Squeele

L’incursion d’Ankama dans le marché du JdR est assurément un phénomène intéressant. Parce qu’il s’agit d’un acteur au poids économique considérable (le plus grand éditeur rôliste francophone, Sans Détour, compte 5 membres permanent…Ankama emploie 400 personnes) qui dispose d’énormément de moyens et apporte son expertise et ses réseaux dans le domaine de l’édition (en plus des boutiques de jeux, ses jeux sont diffusés dans le réseau des librairies traditionnelles et dans les chaines spécialisés dans les produits culturels). Parce que l’éditeur a à disposition des licences ayant déjà beaucoup de succès auprès du jeu public.

Mais aussi parce que l’éditeur collabore avec sur des acteurs déjà installés dans le milieu rôliste et qu’il en ressort des jeux qui n’hésitent pas à lorgner vers le JdR expérimental. City Hall était écrit par Laurent ‘Bob Darko’ Devernay et proposait un système tactique astucieux centré sur la gestion de l’initiative. Freaks’ Squeele (site officiel) a été réalisé par l’équipe de 2d Sans Faces et son univers présente un défi créatif de taille parce qu’il se centre sur la vie universitaire.

Frit qu’huile ?

Je vois d’ici les plus âgés de nos lecteurs, les plus de 30 ans qui ont échappé au phénomène Freaks’ Squeele, se tourner vers les autres membres de leur maison de retraite pour leur demander « Comment ? Qu’est ce que c’est que ça L’fric secoue-t-il ? Moi de mon temps les JdR avaient des titres compréhensibles de tous ! ». Des questions somme toute légitimes qui appellent des réponses :

Freaks’ Squeele est donc une bande-dessinée créée par Florent Maudoux et qui suit les aventures d’un groupe de trois losers attachants qui viennent d’intégrer la Faculté des Études Académiques des Héros (F.E.A.H.), une université spécialisée dans la formation des super-héros. L’univers fait feu de tout bois en mélangeant des inspirations tirées de plusieurs domaines de la culture geek : shonen, super-héros américains, Harry Potter, fantasy, mythologies antiques…

Gros succès en librairie, la BD repose sur un rythme effréné (quitte à parfois nous perdre dans ses péripéties), un ton parodique mais finalement assez respectueux de ses sources d’inspiration (la BD s’amuse à mélanger les codes plus qu’à s’en moquer) et sur des dessins très manga et parfois sexy (on pourra regretter que la BD n’érotise presque que les corps féminins). Le bouquin du jeu Freaks’ Squeele reprend ces éléments en proposant plus de jeux de mots nazes (mais drôles) que n’importe quel autre JdR sorti ces dernières années et en étant illustré par de très nombreux dessins de Florent Maudoux dont beaucoup sont inédits. Le livre bénéficie en plus de toute la compétence éditoriale d’Ankama, il est entièrement en couleurs et la maquette est à la fois lisible et magnifique.

Ça te cosplait ?

En plus de ses, finalement assez courts, chapitres décrivant l’histoire du monde, sa géographie et les particularités du campus de la F.E.A.H., le bouquin a recours à une astuce amusante et efficace pour décrire les différents types de super-héros rencontrés dans le jeu : plusieurs pages du jeu sont consacrées à  l’un des personnages de la série, Valkyrie, dont on apprend qu’elle est fan de cosplay. Ses costumes représentent chacun un aspect de l’univers et un type de super-héros que les joueurs peuvent incarner. Ces pages sont accompagnées de commentaires de Valkyrie qui commentent ses difficultés de cosplayeuse (confection pénible, vêtement inconfortables, regard des autres…). On sent une véritable connaissance du loisir de la part d’au moins un membre de l’équipe ce qui fait plaisir à lire (même quand, comme moi, on n’y connait rien).

Donjons et Dragons 4.5

Pour son système de jeu Freaks’ Squeele m’a fait penser à la quatrième édition de Donjons et Dragons qui proposait un sous-système, le défi de compétences, disparu de D&D5, permettant de gérer de façon simple n’importe quelle situation en dehors de combat. Une traque de plusieurs jours dans la foret ? On pouvait utiliser un défi de compétences. Une après-midi d’investigation pour trouver des témoins d’un meurtre ? Défi de compétences !

Ce système reposait sur l’idée d’attribuer une valeur à l’adversité rencontrée par les PJs. Ces derniers sortaient victorieux de la situation si on parvenait à faire baisser cette valeur à 0 en réussissant des actions pertinentes (pour se rapprocher d’une proie poursuivie dans les bois on pouvait par exemple demander des jets d’Athlétisme en grimpant aux arbres pour l’apercevoir au loin, d’Équitation pour aller plus vite qu’elle, de Pistage pour retrouver sa trace, etc.).

Freaks’ Squeele généralise cette logique en l’étendant même aux combats. On peut donc gérer de la même façon l’exploration d’un donjon, un affrontement contre un dragon, une semaine de travail collectif autour d’un devoir à rendre ou une soirée en cuisine à chercher à réaliser le meilleur gâteau au chocolat de l’école. Chaque menace est associée à un niveau qu’il faut amener à 0 pour la surpasser. Le système repose sur un principe de balance : il faut que l’équipe des PJs mette en avant des qualités et des pouvoirs leur permettant de surpasser l’adversité, le MJ fait de même en listant ce qui rend la menace difficile à vaincre, si la balance penche en faveur des joueurs ils peuvent décrire la façon dont leurs personnages font baisser le niveau de la menace, sinon ils subissent des pénalités.

Henri le Potier

A cela s’ajoutent plusieurs subtilités qui ajoutent des dés et des options tactiques. Je n’entre pas dans les détails d’autant que le système s’avère finalement complexe à expliquer (c’est le seul gros défaut du bouquin, parfois un peu confus dans ses explications des mécaniques de jeu, on espère d’ailleurs qu’Ankama diffusera rapidement une F.A.Q. du jeu précisant quelques aspects des mécaniques) alors qu’il est très fluide une fois assis autour de la table. Son aspect le plus intéressant est sans doute son adéquation au contexte scolaire : parce qu’il gère de la même façon toutes les épreuves rencontrées par les joueurs, quelles que soient leurs échelles de temps, il permet de gérer à la fois les révisions et les dangers plus ponctuels.

Cette volonté de mélanger le quotidien et le spectaculaire se retrouve dans le scénario d’introduction, Tenue Correcte Exigée, qui tourne autour d’un projet scolaire en apparence simple : l’équipe doit réaliser plusieurs déguisements en préparation d’un bal organisé au sein de la F.E.A.H. (on retrouve l’amour de l’équipe pour le cosplay !). Sans trop en révéler sur les péripéties, remplir cet objectif va amener les PJs à se préoccuper à la fois de couture et d’exploration de souterrains remplis d’adversaires très dangereux. Outre qu’il s’agit d’un excellent scénario d’introduction, sa structure relativement simple et exploitant bien les particularités du jeu pourra servir d’exemple aux MJs -notamment débutants- qui voudraient créer les leurs.

On retrouve un focus similaire sur la scolarité des héros dans la mini-campagne qui démarre dans le livre de base et se continue dans le livret de l’écran -justement appelé Livre du deuxième semestre. Quiconque à essayer de jouer dans un cadre estudiantin sait qu’il est difficile d’y écrire des scénarios et l’équipe du jeu s’en sort remarquablement bien en faisant planer une menace -dont on ne révélera rien- qui se précisera au fur et à mesure de l’avancé de l’année scolaire.

La rumeur, que je n’ai jamais vu sourcée, veut que J.K. Rowling refuse l’existence d’une adaptation rôliste de l’univers de Poudlard. En lisant Freaks’ Squeele on se dit qu’il s’agit à la fois d’une excellente adaptation de la licence et d’un excellent jeu pour jouer dans le monde du sorcier balafré.

Un kit de démo du jeu est disponible ici.

Crédits images : Freaks’ Squeele, le jeu d’aventures, par Florent Maudoux et 2d Sans Faces © Ankama Editions 2017 et Freaks’ Squeele, A-Move & Z-Movie, par Florent Maudoux  © Ankama Editions 2015