L’envol de Dragons

Avant de se lancer dans le feuilletage (le jeu n’ayant pas pu être joué – cf. plus loin -, ce texte ne peut en aucun cas prétendre au rang de « critique »), il est important de poser une problématique.

Comme tout rôliste (ou presque, avouez !), j’aime bien le médiéval fantastique. Dès que j’ai jeté un œil sur les illustrations de la gamme Dragons, mon sang n’a fait qu’un tour et j’ai eu envie de saisir une épée virtuelle ou de murmurer des incantations qui n’existent pas : bon signe, non ? Pour autant, du fait des hasards de mon parcours rôliste, je suis très peu familier des jeux dérivés de D&D (je crois que, paradoxalement, ceux que je connais le mieux, ce sont les OSR…). Je ne suis donc pas dans le cœur de cible de Dragons. La question à se poser est donc : un rôliste comme moi peut-il trouver de quoi le satisfaire dans ce début de gamme Dragons ?

Avant d’ouvrir ce premier et gros volume intitulé Aventuriers, un petit rappel quand même. Le projet Dragons, mené par Studio Agate (Les ombres d’Esteren), remonte à l’époque où la VF de D&D5 semblait ne pas devoir voir le jour. Agate s’était donc positionné par traduire le SRD (les règles basiques) en les datant à un univers de leur création, Eana… exactement en même temps que BBE avec le projet Héros & Dragons. Un foulancement a eu lieu en mars 2016, a comme il se doit connu un large succès (finissant à… 1350 % !!) et, comme il se doit itou, n’est toujours pas livré (on y reviendra). A l’heure actuelle, donc, seuls un petit livret de scénario, Fort Ardraco, et le gros livre du joueur sont disponibles en version physique.

Le titre de ce premier opus ne trompe pas : « aventuriers ». Oui, aussi étrange que cela puisse paraître pour quelqu’un comme moi de peu habitué à ce genre de jeux, le livre est presque entièrement dédié… à la création de personnages. En 250 pages environ (nom de nom !), le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on a le choix. Choix classiques des races (oups, je voulais dire : « espèces » bien sûr), ces cultures d’origine et des classes (oh, ça va, j’ai quand même joué à Baldur’s Gate quoi !), bien sûr mais aussi de nombreuses autres possibilités qui, à n’en pas douter, permettent de créer *son* perso. Par exemple, à l’intérieur de certaines classes (guerrier, par exemple), Aventuriers propose le concept d’archétypes que l’on peut assimiler à des sous-classes ou, au moins, à des spécialisations de celles-ci. Il existe aussi des dons (du genre… ambidexeeeeextre !) et, enfin, des historiques (avant la classe en quelque sorte) que l’on peut soit se construire sur mesure en suivant de nombreux conseils ou que l’on peut préférer choisir directement parmi les exemples proposés. Bref, sans être un expert en statistiques, il semble clair que ce sont des centaines de combinaisons qui sont possibles et pas un PJ de ce Dragons ne ressemblera à un autre.

Quoi d’autre ? Bah, pas grand chose finalement. Les 150 pages restantes sont bien sûr occupées par le SRD et sinon des choses annexes à la création de PJ comme, par exemple, de très belles pages consacrées au matériel, armes, services, monnaies, etc.

Fort heureusement, on échappe à l’effet grosse pavasse de règles ça-comme grâce à deux dispositifs. D’une part, un vrai effort de mise en page en ce sens. L’usage, par exemple, de jolies icônes colorées indiquant ce qui est optionnel et en quoi cela est optionnel (selon votre style de jeu, par exemple) aide efficacement à faire le tri à la lecture entre « ah, ça, ça m’intéresse », « euh, on verra plus tard » et « même pas en rêve je lis ça ».

D’autre part, de vrais morceaux bien crunchy de background sont dispersés ou, mieux, distribués, quand cela semble judicieux. Par exemple, les dieux avec la classe Prêtre, un premier portrait brossé du monde avec les pages consacrés au choix d’une culture, etc. Bon, même en étant généreux, cela ne va pas chercher beaucoup plus loin qu’une trentaine de pages de ce type. Dommage quand même qu’une description, même succincte, de la Cité Franche n’ait pas été incluse pour que chacun puisse se figurer un point de départ commun aux aventures du groupe.

Un mot sur les images. Aaaaah, les fameuses images. Un premier constat : elles sont magnifiques. Vraiment. Marque de fabrique du Studio Agate, elles font partie du top que l’on puisse trouver dans un ouvrage de JdR. Bien loin de n’être (que) des appâts à souscripteurs, certaines sont infiniment inspirantes comme ce Drakéïde à la parure exotique. On notera aussi que ces images ne sont nullement frappées par les défauts d’une certaine imagerie heroic fantasy un peu rance. Les personnages féminins sont rarement dévêtus (et quand ils le sont, c’est à raison) et la diversité culturelle des inspirations est la bienvenue.

Si on pouvait, malgré tout, trouver une faiblesse à ces illustrations, c’est justement dans leur grande diversité. Elles disent finalement assez peu du monde d’Eana… si ce n’est que les ambiances de celui-ci sont variées. En d’autres termes, les images n’ont pas là le même usage que celles de gammes à la direction artistique plus resserrée autour d’un seul style voire d’un seul illustrateur. Par exemple, elles servent moins l’ambiance du jeu que celles de Symbaroum ou de Trudvang qui, d’emblée, plongent le lecteur dans une série d’instantanés qui semblent directement tirés du monde de jeu que l’on s’apprête à explorer.

En l’état, quand je regarde ce sublime gros pavé, je pense aux éléphants blancs. Vous savez ? Les grands bâtiments, souvent somptueux, créés par les administrations coloniales ou post-coloniales en Afrique puis abandonnés faute d’usage ou de moyens pour les entretenir. C’est là. C’est beau. Mais ça ne sert à rien.

On sorte en effet fort frustré de cette lecture : l’envie de créer un personnage sur mesure est forte, les moyens pour le customiser à l’envie sont prolifiques, les raisons de l’envoyer à l’aventure sont faciles à trouver et… sincèrement, il est pourtant quasiment impossible de jouer à Dragons en l’état actuel. Je n’ai rien d’utilisable sur Eana ou même la Cité-Franche, pas de description des enjeux de l’univers, pas de scénario, pas de bestiaire, pas de compendium de sorts… Tout cela doit arriver dans les ouvrages manquants : Arcanes, Bestiaire et, donc Eana plus tard.

Oh, bien sûr, je vous vois venir : je télécharge les sorts et le bestiaire sur AideDD, j’imprime le tout, je me bricole un petit donj’ des familles en cannibalisant un vieux scénario Casus et roule ma poule.

C’est vrai.

Mais alors, quelle disproportion de moyens ! Non, si je possède ce magnifique manuel de jeu, c’est pour rester dans cette ambiance luxe et papier glacé, pas pour jouer avec des photocopies pourries, na !

Il ne reste donc qu’à, prendre son mal en patience et pouvoir enfin juger sur pieds le potentiel de ce Dragons à réaction.

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Eh, au fait, et le scénario Fort Ardraco, ce n’est pas juste ce qu’il me faut pour passer à la pratique ?

Alors, oui.

Mais, non.

D’une part, ce n’est pas ce qui va résoudre l’absence de détails pour rédiger le background des PJ ou celle des listes de sorts pour les PJ magiciens.

Surtout, ce scénario m’apparaît (à titre personnel, toujours, les coups et les douleurs, toussa) plutôt décevant.

Fort Ardraco n’est pas signé par l’équipe de Studio Agate mais par le célèbre Ed Greenwood, le créateur des Royaumes Oubliés. Ceci expliquant cela, j’ai eu la sensation de lire une novélisation d’une partie de Baldur’s Gate plutôt qu’un module exploitant les supposés originalités de Eana.

Les PJ débarquent là-dedans un peu par hasard et, très vite, comprennent qu’ils vont devoir se farcir un donj’ qui abrite des méchants. Et c’est parti pour une passionnante série de « cette pièce de 6 mètres sur 12 aux murs de pierre… » émaillé de pièges classiques genre dalles de pierre qui s’enfoncent et de monstres aussi emblématiques de Eana que le… ours-hibou. Super.

Ajoutons que, même si le scénario est bien présenté, il ne fait jamais que 20 pages, une place conséquente étant utilisée par les blocs de statistiques des monstres et des PNJ.

Franchement, j’avais prévenu au début mais voilà exactement le genre de scénario qui me fait fuir : c’est peut-être bien fait dans le sens équilibrage, progressivité, etc. mais cela ne rend absolument pas honneur à ce que le livre du joueur laisse entrevoir du potentiel de Dragons.

Heureusement, Une invitation à Griseflore, un nouveau scénario, vient d’être rendu disponible pour les souscripteurs et deux autres devraient paraître dans le même format « module ».

Là encore, on espère que le meilleur est à venir.

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Pour suivre l’actualité du projet : https://dragons-jdr.blogspot.com/