Un jeu pas vraiment austère

On vous en avait parlé très en amont et là, ça fait déjà plusieurs jours que ce projet est en cours de foulancement (financé à plus de 200 % OK mais faisez pas les timides : y a encore du palier valab’ à faire tomber), il est temps de vous rappeler à vos devoirs. Le jeu Adventures in Austerion est le nouveau projet de De Architecturart. C’est un authentique JdR (et en authentique français, rassurez-vous !) mais qui joue à fond la carte de l’hybridation avec le monde du jeu de plateau. Pour en savoir plus, on n’a rien pu obtenir de Guillaume Tavernier, trop occupé à dessiner les 12 523 illustrations que nécessitera ce projet. Heureusement, on a eu l’occasion d’interviewer le cerveau de l’opération, un certain Géraud G. Sûrement un pseudo.

1. Aaah mais vous êtes des futés, vous ! Voilà que je te vends des tuiles, des pions, des cartes, des ch’tits bouts de plastique à empiler et tout. On veut faire fortune dans le JdR à ce que je vois ?

Évidemment ! Le milieu du jeu de rôle est connu pour ses éditeurs qui roulent en Hummer et se baignent dans des piscines de Dom Pérignon. On nous dit sans cesse que le JdR est LE meilleur moyen d’avoir une Rolex avant 40 ans Alors on s’est dit, pourquoi pas nous ? Même si nos 40 ans sont déjà passés, on peut aussi faire notre crise de la quarantaine et avoir des D20 en or !

Plus objectivement, je crois qu’on avait juste envie d’apporter quelque chose d’un peu différent, de prendre des petits bouts de trucs par ci par là dans le jeu de plateau, de le mélanger avec du jdr classique, et de mettre beaucoup de bon esprit dans tout ça. Le ton du jeu révèle assez bien ce style de jeu que l’on voulait fun et facile d’accès.

2. Bon, OK, OK… mais, parlons honnêtement : ça va quand même nous coûter une blinde, pas vrai ?

Déjà, ça va coûter une blinde en temps de travail. Guillaume est enchaîné dans sa cave (sa femme m’a aidé à l’attacher, vous pouvez la remercier) et il ne fera plus que dessiner nuit et jour dans les 9 mois à venir. Grâce à ce régime, on arrive à garder le prix du jeu en-dessous de 50€, pour une boite de jeu avec deux livres de règles et scénar, un écran, des cartes de jeu, des battlemap sous forme de tuiles cartonnées et des pions, des figurines, etc. Une boite pleine à craquer car on voulait que les joueurs en aient plus que pour leur argent et qu’en plus, ce soit beau ! Le travail graphique est un élément essentiel des productions chez De Architecturart. Et avec la souscription, nous espérons que la boite débordera de matos et de beau matos !

3. Le beau matos, ça fait venir les jeunes au JdR. Mais les prix élevés, cela les fait fuir. C’est la quadrature du cercle votre truc là, non ?

Le beau matos plait à tout le monde, non ? Évidemment, les jeunes, les enfants et les non-rôlistes, ceux qui viennent du milieu du jeu de plateau, y sont peut-être plus sensibles que les rôlistes qui ont grandi avec des jeux tapés à la machine à écrire. Et encore… En tout cas, nous croyons au potentiel des éléments graphiques et des mécaniques issus du jeu de plateau pour attirer de nouveaux joueurs. Nous verrons si le pari est réussi. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un vrai jeu de rôle, et que ceux que l’on espère séduire en premier lieu sont les rôlistes, qu’ils soient débutants ou avertis.

4. Mouais. Quand même, je reviens sur tous ces accessoires. Je croyais qu’un des aspects de l’OSR, c’était une sorte de retour vers la simplicité originelle, au combo gomme/crayon/papier, non ? Il en pense quoi le Géraud, hein ?

Que l’OSR est génial, comme tout ce qui est rétro, évidemment ! Par contre, bien que l’on adore les vieilleries, il y a quand même plein de bonnes choses qui se font de nos jours. Pour Adventures in Austerion (AiA), nous sommes partis dans cette direction. Un jeu simple, qui met en avant l’interprétation et le jeu de rôle avant la règle. Et surtout, un jeu qui n’oublie pas que la façon de jouer n’est plus la même et que beaucoup d’éléments de jeu modernes peuvent amener un vrai plus en terme de game play.

5. Ah mais au fait, Géraud, c’est toi qui va faire le système de jeu de Adventures in Austerion ! Pffff, tu vas encore nous coller tes trucs de vieux là avec des classes de perso, des XP, des alignements, du D20 de partout et tout ?

Ah ces clichés ! Je vous jure… Alors pour tout dire, si j’avais dû prendre un type de système avec des dés bizarres, j’aurais opté pour du D100, que je trouve plus intuitif pour exprimer une chance de réussir. Mais on voulait un système totalement uniformisé et le D100 ne le permettait pas comme nous l’imaginions. Nous voulions un système très simple d’accès. Quand on fait une partie sur le pouce avec ses potes, que l’on a qu’une heure ou deux devant soi, t’as pas super envie de te taper 80 pages de règles et de devoir te référer au bouquin dès que tu veux te gratter un furoncle pour voir s’il éclate ou pas. En réalité, les règles d’AiA tiennent en quelques lignes. Tout le reste, ce sont des nuances et des règles optionnelles pour ceux qui ont envie d’un peu plus de complexité.

Tout d’abord, les seuls dés utilisés sont des D6. Ils servent pour tous les types d’actions, y compris la magie. Pour réussir, tu jettes tes 2d6 (3d6 si tu es en situation de stress), tu appliques des modificateurs (carac de l’opposant, difficulté de l’action, bonus de roleplay…) et si tu ne dépasses pas la valeur de ta spécialité (un ensemble de compétences), tu réussis.

On a également simplifié tout ce qui est déplacement et action. Dans ton tour, tu peux faire une action et la notion est très vaste : en gros, tu peux par exemple traverser la salle, sortir ton arme en avançant et attaquer l’ennemi. Tant que c’est cohérent dans la situation et que tout le monde s’amuse, on accepte l’action que tu annonces. Pas de comptabilité de cases de déplacement ni de temps d’une action.

Et là on vient au deuxième élément important : plein de choses ne sont pas prévues par les règles et c’est fait exprès. Si une règle n’est pas prévue, le MJ et les joueurs décident de ce qui va dans le sens du jeu. Et par sens du jeu, on entend l’amusement des joueurs. Ce sont donc les joueurs qui ont toujours le dernier mot à AiA, pas le MJ. L’important est de ne pas perdre plus de 5 secondes à décider. Et la décision d’un jour peut être prise à l’inverse le lendemain. Aucune importance.

Nous ne voulions pas non plus de classes de personnage auxquelles sont liées des règles précises, mais plutôt des vocations qui indiquent à la fois un métier et un comportement. D’ailleurs, même si 16 vocations sont proposées dans le jeu, tu peux créer celle que tu veux. Tu trouves un nom chouette, tu répartis les bonus de vocation selon une règle commune à tous les métiers et hop c’est fait. Tu veux jouer une « Pourfendeuse de mort-vivants » ? Tu peux. Un « Troubadour écarlate » ? Tu peux aussi. Un « Mangefoudre turgescent » ???? Euh, ok, c’est parti ! Définis à quoi ça correspond et c’est emballé (oui car un Mangefoudre turgescent, j’ai dû mal à voir). Un personnage se crée en 2 minutes chrono. Les 4 Qualités (un peu comme les caracs) se déterminent avec un D6 et les Spécialités (des corpus de compétences) avec des bonus à répartir. Donc en 4 jets de dés, ton personnage est bouclé et tu peux jouer.

6. Un JdR avec des dalles et des ‘gurines, en fait, c’est un jeu de baston, n’est-ce pas ?

C’est vrai que lorsque l’on parle de dungeon-crawling ou de tuiles, ou encore de figurines (cartonnées, on reste quand même un peu old-school, et écolos), on imagine de suite de profondes discussions à coup de hache. Austerion peut en effet se jouer en mode baston, pourquoi pas. Mais c’est vraiment au choix des joueurs et les scénarios proposés ne sont pas systématiquement dans cette optique (l’un d’eux ne devrait même pas nécessiter un seul coup, mais il y a un scénar assez « baston »).

Pour Austerion, nous avons tout uniformisé, le système de règles, comme je le mentionnais, mais aussi l’adversité. Tout ce qui s’oppose à la réussite des PJ se nomme un Challenge. Et tous ces Challenges ont une jauge de résistance, une capacité à résister aux PJ. Ce peut être la résistance des PNJ à ne pas se laisser convaincre, la résistance d’un monstre lors d’un combat, la résistance d’une serrure à ne pas être ouverte, la résistance d’une falaise à ne pas être escalader, la complexité d’une énigme, etc. Pour avancer, les Personnages doivent réduire cette jauge à 0, d’une falaise comme d’un PNJ. Si c’est fait, le Challenge est neutralisé et les Personnages peuvent continuer à avancer dans l’histoire. Ce système permet de jouer aussi bien en JdR classique qu’en mode sans MJ ou en mode solo.

Pourquoi je parle de ça alors que tu me parles de baston ? Car il existe 4 types de Challenges : interaction sociale, mental (dont la magie), physique (dont le combat), et habileté. Tu vois donc que les combats ne sont qu’un des 4 aspects de l’adversité qui s’oppose aux PJ. Et comme toute l’adversité est uniformisée, on peut maintenant la répartir comme bon nous semble au sein du scénario et des tuiles. Tu as envie d’une exploration axée sur la baston ? Tu ne prends que des Challenges physiques. Tu veux un scénario pour tester l’esprit de tes joueurs ? Tu prends des Challenges mentaux et sociaux. Tu veux quelque chose d’équilibré ? Tu répartis un nombre de Challenges identique pour chaque type et là, tous les joueurs s’éclatent autant, aucun ne se retrouvera sans rien avoir à faire dans le scénar.

L’uniformisation de la résistance des Challenges sous forme de Jauge de résistance nous enlève aussi la notion de point de vie et l’obligation de neutraliser un ennemi que par la force. Au cours d’un même affrontement, un des personnages peut ainsi affronter un orc l’arme à la main, tandis que le beau parleur du groupe va le harceler psychologiquement. Le jeu prévoit 5 manœuvres sociales : corruption, intimidation, flatterie, empathie et mensonge. Le beau parleur choisit donc sa manœuvre, interprète son personnage pour avoir des bonus de roleplay et avec un jet réussi peut diminuer la jauge de résistance de l’orc. D’un point de vue de l’histoire, nous trouvons qu’un orc qui se rend en jetant ses armes et accepte de négocier sa reddition amène plus d’histoire qu’un orc qui se bat sans raison jusqu’à la mort pour protéger un donjon dont il n’a sûrement rien à faire. Dans AiA, la mort n’est qu’une option de jeu et par défaut, ni les PNJ ni les PJ ne meurent. Nous voulons que les PNJ soient des individus et les motivations, faiblesses, envies, de chaque PNJ sont données. Du coup, les manœuvres peuvent avoir un effet différent selon la créature. Par exemple, un dragon a peu de chance d’être intimidé, à l’inverse d’un gobelin. Il faut donc être tactique avec sa hache mais aussi sa langue.

Désolé, si j’ai été long, mais il y a beaucoup de petits détails de règles qui rendent l’ensemble croustillant et pas simpliste.

7. Sans rire, c’est quoi cette histoire de bouchons à empiler ? Vous avez inventé ça à la fin d’une soirée arrosée, c’est ça ?

Ah oui, je n’en ai pas parlé. Ni des cartes Bazar ! Bien, tu as donc des espions à nos soirées jet set champagne bio ? Alors dans AiA, il y a des cartes pour ajouter de l’imprévu. Des cartes Bazar, tirées dès que les personnages découvrent une nouvelle zone de jeu et qui vont apporter un peu d’imprévu (mais du pas cool comme du très bien). Mais aussi des cartes Catastrophe. C’est là où les bouchons entrent en jeu. L’année dernière, alors que l’on réfléchissait à des mécaniques marrantes pour les maladresses, on est tombé sur une partie de… Star Marx avec Max et la Moitié aux manettes, à Octogônes. C’est là que l’on a sans honte (avec leur accord, nous sommes civilisés) piqué leur mécanique d’empilement de bouchons. Je ne sais plus trop pour quoi ils les empilaient (c’était le soir, après l’apéro, donc je pense savoir), mais on s’est dit que ça serait une super mécanique pour transférer vers le joueur un peu du stress qu’à son personnage lorsqu’il fait une maladresse. Du coup, si un personnage fait une maladresse, son joueur ajoute un bouchon sur une pile au centre de la table. Au début c’est facile, mais les maladresses cumulées vont forcément entrainer la chute de la pile. Et si ça ne tombe vraiment pas, un coup de pied dans la table est si vite arrivé… Et là, le joueur qui fait tomber la pile tire une carte Catastrophe qui décrit un évènement toujours négatif et qui affecte toute l’équipe de Ribauds (écroulement du donjon, malédiction sur tout le groupe, un PJ tombe malade et contamine tout le monde…). Globalement, c’est donc un système qui permet d’apporter encore un peu de fun et d’inattendu dans le jeu. L’avantage de ces cartes, Bazar comme Catastrophe, est que le MJ peut les jouer lorsqu’il le désire, par exemple dès qu’il y a un temps mort. Dans une partie courte, nous ne voulions pas de repos.

8. Le foulancement nous promet des parties de 2/3 h mais, on est bien d’accord, ça c’est juste le temps pour sortir et installer tout le matos, pas vrai ?

On peut même jouer en encore moins de temps. Par exemple, entre midi et deux, au boulot, avec tes collègues histoire de leur faire découvrir le jdr. Tu amènes 4-5 tuiles, tu leur fais un scénario sur le pouce grâce aux tables aléatoires, et tu finis ta partie en 30 minutes. Le jeu solo est aussi beaucoup plus court, tout comme le mode sans MJ, car tu enlèves tout ou partie de l’aspect interprétation des personnages et tu ne peux résoudre les Challenges que par les moyens proposés par les scénarios ou par les tables aléatoires.

Mais une vraie partie, avec un scénar préparé, avec du jeu de rôle, il faut compter plutôt 2-3h. Bien sûr, tu peux l’allonger encore en rajoutant des tuiles, en mettant beaucoup de description, d’ambiance. On connait tous ça : on prévoit un scénar pour jouer en 2h et on y passe un mois. Surtout avec des joueurs qui veulent toujours faire l’inverse de ce qui était prévu. En tout cas, en allant à l’essentiel, les parties sont calibrées pour durer 2-3h.

9. Et quand on a fini les 4 scénarios de la boîte de base, on range tout ça dans l’étagère du haut, non ?

Je vois que tu ne m’écoutes pas. Les tables aléatoires sont là pour ça. Puis à l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes même à 5 scénarios, et on espère en libérer encore 3-4, ce qui mènerait à 6-8 scénarios dans la boite. Mais le système de création de donjon sur le coude permet de créer autant de scénarios que tu veux. Tu tires un synopsis au hasard (ce qui va déterminer le but de l’aventure et la zone où se trouve ce but), le nombre de tuiles, et tu détermines aléatoirement les Challenges au fur et à mesure de l’avancée dans le jeu. Tu peux jouer comme ça dans tous les modes de jeu. Ça te permet donc potentiellement, et sans préparation, d’avoir une infinité de scénarios à disposition. Elle est pas belle la vie ?

10. Pinaise : « advainetchurze ine austairionne air-pi-dji ». Encore des rôlistes francophones qui lancent directement un projet en anglais sur Kickstarter. Mais c’est quoi votre problème ?!

On te l’a dit au début. On veut avoir des D20 en or et une piscine de Champomy. Et pour ça, il faut faire de l’anglais !

Plus sérieusement, on croit vraiment au potentiel du jeu grâce au mélange jeu de rôle et de jeu de plateau. Alors on s’est dit, pourquoi ne pas permettre à d’autres pays d’accéder au jeu. Mais le marché anglophones est très compliqué et le nombre de Kickstarters par semaine est impressionnant (avec des machines de com’ impressionnantes pour certains gros éditeurs de jeux de plateau). Ce n’est vraiment pas facile d’y faire sa place. Enfin, on voulait essayer, comme une sorte de Challenge social pour nous aussi. Mais la jauge de résistance est dure à réduire à 0 !

Il y a aussi un côté un peu chauvin. Je ne sais pas si tu as vu, mais toutes les boites de jeu auront les livres de règles en français et en anglais. Pareil pour les cartes. Cela veut dire que si les anglophones veulent mixer les cartes pour en avoir plus en jeu, ils vont se retrouver à devoir lire des cartes en français. Tu vois où on veut en venir ? Eh oui, la domination du monde par les rôlistes français passe aussi par le fait de transformer tous les anglophones en francophones !