Tombé pour la France [critique – Tales from the loop]
Nous sommes là en présence de ce que le foulancement peut produire de meilleur : l’ajout d’un supplément de création francophone à l’occasion du financement de la traduction d’une gamme, en l’occurrence, donc, celle de Tales from the loop chez Arkhane Asylum.
En plus du set de base (livre + écran) et de la traduction du supplément Nos amies les machines, l’éditeur a donc décidé de proposer en bonus un supplément judicieusement intitulé La France des années 80 et qui propose de transposer le setting du jeu dans… bah… dans la France des années 80, quoi.
Si vous ne connaissez pas vraiment TftL, il faut en effet savoir que le jeu des kids trop curieux (si vous avez vu le film Super 8 ou un épisode de Stranger Things, vous connaissez déjà la proposition de jeu) se situe dans un une sorte de rétro-futur vintage et explore des contrées isolés situées originellement en Suède puis aux USA dans l’adaptation anglo-saxonne. C’était donc d’une logique imparable de proposer cette fois-ci quelque chose sur nos riantes contrées francophones.
Matériellement, le jeu se présente comme le reste de la gamme sous la forme d’albums à couverture rigide de pagination raisonnable (ici, une centaine de pages). Tout ceci respire la qualité. Un choc quand même : par la force des choses, le livre ne contient pas d’illustrations signées Simon Stalenhag alors que le jeu est l’adaptation de son univers graphique. L’obstacle est heureusement brillamment surmonté grâce à des pastiches d’une qualité bluffante signés Erikas Perl. On s’y tromperait.
L’ouvrage commence, donc, par une présentation de la France des années 80. Évidemment. Pourtant, à lire cette section, on est saisi d’un doute : était-ce bien raisonnable ? Si l’alliage un peu bancal d’hi-tech futuriste (robots géants, véhicules antigrav, etc.) et d’imagerie rétro peut passer chez ces gens du lointain, peut-elle encore suspendre notre incrédulité quand elle se rapproche à ce point de nos repères connus ? Le risque est d’autant moins évité que les auteurs ont fait le choix de présenter quasiment trait pour trait la VRAIE France des années 80. La technologie stalenhagienne semble n’avoir aucune prise sur le déroulement de notre passé : Mitterrand devient président, il subit la cohabitation avec feu Chichi en 1986, le FN monte dans les sondages, Touche pas à mon pote distribue des tonnes de pin’s, etc. Même chose quand on s’intéresse à la vie matérielle et là, c’est encore plus surprenant : les enfants français des années 80 de TftL jouent avec des Kikis, collent des images Panini, s’extasient devant les premières consoles Atari, etc. Un peu bizarre.
Heureusement, les meubles (Conforama, pas Ikea, du coup) sont sauvés par l’introduction d’un fantastique « francophone » plus cohérent avec cet apparent immobilisme que les gros robots de la version suédoise. Difficile de ne pas en dire trop mais cela tourne autour d’expérimentations d’un accélérateur de particules dont les anomalies permettent d’envisager un « ailleurs » fantastique qui laisse donc, à peu près intact, le reste de la France mitterrandienne.
Mais pas intactes les vies de vos personnages puisque tel est le contrat de la proposition de jeu : pendant que tout le monde semble s’en foutre plus ou moins, vos PJ-enfants, eux, voient leurs vies contrariées voire bousculées par l’irruption du surnaturel.
A ce titre, on est agréablement surpris de trouver dans le supplément une section inattendue : quatre archétypes supplémentaires pour vos PJ qui viendront enrichir le choix de vos joueurs. Ils sont bien vus et intéressants mais on cherchera en vain à les identifier comme des archétypes plus « français » que ceux du livre de base. Ainsi, on y trouve – attention, mise en abyme ! – le rôliste. ‘m’étonnerait que l’on trouve à cette date plus de rôlistes dans le Jura que en Suède ou, pire, aux États-Unis, m’enfin…
Non, une fois de plus, le point fort du supplément, exactement comme Nos amies les machines, c’est la présence de nombreux « mystères » (des scénarios, en gros) écrits par des auteurs très différents, parfois rôlistes expérimentés, parfois auteurs venus d’autres horizons, qui ouvrent très grand le champ des interprétations possibles d’une bonne partie de Tales from the loop.
Au total, nous avons là pas moins de cinq de ces Mystères (de 15 à 20 pages) chacun. Ils suivent le format habituel du jeu, peu scripté, préférant présenté des lieux plutôt qu’une intrigue. On trouve selon le scénario de 3 à 7 lieux décrits : une description à proprement parler, l’évocation des difficultés qui peuvent s’y rencontrer et enfin les indices que l’on peut espérer y trouver). Ensuite viennent les PJ et, pour agrémenter le tout, les outils habituels présentant l’intrigue : des accroches pour les jeunes PJ, un organigramme pour associer les lieux entre eux et un compte à rebours pour faire quand même progresser l’intrigue en parallèle des gesticulations des PJ. On notera d’ailleurs qu’un des des Mystères (Rayon vert) s’affranchit de ce canevas pour lui préférer une narration en trois actes bien mal adaptée à ce jeu : dommage.
Au titre des petites chouineries, je rajouterais d’ailleurs l’étonnement de voir que trois de ces scénarios portent des noms anglais : un peu bizarre compte tenu du contexte, non ? Alors, bien sûr, l’influence de la musique de l’époque est manifeste (Tainted love, etc.) mais, eh quoi, on n’écoutait pas de musique française dans les années 80 ?!
La diversité des scénarios est assurée par le turn-over des auteurs : c’est agréable et utile pour que chacun puisse trouver 2 ou 3 scénarios parfaitement adaptés à ses envies de parties. Pour autant, cela rend à peu près impossible de les agencer en une campagne « France années 80 » : c’est un peu dommage dans le sens où il est difficile d’envisager sans un gros travail de localisation d’associer dans votre campagne-maison des intrigues en Suède/USA et une autre en France. Ainsi, si le supplément présente bien un contexte local autour duquel s’organisent les scénarios (la bourgade près du fameux accélérateur de particules), deux des cinq scénarios ne s’y déroulent finalement pas.
Au bilan, à l’image de Nos amies les machines, ce supplément relève essentiellement du recueil de scénarios. C’est d’ailleurs un des points forts de cette gamme qui, bien que courte, compte déjà en VF pas moins de 12 scénarios prêts-à-jouer. Presque un record. En tout cas, un sacré argument de vente.