Le JdR taille junior

Double bonne nouvelle. D’une part, de plus en plus de jeux calibrés pour nos chères têtes blondes sortent en boutiques. D’autre part, ces boutiques sont de plus en plus des librairies généralistes grâce au soutien d’éditeurs ayant pignon sur rue comme Fleurus ou, ici, 404. De quoi favoriser doublement la rencontre entre les jeunes et le JdR. Un gars qui connaît bien ce double challenge, c’est François Lévin, déjà auteur de sets d’initiation chez 404 et désormais auteur chez le même éditeur d’une petite boîte estampillée Mon JdR Junior. Interview.

 

  1. François, tu es aussi l’auteur des livres d’initiation au JdR parus chez 404 mais pour les grands, eux. Entre nous, tu as fait copié/collé et tu as rajouté « junior » sur la couverture et hop, pas vrai ?

Au début on a juste voulu passer les stocks au massicot pour que ça rentre dans la boite et coller des stickers Pokémons par-dessus mais je crois que c’est resté en plan à cause d’une question de droits.

Mais sinon, évidemment, au final, ça n’a rien à voir puisque pour les grands il y a des cartes, des aides de jeu, des pré-tirés, des règles simples et une grande aventure prête à jouer alors que pour les petits il y a un scénario, des pré-tirés, des aides de jeu et des cartes. Dans une petite boite. Bleue.

  1. Ah bon ? Mais, quand même, qu’est-ce que tu as retenu de cette précédente expérience qui a pu t’orienter dans les choix faits pour cette boîte junior ?

En réalité, après le premier essai des deux kits d’initiation (dont l’un, au passage, peut être joué à partir de 10 ans, donc pour adultes mais pas que), je me suis demandé si on ne pouvait pas utiliser un format déjà existant chez 404 éditions pour proposer quelque chose d’encore plus simple à un public plus jeune, toujours dans l’idée de m’adresser à des lecteurs qui sont peu ou pas familiers du jeu de rôle.

Dès lors, la contrainte était de proposer du jeu avec quarante cartes, un plan recto-verso et un petit livret. C’est peu. Vraiment très peu.

L’intérêt de l’exercice est alors de savoir aller à l’essentiel (ce que j’ai appris avec les deux premiers kits), de tirer partis des contraintes de la concision pour proposer des idées nouvelles et de faire feu de tout bois.

  1. Les personnages-jouables ne sont pas très différenciés entre eux : ce sont tous des enfants en colonie de vacances avec des caracs assez similaires. Cela n’aurait pas été plus « jeu de rôle » d’avoir des personnages plus typés (classes de perso, capacités spéciales…) ?

Parmi les idées dont je parlais à l’instant, il y a celle d’utiliser des images fortes, évocatrices, quitte à flirter par moment avec le cliché. Cela se retrouve dans la façon d’aborder les personnages. Ainsi, leur personnalité, leurs habitudes, leur façon de régler les problèmes passent davantage par l’illustration les représentant que leurs caractéristiques ou d’éventuelles capacités. Tu regardes ton personnage, comme un personnage de jeu vidéo ou de dessin animé, et tu vois tout de suite ce qu’il sait faire mieux que les autres.

Pour donner un autre exemple, j’utilise le chocolat comme une sorte de potion de soins contre les petits bobos et la fatigue. C’est évocateur. Tout le monde connait, tout le monde comprend.

  1. Le livret est petit mais relativement dense en textes. On est d’accord : il est plutôt réservé à Papa/Maman ?

Oui sans que cela soit exclusif pour autant. Si un moussaillon du JdR se sent assez dégourdi pour se lancer, cela peut fonctionner aussi bien.

Cela correspond par ailleurs à ce qu’on trouve habituellement dans la gamme des petits jeux d’évasion que l’on trouve chez 404 et qui sont plutôt prévus pour être animés par adulte. Y’en a de très biens que sont sortis récemment d’ailleurs (poke les copains).

  1. Nan, sans rire, le poster double face, les cartes à jouer : c’est du beau matos. Mais, franchement, le scénario se joue en 2/3 h max. Ce n’est pas hyper rentable ton jeu, là, si ?

Comme j’aime cette question !

Ce sera toujours plus rentable que le KS que pour lequel tu as pledgé un rein il y a deux ans et auquel tu ne joueras pas car l’envie t’en seras passée entre temps (je parle en connaissance de cause : j’ai un très bon jeu sur la piraterie dans ma bibliothèque qui n’a pas dépassé l’étape du feuilletage…).

Alors certainement, tu pourras aussi trouver des jeux plus chers avec une durée de vie ou une jouabilité plus longue. Et c’est très bien ! mais ce n’est pas ce que je proposerais pour de l’initiation. Je vise ici un lectorat qui n’a que très peu de contact avec le jeu de rôle. Avec un budget clairement serré. N’oublions pas que ce qui fait l’accessibilité d’un jeu, dans un premier temps, c’est le prix ! Donc il faut trouver une formule qui demande le moins de préparation possible, qui soit plaisante à jouer, et qui ressemble à un jeu de société. Il n’y a pas beaucoup de réponses possibles à cette équation et je pense que proposer de quoi jouer un scénario complet en une séance est un bon compromis.

Comme pour mes kits pour (un peu plus) adulte, si on a envie de renouveler l’expérience, il faudra se tourner vers autre chose, vers des jeux proposés par d’autres éditeurs.

On peut donc dire que je travaille pour le bien de tous.

C’est pas rentable, ça ?

  1. Les éditions Fleurus ont sorti en ce mois de mars 2020 un JdR junior. Il y a même des QR Code dedans. Marrant, non ? Bon, allez, on passe aux aveux : qui c’est qui qui a copié sur le voisin ?

Que Fleurus sorte aussi, sous différents formats, des jeux de rôles, marque une fois de plus un intérêt croissant, ou, disons plutôt, une curiosité marquée des éditeurs jeunesse et grand public vers ce loisir si particulier. De mon point de vue, on ne peut que s’en réjouir.

On peut aussi se rappeler que ces derniers temps, beaucoup de choses sont arrivées qui proposaient une expérience assez proche du jeu de rôle sans en être tout à fait : Château Aventure, tous les jeux d’escapade, les BD dont vous êtes le héros, etc.

La tendance est là. Chacun peut s’en emparer et apporter sa contribution à la cause.

Et je vois par ailleurs que la proposition des auteurs du (ou plutôt des) JdR Junior est, à ce que j’ai pu voir, assez différente de la mienne, probablement plus proche d’un jeu type HeroKids par exemple. J’aurais tendance à penser que mon jeu est un peu plus accessible sans forcément m’attacher mordicus à cette idée. On ne va pas se plaindre que le rôliste en herbe ait du choix pour commencer à se frotter au jeu d’aventure !

Voilà. J’espère que la question n’était pas vraiment sur les QR codes…

  1. Bon, c’était un one shot pour voir s’il y a bel et bien une hype autour du JdR chez les jeunes ou bien il y a d’autres titres prévus chez 404 ?

J’aimerais bien ! il faudrait pour cela que le lectorat du jeu de rôle se développe encore. Même si de grands progrès ont été constatés ces dernières années, même si les références à la culture rôliste abondent désormais un peu partout, on ne peut toujours pas dire que le jeu de rôle soit définitivement un loisir grand public.

Je ne sais pas où cela peut nous mener. Mon expérience m’incite à penser qu’on peut difficilement prétendre à une audience large (vraiment large) sans un important travail sur l’accessibilité du jeu de rôle, sous tous ses aspects. Cela peut conduire à s’éloigner de manière assez importante de ce que nous, rôlistes âgés, envisageons comme la norme de ce que doit être le jeu de rôle.

Par ailleurs, et c’est plus personnel, je suis de plus en plus gêné par la place centrale laissée à la violence dans les jeux de rôles. On n’est bien sûr pas obligé de jouer des bourrins et le jeu ne se résume pas qu’à cela mais il faut bien admettre que les règles du jeu existent en premier lieu pour poutrer du streum, piller des trésors et – éventuellement – sauver une princesse. On pourrait certes dire que tout cela n’est qu’un jeu. Que c’est aussi inoffensif que les films d’action ou les jeux-vidéos défouloirs. Je n’en suis pas totalement convaincu. Je constate qu’on a du mal à voir autre choses dans nos personnages que des héros guerriers avides de puissance. J’aimerais que de temps en temps la violence soit en dehors du paysage.

Du coup, dans cette boite, il n’y a pas de règles de combat (et il n’y aurait pas eu la place de toute façon !)

Bref (je m’égare un peu là), j’ignore si l’intérêt pour ce type de jeu se poursuivra mais on peut imaginer que nous verrons, à un moment ou à un autre, apparaitre des formes multiples de jeu qui seront du jeu de rôle, qui seront grands publics, mais qui ne ressembleront pas à ce que nous connaissons aujourd’hui.

Enfin, p’têt’pas…

En attendant et plus prosaïquement, j’aimerais aussi donner une suite aux Captifs de la Sorcière Dormante, le scénario du mon premier kit d’initiation. Je ne sais pas si cela se fera !

https://www.lisez.com/coffret/mon-jeu-de-role-junior/9791032403310?fbclid=IwAR3V2chA80zmx4YRJ9Mq1VoEh1QYC4HcSfAybFExmRzGy4S_sJxF_BcCQBY