L’Empire du Croissant [chronique supplément 7ème Mer]

Sinbad… Aladdin… Ali Baba… Prince of Persia… Magi…

Si ces noms vous parlent – et mieux, vous font rêver –, alors réjouissez-vous car l’Empire du Croissant est désormais disponible dans la langue de Léon-Alexandre. De quoi s’agit-il donc ? Et bien au sud-est de Théah se trouve une vaste contrée offrant un paysage contrasté – de vastes forêts luxuriantes aux profondeurs d’un désert brûlant, de mers aussi bleues que l’azur à des sommets où règne une neige éternelle… Composée de diverses nations, cette région du monde s’avère unifiée en une redoutable fédération – l’Empire du Croissant.

Ce supplément (208 pages couleur, sous une couverture rigide) pour la gamme 7ème Mer (Agate) s’attelle donc à la tâche de décrire en détail ce Moyen-Orient fantasmé de la même façon que Théah le fut dans les deux ouvrages précédents.

Y retrouve-t-on d’ailleurs la même qualité que dans ces prédécesseurs ? La réponse est contrastée…

Cinq doigts, un poing

L’Empire du Croissant se compose de cinq nations qui – comme de coutume dans le jeu – s’inspirent de modèles de notre monde mais revisités afin de les rendre plus grandes que nature.

L’Anatol Ayh est en quelque sorte le califat turc dans son versant éclairé, phare du monde et havre de culture et de tolérance. Ce pays sort d’une longue période de tyrannie mais la prise de pouvoir de l’Impératrice Safiye a permis de mener des réformes qui ont replacé l’Anatol Ayh dans son rôle de guide de l’Empire – bien que des nobles ayant soutenu l’ancien régime dictatorial cherchent encore à saper l’autorité de la sultane.

Ashur est la terre mythique des Assassins, dont le leader vit au sommet d’une montagne d’où il dépêche ses mortels serviteurs dans le monde entier. Au pied de ce relief cohabitent des gens issus de tous les peuples, de toutes les religions. Et si l’harmonie est difficile à maintenir, Ashur parvient à rester unie même durant les temps les plus troublés.

La Persis est la grande rivale de l’Anatol Ayh. Inspirée par la Perse, cette nation se révèle frustrée de sa place dans l’Empire – qu’elle voudrait diriger. C’est une terre riche et puissante, dont le shah Jalil était jadis l’amant de l’Empereur destitué par Safiye – envers laquelle il nourrit une vive rancœur.

Le Sarmion puise ses sources dans l’Israël antique. Ses tribus sont unies par la pratique de leur religion car le pays connut jadis bien des persécutions – dont de multiples invasions de la Numa et de longues périodes d’esclavage. Mais cette contrée a toujours su se relever, plus forte et solidaire qu’avant. À présent protégés par l’Impératrice, les Sarmionais la soutiennent de toute leur âme.

Enfin la Huitième Mer constitue une étendu désertique dont la surface s’étend sur la majeure partie de l’Empire du Croissant. Y vivent des clans rappelant les Bédouins : de véritables « marins » du désert, capables d’y survivre et même d’y prospérer. Une telle force est vivement appréciée et les nations voisines cherchent à s’allier durablement avec ces infatigables voyageurs.

Les chapitres décrivant ces nations sont particulièrement bien écrits. En effet, alors que de loin il peut sembler difficile de distinguer l’Anatol Ayh de la Persis, leur lecture nous détrompe fortement. Chaque peuple de l’Empire du Croissant est replacé dans un contexte historique, géographique et religieux qui lui donne une réelle et profonde identité. Ces chapitres suivent d’ailleurs un même plan (histoire, culture, religion…) qui met en exergue les spécificités de chaque pays. Outre les instances gouvernementales et militaires, on en apprend beaucoup sur la mentalité des habitants. De nombreux lieux sont dépeints et quatre PNJ se voient décrits avec une fiche technique – deux Héros et deux Vilains, dont les plans impliqueront les personnages tôt ou tard.

De façon intéressante, une longue introduction précède cette revue des nations de l’Empire du Croissant et explique les liens qui les unissent au-delà de leur différence : une histoire entremêlée, des cultures qui se parlent, une mosaïque de religions aux racines communes, un commerce qui apporte prospérité à chacune, etc. L’Empire du Croissant nous est présenté comme tel avant que l’ouvrage ne nous plonge dans la réalité plus fine et contrastée des pays. « Cinq doigts, un poing » dit un proverbe croissantin et la construction de ce supplément met cet adage en valeur.

7ème Mer s’enorgueillit d’une finition graphique de haut niveau et l’Empire du Croissant ne fait pas exception à la règle. Mieux, il s’agit dans doute du plus beau livre de la gamme – à moins que ce ne soit mon goût pour les ambiances orientales qui parle ! Mais il faut avouer qu’entre la maquette d’une grande clarté, les encarts chatoyants et les illustrations foisonnantes de couleur : c’est un régal pour les yeux. La lecture en est d’autant plus agréable. Notons comme d’habitude une grande parité dans les dessins et des double-pages d’introduction de chapitre époustouflantes afin de rendre compte du soin apporté au supplément sur le plan formel.

Jouer dans l’Empire du Croissant

Un long chapitre se consacre à la façon d’utiliser cet ouvrage et offre notamment la possibilité d’interpréter des habitants de l’Empire afin de vivre des aventures purement moyen-orientales. Ainsi, des Historiques et Avantages typiques des nations croissantines sont présentées ainsi que des magies, styles de duel et sociétés secrètes du cru – le tout permettant de se créer un personnage très ancré dans les archétypes héroïques des récits évoqués au tout début de la chronique. Suivent des conseils pour rendre au mieux l’ambiance des mille-et-une-nuits que l’Empire du Croissant reprend à son compte et – plus étonnant – des règles de bataille de masse.

Et c’est là que l’on commence à voir le défaut majeur du supplément : celui de ne pas être un véritable livre de base autonome. En effet, tout au long de la lecture on finit par oublier Théah et le reste de la gamme : l’Empire du Croissant est un univers qui mérite mieux que de n’être qu’une simple extension. Après tout, l’offre en matière de jeux arabisants est faible : à part le bien-nommé Capharnaüm, on n’en trouve guère à se mettre sous la dent (et ne me parlez surtout pas des Terres brûlées…). D’autant qu’il suffisait de peu – simplement d’augmenter le volume de l’ouvrage avec les règles complètes de 7ème Mer adaptées à ce contexte. Et n’est-ce d’ailleurs pas ce qui était prévu pour Khitai, l’Extrême-Orient de ce monde ?

On sent bien que les auteurs de l’Empire du Croissant essaient de tisser des liens avec Théah : quelques évènements historiques impliquant la Numa et la Vodacce, une paire de PNJ venus de cette Europe revisitée ici ou là, évidemment l’évocation des Prophètes… C’est peu au final, trop peu pour justifier que ce background n’ait pu acquérir une indépendance méritée. Le cœur n’y est pas alors que l’on sent en parallèle une réelle volonté de donner la vision fantasy d’une région à l’histoire et à la culture d’une immense richesse. En profitant d’un point de vue moderne pour faire résonner certains passages de l’ouvrage avec une réalité bien concrète de notre époque – c’est subtil mais intéressant et souvent pertinent.

Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Ce reproche ne fait que valoriser les immenses qualités de l’Empire du Croissant : intelligemment conçu, fort bien écrit, magnifiquement illustré et portant un univers évocateur et inspirant, le lecteur y trouvera largement plus que ce qu’il était venu chercher.

Empire indépendant !

D’ailleurs, je ne peux que conseiller la lecture de ce livre même aux réfractaires à 7ème Mer. Car s’ils cherchent une ambiance arabisante dans un background riche, il y a là tout ce dont ils peuvent rêver. Il est en effet aisé de considérer l’Empire du Croissant comme un livre d’univers décrivant ce monde de fantasy à la manière de certaines encyclopédies de l’imaginaire.

Et tout rôliste débrouillard saura bricoler son système générique préféré pour l’adapter à cette région et à ses codes. Je conseille toutefois d’en sélectionner un plutôt porté sur l’aventure et le pulp – comme Savage Worlds, Genesys, Fate ou Chroniques oubliées.

Inch’Elohah

Au final, le seul défaut de l’Empire du Croissant vient justement de sa haute qualité : on en veut plus et il s’avère frustrant qu’un univers avec le potentiel de générer un spin-off à part entière se voit relégué au rang de simple supplément. C’est dire si les auteurs ont réussi leur coup !

Pour tout fan de Moyen-Orient ancien, il s’agit donc d’un ouvrage à acquérir. Qu’il serve effectivement d’extension à 7ème Mer ou soit utilisé comme livre de background motorisé par un autre système de jeu, il s’y trouve la matière à de grandes et belles campagnes réchauffées par un soleil éclatant. Alors laissez-vous embarquer par le souffle de l’aventure !

Romain d’Huissier

Une pensée sur “L’Empire du Croissant [chronique supplément 7ème Mer]

  • 22 juin 2020 à 14:23
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    Un bouquin sûrement magnifique mais c’est tout de même dommage de voir chroniquer des produits qui n’existe pas dans le commerce.

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