On s’enflamme pour ce nouveau Runequest ! [chronique Les Enfants de la Flamme]
Bon, on continue cette lente mais exhaustive exploration de la nouvelle gamme Runequest du Studio Deadcrows. Après le petit arrière goût de pomme frelatée du Kit de la Meneuse, il est temps d’aborder du bel et bon inédit avec cette campagne de création francophone, taillée sur mesure pour cette nouvelle édition du jeu gloranthien.
Foulancée comme une sorte de bonus réclamée par les souscripteurs en folie lors de ce CF pour le moins réussi (à 1216 % !!), ce qui devait n’être au début qu’un modeste livret de 64 pages consacré à la tribu Dundéalos (une tribu au cœur des tourments de la Passe du Dragon) s’est transformé au fil des paliers en un beau supplément sous couverture rigide de 128 pages. Surtout, on s’est éloigné d’un supplément de contexte régional, créneau déjà occupé par la première partie du livre du Kit pour s’orienter franchement vers une campagne découpée en 6 scénarios et introduite par la description de la fameuse tribu, au cœur des événements de ce récit plein de bruit et de fureur.
Car, en effet, le moins que l’on puisse dire, c’est que quand on sort, comme moi donc, de la laborieuse lecture de la mini-campagne du Kit de la Meneuse, passer sans transition à celle-ci fait un sacré choc ! On est clairement devant deux façons de concevoir Glorantha et Runequest. Ici, dans Les Enfants de la Flamme, on est dans un registre très gloranthien avec une utilisation très dense du background (celui de la Passe du Dragon et de son histoire récente en l’occurrence), beaucoup de ce fantastique propre à l’univers du jeu qui lorgne fortement vers les mythologies antiques et, enfin, des enjeux que l’on peut qualifier d’historiques tant les PJ pourraient bien changer la face de cette région du monde. Ah, c’est sûr : on est loin des petites histoires à base de vol de bétail, là ! Ou, plus exactement, des épisodes de vol de bétail, il y en a. Mais ils occupent 3 lignes dans la campagne.
Il s’agit d’une campagne de haut niveau. De très haut niveau même. Là, on parle juste de changer l’Histoire de Glorantha (enfin, pas tout à fait : voir plus loin), d’en modifier la carte géopolitique, de rencontrer les plus grands héros, de mener à bien des quêtes héroïques (certes, sans les règles officielles, toujours, mais bon… ^^) et tous ces genres de choses.
Pour moi, c’est une nouveauté. Je crois que depuis le début que je suis RQ, on ne m’a toujours que proposé de jouer, disons, de façon « historiciste » : on joue dans un contexte historique (par exemple, Sartar sous l’occupation Lunar) mais pas vraiment avec l’Histoire elle-même. Les faits et les héros sont là, en arrière-plan, mais n’interagissent pas vraiment avec les PJ. Un peu, finalement, comme dans la création de PJ du nouveau RQ avec ses tables aléatoires pour révéler comment tel événement a pu avoir ou non un effet sur le destin d’un PJ.
Mais, là, c’est tout autre chose. Prenant au pied de la lettre le titre même de Runequest, Les Enfants de la Flamme placent directement les PJ à la tête d’un grand événement qui aura des répercussions sur toute la Passe du Dragon et même au-delà.
Cette fois-ci, donc, on joue avec l’Histoire comme dirait l’autre et, sans surprise, les écueils sont les mêmes qu si on jouait avec la succession de Charlemagne ou sur l’issue de la 4ème Croisade. Là, par exemple, la fin est connue d’avance. On joue un événement historique qui, certes, est imaginaire mais doit tout de même bel et bien avoir lieu dans la chronologie de Glorantha : il faudra se débrouiller avec les faits si les PJ chient dans la colle. Ou jouer, après tout pourquoi pas, dans une version alternative de Glorantha. Autre exemple classique : les PJ devraient rencontrer (au moins) un des PNJ les plus célèbres de tout Glorantha. Il faudra veiller à ce qu’ils ne le butent pas, OK ? En tout cas, si vous hésitiez entre mener à un jeu historique ou à un jeu medfan, n’hésitez pas plus longtemps et lancez-vous à corps perdu dans Les Enfants de la Flamme. Vous ne le regretterez pas.
Si cette campagne a un potentiel de dingue et, même, très franchement, me fait ouvrir des yeux nouveaux sur ce que peut donner Glorantha en termes de jeu, elle n’est pas sans écueil qui, peut-être, paraîtront rédhibitoires à certains.
D’abord, vous l’aurez compris : c’est une campagne pour des PJ de haut niveau, OK, mais c’est surtout une campagne pour un MJ de haut niveau ! Outre l’importance des enjeux qu’elle met en scène, elle est présentée de façon faussement linéaire. Il y a bien 6 épisodes distincts mais ils peuvent être intervertis en fonction des actions des PJ ou, mieux (ou pire pour le pauvre MJ !), ils doivent être entrelacés pour une meilleure expérience de jeu. Concrètement, cela veut dire qu’il ne faut pas hésiter à mettre un bout d’épisode 3 au milieu du 2 (par exemple) si les actions des PJ vous en donnent l’opportunité. Un conseil : prenez des solides notes ! On peut ajouter le fait que certains épisodes – comme le 1er, autour d’intrigues urbaines variées à Swenville – sont totalement en bac à sable.
Rappelons enfin ce qui a déjà été dit plus haut : certains épisodes – pourtant potentiellement passionnants – sont parfois expédiés en 3 lignes et laissés presque entièrement à l’appréciation du courageux MJ. Tenez, par exemple, la mutation d’un important PNJ en un « autre chose » mythologique en 7 étapes est décrite en 6 pages comme une des péripéties de l’épisode 4. OK. Mais, selon mes standards personnels, c’est une mini-campagne en soi qui aurait mérité quelques dizaines de pages !
C’est l’autre problème de ce livre de campagne : il est un peu étriqué. Il faut dire qu’il y en a des choses à mettre dans ces 128 pages ! Outre les 6 épisodes, eux-mêmes émaillés d’encarts contenant des conseils de mises en scène ou des développements alternatifs, il y a ce qui était à l’origine du supplément : la description de la fameuse tribu Dundéalos, de son histoire et de ses lieux-clefs. Cette partie contexte pèse une grosse quarantaine de pages et comprend, notamment, une description assez complète (et inspirante) de la ville de Swenville avec sa chouette carte couleurs sur deux pages et tout.
Moi qui, souvent, me plains que certains suppléments de JdR tirent inutilement à la ligne, je me vois contraint d’avouer que, là, j’aurais bien vu cette campagne s’épanouir sur environ 200 pages plutôt que d’en rester à un trop modeste 128. Par exemple, la présence en annexe de… un seul personnage pré-tiré montre qu’il a fallu vraiment sortir la meuleuse pour faire rentrer tout le texte espéré dans ce carcan trop étroit.
Un autre problème posé par cette campagne est, lui, purement conjoncturel mais mérite quand même d’être évoqué : elle arrive un peu tôt. Financée durant le foulancement initial, au moment où, en dehors des fans hardcore anglophones, personne ne joue encor à ce nouveau RQ, elle a le tort d’être conçue pour un groupe de haut niveau et pour un MJ qui a bien intégré toutes les évolutions, de règles comme de background, de cette nouvelle édition quand on aurait plutôt attendu quelque chose qui soit accessible en douceur à un groupe nouvellement constitué. Or, compte tenu des faiblesses des scénarios du Kit, cet outil là (disons, une mini-campagne d’initiation), lui, n’existe pas. Peut-être avec les recueils de scénarios foulancés depuis et attendus pour bientôt ? Comptez sur nous pour vous le dire le moment venu.
Dans tous les cas, même si, pour différentes raisons, vous ne pouvez ou ne voulez pas faire jouer la campagne Les Enfants de la Flamme, vous devriez la lire attentivement et vous inspirer de sa façon de faire pour élaborer vos propres récits dans le monde de Glorantha. Pour moi, en tout cas, c’est aussitôt devenu une référence en la matière.