Le tombeau d’Andromède
Ici, entre rôlistes de bon goût, on connaît tous Le Grümph. Mais si, c’est le monsieur qui a sa chronique mensuelle sur le Fix pour annoncer la parution de son dernier jeu ! L’auteur a en effet cette capacité unique de vous prendre un genre (cyberpunk, med fan, Sword & sorcery, cape et épée, etc.), de le triturer dans tous les sens, d’en retirer le meilleur et d’en faire une boîte à outil rôlistiquement parfaite.
Alors quand le Grümph annonce, à l’occasion de la souscription pour Chronique Oubliée Fantasy (COF), qu’il va proposer une campagne bac à sable en stretch goal, notre curiosité et notre intérêt sont titillés au plus haut point. Car ici, l’exercice est tout autre : en plus de proposer une campagne ouverte, il faut aussi et surtout la rendre accessible au néophyte. Car pour moi, Chronique Oubliée Fantasy est destinée aux nouveaux rôlistes. Et pour eux, s’attaquer au genre bac à sable est une étape aussi passionnante que casse gueule. Alors, pari réussi ou pas ?
Quand un puissant capitaine mercenaire engage les personnages pour l’accompagner incognito régler de vieux comptes, contre la promesse d’une intégration au sein de la fameuse compagnie des Scorpions Pourpres, ce gentil plan de carrière va dérailler très, très vite.
Dans ce havre prospère au beau milieu de la garrigue et des vallées d’arbres chargés de fruits gorgés de soleil, l’Abbaye de Gravaël assure la garde du tombeau de Sainte-Andromède et tient le domaine dans une concorde économique et religieuse. Sauf que cette période de calme apparent touche à sa fin. Et les PJ tombent au plus mauvais moment au plus mauvais endroit.
Bac à sable ? Kézako ?
Avant d’aller plus loin, posons les bases et expliquons ce qu’est le mode « bac à sable ». Au début, il y avait le dungeon crawling : vous entrez par la porte du donjon, vous enchaînez les salles jusqu’au boss de fin (et surtout jusqu’au trésor). Difficile de faire plus linéaire. Ensuite, on a eu les jeux à missions ou à enquête : quelqu’un vient vers les personnages pour leur fixer un objectif et le scénario suit une structure qui dépend de l’ordre dans lequel les PJ récoltent les indices et interrogent les contacts. La linéarité se fait moins ressentir, mais est toujours présente. Enfin, nous avons le summum du monde ouvert : le bac à sable. La différence principale, c’est que ce ne sont pas les personnages qui devront réagir aux événements du scénario, mais le scénario (et donc le meneur) qui doit réagir aux actions des personnages. L’élément clé pour un bon bac à sable, c’est donc d’avoir des joueurs pro-actifs et un meneur réactif.
Bac à sable en huit clos
L’ouvrage, de 106 pages, se divise en deux parties. La première, vous présente le cadre de campagne : Gravael. Contrée regroupant plusieurs petits villages (bénéficiant tous de leur plan !) entourée par un mur. Ce dernier, construit il y a des siècles, servait-il à protéger ce qu’il y avait à l’intérieur ou d’une menace extérieur ? Pour le savoir, il est interdit aux joueurs de poser la question au meneur, mais c’est à leur personnage de trouver les bons interlocuteurs pour avoir la réponse. Voici un exemple de conseil tout simple donner dans l’ouvrage pour rendre les personnages moteurs de l’intrigue. Et l’ouvrage est rempli de petits conseils judicieux vous aidant à aborder sereinement une campagne bac à sable.
Mais revenons un peu à Gravaël. La région qui accueille ce domaine possède un climat, un écosystème et une production très méditerranéenne. L’auteur fournit plein de conseils et de détails pour à la fois retranscrire au mieux sa vision du cadre de jeu tout en vous donnant les éléments vous permettant son appropriation. On peut donc facilement illustrer le décor avec une simple recherche sur internet.
Tant que nous en sommes à parler des illustrations abordons un point qui va diviser : les illustrations intérieures. En effet, le style de ces dernières tranchent radicalement avec le visuel de couverture (signé Simon Labrousse). Personnellement, j’aime beaucoup les illustrations intérieurs signées LG et ce, pour deux raisons. La première : le style me rappelle beaucoup Zelda. Plus précisément le style graphique utilisé en début de jeu pour raconter la légende des temps anciens au joueur. Et deuxième raison, comme pour les plans, je trouve que les dessins titillent l’imagination et servent à l’improvisation. Prenez un portrait, décrivez ce qu’il vous inspire en trois mots et, sans le montrer, vous avez décrit votre PNJ en vous aidant du dessin. La posture, les vêtements, leur regards, tous ces détails présents dans chaque portrait permettent cela.
Cette première partie remplit donc parfaitement son rôle. On est juste un peu surpris par l’absence de tableau (ou de liste), dont LG est pourtant très favorable dans ces autres productions, permettant à un meneur de bac à sable débutant de préparer l’improvisation.
L’intrigue
La seconde moitié de l’ouvrage constitue la campagne, découpée en cinq scénarios. Enfin, disons plutôt un scénario d’introduction qui met le pied à l’étrier aux personnages et ensuite quatre grosses trames d’intrigues détaillées. Attention, je ne parle pas de synopsis de campagne. Ici, vous avez bien tous les PNJ importants présentés et tous les tenants et les aboutissants de l’intrigue expliqués. Mais dans une campagne bac-à-sable, les PJ sont libres de tout : actions, mouvements et rencontres. Il est donc difficile de tout prévoir et donc, de tout scénariser. Pour y remédier, l’auteur propose une structure efficace qui permet au meneur de s’approprier les étapes clés du scénario:
- La distribution : présente tous les PNJ importants qui auront un rôle à ce moment de l’aventure.
- Le contexte : ce paragraphe est un point de situation sur tout le monde : les PJ, les PNJ : qui fait quoi, comment et pourquoi ? Poser ainsi les bases permet de mieux anticiper la suite.
- Le dessous des cartes : Les intrigues, les actions des PNJ, les événements à venir. Ici, tout est expliqué.
- Le chemin critique : La colonne vertébrale du scénario dans laquelle est expliqué, en étapes clés, comment tel personnage de la distribution, utilise son contexte pour mettre en action le dessous des cartes. A la lecture de cette partie tout parait « évident ». Au MJ de savoir mettre en jeu ces étapes clés. Si les personnage-joueurs doivent avoir une information, peu importe qu’ils l’aient par le PNJ n°1, le PNJ n°2 ou à travers une lettre. L’important, c’est qu’ils aient cette information pour pouvoir « valider l’étape » et passer à la suivante.
- Les repères : les choses importantes à garder en tête.
- Les détails : Tous les éléments présentés ci-dessus le sont de manière succincte. Ce paragraphe, comme son nom l’indique, détaille les points importants de l’intrigue. Exemple: Un moment, un PNJ propose des missions aux PJ en attendant qu’un autre événement se déclenche. Dans le paragraphe détail, vous aurez une liste de mission à proposer à vos joueurs.
- Le profil technique : correspond aux caractéristiques techniques des PNJ et, éventuellement, des monstres.
Au final, cette présentation est très efficace. En une seule lecture, on a une vision globale des événements et des ambitions de chacun. Disons que les habitués des productions de LG seront en terrain connu et ne seront pas déçus. Par contre, même si l’ouvrage n’est pas avare en conseil, je trouve qu’il manque quelques indications plus personnelles de type : « moi je l’ai fait joué comme ça » ou « moi je le mettrais en scène comme ça ». Surtout que le livre laisse beaucoup de marges vides sur les deux cotés.
De plus, et contrairement à Invincible (la dernière campagne parue pour COF), il n’est jamais fait mention de jets de dés (exemple : faire un test de SAG difficulté 20 pour réussir). La partie technique de l’ouvrage se résume aux caractéristiques des PNJ. Seule compte l’histoire, son déroulement et sa conclusion. C’est un détail, mais cela veut-il dire que l’ouvrage s’adresse au meneur moins débutant ? Que la gamme Chronique oubliées n’est plus exclusivement dédiée à l’initiation, mais grandit, mûrit au rythme de l’expérience acquise par ses meneurs ? Dans ce cas, il serait intéressant de proposer des « niveaux de maîtrise » conseillés en quatrième de couverture pour savoir à qui s’adresse le supplément. Et ainsi permettre au meneur de gagner en expérience de jeu.
Cette absence de système (hors caractéristiques des PNJ) rend toutefois cette campagne facilement compatible avec d’autres jeux med-fan.
Le tombeau d’Andromède propose un terrain de jeu propice à l’aventure et aux intrigues politiques. Après quelques heures de jeu, soyez sûr que ce contexte sera bien différent de celui présenté en début de partie. Différent comment ? Cela dépendra des choix et des actions de vos PJ. Et, même si l’absence d’un accompagnement pour les petits nouveaux peut se faire ressentir, ce supplément reste un moyen simple et très accessible pour se lancer dans la maitrise bac-à-sable.